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Irak : Le combat contre l'occupation passe par l'organisation politique et militaire des masses sous la direction du prolétariat, pour la défaite de l'impérialisme


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :15 juin 2004
Mot(s)-clé(s) :international, Irak
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La réalité de l’occupation : misère et barbarie

Plus d’un an après l’annonce par Bush de la fin officielle de la guerre en Irak, les 150 000 soldats qui composent les troupes d’occupation impérialistes, auxquels il faut ajouter des milliers de miliciens privés, ne sont pas prêts de quitter l’Irak. En effet, à peine désigné par les États-Unis comme Premier ministre du futur gouvernement fantoche dans le cadre du prétendu « transfert de compétence », prévu pour le 30 juin, l’ex-agent de la CIA Iyad Allaoui a demandé, sans rire, à la coalition anglo-américaine de maintenir ses troupes en Irak, afin d’y assurer la sécurité !

Le bilan de l’occupation est pourtant éloquent. Alors que les affaires fleurissent pour les trusts militaires et pétroliers, essentiellement liés à la tête du régime américain, la situation sociale, fruit de la politique économique menée par l’autorité provisoire de la coalition et le proconsul Paul Bremer, est catastrophique pour les Irakiens. Le chômage touche 70 % des travailleurs, les infrastructures utiles à la population ont été détruites, l’accès à la santé, à l’eau, à l’électricité reste très difficile.

Cette misère sociale est encore aggravée par la répression féroce à laquelle sont soumises les masses irakiennes, y compris par les bombardements aériens qui se poursuivent régulièrement. Les forces de la coalition et leurs supplétifs de la police irakienne n’hésitent pas à tirer sur la foule alors que se multiplient les manifestations de salariés et de chômeurs, protestant contre leurs conditions de vie (à Nadjaf, Omara, Bassora…). À cela s’ajoutent bien évidemment les révélations à grande échelle des actes de torture commis dans les prisons surpeuplées, dont celle d’Abou Ghraib, par les soldats des troupes impérialistes, à l’encontre d’Irakiens détenus arbitrairement. Alors que la raison officielle de la guerre, la présence d’armes de destruction massive, introuvables car inexistantes, est oubliée depuis longtemps, le gouvernement américain aurait voulu faire croire, en particulier à sa propre population, qu’en mettant fin à un régime dictatorial, il apportait la démocratie en Irak. Ce prétexte vole lui aussi en éclats à la face de tous. Pour se dédouaner de leurs responsabilités, Bush, Rumsfeld, la CIA et leurs acolytes veulent faire croire que ces exactions sont le fait d’initiatives isolées de soldats indisciplinés. Ces actes ont pourtant été couverts de longs mois avant d’être révélés au grand jour. Il s’agit en fait d’exactions tristement habituelles dans le cadre d’interventions de type colonial, sous prétexte d’apporter la « civilisation » ou la « démocratie ». Le gouvernement américain a ainsi pu prendre exemple, entre autres, sur l’armée française tortionnaire en Algérie ; il a aussi utilisé l’expérience des responsables du camp de Guantanamo et de prisons américaines réputées pour le mauvais traitement des détenus qui ont servi d’instructeurs en Irak. Et les illusions envers les conventions de Genève et une ONU prétendant défendre les droits de l’homme ont fait long feu. En effet, l’administration américaine, parfaitement consciente de ce que couvrent concrètement les termes de « maintien de la paix » ou de « force d’interposition », a obtenu du Conseil de sécurité de l’ONU (1) l’immunité, devant la pourtant très docile Cour pénale internationale, pour les crimes commis par des membres d’États non-signataires du traité instituant cette cour fantoche (en particulier les États-Unis), dans le cadre d’opérations établies ou autorisées par l’ONU. Cette immunité, garantie par les résolutions 1422 en 2002 et 1487 en 2003, devrait être renouvelée prochainement pour 2004. Les instruments de l’impérialisme que sont la Cour pénale internationale et l’ONU ne peuvent pas plus juger les exactions commises en Irak qu’y apporter la démocratie. Seul le peuple irakien souverain pourra juger ses tortionnaires, passés et présents.

Vive la résistance armée du peuple !

Devant ces exactions et ces humiliations de la part des troupes d’occupation, la résistance s’intensifie ces derniers mois. D’abord concentrées dans le « triangle sunnite », et de ce fait fallacieusement décrites par les forces impérialistes comme l’œuvre de nostalgiques du régime baasiste, les attaques armées, de type guérilleristes, contre les Anglo-américains et leurs supplétifs se sont étendues vers le sud du pays, qualifié de chiite. Cette généralisation de la résistance est un échec pour le plan des États-Unis essayant d’utiliser et d’attiser les divisions ethniques et religieuses entre Kurdes, Sunnites et Chiites, et de trouver ainsi des points d’appui pour leur propre domination.

On pourrait voir dans l’extension de la résistance uniquement une lutte d’influence à l’intérieur du clergé chiite, entre al-Sistani d’une part, représentant l’aile majoritaire et collaborationniste des religieux chiites, et al-Sadr d’autre part, minoritaire et ne pouvant gagner du poids que par une attitude d’opposition radicale à l’occupation. Mais le succès de ce dernier exprime aussi et surtout, même de manière confuse et déformée, un élan de la population irakienne vers un mouvement national de résistance à l’occupation impérialiste. Malgré la puissance brute des forces impérialistes, la résistance armée du peuple irakien a provoqué des revers pour les Anglo-américains qui, s’ils s’accentuaient encore et nourrissaient une véritable guerre de libération nationale, pourraient, en relation avec la mobilisation contre la guerre des classes ouvrières des pays belligérants, mener au retrait des troupes impérialistes, à la défaite de l’impérialisme. Ces revers graves et quotidiens se mesurent aux centaines de morts et aux milliers de blessés dans les troupes occupantes depuis la « fin de la guerre », et aussi à l’impact des réussites militaires de la résistance, comme à Fallujah, Nadjaf ou Karbala, entre autres, où la guérilla a pu prendre le contrôle de grandes parties des villes en question et s’y retrancher avec l’appui de la population.

Les communistes révolutionnaires internationalistes savent toutefois que les directions actuelles de ces mouvements ne peuvent pas, par leur nature même, religieuse réactionnaire ou nationaliste-bourgeoise, mener le combat jusqu’au bout contre l’impérialisme et dans l’intérêt des masses. De fait, après les trêves négociées entre les forces d’occupation et les directions des mouvements de résistance, comme à Fallujah, ces dernières dévoilent leur trahison en désarmant désormais les résistants irakiens, sans doute pour montrer leur « sens des responsabilités » dans la perspective du prétendu « transfert de souveraineté » vers les mains des supplétifs irakiens de l’impérialisme. Il s’agit là d’une confirmation des leçons de la révolution permanente de Trotsky : dans les pays dominés, les forces bourgeoises et petites-bourgeoises, même si elles s’appuient momentanément sur le prolétariat et les classes populaires dans le cadre d’une lutte contre l’impérialisme, préfèreront toujours rechercher l’appui de l’impérialisme pour sauver leur propre domination de classe face aux masses radicalisées, notamment par des persécutions contre les militants ouvriers.

Mais il existe aussi aujourd’hui en Irak des organisations ouvrières qui se constituent et qui ont montré leur force lors de manifestations pour les droits ouvriers, laïques et démocratiques, et lors d’actions de lutte syndicale. La question de l’orientation des organisations ouvrières et de l’articulation entre les méthodes de la lutte de classe et celles de la lutte armée, est décisive pour l’émergence d’une issue favorable à la population irakienne, qui ne saurait être qu’ouvrière et socialiste.

La ligne des organisations ouvrières en Irak

Parmi les partis qui se réclament officiellement de la classe ouvrière, il y a bien sûr le Parti Communiste Irakien, d’origine stalinienne. Il a confirmé sa nature contre-révolutionnaire en participant au Conseil de gouvernement intérimaire, à la botte des impérialistes. Pour gagner du poids au sein de ce gouvernement fantoche, il cherche à s’appuyer sur les travailleurs irakiens en les intégrant au syndicat officiel, le seul légalisé par les autorités d’occupation. Les travailleurs ne peuvent pas avoir d’illusions envers ces collaborateurs de l’impérialisme, ils ne peuvent compter que sur leur propre lutte indépendante pour faire aboutir leurs revendications.

Une autre organisation influente est le Parti Communiste-Ouvrier Irakien (PCOI), parti frère du Parti Communiste-Ouvrier d’Iran. Existant depuis 1993 essentiellement dans l’émigration, il a construit avec les ouvriers irakiens, dès la chute de Saddam Hussein, des organisations qui ont aujourd’hui un rôle important dans la lutte des classes : la Fédération des conseils ouvriers et des syndicats en Irak (FWCUI), le Syndicat des chômeurs en Irak (UUI), qui compte plus de 100 000 membres, l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak (OWFI), qui regroupe des centaines d’adhérentes... Ce sont ces organisations qui ont été au cœur des luttes économiques et démocratiques les plus remarquables en Irak, malgré les difficultés liées à la répression : nombreuses manifestations de chômeurs réclamant un emploi ou une allocation chômage à Bagdad, Nadjaf, Bassora, etc. ; défilé d’un millier de femmes le 8 mars, avec des drapeaux rouges, contre l’adoption de la charia par le Conseil de gouvernement ; nombreuses grèves dans les entreprises, en particulier dans les secteurs du gaz, du cuir et des cigarettes, y compris avec occupation des usines et séquestrations des dirigeants...

Les communistes révolutionnaires internationalistes soutiennent cette lutte de classe active et courageuse, mais ils critiquent fermement l’orientation politique du PCOI qui, par son économisme et son menchevik, ne peut conduire le mouvement ouvrier qu’à la défaite. Dans une situation tout entière marquée par la guerre et l’occupation, où la grande majorité de la population ne reconnaît pas d’État légitime, il est impossible de ne pas lier les revendications immédiates (économiques et démocratiques) des travailleurs, des jeunes et des femmes, avec l’exigence du retrait des troupes d’occupation et le combat pour leur expulsion par tous les moyens. Or, le PCOI demande certes, dans ses textes, le retrait des troupes d’occupation, mais sans que cela, précise-t-il, constitue son « but essentiel » ; et, dans les faits, le PCOI et les organisations qui lui sont liées sont plus qu’ambiguës. Ainsi, la FWCUI (syndicat de salariés) propose des appels pour la grève et des manifestations, décrivant la situation sociale terrible dans laquelle se trouvent les ouvriers et les chômeurs... mais sans évoquer la responsabilité majeure, incontournable, de l’occupation impérialiste ! De son côté, l’UUI (syndicat de chômeurs) a pris part aux tables de négociations avec l’autorité provisoire de coalition de Paul Bremer — même si elle s’en est finalement retirée, « quand elle a atteint la conviction sérieuse que le camp américain n’avait aucune intention sérieuse d’accepter les revendications de l’UUI » (2). Quant à la présidente de l’OWFI, Yanar Mohammed, menacée de mort par un groupe religieux réactionnaire — « l’armée de Sahaba » —, elle s’est tournée non pas vers les travailleurs irakiens, mais... vers Paul Bremer et l’armée américaine, haïe des masses pour leur demander d’assurer sa protection !

Il est incontestable que les forces communistes, démocratiques et laïques subissent en Irak des attaques non seulement de la part des occupants impérialistes, mais aussi de la part des forces réactionnaires religieuses. Le PCOI en tire la conclusion qu’il faut renvoyer dos-à-dos l’occupation impérialiste et la résistance armée ! Confondant volontairement les attaques dont sont victimes les militants ouvriers de la part de groupes islamistes et les pressions liberticides que ceux-ci exercent contre les masses, d’une part, et les attaques menées par la résistance populaire, certes dirigée majoritairement par ces mêmes forces réactionnaires, contre les troupes impérialistes, d’autre part, le PCOI va jusqu’à affirmer que « ‘Occupation’ et ‘Résistance’ sont les deux pôles du même camp réactionnaire ». La conclusion pratique en est que ce parti refuse d’organiser les ouvriers avec l’objectif de la lutte implacable, supposant l’armement du peuple, contre l’occupation, donc pour la défaite de l’impérialisme. De fait, au lieu d’armer depuis le début les ouvriers qu’il a organisés, il n’a décidé que récemment l’armement de certaines usines, pour organiser l’indispensable autodéfense des ouvriers contre les agressions des islamistes. Or, si le PCOI s’était battu pour organiser et diriger lui-même la résistance politique et militaire du peuple contre l’impérialisme dès la chute de Saddam Hussein, il aurait certainement empêché les islamistes d’acquérir l’emprise qu’ils ont acquise en un an dans ce pays depuis longtemps laïc. En ce sens, en refusant de prendre la tête du combat pour la défaite de l’impérialisme, le PCOI a involontairement rendu un fier service aux islamistes réactionnaires qui, quant à eux, ont su utiliser et canaliser la colère des masses — et qui ne font ni ne feront de cadeaux au mouvement ouvrier et démocratique.

Les fondements politiques de ces positions sont une analyse économiste, non réellement marxiste, de la situation en Irak, en rupture avec les enseignements de la révolution russe et la tradition de Lénine et des quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste dont le PCOI se réclame officiellement. Pour les dirigeants de ce parti, la situation actuelle, où il n’existe pas de forme étatique à laquelle les masses accordent une quelconque légitimité, ne saurait déboucher sur une période révolutionnaire, mais correspond à ce qu’ils appellent un « scénario noir », qui appellerait une réponse par étapes : selon eux, avant de pouvoir arriver à une solution politique ouvrière, il faut s’en tenir d’abord à une orientation purement économique et à des revendications « démocratiques », pour parvenir avant toutes choses à une situation de type démocratique-bourgeoise, débarrassée de la terreur islamiste. Dans la pratique, cela conduit le PCOI à capituler devant l’impérialisme et l’ONU, puisqu’il revendique la substitution aux troupes anglo-américaines... d’une « force internationale » composée de soldats de pays n’ayant pas participé à la coalition de Bush-Blair et chargés de « protéger les citoyens » ! Autrement dit, le PCOI revendique une « bonne » occupation impérialiste contre la « mauvais » occupation impérialiste actuelle ! (3)

Pour une véritable orientation marxiste révolutionnaire

Contre ces arguments fallacieux, les communistes révolutionnaires internationalistes doivent répéter que l’impérialisme est, en Irak comme ailleurs, l’ennemi principal pour le prolétariat international et les peuples opprimés. Les forces impérialistes, quelles qu’elles soient, avec ou sans leur « repaire de brigands » qu’est l’ONU (pour reprendre la formulation de Lénine), ne peuvent amener en Irak aucune solution conforme aux intérêts de la majorité de la population. En particulier, elles n’hésiteront pas à installer un régime religieux réactionnaire si cela leur permet de continuer l’exploitation du peuple et des richesses irakiennes. La classe ouvrière et ses organisations doivent prendre la tête de la résistance armée du peuple contre l’occupation et pour éviter la création d’un régime réactionnaire analogue à celui de l’Iran ou de l’Afghanistan. C’est en montrant qu’ils sont les combattants les plus déterminés contre l’impérialisme que les communistes pourront disputer aux forces réactionnaires la direction de la résistance, seul moyen pour ouvrir une issue favorable à la population irakienne. Au contraire, tout retard dans le combat frontal contre l’impérialisme pousse un peu plus les masses révoltées dans les bras des directions réactionnaires, dans l’impasse.

La lutte qui se déroule aujourd’hui en Irak n’est pas qu’un enjeu local : c’est une lutte classe contre classe, d’ampleur internationale. Après les tensions inter-impérialistes apparues au début du conflit, les différents gouvernements impérialistes, y compris les soi-disant « pacifistes » d’hier, comme la France, ont voté à l’unanimité la récente résolution 1546 de l’ONU portant sur le « transfert de souveraineté » au nouveau gouvernement irakien, à la botte de l’impérialisme occupant. Ils ont montré ainsi leur volonté de sauvegarder l’intervention anglo-américaine en lui offrant une couverture « légale », certainement en échange de concessions dont nous n’avons pas encore connaissance à ce stade. C’est ainsi que les rivalités entre les différents impérialismes pour le contrôle des ressources des pays dominés s’effacent quand il s’agit de maintenir la domination impérialiste en tant que telle, menacée par la volonté de résistance des peuples (4). L’attitude des organisations ouvrières en Irak dans la lutte contre l’impérialisme est donc décisive non seulement pour le peuple irakien, mais aussi pour tous les peuples de la région, dont le peuple palestinien, pour qui une défaite impérialiste serait un point d’appui dans leur combat contre l’impérialisme, contre les États bourgeois (religieux ou « laïques ») à sa botte et contre l’État sioniste. Dans les pays impérialistes, les organisations ouvrières doivent se placer résolument du côté de leurs frères de classe en Irak et lutter pour la défaite de l’occupation impérialiste, qu’elle soit ou non légalisée par l’ONU, et pour la défaite de leur propre impérialisme, de leur propre gouvernement.

(Cf. aussi, notamment pour les mots d’ordre proposés par le Groupe CRI, notre tract diffusé le 5 juin, reproduit ci-dessous dans le présent numéro.)


1) Avec le soutien, actif ou passif, du prétendu « camp de la paix », la France et l’Allemagne ayant voté pour la résolution en 2002 et s’étant abstenues en 2003.

2) Déclaration de Issam Shukkri, membre du comité central du PCOI et de la délégation de négociations avec les Américains, reproduite dans la brochure de l’association Solidarité Irak de mars 2004.

3) Voir l’interview de Houzan Mahmood, responsable de l’OWFI et membre du PCOI, dans la brochure de Solidarité Irak d’avril 2004.

4) Pour ceux qui, comme la LCR à la une du numéro 2067 de Rouge, dénoncent le bellicisme de Bush, Blair et Poutine (à l’occasion de leur ignominieuse parade de célébration de la « libération » de juin 1944), et « oublient » d’évoquer le cas de Chirac, il faut rappeler que cet alignement du gouvernement français derrière l’occupation anglo-américaine ne fait que confirmer ses déclarations d’il y a un an, exprimant que, bien qu’il se soit « opposé » au déclenchement de la guerre, il n’en restait pas moins favorable à une victoire (et le plus vite possible) du camp impérialiste.


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