Derniers articles sur
le site du CILCA

Feed actuellement indisponible

Le CRI des Travailleurs n°14     << Article précédent | Article suivant >>

Tchétchénie : Soutien à la lutte du peuple contre l'État bourgeois russe, droit à l'autodétermination !


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :15 septembre 2004
Mot(s)-clé(s) :international, Tchétchénie
Imprimer Version imprimable

La monstrueuse guerre de Poutine contre le peuple tchétchène

Le terrible dénouement de la prise d’otages qui s’est déroulée dans une école de Beslan, en Ossétie du Nord (république du nord du Caucase), vient tragiquement rappeler l’horreur et la barbarie que la guerre de Tchétchénie sème chaque jour sur son passage. Le commando d’indépendantistes tchétchènes présumés qui a investi cette école, en s’en prenant à des innocents, a eu recours à une méthode que les communistes révolutionnaires ne peuvent approuver, car elle conduit à se tromper de cibles et à diviser les travailleurs et les peuples, au détriment de leur nécessaire lutte commune contre le capitalisme restauré et l’État bourgeois. La responsabilité d’une situation qui ne peut que conduire à la multiplication de ce type d’actes désespérés incombe cependant intégralement, en l’occurrence, à l’État capitaliste russe et au gouvernement bonapartiste de Poutine, appuyé par la bourgeoisie mafieuse de Russie et son appareil d’État hérité du stalinisme, et soutenu par les impérialistes du monde entier, à commencer par Chirac. En effet, les résistants tchétchènes ne trouvent plus d’autre solution que le terrorisme pour répondre à la guerre monstrueuse menée contre leur peuple par Poutine depuis son arrivée au pouvoir, pour répondre à ces massacres incessants qui ont probablement fait plus de 300 000 morts. En Tchétchénie, 100 000 militaire russes (y compris du contingent) sont chargés de perpétuer quotidiennement des pillages, des viols, des ratissages et des tueries. Il n’y a pas aujourd’hui de Tchétchène qui n’ait perdu tout ou partie de ses proches dans cette guerre qui a détruit purement et simplement leur pays, où la seule économie est celle des otages rançonnés de toutes parts et des juteux trafics d’armes, de pétrole, de devises et de narcotiques. Rappelons d’ailleurs que les peuples du Caucase connaissent toujours dans leur chair les séquelles et les conséquences du régime stalinien, qui les avait déportés par millions, faisant de cette zone une sorte de brasier permanent.

Si les preneurs d’otages s’en sont pris à l’Ossétie du Nord, c’est que cette région apparaît fortement liée au régime de Moscou, puisqu’elle accueille une gigantesque base militaire, quartier général des forces russes intervenant en Tchétchénie. En outre, le 29 août dernier ont eu lieu les « élections » présidentielles en Tchétchénie, qui ont intronisé le poulain de Moscou, Alou Alkhanov, élu officiellement avec 74 % des suffrages et 85 % de participation. Les journalistes présents sur place affirment pourtant qu’il n’y avait quasiment personne dans les bureaux de vote... Mais les 100 000 militaires russes ont eu le droit de voter, et ils ont bien voté. Enfin, les causes de la situation en Tchétchénie sont inextricablement liées au fait que tout le Caucase est une zone ô combien stratégique, tant pour le pouvoir russe que pour les impérialistes de tout poil qui nouent et dénouent des liens avec les potentats locaux et autres seigneurs de la guerre, fomentent et exacerbent les conflits, tandis que les populations vivent dans des conditions de précarité et de pauvreté insoutenables. Moscou continue ainsi d’entretenir dans la région une situation de guerre, ouverte et monstrueuse comme en Tchétchénie, larvée ailleurs, comme en Géorgie, grande rivale de la Russie et proche des États-Unis. En effet, cette zone est fondamentale par son pétrole et sa situation géostratégique, Moscou y a donc un intérêt vital à défendre. Or, en avril 1999, l’ouverture de l’oléoduc reliant Bakou en Azerbaïdjan au port de Spoupsa en Géorgie a mis fin à l’hégémonie russe sur l’exportation des hydrocarbures dans la mer Caspienne. La Géorgie a dénoncé le traité de défense collective de la CEI (Communauté des États indépendants, c’est-à-dire pré carré de la Russie) et elle a rejoint l’OTAN. Une opposition se dessine donc nettement entre un axe est-ouest (Azerbaïdjan, Géorgie, Turquie, États-Unis) et un axe nord-sud (Iran, Arménie, Russie). Dès lors, Moscou tente d’exploiter systématiquement les conflits en Ossétie et au Karabakh pour préserver son influence dans la région. L’Ossétie du Sud n’est pas épargnée : dans cette république sécessionniste de Géorgie, il est vraisemblable que Moscou encourage en sous-main l’indépendantisme. Dans cette course au profit et à la maîtrise géostratégique, ce sont évidemment les populations qui sont les victimes, le cas du peuple tchétchène étant le plus tragique.

C’est pourquoi, ici comme ailleurs, il est du devoir des militants communistes révolutionnaires de soutenir le droit à l’auto-détermination des peuples opprimés, le droit du peuple tchétchène en particulier à l’indépendance. Il est du devoir des militants communistes révolutionnaires de se prononcer inconditionnellement pour la défaite de la Russie capitaliste oppressive dans la politique et la guerre qu’elle mène contre les peuples du Caucase.

Massacres et mensonges d’État

Mais la responsabilité du gouvernement russe n’est pas engagée seulement quant aux causes d’une situation qui engendre inévitablement le terrorisme : elle l’est aussi dans l’issue tragique de la prise d’otage de Beslan. En effet, dans cette affaire comme dans celle qui eut lieu au théâtre de Moscou en octobre 2002, Poutine a une fois de plus voulu montrer qu’il était cet homme à poigne ne négociant pas avec des « terroristes », image sur laquelle il a fondé sa réputation politique. Dès le début de la prise d’otages, il a affirmé qu’aucune négociation n’était envisageable avec le commando, comme il l’avait déjà dit à Moscou, alors que de nombreux indices montrent que les preneurs d’otages souhaitaient éviter un bain de sang. À Moscou, c’est avec un gaz mortel que les forces spéciales russes ont pris d’assaut le théâtre, tuant 130 personnes. À Beslan, ce sont les canons des tanks T-72 qui ont été utilisés, ne laissant aucune chance aux otages, signe que la vie de centaines d’êtres humains et d’enfants compte pour quantité négligeable aux yeux du pouvoir russe. Celui-ci a d’ailleurs eu recours une nouvelle fois au mensonge d’État. Quelques jours plus tôt, les attaques aériennes contre des avions russes, le 24 août, avaient déjà été présentées par Poutine comme des accidents dus à l’utilisation d’un mauvais carburant… Cette fois, il a tout mis en œuvre pour masquer le nombre réel de victimes, parlant de 250 morts, alors même que, à l’heure où nous écrivons, des centaines de cadavres calcinés gisent encore sous les décombres du bâtiment. Une femme policier a d’ailleurs témoigné dans les termes suivants : « On nous a interdit de donner le vrai chiffre des gens dans l’école. » (Le Monde, 5-6 septembre.) Des équipes de démineurs russes ont très rapidement commencé à faire sauter les explosifs placés dans l’école, ce qui a achevé de détruire l’établissement, empêchant toute enquête approfondie sur le déroulement exact de l’intervention russe. Tandis que des images atroces montraient des corps d’enfants brûlés, sanglants, les secours sur place se sont révélés quasiment inexistants : alors que la situation pouvait laisser présager un drame, rien n’avait été prévu pour des soins d’urgence, qui ont gravement fait défaut — symbole de la déliquescence des services sanitaires en Russie et de la pauvreté particulière dans laquelle est plongée l’Ossétie du Nord. Enfin, le pouvoir russe et ses sbires sur place n’ont pas attendu pour instrumentaliser cette tragédie en attisant la haine entre les peuples : le président d’Ossétie du Nord, Alexandre Dzassokhov, a proclamé très vite qu’il y avait « des Arabes » parmi les preneurs d’otages, tous ont crié à une attaque « d’Orientaux », « de musulmans », visant par là les Tchétchènes et les Ingouches voisins (or, en 1992 déjà, la région avait été le théâtre d’une guerre entre Ossètes et Ingouches, les seconds voulant récupérer certains villages dont ils avaient été chassés et déportés, par wagons à bestiaux entiers, par le régime stalinien, en 1944).

Les attaques portées à la classe ouvrière russe

La population de Russie va également subir de plein fouet les conséquences de cette tragédie. « C’est la guerre », a déclaré Boris Gryzlov, président de la Chambre basse du Parlement russe. Le peuple « peut se préparer à vivre des moments difficiles », a affirmé pour sa part un député : de fait, de nouvelles lois sécuritaires concoctées par le FSB (ex-KGB), le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, vont être votées en urgence, renforcer le carcan enserrant la population, et augmenter un peu plus ses souffrances. Car en Russie, depuis quelques années, les droits des salariés, des retraités et des moins favorisés ont été laminés, tandis que l’inflation faisait s’effondrer le pouvoir d’achat. Un nouveau code du travail dicté par le Fonds monétaire international en février 2002 a considérablement érodé la législation sur les licenciements, tandis que les relations de travail étaient de plus en plus « contractualisées » : encouragement aux contrats à durée limitée, allongement de la durée légale du travail, remise en cause du droit des femmes, le tout s’accompagnant d’une restriction draconienne des droits des syndicats, en particulier pour les syndicats indépendants ou minoritaires, les plus actifs.

On a assisté dans le même temps à de violentes attaques contre la sécurité sociale et contre les retraites, dont le montant moyen atteint aujourd’hui à peine 20 % du minimum vital, ce qui a servi de prétexte au gouvernement pour introduire les retraites par capitalisation, évidemment réservées aux plus riches. Le secteur de la santé est lui aussi en souffrance, les hôpitaux notamment manquent des médicaments et des moyens les plus élémentaires, tandis que les dépenses de santé ne dépassent pas 0,2 % du PIB. Les services publics sont en voie de privatisation. Le secteur des télécommunications a déjà été largement privatisé. Même les entreprises encore publiques ou semi-publiques n’ont pour mot d’ordre que celui de rentabilité et de profit. La compagnie Systèmes énergétiques unifiés multiplie par exemple les coupures d’électricités contre les mauvais payeurs, n’hésitant pas pour cela à paralyser les transports en commun et à plonger des quartiers entiers dans le noir et le froid. C’est à la même logique de rentabilité que l’on assiste avec la réforme du transport ferroviaire : la hausse du coût du transport a été vertigineuse ces dernières années, tandis que plus de 30 % du personnel ont été licenciés.

Au total, les inégalités n’ont cessé de se creuser en Russie, puisque l’État a fortement diminué les charges sociales et l’impôt sur les bénéfices, tandis que le niveau des salaires s’étiole — quand ils sont versés, ce qui n’est pas toujours le cas, en particulier pour les fonctionnaires. L’impôt sur les bénéfices a été baissé de 35 % à 24 % en 2002 et les revenus du capital ont crû bien plus vite que les salaires. Désormais, 20 % des Russes les plus pauvres disposent de 6 % des revenus nationaux ; 40 % de la population (plus sûrement que les 27 % officiels) vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Le régime bonapartiste de Poutine

Comment dans ces conditions expliquer que Poutine puisse se maintenir au pouvoir sans trop de difficultés ? En fait, son régime a tout du bonapartisme : Poutine s’appuie avant tout, pour gouverner, sur l’armée, et plus généralement sur ceux que l’on appelle en Russie les « hommes en épaulette », anciens du KGB que Poutine a placés, à tous les échelons, à la tête des secteurs économique et politique. Il en résulte une formidable concentration du pouvoir entre les mains d’une poignée d’hommes appartenant au réseau Poutine, qui s’est habilement débarrassé des « oligarques » du temps d’Eltsine au nom d’une prétendue lutte contre la corruption, qu’il a aussi utilisée à des fins démagogiques et électorales. Le pouvoir du président lui-même a été considérablement renforcé, la Douma (Parlement) ne servant plus que de chambre d’enregistrement, tandis que sept régions administratives ont été récemment créées, dont les dirigeants sont officiellement les « représentants du président ».

Il s’agit donc d’un pouvoir qui ne tolère pas de partage, où l’opposition est muselée : l’appareil répressif s’est en effet considérablement renforcé depuis que Poutine a fait voter une série de lois pour rendre extrêmement difficile, voire quasiment illégale, toute opposition. Ainsi une loi votée récemment soumet-elle l’autorisation des partis à des conditions draconiennes. Une autre loi, portant sur « l’extrémisme », permet à l’armée et à la police de « disperser » dans la plus grande violence les meetings, d’arrêter les militants, syndicalistes notamment — tandis que les organisations d’extrême droite sont très largement tolérées, voire encouragées par le pouvoir. La situation des étrangers en Russie est devenue tout aussi précaire, la loi jetant des milliers de travailleurs non russes dans l’illégalité. Les médias enfin, sont tenus en coupe réglée.

Poutine joue aussi de la carte du prestige international pour renforcer son pouvoir, encourageant le nationalisme russe et cherchant à démontrer que la Russie a recouvré sa place dans le « concert des nations » : il met en avant à cet effet la contribution du pays à la fameuse lutte contre le « terrorisme international », le remboursement anticipé de la dette, la participation aux rencontres au sommet, la défense des intérêts des grandes entreprises russes...

Collusions interimpérialistes

Mais précisément, pour occuper sa place parmi les « grands », tenir son rang dans le « G 8 », le pouvoir russe doit se servir de toutes ses ressources, en particulier pétrolières. Cette « diplomatie de l’énergie » a notamment consisté à proclamer l’indépendance de la Russie par rapport aux décisions de l’OPEP : quand l’Organisation des pays producteurs de pétrole décide par exemple la réduction de sa production, la Russie la refuse, pour mieux faire les yeux doux aux États-Unis, très soucieux de diversifier leurs sources d’approvisionnement en pétrole, surtout en raison de la situation dans le Golfe et au Venezuela. C’est pourquoi les impérialistes « occidentaux » ferment les yeux sur la situation tchétchène, considérant que c’est là un problème interne à la Russie où la « communauté internationale » n’a pas à intervenir, d’autant que l’action de Poutine participe de la « lutte contre le terrorisme » (le discours de Poutine est d’ailleurs parfaitement bushien à cet égard, reprenant parfois mot pour mot les désormais célèbres formules du type « tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous »). Juste après la prise otage à Beslan, le représentant de l’OTAN a déclaré qu’il fallait continuer à collaborer avec la Russie afin de combattre « cette menace ». Le chef de la diplomatie israélienne a exhorté pour sa part la « communauté internationale » à s’unir contre le terrorisme mondial.

Mais c’est à Chirac que revient la palme. Fin août, il a rendu visite à Poutine, avec son compère Schröder, à Sotchi sur les bords de la mer Noire pour le féliciter de sa récente réélection. Chirac n’a pas cillé devant les 100 % de suffrages obtenus par Poutine (il faut dire que lui-même n’en était pas si loin en 2002, grâce à la gauche plurielle, les bureaucrates syndicaux et la LCR !). Il n’a pas davantage hésité à déclarer que la Russie se situe « au premier rang des démocraties », comme il l’avait d’ailleurs déjà proclamé en juin 2003... On comprend mieux cette belle amitié quand on sait que la France vient de décrocher l’un des plus importants contrats conclus par une firme occidentale en Russie : la BNP-Paribas vient d’entrer dans le capital d’une des plus grosses banques russes, RSB. Soulignons enfin que Chirac n’a pas hésité à remettre la Légion d’honneur française... au chef de l’état-major russe pour le Caucase du Nord, c’est-à-dire à l’un des bourreaux du peuple tchétchène — ce qui symbolisait l’approbation à peine tacite des massacres par « la France ».

À l’opposé, le soutien au combat légitime du peuple tchétchène pour son droit à disposer de lui-même passe, ici en France, par le combat contre « notre » propre impérialisme.


Le CRI des Travailleurs n°14     << Article précédent | Article suivant >>