Le CRI des Travailleurs
n°23
(septembre-octobre 2006)

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Élections générales au Brésil :
Il faut sanctionner Lula et le PT et aider les travailleurs à aller vers la constitution de leur propre parti


Auteur(s) :Groupe CRI
Date :29 septembre 2006
Mot(s)-clé(s) :international, Brésil
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Des élections générales (présidentielle et législatives au niveau fédéral, et pour le gouverneur et les députés dans chaque État) auront lieu au Brésil le 1er octobre. C’est l’occasion de tirer un bref bilan du gouvernement sortant de Lula, élu en octobre 2002, et de réfléchir sur l’attitude que les communistes révolutionnaires doivent adopter pour ces élections.

Bilan du gouvernement Lula : une politique intégralement dictée par les possédants

Depuis son accession au pouvoir en janvier 2003, Lula et son gouvernement de front populaire (alliance du Parti des travailleurs avec des partis bourgeois), a œuvré en faveur des intérêts du capital financier et du patronat brésilien. Malgré une économie florissante, la situation des masses ne s’est pas améliorée. Lula n’a pas créé les dix millions d’emplois promis : le taux de chômage officiel continue de progresser et dépasse maintenant les 10 %. Le dérisoire « programme faim zéro » a été loin d’atteindre l’objectif officiel : selon l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques, organisme de l’administration fédérale) en 2005, dans 46 % des foyers, on ne mangeait pas à sa faim. Lula avait promis de doubler le salaire minimum : après des augmentations misérables, il s’élève aujourd’hui à 260 réaux (soit environ 90 euros) ce qui est loin de suffire pour vivre. Cette décision de revaloriser le salaire minimum d’à peine plus d’1 % floue au premier chef les 40 millions de travailleurs dont le salaire, compris entre 1 et 2 fois le salaire minimum, est plus directement influencé par les variations de ce dernier.

De plus, le gouvernement du PT et des partis bourgeois a fait passer une réforme contre les retraites des fonctionnaires, semblable à celle des gouvernements européens : elle recule de sept ans l’âge de départ pour avoir une retraite à taux plein (de 53 à 60 ans pour les hommes, de 48 à 55 ans pour les femmes, dans un pays où l’espérance de vie moyenne est de 67,5 ans, inférieure de plus dix ans à celle des Français), diminue de 30 % environ le montant des pensions à taux plein, instaure un système de décote en cas d’annuités manquantes, oblige les retraités à verser une contribution au système de retraite (jusqu’à 11 % de leur pension) et met en place des « fonds de pensions sans buts lucratifs, administrés paritairement par les entités de l’État et les représentants des fonctionnaires », brisant ainsi le principe du système par répartition.

Enfin, la réforme agraire a avancé plus lentement encore que sous le gouvernement précédent de droite (celui de Ferdinand Henrique Cardoso, dit « FHC »), la répression contre les occupations de terre n’a pas cessé et les assassinats de militants paysans sans-terre par les bandes paramilitaires des grands propriétaires terriens se sont poursuivis en toute impunité.

Le gouvernement a en revanche payé la dette au FMI rubis sur l’ongle, consacrant presque 40 % du budget au service de la dette, soit au total près de 520 milliards de réaux (soit environ 190 milliards d’euros) en quatre ans. Tout cela confirme que la satisfaction des aspirations des travailleurs et des opprimés est incompatible avec le respect des obligations imposées par l’impérialisme, avec l’hégémonie des capitalistes et des grands propriétaires fonciers et par conséquent avec toute la politique du PT au pouvoir (1).

La bourgeoisie présente deux candidats : Lula et Alckmin

Or Lula se présente pour poursuivre la même politique. Il a, plus encore que lors de sa première élection, l’appui d’amples secteurs de la bourgeoisie. En effet, il a prouvé sa capacité à gouverner selon leurs intérêts et à canaliser la résistance des travailleurs, en particulier en domestiquant assez efficacement la puissante Centrale Unique des Travailleurs (CUT), dominée par le courant syndical lié au Parti des travailleurs, l’Articulation (il est de ce point de vue significatif que l’actuel ministre du Travail, Luiz Marinho, soit l’ancien secrétaire général de la CUT).

Le principal concurrent de Lula dans la course présidentielle est Geraldo Alckmin, candidat du Parti Social-démocrate du Brésil, le parti bourgeois du prédécesseur de Lula, Ferdinand Henrique Cardoso. Mais personne ne se fait d’illusions sur ses chances réelles. Si la population est déçue par la politique du gouvernement qu’elle a porté au pouvoir il y a quatre ans, sa colère touche plus le PT que Lula. Ce dernier garde un grand prestige personnel, malgré sa politique et le scandale des pots-de-vin qui a éclaté l’année dernière (des votes de députés des partis bourgeois pour les projets gouvernementaux ont été achetés, pour une somme mensuelle particulièrement élevée). Les observateurs se demandent plutôt comment Lula va pouvoir continuer à gouverner, car il est aussi acquis d’avance que le groupe parlementaire du PT ne grossira pas, mais se réduira plutôt. Il est d’ores et déjà clair qu’il devra approfondir sa politique d’alliance avec les partis des patrons et engager une série de mesures contre la classe ouvrière et ses acquis.

Dans ces conditions, et contrairement à 2002, il est hors de question, pour les communistes révolutionnaires, d’appeler à voter pour Lula et le PT, même en critiquant leur programme. Certes, un certain nombre de travailleurs se font encore des illusions et beaucoup iront voter pour Lula et le PT contre les candidats de droite. Cependant, après quatre ans de gouvernement du PT au niveau fédéral, ce parti a définitivement prouvé, par ses actes, qu’il est fondamentalement un instrument de la bourgeoisie, d’autant plus dangereux qu’il repose socialement, en grande partie, sur les travailleurs et les syndicats. Les communistes révolutionnaires ont donc désormais comme tâche d’aider les travailleurs à rompre totalement avec le PT et à construire leur propre alternative.

Trois partis du mouvement ouvrier s’unissent en un « Front de gauche » contre Lula

Pour les prochaines élections, aucun parti révolutionnaire ne se présente sur la base d’un programme ouvertement communiste, pour un gouvernement des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. En revanche, trois partis du mouvement ouvrier ont fini par se mettre d’accord pour constituer un « Front de gauche » : le PSTU (Parti Socialiste des Travailleurs Unifié, parti centriste de gauche qui se réclame du trotskysme, issu du courant de Nahuel Moreno), le PCB (Parti Communiste Brésilien, parti ouvrier-bourgeois, ex-parti stalinien) et le PSOL (Parti Socialisme et Liberté, fondé par quatre parlementaires oppositionnels exclus du PT, avec leurs courants ou une partie de leur courants respectifs, dont la plupart se revendiquent du trotskysme, mais qui impulsent en fait une politique centriste à tendance réformiste (2) ; ce parti a d’ailleurs récemment accueilli à bras ouverts une série de parlementaires du PT qui avaient longtemps soutenu la politique de Lula, y compris le courant chrétien de gauche de Plinio Arrudia Sampaio).

Pendant un an, le PSOL a cherché, dans la continuité de ses appels à voter pour des candidats de partis bourgeois « d’opposition » aux municipales de 2004, un accord avec un parti bourgeois, le Parti Démocratique Travailliste (PDT). Dans le même temps, le PSTU s’est adressé à plusieurs reprises au PSOL pour lui proposer un front de classe. Finalement, l’échec des négociations entre le PSOL et le PDT, ainsi que la mobilisation des militants du PSOL lui-même contre ce projet contraire au programme du parti (qui proscrit les alliances avec les partis bourgeois), ont conduit à la formation d’un front électoral de gauche.

Aspects progressistes du programme du Front

Le programme de cette coalition, s’il ne se définit pas explicitement comme un front de classe, comporte toute une série de positions correctes, expression déformée sur le terrain électoral des développements de la lutte de classe depuis l’élection de Lula.

Il prend notamment position pour « l’abrogation des réformes néolibérales, à commencer par la réforme des retraites », contre « la réforme du droit du travail et syndicale du gouvernement et du FMI », « contre la réforme universitaire de privatisation du gouvernement », pour l’ « abrogation des privatisations d’entreprises d’État, à commencer par Vale do Rio Doce » (une de plus puissantes compagnies minières du monde, disposant notamment de réserves de fer pour 400 ans, privatisée par le gouvernement de Cardoso en 1993 pour une bouchée de pain, soit 17 % de sa valeur), pour « l’annulation de la privatisation partielle de Petrobras et de la vente aux enchères des réserves de pétrole », « pour se retirer immédiatement des négociations de l’ALCA » (le traité de libre-échange que les États-Unis imposent aux autres pays d’Amérique), « pour le retrait immédiat des troupes brésiliennes de Haïti », pour « l’appui total à la nationalisation du gaz en Bolivie », pour « le doublement immédiat du salaire minimum », enfin pour « une vaste réforme agraire sous le contrôle des travailleurs de la campagne ».

Critique du programme du Front de gauche

Cependant, ce programme comporte également de sérieuses limites. Tout d’abord, s’il parle de « conquérir une véritable souveraineté et indépendance nationale en rompant avec l’impérialisme et le capital financier » et dénonce à juste titre les sommes colossales consacrées par le gouvernement Lula au paiement de la dette au lieu d’investir dans l’éducation, il se montre peu clair sur sa propre orientation, proposant simplement de « suspendre le paiement de la dette externe et de réaliser un audit ».

En second lieu, il ne marque pas davantage une rupture claire avec l’orientation du PT sur la question, centrale au Brésil, de la réforme agraire : il se borne à la formule générale d’ « une vaste réforme agraire sous le contrôle des travailleurs de la campagne », au lieu de reprendre les exigences précises et correctes du MST (Mouvement des Sans-Terre, organisation de masse de paysans sans-terre) qui demande notamment l’abrogation des dispositions légales interdisant l’expropriation des grands propriétaires dont les terres sont occupées et de celles assurant de grasses indemnités aux propriétaires expropriés.

De plus, sur le plan des intérêts du prolétariat des villes, le programme du Front de gauche ne propose aucune méthode concrète de lutte immédiate contre les licenciements (il se contente de prôner un plan de travaux publics pour réduire le chômage, ce qui est très insuffisant), il ne dit pas aux travailleurs comment faire concrètement face aux plans de licenciements, alors que c’est le problème central de la période à venir, et il ne dit pas un mot des usines occupées, alors qu’il est indispensable de les soutenir et de les montrer comme exemple à l’ensemble des travailleurs. Plus généralement, ce programme ne propose pas de mesures concrètes pour rompre avec le capitalisme : il se borne à dire vaguement qu’ « un nouveau projet économique alternatif exige des mutations structurelles que le capitalisme brésilien n’a jamais réalisées » et, parmi les « mesures indispensables » qu’il préconise, on ne trouve guère plus que « le contrôle des capitaux, la récupération de la capacité d’intervention de l’État, (…) la redistribution et garantie du revenu ».

Enfin, ce programme ne se prononce pas en faveur de la dépénalisation de l’avortement, qui est une revendication démocratique élémentaire, mais il reprend fondamentalement les illusions du PSOL sur la « démocratisation radicale » des institutions de l’État capitaliste (cf. sur ce point, cf. Le CRI des travailleurs n° 21) : non seulement il ne met pas en garde contre les illusions électoralistes, mais avance « la proposition d’une démocratisation radicale du pouvoir et de l’action politique (qui) doit être combinée de façon systématique avec la dénonciation de la démocratie décadente de l’argent et de la corruption, par opposition à la véritable démocratie participative des travailleurs et du peuple que nous avons besoin de construire ». La mention de la « démocratie participative des travailleurs et du peuple que nous avons besoin de construire» comme d’une alternative à l’État actuel est tout particulièrement problématique. Au Brésil, cette formule, employée par un front que représente une ancienne dirigeante du courant Démocratie Socialiste, fait nécessairement référence à la pratique concrète de la « démocratie participative » et du « budget participatif » installée par la gauche du PT, sous la direction de DS, à Porto Alegre. Or, cette politique, loin de remettre en cause la gestion loyale de l’État bourgeois, n’a servi qu’à poursuivre sous un voile « de gauche » la politique des administrations précédentes (paiement de la dette à l’État fédéral, privatisations, gel des salaires de fonctionnaires, constructions insuffisantes d’infrastructures élémentaires, etc.) tout en s’efforçant d’y intégrer les travailleurs (cf. à ce sujet notre article dans Le CRI des travailleurs n° 8, octobre 2004).

Critique de la campagne du Front de gauche

Mais le contenu de la campagne n’est pas seulement déterminé par la lettre du programme officiel, mais par le choix de sa principale figure. En effet, les institutions polarisent la campagne autour des candidats à la présidence, faisant passer au second plan les législatives. Or, profitant de son poids électoral, à travers la figure populaire d’Heloisa Helena (sénatrice exclue du PT, ex-dirigeante du courant Démocratie socialiste, une des principales dirigeantes du PSOL), le PSOL a imposé son hégémonie dans la désignation du ticket présidentiel, en faisant de Heloisa Helena la candidate à la présidence et en refusant la candidature du président du PSTU, Ze Maria, à la vice-présidence, au profit d’un autre membre du PSOL, Cesar Benjamin (un intellectuel, l’un des fondateur du PT, longtemps membre de sa direction nationale, qui a quitté le PT en 1994, avant de participer aux travaux d’élaboration du programme de Garotinho qui voulait être le candidat d’un parti bourgeois, le Parti du Mouvement Démocratique Brésilien).

Or ce dernier explique que les travaux fait pour le PMDB « ne l’ont pas été en vain », car « nous reprenons maintenant [c]es études faites en commun pour le programme d’Heloisa Helena » (interview donnée à O Globo, 23 juillet 2006). Il décline dans la presse un programme économique clairement capitaliste, quoique « antilibéral », dont l’idée générale est limpide : « O Globo : Quel est le point central du débat économique ? C. B. : Nous avons un des taux de croissance les plus faibles du monde, 27 % de la population adulte est sans emploi ou sous-employée, percevant moins que le salaire minimum. Les exportations dépendent de produits de basse valeur ajoutée et les taux d’intérêts sont une anomalie [C. B. les juge trop élevés, NdT]. Huit emploi créé sur dix sont payés au salaire minimum. » Il précise : « [Les taux d’intérêts] peuvent et doivent tomber rapidement autour de 4 % (…) Vue la dette interne d’1 trillard de réaux, (…) cela représenterait un allègement de plus ou moins 10 milliards de réaux des comptes publics. Nous aurions environ 50 milliards de réaux disponibles pour commencer un plan ciblé d’investissements publics, basiquement en infrastructures et services publics essentiels. Cela élèverait le taux d’investissement au moins à 25 % du PIB. Et cela garantirait une croissance de 6 % à 7 % par an. » Comme on le voit, Cesar Benjamin ne cite pas la dette comme un « point central du débat économique », il ne dit pas qu’il faut cesser de la payer et raisonne au contraire en supposant la continuité de son paiement, promettant aux Brésiliens l’utopie d’une rupture avec le « néolibéralisme » sans s’affronter réellement à l’impérialisme et à la bourgeoisie brésilienne. Dans une autre interview, Cesar Benjamin parle de « doubler le salaire minimum en huit à dix ans », au lieu du doublement immédiat annoncé par le programme officiel du Front de gauche (cf. sur ce point la lettre du PSTU à la direction du Front de gauche, publié dans Opinion Socialiste n° 267, hebdomadaire du PSTU).

De son côté, Heloisa Helena, fervente catholique, ne manque pas de rappeler qu’elle est opposée à la légalisation de l’avortement. Mais en outre, elle n’hésite pas à faire passer à sa guise sa propre ligne politique, même quand celle-ci n’est ni celle du Front de gauche, ni même tout à fait celle du PSOL. Elle ne se gêne pas pour affirmer, par exemple, qu’elle ne ferait la réforme agraire que dans le cadre de la loi. Or, au Brésil, cela signifie verser des indemnisations colossales aux propriétaires fonciers et renoncer à donner aux sans-terre les terres qu’ils occupent. Lorsqu’un journaliste lui fait remarquer que c’est en contradiction avec le programme de son parti, Heloisa Helena répond qu’il y a d’un côté « le programme du parti » et de l’autre « le programme de gouvernement » (entretien au journal télévisé national de O Globo TV, accessible à partir du site du PSTU, cf. http://www.youtube.com/watch?v=_AsuoXTS6jU).

Dans le même esprit, Heloisa Helena et le PSOL avaient adopté une attitude inacceptable suite à l’occupation du Parlement fédéral le 6 juin par environ 500 militants du Mouvement des Sans-Terre (une petite organisation dissidente du MST, qui se réclame de la révolution socialiste et de Mao et dont le principal dirigeant, Bruno Maranhao, est l’un des fondateurs du PT et membre de son Comité directeur), qui revendique l’application immédiate de la réforme agraire. Ces militants avaient occupé le Parlement après que le président de celui-ci (membre du PCdoB) eut refusé de les laisser s’adresser au peuple brésilien depuis la tribune du Parlement et de recevoir une délégation. Cette occupation a été durement réprimée par la police fédérale, qui a fait plus de 300 prisonniers (dont Maranhao). Parmi les revendications contenues dans le message que le MLST voulait adresser au peuple brésilien, on pouvait lire : « Abrogation de la loi qui interdit les inspections sur les terres occupées ; expropriation des propriétés qui utilisent le travail esclave pour réaliser la réforme agraire, actualisation de l’indice qui mesure la propriété de la terre ; confiscation des terres de l’Union [c’est-à-dire appartenant à l’État brésilien] accaparées par le complexe agro-industriel, confiscation des terres endettées vis-à-vis de l’Union, et renationalisation de la compagnie [minière] de Vale do Rio Doce. » Or, dans un communiqué, le groupe parlementaire du PSOL, tout en rappelant formellement « son appui sans restriction à la lutte pour la réforme agraire », « déplore que la manifestation des membres du MLST pour la réforme agraire ait dégénéré en des actes de violence et de vandalisme ; il est solidaire de toutes les victimes des agressions (…) ; il se prononce pour l’examen complet des faits selon les modalités légales », sans un mot pour condamner la brutale et honteuse répression contre les militants et l’emprisonnement de près de 300 d’entre eux.  Quant à Heloisa Helena, elle a été encore plus loin dans la participation au lynchage médiatique et dans l’appui à la répression, déclarant : « Je veux marquer ma désapprobation et le fait en toute tranquillité. » On peut certes être en désaccord tactique avec l’action du MLST et la juger gauchiste, mais les principes exigent de se placer aux côtés des exploités et opprimés, même lorsque leur lutte prend une forme violente, et non de défendre le sacro-saint ordre, qui est celui d’un système d’exploitation.

La caractérisation politique de l’orientation impulsée par le PSOL et Heloisa Helena à la campagne présidentielle du Front de Gauche trouve sa confirmation dans la décision d’un certain nombre de petits et moyens patrons d’apporter leur soutien financier au PSOL, qu’un véritable programme socialiste n’aurait pu qu’effrayer. Réciproquement, le discours de justification de direction du PSOL, qui jure n’avoir accepté que les dons de petits et moyens patrons « éthiques » (interview du 11 juillet à la Tribuna de Alagoas) exprime de façon concentrée sa dérive réformiste : tout marxiste sait que c’est au mieux du sentimentalisme petit-bourgeois de distinguer entre différentes sortes de patrons par leurs supposées qualités morales, et au pire une tromperie consciente répandue par les agents de la bourgeoisie parmi les ouvriers, car c’est en réalité la logique du capital qui détermine leur manière d’agir.

Appel à voter pour le Front de gauche

Quelle doit être l’attitude des communistes révolutionnaires dans ces élections ? La priorité, dans le cadre de ces élections, est d’aider les travailleurs à rompre avec le PT. En s’appuyant sur les aspects ouvriers et progressistes du programme du Front de gauche, il est donc juste d’appeler à voter pour lui, pour Heloisa Helena à la présidentielle et pour ses candidats aux législatives et dans chaque État ; il faut donc se battre pour que cette coalition qui relève du mouvement ouvrier, malgré les graves tendances réformistes de son programme et surtout de ses principaux porte-parole, obtienne le maximum de voix à tous les niveaux.

Mais il est indispensable en même temps de critiquer clairement son programme équivoque et plus encore toutes les prises de position d’Heloisa Helena, qui sont encore en retrait par rapport à ce programme. De ce point de vue, il faut souligner que le PSTU est à juste titre intervenu pour constituer ce front électoral, il s’est battu pour que son programme officiel soit le plus correct possible et il ne se dissout pas dans ce front, critiquant semaine après semaine la ligne défendue publiquement par Heloisa Helena, selon des positions de principe dans l’ensemble correctes. S’il est clair que son orientation n’a qu’une influence marginale sur le contenu réel de la campagne, il entend profiter de la popularité d’Heloisa Helena pour se construire.

Ajoutons qu’il est possible d’appeler à voter aussi pour d’autres candidats ouvriers qui se présentent pour les législatives ou au niveau des États, y compris pour des candidats de la gauche du PT, à condition qu’ils refusent d’appeler à voter pour Lula à la présidentielle, comme c’est le cas notamment de ceux présentés par le courant du PT O Trabalho majorité. D’une part, en effet, le système électoral du Brésil, reposant sur des votes par liste nominative, permet aux électeurs de panacher leur vote entre des candidats appartenant à différents partis ; et, d’autre part, le fonctionnement interne du PT fait que les candidats de chaque courant peuvent faire campagne sur leurs propres positions.

Pour un parti anti-capitaliste de masse

Mais surtout, pour les communistes révolutionnaires, cette tactique électorale n’a de sens que si l’on se bat fondamentalement pour que, au-delà de l’alliance électorale, s’ouvre une discussion générale sur la question centrale posée par la situation brésilienne : pour aider les travailleurs à rompre avec le PT, il est désormais nécessaire de fonder un véritable parti anti-capitaliste de masse, qui ne retombe pas dans le réformisme du PT et qui dépasse à la fois l’opportunisme à tendance réformiste de la direction du PSOL et les tendances gauchistes (notamment sur la question syndicale) du PSTU (3). Sur cette voie, les références communes des courants constitutifs du PSOL comme du PSTU au trotskysme devraient cesser d’être paradoxalement un obstacle sectaire, et constituer au contraire un point d’appui considérable pour avancer vers l’objectif ultime de la refondation de la IVe Internationale et de sa construction dans une nouvelle époque historique, à une échelle de masse. D’autres groupes aujourd’hui isolés, voire encore dans le PT, comme O Trabalho (majorité), auront toute leur place dans ce processus vers un parti anti-capitaliste.


1) Rappelons d’ailleurs que le courant Démocratie Socialiste (DS), l’organisation brésilienne du Secrétariat Unifié dit « de la IVe Internationale », dont la LCR est la section française, a participé à la mise en œuvre de cette politique en la soutenant au Parlement et en siégeant au gouvernement par l’intermédiaire de Miguel Rossetto, ministre de la réforme agraire. Si DS a connu une scission minoritaire, emmenée par la sénatrice Heloisa Helena après son exclusion du PT, les deux organisations — celle qui appuie ouvertement Lula et celle qui participe à la construction du PSOL (Parti Socialisme et Liberté) — restent membres de la même « Internationale » ! Celle-ci, et la LCR avec elle, fait donc un grand écart : elle regroupe à la fois ceux qui appliquent la politique du FMI sous les ordres de Lula et aux côtés des banquiers, des patrons et des grands propriétaires fonciers, et ceux qui la combattent. Comment cela est-il possible ? Seuls de fieffés opportunistes peuvent accepter une telle situation !

2) Cf. notre critique du programme du PSOL dans Le CRI des travailleurs n° 21 de janvier-février 2006.

3) Nous reviendrons dans un prochain article sur la constitution, à l’initiative du PSTU, du Conlutas, regroupement syndical « rouge » qui repose sur la désaffiliation d’un petit nombre de syndicats de la puissante Centrale Unifiée des Travailleurs, la CUT. Cette ligne revient à laisser les 20 millions de membres de celle-ci dans les mains des bureaucrates du PT et de DS, au lieu de poursuivre le combat pour chasser ces bureaucrates de la grande centrale ouvrière.


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