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Le CRI des Travailleurs n°8     << Article précédent | Article suivant >>

La victoire du « non » à l'euro en Suède : Une défaite pour les bourgeoisies européennes

Le résultat sans appel du référendum suédois sur l’euro (56,1% de « non ») est une défaite pour toutes les bourgeoisies européennes, et par là même une victoire pour la classe ouvrière du continent. En effet, il exprime non pas une position « nationaliste », mais avant tout le rejet par les travailleurs de la politique maastrichtienne qui leur a été imposée par la droite comme par la gauche depuis plus de dix ans, et qui a provoqué de multiples attaques contre leurs acquis sociaux et les services publics.

Le premier acte en ce sens fut le transfert du budget des hôpitaux aux communes en 1992, sous un gouvernement de droite, alors que la Suède était candidate pour entrer dans l’Union européenne. Les charges étant trop lourdes, les communes privatisèrent les hôpitaux, ce qui se traduisit par la suppression de 100 000 emplois dans le secteur de la santé et une aggravation considérable des inégalités face aux soins. La social-démocratie s’était engagée à revenir sur cette décision : elle remporta les élections de 1994, mais n’en fit rien. En revanche, elle encouragea et accéléra la diminution des prestations de l’assurance maladie et la généralisation des fonds de pension, accompagnant la diminution moyenne du montant des retraites (qui chuta de 6 à 9% entre 1991 et 1995). De même, le gouvernement de droite avait créé 200 écoles privées subventionnées par l’État, au prix de coupes claires dans le budget de l’Éducation nationale (on estime à 10% la baisse du nombre d’enseignants par enfant au cours des dix dernières années) ; la social-démocratie avait juré d’abroger cette loi et de supprimer ces écoles privées ; mais, après 1994, elle en créa au contraire 500 de plus, avec le soutien du Parti de la gauche (ex-PC) ! De plus, les chemins de fer furent privatisés, vendus à une multitude d’entreprises différentes et, dans ce pays tout en longueur où l’habitat est très dispersé, 11 000 bureaux de postes furent fermés depuis l’an 2000 (parfois remplacés par des guichets dans les centres commerciaux) avec à la clé des milliers de suppressions d’emplois,. Les banques et les entreprises se virent attribuer de généreuses subventions et les impôts des riches furent allégés, tandis que les aides au logement, aux chômeurs, aux étudiants, aux réfugiés, etc., diminuaient dans des proportions considérables. En même temps, le chômage (4,5% de la population) et la pauvreté se développèrent, engendrant une montée des crimes et délits, à laquelle les couches aisées répondirent par la création de milices privées armées censées les protéger...

Dès lors, il n’est pas étonnant que les travailleurs aient massivement exprimé le rejet de cette politique en votant contre l’euro. Dans leur masse, ils ont parfaitement compris qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un problème purement « monétaire », mais bien de dire leur colère contre l’utilisation par la bourgeoisie suédoise des armes politiques « européennes » pour détruire leurs acquis. Certes, une petite partie des votes s’explique pas le nationalisme réactionnaire de certains secteurs, notamment dans la petite bourgeoisie. Mais la grande majorité de ceux qui ont voté « non » au référendum sont des travailleurs conscients, tandis que ceux qui appelaient à voter « oui » étaient les représentants de la bourgeoisie. En effet, le patronat (à commencer par les dirigeants des multinationales comme Ericsson, Electrolux, Volvo…) a fait un campagne acharnée et extrêmement coûteuse pour le « oui », promettant que l’euro créerait des emplois et menaçant de délocaliser les entreprises si le « non » l’emportait. Toute la droite libérale et conservatrice a également fait campagne pour le « oui ». Enfin, la social-démocratie au pouvoir a mis tout son poids dans la balance, mobilisant notamment la bureaucratie syndicale de la confédération LO, dont la direction a appelé à voter « oui » malgré l’opposition de deux syndicats confédérés sur trois (80% des travailleurs sont syndiqués en Suède, soit 2 millions dans un pays qui compte 9 millions d’habitants). Quant au Parti de la gauche (ex-PC), tout en continuant de soutenir la social-démocratie au pouvoir, il s’est certes prononcé pour le « non », mais il n’a eu de cesse d’expliquer pendant la campagne que la victoire du « non » n’aurait aucune conséquence sur la politique du gouvernement… Seuls les Verts et l’extrême gauche ont réellement fait campagne pour le « non », ainsi qu’une fraction de la social-démocratie.

Le vote « non » a donc été massivement un vote de résistance sociale, un vote de classe. « La Suède s’est déchirée à l’horizontale, entre le haut et le bas, entre les élites et le peuple », analyse, amer mais lucide, Le Figaro du 16 septembre. En particulier, notait le même journal la veille, dans ce pays où les femmes sont nombreuses à travailler et ont derrière elles une très forte tradition de lutte pour leur émancipation, elles ont massivement voté « non » (à 65%) car, « avec une monnaie unique et, à terme, une fiscalité harmonisée, les Suédoises sont inquiètes pour leurs avantages sociaux — un an de congé de maternité, des crèches bien organisées — qui sont la contrepartie de leurs impôts élevés. Elles redoutent également des coupes claires dans le secteur public qui les emploie ». Les fonctionnaires, les travailleurs syndiqués et les jeunes ont voté « non » dans des proportions analogues. Enfin, un adhérent du parti social-démocrate sur deux a également voté « non », contre la consigne de la direction. Bien sûr, cette défaite de la bourgeoisie ne signifie pas que les coups portés contre la classe ouvrière suédoise vont se faire moindres dans la prochaine période, tout au contraire : ici comme ailleurs, il n’y a pas d’autre solution pour le prolétariat suédois que la résistance sociale par sa mobilisation autonome, par la grève générale et la construction d’une alternative politique à la social-démocratie faillie et à son suppôt de gauche ex-stalinien, ce qui suppose la construction d’un véritable parti communiste révolutionnaire. Cependant, la victoire du « non » au référendum montre que les travailleurs d’Europe ne veulent pas de cette politique imposée au nom de la « construction européenne », et qui n’est en fait rien d’autre que le moyen privilégié par lequel les bourgeoisies mènent aujourd’hui leur lutte de classe politique contre la classe ouvrière.

Sur quel pied européen danse Lutte ouvrière ?
(Note sur LO, le référendum suédois et la Constitution européenne)

L’interprétation que l’organisation française Lutte ouvrière donne du résultat du référendum suédois est beaucoup moins lucide que celle du Figaro et de la bourgeoisie européenne en général. Elle soutient, en effet, que la victoire du « non » ne serait pas une défaite de la bourgeoisie, un point d’appui pour la résistance des travailleurs, mais traduirait au contraire un manque de conscience de la classe ouvrière suédoise, victime d’une tentation de repli nationaliste sur la monnaie nationale, la couronne. En effet, explique doctement, non sans un certain mépris pour la classe ouvrière, cette organisation qui avait appelé à l’abstention lors du référendum sur Maastricht en France en 1992, « pas plus la défense du ‘modèle suédois’ que le maintien de la couronne ne permettront à la classe ouvrière d’être mieux armée pour faire face aux attaques à venir. En Suède comme partout, la bourgeoisie cherche à s’attaquer au coût du travail, ‘trop élevé’ à son goût, c’est-à-dire en fait au niveau de vie des travailleurs. (…) Aujourd’hui, pour la bonne marche de ses affaires au niveau international, la bourgeoisie estime qu’il vaudrait mieux qu’elle intègre la zone euro. C’est un problème qui ne concerne que les capitalistes, petits et grands. Pour les travailleurs conscients, le problème est tout autre : qu’elles soient exprimées en euros ou en couronnes, il est de savoir où vont les richesses qu’ils créent, et de peser pour que la répartition ne s’effectue pas toujours plus en défaveur de la classe ouvrière. C’est une question de rapport de forces, de capacité de la classe ouvrière à se défendre, mais aussi de conscience. Et il est bien dommage que personne, à l’occasion de la campagne électorale qui vient d’avoir lieu, n’ait dénoncé le faux choix entre deux options bourgeoises — entre le repli nationaliste et l’intégration plus poussée dans l’Europe du capital — pour mettre en avant sans ambiguïté une perspective de défense des intérêts de classe des travailleurs. » (Lutte ouvrière, 19 septembre, p. 8.) En un mot, LO justifie comme à l’accoutumée par des généralités son refus de mener le combat politique dans les situations concrètes et d’infliger une défaite à la bourgeoisie — tout en ne proposant d’ailleurs pas d’autre « perspective » à la lutte de la classe ouvrière que celle, purement réformiste, d’un meilleur « partage des richesses » ! — Au demeurant, on se demande bien pourquoi ce type d’argumentation n’a pas été repris lors du vote des députées de LO au Parlement européen sur le projet de Constitution européenne : en effet, elles ne se sont pas abstenues, mais elles ont (à juste titre) voté contre, expliquant que, « par-delà les détails de ses formulations, elle est destinée à être un des fondements juridiques des lois destinées à préserver l’ordre social existant et à assurer les privilèges des possédants. Notre rejet de la Constitution européenne ne signifie en rien la repliement sur la Constitution nationale, tout autant conçue pour défendre la propriété bourgeoise et l’exploitation. » Très bien ! Mais alors, pourquoi LO ne tient-elle pas un discours analogue au sujet du référendum suédois ? Pourquoi A. Laguiller et ses camarades seraient-elles « conscientes » des « intérêts de classe des travailleurs » quand elles votent contre la Constitution européenne, alors que les travailleuses et travailleurs suédois votant contre l’euro ne le seraient pas ? 

Dernière minute : si l’on en croit Rouge, journal de la LCR, en date du 10 octobre, LO a choisi de renouveler son opération de 1992 en refusant de faire campagne contre la Constitution européenne, notamment à l’occasion des élections européennes. Nouvelle preuve que la campagne « commune » LO-LCR risque bien de se réduire à des généralités vagues... Nous y reviendrons dans le prochain numéro.


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