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Les étudiants refusent les réformes Lang-Ferry contre l'Université


Auteur(s) :Nina Pradier
Date :15 novembre 2003
Mot(s)-clé(s) :LMD, étudiants
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Un mouvement de grève des étudiants est parti de l’Université Rennes-II le 5 novembre et touchait fin novembre une vingtaine d’universités. Des Assemblées générales de centaines et, pour les plus mobilisées, de 1000 à 3000 étudiants selon les cas, se sont tenues, reprenant toutes les deux mots d’ordre suivants : abrogation des décrets ECTS-LMD et retrait définitif du projet de loi sur l’autonomie des universités.

Les décrets ECTS-LMD ont été signés par Jack Lang en avril 2002 et sont appliqués, faculté par faculté, par les conseils d’administration. Leur objectif est de remplacer, au nom d’une pseudo-« harmonisation européenne », les diplômes nationaux par des diplômes locaux et individualisés. De son côté, le projet de loi sur l’autonomie des universités, élaboré par Luc Ferry au printemps et suspendu une première fois pour éviter que les étudiants ne rejoignent massivement les travailleurs en lutte, vient compléter ce dispositif en aggravant l’autonomie de gestion des universités : gestion d’un budget global, liberté de fixer les droits d’inscription, etc. (Sur ces réformes, cf. Le Cri des travailleurs n°5-6, juin-juillet 2003.)

Le mouvement étudiant est bien plus fort qu’en mai-juin. Un plus grand nombre d’universités est mobilisé. Deux « journées d’action », à l’appel des syndicats étudiants (UNEF, SUD, FSE-Solidarité Étudiante !, CNT), ont rassemblé des milliers de manifestants le 20 et surtout le 27 novembre. À l’heure où ces lignes sont écrites (2 décembre), six facultés (Rennes-II, Nantes, Caen, Tolbiac-Paris I, Paris-XIII, Angers Lettres et Sciences) sont réellement en grève : suspension de tous les cours par le blocage de la faculté organisé par les étudiants grévistes, les piquets de grève permettant aux étudiants de participer aux AG, de s’informer, de s’organiser, et de manifester. À Toulouse-le-Mirail, une AG de 1000 étudiants réunie à l’initiative de l’AGET-FSE vient de voter la grève à une majorité écrasante (plus de 900 pour, 10 contre et 30 abstentions) et la mise en place de piquets de grève « filtrants ». Par ailleurs, une quinzaine d’universités ont voté la grève, bien que celle-ci n’y soit pas effective.

Crise du syndicalisme étudiant

Cependant, l’ampleur de cette mobilisation reste limitée. Très vraisemblablement, contrairement à ce que croient certaines organisations et certains militants qui prennent leurs rêves pour des réalités, nous ne sommes pas à la veille d’un mouvement comparable à celui de 1986. La crise du syndicalisme étudiant, provoquée par des années de collaboration des deux Unef, puis de l’Unef soi-disant réunifiée depuis 2001, avec les gouvernements successifs et avec les présidents d’université dans le cadre de la cogestion, est trop profonde. Aujourd’hui, la quasi-totalité des étudiants n’est pas syndiquée et n’a aucune expérience de lutte. La plupart des étudiants ne sont même pas au courant des réformes dont ils sont les premières victimes, car il n’y a pas de syndicat national de lutte qui les en ait informés depuis leur publication en avril 2002, ce travail n’ayant été en effectué (à des degrés divers) que par de très petits syndicats, la FSE-Solidarité Étudiante ! (fondée en juillet dernier), SUD et la CNT, qui comptent à eux trois un maximum de 400 militants. Quant à l’Unef, qui s’est refusée à informer réellement les étudiants jusqu’en cette rentrée universitaire, elle est devenue pour l’essentiel une structure extrêmement faible : bien sûr, son pouvoir de nuisance est encore grand, du fait de ses moyens et de ses positions institutionnelles : rappelons-nous qu’elle a refusé de s’opposer au CNESER aux décrets ECTS-LMD, qu’elle a demandé seulement en mai 2003, sous la pression du mouvement d’ensemble, leur « retrait », tout en continuant à siéger faculté par faculté dans les commissions de travail chargées de les appliquer ! Mais le nombre de ses militants ne dépasse pas quelques centaines sur toute la France, ses cadres étant pour la plupart des bureaucrates membres du PS, notamment du courant Nouveau monde, et pour une minorité militants de la LCR-JCR, qui couvrent en fait la politique des premiers.

Manipulations de l’UNEF

Il ne faut pas se faire d’illusions. L’Unef a décidé de mobiliser les étudiants, de manière extrêmement partielle et contrôlée, avant tout pour des raisons bassement politiciennes : elle a choisi de mobiliser surtout là où des élections universitaires étaient prévues pour les prochaines semaines (il est vital pour elle de garder à tout prix ses élus, et les avantages institutionnels et matériels qui vont avec) et, d’autre part, le PS en général et le courant Nouveau monde en particulier poursuivent leurs propres objectifs en cette veille d’année électorale, qui leur fait ressentir le besoin de se démarquer quelque peu du gouvernement Chira-Raffarin qu’ils ont refusé de combattre jusqu’à présent, mais qu’ils vont bien devoir affronter au moins sur le plan électoral dans quelques mois. Cependant, l’UNEF, squelettique, reste une petite structure nationale présente dans de nombreuses Universités (mais pas dans toutes, loin de là) et qui surtout jouit d’une multitude de soutiens et est ultra-médiatisée. Comme telle, elle est encore capable de diriger et de manipuler un mouvement d’ampleur limitée comme celui auquel nous assistons. C’est ainsi qu’elle a pu contrôler de A à Z l’organisation et le déroulement de la « Coordination nationale » qui a rassemblé à Rennes les 29 et 30 novembre les délégués plus ou moins mandatés par les AG des Universités qui avaient voté la grève (et parfois diligentés directement par le Bureau national de l’Unef...). Le vote par délégué et non par par délégation (procédure opposée à celle décidée par la coordination nationale bien plus importante de 1995) a assuré à l’Unef la majorité écrasante des voix. Elle a donc pu faire passer sa ligne, qui consiste à noyer les revendications essentielles (abrogation pure et simple des décrets ECTS-LMD et retrait définitif du projet de loi sur l’autonomie) au milieu d’un magma de « revendications » collaborationnistes qui les contredisent et qui, quant à elles, ont toujours été les siennes : revendication d’une « véritable harmonisation européenne (...) qui permet les équivalences au niveau européen » et qui s’accompagne d’ « une augmentation du nombre et du montant des bourses de mobilité européenne » ; exigence d’un « maintien des acquis pédagogiques de 1997 (contenu et modalités de contrôle des connaissances) », c’est-à-dire réaffirmation du soutien total à la loi Bayrou dont les décrets Lang ne sont pourtant qu’une application ; revendication de « l’annulation des dispositions relatives à l’application du LMD dans les universités », ce qui est une manière de dire qu’on se contentera d’une renégociation des décrets ECTS-LMD eux-mêmes ; revendication de « stages en entreprise (qui) doivent être effectués sur demande de l'équipe pédagogique, véritablement qualifiants et rémunérés », ce qui constitue une acceptation de cet objectif fondamental de la réforme Bayrou-Lang, sous réserve de prétendues « garanties » ; revendication de « la mise en place d’un statut social de l’étudiant », au moment même où le gouvernement, comme son prédécesseur, cherche justement un moyen de briser le système actuel de l’aide sociale étudiante et des bourses... Corrélativement, l’Unef et la « Coordination nationale » lancent un appel bien timoré à la grève, s’en remettant en fait avant tout à « chaque Assemblée Générale (qui) devra se donner comme objectif, une fois les conditions réunies, de permettre le blocage des universités avec les étudiants » — autant dire que l’Unef refuse de prendre ses responsabilités, alors même qu’elle se proclame « le syndicat étudiant ».

Pour leur part, tirant les conséquences de ce qu’est devenue l’Unef aujourd’hui, les militants du Groupe CRI sont engagés, avec d’autres, dans la construction d’une nouvelle fédération étudiante, la FSE-Solidarité Étudiante !, au congrès de fondation de laquelle ils ont participé en juillet 2003 (cf. Le Cri des travailleurs n°5-6).

La FSE-SE, qui regroupe des syndicats de lutte et qui se veut l’un des embryons du futur syndicat étudiant, compte environ 200 militants sur une vingtaine d’universités (dont Paris-I — Tolbiac et Sorbonne —, Paris-III, Paris-VIII, Caen, Toulouse-I, II et III, Pau, Limoges, Montpellier, Dijon...), ainsi que des militants et sympathisants isolés. Dans plusieurs facultés, elle a fait des progrès importants depuis la rentrée universitaire, grâce à son travail d’information sur les décrets Lang-ECTS-LMD, à son exigence claire et nette de leur abrogation pure et simple, à son refus de participer aux commissions de travail mises en place pour les appliquer et à son combat pour réunir les conditions de la grève étudiante. Elle a même joué un rôle majeur dans le déclenchement de la mobilisation en cours puisque, après le travail accompli par ses sections pendant toute l’année passée, elle a eu les moyens de prendre des initiatives coordonnées et bien préparées dès le début de l’année, avec l’organisation de réunions d’information sur les décrets Lang (parfois communes avec SUD et la CNT) et avec son appel à une journée nationale de mobilisation pour le 20 novembre, à laquelle se sont finalement ralliés non seulement SUD et la CNT, mais aussi l’Unef, qui avait elle-même besoin, comme nous l’avons vu, de se refaire une jeunesse — et qui n’a pas manqué d’essayer de diviser les étudiants en appelant les manifestants, à Paris, à un rendez-vous différent de celui rendu public antérieurement par la FSE...

Dans toutes les facultés où l’Unef a en face d’elles de vrais syndicats de lutte (FSE et, dans certains cas, SUD, CNT, voire CVSE), ses positions sont fragilisées et elle est obligée de « gauchir » considérablement son discours. À Paris-I-Tolbiac, où la section Oxygène-FSE compte 25 militants et où SUD et CNT sont également présents, l’Unef, qui participe aux commissions de travail constituées pour mettre en place la réforme ECTS-LMD, est souvent sifflée par les étudiants au cours des AG ; et la délégation de cinq étudiants élue pour la « Coordination nationale » ne comptait qu’un membre de l’Unef, d’ailleurs un adhérent de base, après que l’AG eut refusé de voter pour les responsables locaux de cette organisation largement discréditée à Paris-I...

La grève actuelle ne pourra se développer que si les assemblées générales des étudiants, élisant, mandatant et fédérant leurs comités de grève, et rejoints par les personnels enseignants et IATOSS, imposent :

• Que les syndicats étudiants (UNEF, FSE, SUD, CNT et CVSE) appellent, ensemble, de manière claire et nette, à la grève générale de l’Université jusqu’au retrait sans conditions des contre-réformes Lang-ECTS-LMD et Ferry ; • Que les syndicats enseignants et IATOSS (SNESup-FSU, FERC-CGT, SNPREES-FO...) appellent les personnels à rejoindre les étudiants et à la grève générale de l’Université ;

• Que les fédérations syndicales de l’enseignement et les confédérations apportent leur soutien clair et net aux étudiants et aux personnels de l’Université.


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