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Le CRI des Travailleurs n°3     << Article précédent | Article suivant >>

Où va la CGT?
Le 47ème congrès accélère la transformation de la première centrale en « syndicat de proposition »


Auteur(s) :Paul Lanvin
Date :15 avril 2003
Mot(s)-clé(s) :directions-syndicales, CGT
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Le 47e congrès de la C.G.T., qui s’est tenu à Montpellier du 23 au 28 mars, marque un pas de plus dans la transformation officielle de la principale centrale syndicale française en un « syndicat de proposition », c’est-à-dire en un « syndicat d’accompagnement » des mesures patronales et gouvernementales. Les orientations adoptées aux congrès précédents sont encore aggravées. Au 45e congrès de décembre 1995, l’abandon de l’article 1er des statuts confédéraux concernant « l’appropriation par les travailleurs des moyens de production et d’échange » avait officialisé, quatre ans après l’effondrement de l’U.R.S.S. et du stalinisme, le renoncement déjà très ancien de la C.G.T. au combat pour le socialisme, pour la transformation sociale anticapitaliste, en un mot pour la défense conséquente et réaliste des intérêts historiques de la classe ouvrière et de tous les travailleurs. Et, au 46e congrès de février 1999, la C.G.T. s’était désaffiliée de la Fédération Syndicale Mondiale pour adhérer à la C.E.S. (Confédération Européenne des Syndicats), afin de bien montrer sa nouvelle orientation, son abandon du syndicalisme de contestation et de lutte de classe (fût-il d’orientation réformiste) — les promesses de Bernard Thibault (« nous ne perdrons pas notre identité ») ayant pour fonction de rassurer les délégués hésitants. En effet, la C.E.S. n’est rien d’autre qu’une institution de l’Union européenne, courroie de transmission des directives « sociales » réactionnaires et des privatisations. Ainsi prône-t-elle la participation des « syndicats » au maintien de la compétitivité des entreprises et fait-elle campagne pour des « services d’intérêt général », les « SIG », qu’elle conçoit comme pouvant être assurés aussi bien par des services publics… que par des entreprises privées ou mixtes. Elle étend ce concept à rien de moins que « la santé, la culture, l’éducation, les transports, les communications, l’information, l’énergie, l’eau, la sécurité alimentaire, l’environnement et le logement » (sic !). Elle a même co-rédigé en ce sens un projet de directive européenne avec une organisation patronale européenne !

Application de la loi Aubry, intégration réussie dans la C.E.S.

Depuis le précédent congrès, cette nouvelle orientation de la C.G.T. s’est manifestée en particulier dans le refus de condamner la loi Aubry, adoptée avec la complicité des députés P.C.F., et qui n’a été qu’un instrument pour accroître la productivité des entreprises françaises en aggravant la flexibilité, en introduisant la déréglementation et l’annualisation du temps de travail, voire la baisse des salaires, sans d’ailleurs créer réellement des emplois. Bien évidemment, dans la pratique, des milliers de syndicalistes C.G.T. ont été aux avant-postes de la lutte contre l’application de la loi Aubry ; mais les dirigeants syndicaux ont tout fait pour qu’elle passe, allant, par exemple, jusqu’à contre-réformer avec le patronat la convention collective des travailleurs du textile, ou à combattre les mouvements de grève des travailleurs, notamment à la S.N.C.F. (rappelons que l’ex-ministre Gayssot et Bernard Thibault sont d’anciens dirigeants de la fédération C.G.T. des cheminots, majoritaire dans la profession).

En signe de reconnaissance de sa si « plaisante » orientation, c’est un dirigeant de la C.G.T. (Joël Decaillon) qui doit représenter maintenant les syndicats français au secrétariat de la C.E.S., où il doit remplacer… un dirigeant de la C.F.D.T. (Jean Lapeyre)… De fait, la direction de la C.G.T. s’efforce de faire de celle-ci une C.F.D.T. bis. Ainsi participe-t-elle au « Comité Intersyndical pour l’Épargne Salariale », dont la C.F.D.T. est l’autre pièce maîtresse, et qui a pour fonction très officielle d’accompagner « socialement », en coopération étroite avec des multinationales bien françaises comme AXA, et avec la bénédiction du présent gouvernement comme du précédent, la mise en place des fonds de pensions ; ces fameux fonds de pension dits hypocritement « à la française », que la loi Fabius de 2001 (votée avec la complicité des députés P.C.F.), a commencé à introduire pour les salariés du privé de ce pays.

Quelle orientation sur les retraites ?

Dans la même ligne, le bilan du 47e Congrès de la C.G.T. indique clairement le choix de la direction de renoncer dans les faits à la revendication du maintien des 37,5 annuités de cotisation pour tous, travailleurs du public comme du privé : le texte du congrès adopté à ce sujet semble avoir été écrit dans le but précis de ne surtout pas avancer clairement cette revendication, et les délégués, malgré la demande en ce sens de certains d’entre eux, n’ont pas eu le droit d’amender le texte pour le clarifier. En outre, il n’y a de fait aucun mandat contraignant la direction à agir réellement dans ce sens par tous les moyens. Or, de son côté, Bernard Thibault ne manque pas une occasion de tendre la main plus ou moins ouvertement à la C.F.D.T. qui, elle, conformément aux orientations et aux pressions considérables de la C.E.S., a clairement annoncé sa « revendication » de 40 annuités pour tous, en « échange » du maintien du droit à la retraite à 60 ans, et l’extension de ce droit à un âge plus précoce pour ceux qui ont cotisé 40 ans. Ainsi, dès le lendemain du congrès, à un journaliste qui lui demandait : « Le retour à 37,5 annuités de cotisation est-il pour vous un objectif prioritaire ? », le secrétaire général de la C.G.T. n’a-t-il pas hésité à répondre : « Pour assurer le droit au départ à 60 ans, il faut rediscuter le mécanisme d’acquisition des droits. Autrement dit, on ne peut pas simplement se cantonner à une problématique 40 ans-37,5 ans » (Le Monde du 31 mars). En outre, au cours de la même interview, il n’a pas exclu de se rallier, au nom de « l’équité », à un alignement de la durée de cotisation du public sur le privé.

Des méthodes antidémocratiques

La transformation en cours de la C.G.T. explique également que les méthodes utilisées par la direction pour cadenasser les débats aient été encore moins respectueuses de la démocratie qu’elle ne l’étaient naguère. En effet, non seulement plusieurs délégués régulièrement élus par les syndicats de base ont vu leur mandat arbitrairement invalidé par les organisateurs, sans doute parce qu’ils étaient connus pour leur détermination à combattre les orientations de la direction (il s’est agi notamment de militants qui sont par ailleurs membres du P.T. ou de L.O.) ; mais en outre on relève plusieurs atteintes aux règles traditionnelles de la démocratie syndicale : le nombre de délégués pouvant s’exprimer lors de chaque séance plénière, soigneusement cloisonnée, a été limité a priori, et le principe de l’égalité du temps de parole n’a pas été respecté au nom des impératifs de l’ordre du jour ; les délégués n’ont pas eu le droit d’amender les textes proposés en séance plénière, seules les propositions de la commission des résolutions, non amendables, étant soumises au vote ; autrement dit, la direction, pour éviter que la discussion puisse aboutir à la modification de ses orientations, n’a pas hésité à recourir à une procédure de type « à prendre ou à laisser », peu éloigné, dans son esprit, de l’article 49-3 de la Constitution de la Ve République récemment utilisé par Raffarin (cf. ci-dessus p. 4…).

Pas de vrai bilan… quelles perspectives ?

Enfin, il faut souligner que la direction n’a donné que très peu d’éléments de bilan de l’activité générale de la confédération. Or, sans parler de l’abstention massive aux élections prud’homales, tout indique que la plupart des fédérations sont en recul, à cause notamment du comportement de leur direction au cours des dernières années. C’est le cas en particulier des syndicats C.G.T. de la S.N.C.F. et d’Air France, qui ont subi une réelle érosion à cause de la politique d’application de la loi Aubry malgré les grèves et de privatisation menée par le ministre P.C.F. Jean-Claude Gayssot pendant cinq ans. Ce sera manifestement le cas aussi de la fédération de l’énergie, suite à la trahison de la direction C.G.T. lors du référendum sur la contre-réforme du régime de retraites à E.D.F.-G.D.F. (cf. Le Cri des travailleurs de février 2003). Les dirigeants de la C.G.T. ont ainsi une responsabilité majeure dans la constitution de syndicats minoritaires S.U.D., y compris, depuis quelque temps, par des militants C.G.T. écœurés, l’aggravation « gauchiste » de la division syndicale ne pouvant être que la conséquence de la capitulation des dirigeants majoritaires.

L’avenir de la C.G.T. dépend des militants attachés au syndicalisme de lutte de classe. Ces militants existent : c’est ce que montrent les 13% des délégués qui ont voté contre l’orientation générale de la direction (chiffre en nette hausse par rapport aux congrès précédents, et qui ne reflète que de manière déformée par les méthodes anti-démocratiques l’opposition croissante à la ligne liquidatrice de la direction parmi les syndiqués) ; c’est ce que montre également le fait que l’annonce de l’arrivée au congrès, comme invité, de François Chérèque, secrétaire général de la C.F.D.T., ait été huée par les délégués ; c’est ce que montrent aussi les 1 200 syndiqués qui ont signé l’appel lancé par les militants du P.T. « La CGT n’est-elle pas en danger ? » ; c’est ce que montrent surtout les milliers et les milliers de syndicalistes C.G.T. de base qui animent des syndicats de combat avec le courage et la détermination nécessaires pour faire avancer les revendications par la lutte de classe

Il revient aux militants communistes révolutionnaires d’aider ces syndicalistes à combattre l’orientation de leurs dirigeants, à se réapproprier leurs syndicats à tous les niveaux, à chasser les bureaucrates traîtres dès que c’est possible, et à garder le cap sur la ligne de la lutte de classe indépendante. En particulier, il est nécessaire d’aider ces militants à comprendre que le « syndicalisme d’accompagnement » ne peut être combattu seulement au nom d’un retour au syndicalisme purement « réformiste » (d’inspiration social-démocrate ou stalinienne) dont il est au contraire une sorte de continuation qualitativement différente, une sorte d’« adaptation » à l’époque de l’offensive sociale réactionnaire de la bourgeoisie et de ses contre-réformes. C’est au contraire dans la perspective de renouer avec le combat syndical anticapitaliste, de rétablir réellement l’objectif final de « l’appropriation par les travailleurs des moyens de production et d’échange », que les syndicalistes de lutte de classe pourront mener leur combat jusqu’au bout.

(Nous reviendrons dans un prochain article sur d’autres questions soulevées par ce congrès, notamment le « statut du travailleur salarié » et la réforme du mode de financement et de fonctionnement de la C.G.T. ; nous aborderons également le rôle majeur du P.C.F. dans cette évolution, dans le cadre d’un article sur le dernier congrès de ce parti, en cours à l’heure où ces lignes sont écrites.)


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