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L'ONU : Une institution-clé de l'impérialisme (I) : 1945-1989


Auteur(s) :Paul Lanvin
Date :15 septembre 2003
Mot(s)-clé(s) :international, ONU
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Pendant toute la période de préparation de la guerre en Irak, et de nouveau récemment après l’attentat du 19 août contre les représentants de l’ONU à Bagdad, les médias et les partis de droite comme « de gauche » (PCF en tête, cf. ci-dessus l’article de Ludovic Wolfgang) n’ont eu de cesse de nous présenter l’ONU comme une institution partisane et garante de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme, en un mot comme le « sauveur suprême » pour résoudre les conflits internationaux. Nous allons rappeler ici, dans la première partie d’un article qui se poursuivra dans le prochain numéro, ce qu’il en est en réalité de cette institution depuis sa naissance, en revenant aussi bien sur son fonctionnement que sur ses actes.

La naissance de l’ONU : garantir le nouveau partage du monde entre la bourgeoisie et la bureaucratie stalinienne

L’ONU est née à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après six ans de massacres et de génocides sans précédents, les représentants des trois grandes puissances en passe de gagner la guerre, l’URSS, la Grande-Bretagne et les États-Unis se réunissent à Yalta (Ukraine), en février 1945, pour discuter de la « sécurité internationale ». Staline, Churchill et Roosevelt décident de convoquer une conférence des « Nations Unies » (nom que se donnent « les Alliés » depuis 1941 dans leur guerre contre « l’Axe ») pour le mois de juin 1945.

De cette deuxième conférence, il résulte une « Charte des Nations Unies » dans laquelle les gouvernements de ces États impérialistes et colonialistes (l’Angleterre, notamment, est encore à la tête d’un empire colonial gigantesque dont elle exploite et opprime les peuples de manière terrible) ou stalinien (Staline est en train de multiplier les déportations de peuples d’un bout à l’autre de l’URSS), se targuent de parler au nom des peuples et se prétendent résolus à « préserver les générations futures du fléau de la guerre » et « à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage »...

Mais qu’est-ce qui pousse ces dirigeants guerriers à créer une telle organisation avec ces beaux principes qu’ils vont s’empresser de ne pas respecter ? Ce n’est certes pas le souci de la sécurité des peuples qu’ils oppriment, mais bel et bien l’ordre et la sécurité pour eux-mêmes, pour les catégories sociales qu’ils représentent : la bourgeoisie dominante anglo-américaine, d’un côté, la bureaucratie stalinienne, de l’autre.

En effet au sortir de la Seconde Guerre mondiale, toute la vieille Europe continentale voit s’effondrer les appareils d’État de la bourgeoisie. Le mouvement révolutionnaire des peuples martyrisés fait trembler les bourgeoisies de tous les pays. La bureaucratie qui contrôle l’URSS n’est pas tranquille non plus : le maintien de son pouvoir qui se réclame frauduleusement de la révolution d’Octobre suppose l’endiguement de la montée révolutionnaire, à commencer par l’Europe ; or la classe ouvrière russe a énormément souffert de la guerre : le spectre de 1917 est dans toutes les mémoires.

Il y a donc urgence, et les staliniens comme les impérialistes vont préférer faire taire leur concurrence pour le partage du monde, constatant qu’ils ont besoin les uns des autres car leur intérêt contre-révolutionnaire est commun et l’union (contre le prolétariat et les peuples) fait la force. Le plus grave danger de l’heure est en Allemagne, non pas sous la forme du nazisme, mais du prolétariat allemand dont la résurrection politique fait trembler la bourgeoisie mondiale et la bureaucratie stalinienne. En particulier, c’est pour cette raison que l’aviation anglo-américaine bombarde les villes ouvrières de Berlin, de Hambourg et de Dresde, faisant des centaines de milliers de victimes civiles pour terroriser la population et lui faire comprendre la nature de son futur nouveau maître. Finalement, la division de l’Allemagne est le produit à la fois des intérêts géopolitiques et militaires respectifs des « deux blocs » et de leur crainte commune de voir se reconstituer le prolétariat qui fut avant 1933 le plus puissant et le mieux organisé du monde.

En Grèce, que les Alliés se sont accordés à laisser dans le giron de la Grande-Bretagne, la résistance, pourtant animée par le PC, estdésarmée et massacrée par les Anglais avec la complicité active de Staline. En Pologne et en Roumanie, celui-ci installe des gouvernements d’union nationale incluant des monarchistes et des représentants des propriétaires terriens...

Une institution antidémocratique de vainqueurs

Mais l’usage de la force contre les peuples n’est jamais suffisant. Pour assurer leur domination sur le monde, les Alliés veulent fonder leur puissance sur le droit, et la justifier autrement que le simple fait de leur victoire. Ils font donc mine de s’appuyer sur l’aspiration des peuples à la sécurité, à la paix et aux droits de l’homme. Pour que les compromis soient respectés dans le cadre du partage du monde décidé à Yalta, il faut que chacun des principaux concurrents ait voix au chapitre et adopte un règlement commun.

Le « Conseil de sécurité » de l’ONU est son institution majeure, toute-puissante. Or il est composé de quinze membres, mais cinq sont permanents, qui sont les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : l’URSS, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Chine, auxquels Churchill, le chef du gouvernement anglais d’alors, fait adjoindre la France (certes vaincue en 1940, elle demeure une puissance coloniale, et elle a donc un rôle international à jouer pour participer à l’endiguement de la montée révolutionnaire des peuples qu’elle opprime). Aucun vote sur des questions autres que procédurières ne peut donner lieu à une décision du conseil s’il n’est pas approuvé par neuf membres de ses membres, dont les cinq permanents : c’est le fameux droit de veto. Ces cinq membres ne peuvent donc jamais être condamnés par l’ONU, ce qui leur assure que leurs intérêts particuliers seront toujours garantis.

Or le « maintien de la paix » (incluant le « droit » de décider des opérations militaires et des embargos contre n’importe quel pays) est entièrement assumé par le Conseil de sécurité. Les 191 membres de l’ONU qui composent l’Assemblée générale reconnaissent au Conseil de sécurité, d’après l’article 24 de la Charte pour des raisons « d’efficacité », la responsabilité d’agir en leur nom, sans leur en rendre compte d’ailleurs puisque, en ce qui concerne les questions stratégiques, il n’est pas obligé de le faire. L’assemblée générale n’a pas le droit de statuer sur une action concernant le maintien de la paix (article 11). Au vu du chapitre IV de la Charte concernant « les fonctions et pouvoirs » de l’assemblée générale, on s’aperçoit que, en fait de pouvoir, cette assemblée n’en a guère, et de fonctions, elle n’a que celle de discuter, et éventuellement de se renseigner auprès du conseil de sécurité lorsque celui-ci veut bien la mettre au courant. De même, seules les décisions du conseil de sécurité ont «force obligatoire pour les États ». En un mot, il n’y a « aucun contrôle de la légalité des actes du Conseil de sécurité » (1).

L’ONU est donc dirigée par cinq pays permanents qui n’ont de compte à rendre à personne et qui peuvent en revanche faire passer leurs actions pour hautement humanistes. Le fameux « droit international » n’est ainsi que le résultat d’un rapport de force pérennisé par cette institution. Mais qu’en est-il des actes commis par l’ONU depuis 1945 ?

L’ONU et l’État sioniste

Dès 1947-1948, l’ONU bénit et même initie la fondation de l’État d’Israël sur les décombres d’une Palestine entièrement contrôlée par l’impérialisme britannique depuis la fin de la Première Guerre mondiale et où la menace d’un soulèvement révolutionnaire des masses pour leur indépendance est la plus forte du Moyen-Orient. De fait, la région échappait de plus en plus à ses gendarmes habituels, la Grande-Bretagne et la France, et la création de l’État d’Israël est une nécessité pour le maintien de l’ordre impérialiste, qui reçoit une fois encore le total soutien de Staline.

Un des premiers actes de l’ONU est donc la reconnaissance d’un État fondé sur des bases raciales et dont les frontières prévues par l’ONU en 1947 sont immédiatement étendues par la victoire de l’État sioniste (soutenu conjointement par l’impérialisme et l’URSS) contre les Arabes (dont les gouvernements étaient en réalité à la solde des impérialistes, la monarchie jordanienne allant jusqu’à conclure un pacte secret avec Israël) — ce qui n’empêche pas l’ONU de réitérer sa reconnaissance de l’État d’Israël.

Par la suite, 36 résolutions ont été votées par l’ONU au sujet d’Israël, mais toutes sont de pure forme lorsqu’elles prétendent critiquer ou condamner cet État qui viole les droits des Palestiniens. En fait, ces résolutions sont votées uniquement pour faire croire que l’ONU remplit son rôle de défense de la paix et du droit des peuples : aucune n’est respectée par l’État d’Israël, qui piétine allégrement, sans rien risquer, sur le prétendu « droit international » ; C’est le cas par exemple de la résolution du 22 novembre 1967 qui demande le retrait des troupes israéliennes des territoires occupés après la guerre « des Six Jours ». De même, lorsque, en 1982, les Israéliens ont occupé le Sud du Liban, l’ONU, sous la pression des États-Unis, n’a rien fait pour les en empêcher, ouvrant la voie notamment au massacre perpétré dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Shatila.

Une caution aux interventions et aux guerres impérialistes

L’ONU sert en outre de force armée au service direct de l’impérialisme des puissants. Ainsi, dès 1950, pour endiguer les mouvements d’indépendance nationale en Extrême-Orient, notamment en Corée et surtout pour combattre la révolution chinoise, l’impérialisme américain attaque la Corée. Or il peut se prévaloir pour cela du drapeau de l’ONU, au prétexte que la Corée du Nord agresserait la Corée du Sud, et les troupes qu’il envoie sont aux couleurs de l’institution internationale. Plusieurs résolutions sont votées par le Conseil de sécurité, en l’absence volontaire des représentants de l’URSS, qui craignent eux aussi le développement de la révolution en Asie (2) ; ces résolutions interdisent de venir en aide à la Corée et demandent aux États membres d’apporter l’aide nécessaire aux États-Unis ; elles ont valeur obligatoire pour tous les membres des Nations Unies. C’est la première guerre impérialiste menée directement par l’ONU, qui sert alors de caution aux États-Unis pour endiguer et réprimer le « péril communiste ».

Quelques années plus tard, en 1960, dans le Congo sous domination belge, l’insurrection populaire est à l’ordre du jour et la province du Katanga, riche de ses diamants, menace de faire sécession et d’échapper à l’impérialisme. Le gouvernement en place fait appel à l’ONU qui envoie pendant six ans une force d’intervention de 20 000 hommes. Une fois encore, l’ONU joue le rôle de bras armé pour couvrir les intérêts des pays les plus riches qui décident ainsi en toute « légalité » du sort de la planète et des peuples.

Devant les agressions des impérialistes ou des staliniens, l’ONU ne fait rien

En revanche, lorsque les intérêts directs des grandes puissances sont en jeu, l’ONU reste muette et inactive, laissant les membres de son Conseil de sécurité agir selon leur bon vouloir. C’est ainsi que, lors du massacre du peuple révolté de Madagascar en 1947, l’ONU ne lève pas le petit doigt pour condamner la répression française, qui fait 100 000 morts. De même, la France peut torturer et massacrer à son aise pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie et les États-Unis déverser 13 millions de tonnes de bombes sur le Vietnam pendant douze ans sans rien risquer de la part de l’ONU.

De son côté, la bureaucratie stalinienne, en octobre 1956, peut écraser le prolétariat hongrois qui se révolte contre elle et commence à s’organiser indépendamment des staliniens : le droit de veto de l’URSS soulage d’ailleurs les autres membres du conseil de sécurité, rassurés de voir noyé dans le sang ce début de révolution ouvrière qui aurait pu contaminer d’autres pays ; l’ONU se contente de protester et d’adopter de vaines résolutions.

La liste est longue des événements qui ont confirmé la vraie nature de l’ONU : lors de la construction du mur de Berlin comme pour l’invasion de Cuba par des mercenaires de la CIA en 1961, lors de l’invasion de la République dominicaine par les marines américains en 1965 comme durant l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS, lors du renversement d’Allende au Chili le 11 septembre 1973 par les militaires soutenus par la CIA comme pendant l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 ou durant l’intervention américaine contre la révolution à Grenade en 1983... l’ONU laisse les impérialistes et les staliniens agir selon leurs intérêts, et leur permet de respecter le précepte : « Ne mets pas ton nez dans mes affaires je ne mettrai pas mon nez dans les tiennes ».

Arrêtons-nous encore sur deux exemples particulièrement typiques. Fin 1981 commence une véritable guerre de la bureaucratie stalinienne contre le prolétariat polonais coupable d’avoir créé un syndicat indépendant, «Solidarnosc ». Le Kremlin, avec l’accord tacite de Reagan, donne l’ordre au général Jaruzelski d’agir : celui-ci réprime dans le sang les travailleurs et les militants de Solidarnosc. « Il n’y a pas d’ingérence extérieure » déclare simplement le Conseil de sécurité de l’ONU en janvier 1982, pour justifier son inaction ; et, quelques semaines plus tard, la Pologne entre en son sein comme membre tournant.

Pendant les années 1980, les États-Unis s’en donnent à cœur joie : ils utilisent leur veto à tour de bras lorsque l’ONU, parfois, ose estimer du bout des lèvres qu’il est illégal de fomenter des coups d’États en Amérique du Sud : la contre-révolution armée contre les sandinistes du Nicaragua en 1979 et les minages de ports par les Américains sont seulement déplorés par des résolutions leur demandant gentiment de bien vouloir « s’abstenir » d’intervenir « directement ou indirectement, ouvertement ou discrètement » dans tout pays d’Amérique Centrale et des Caraïbes...

Jusqu’en 1989, l’ONU n’est ainsi qu’une institution au service du maintien de l’ordre mondial édifié à la fin de la Seconde Guerre mondiale sur la base du « partage du monde » entre les puissances impérialistes et l’URSS. Dès sa naissance, elle a permis aux bourgeoisies des pays les plus puissants comme à la bureaucratie stalinienne de donner une couverture légale à leurs rapines et autres interventions contre le prolétariat et les peuples en lutte pour leur émancipation. Constamment, elle a permis de sceller l’accord explicite ou tacite entre les États-Unis et l’URSS qui dominaient alors la planète, et leur a laissé les mains libres pour agir à leur guise chacun dans son coin, en s’abstenant d’intervenir lorsque l’un des deux « Grands » était au cœur d’un conflit ou même agresseur d’un autre pays.

La fonction de l’ONU va évoluer après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS, sans changer pour autant sa nature.

(À suivre.)


1) Pierre-Édouard Deldique, Le Mythe des Nations Unies. L’ONU après la guerre froide, Paris, Hachette, 1994, p. 59.

2) Officiellement, l’URSS pratique alors la politique de la « chaise vide » pour protester contre le fait que, après la révolution chinoise de 1949, le siège de la Chine à l’ONU est revenu à la prétendue « Chine nationaliste » de Tchang-Kaï-Tchek (réduite en réalité à l’île de Taïwan) et non à la « Chine populaire ».


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