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Soulèvement des peuples du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord contre la guerre et le pouvoir


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :15 avril 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Afrique, Moyen-Orient
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Les peuples disent non à la guerre

Chaque jour, du Caire à Beyrouth, de Sanaa à Damas, de Tunis à Mascat, de la Cisjordanie à Gaza, les cris des manifestants retentissent pour exprimer la colère des peuples et la haine de la guerre. Les images des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants irakiens, des blessés et des souffrances, ont ému et bouleversé les populations, mais aussi galvanisé les énergies. Partout dans le monde arabe, la protestation s’élève et s’organise. Des manifestations spontanées ont ainsi eu lieu dans de nombreuses villes. Elles s’inscrivent bien entendu dans le vaste mouvement international de lutte contre la guerre, mais elles revêtent dans le monde arabe une tournure et une signification politiques particulières. D’abord parce qu’elles ont lieu dans des pays où les régimes, traditionnellement et quotidiennement, briment et brisent toute tentative de libre expression et de protestation ; à ce titre, elles représentent une mobilisation puissante et nouvelle. Ensuite parce qu’elles contribuent à remettre en cause ces régimes eux-mêmes, compromis avec les impérialistes occidentaux.

Les gouvernements arabes en place (monarchies, « républiques héréditaires », et autres régimes plus ou moins ouvertement militaires), dictatoriaux, corrompus et à la solde du gouvernement américain, soutiennent la coalition anglo-américaine, les uns ouvertement comme le Koweït ou le Qatar, d’autres de façon plus feutrée, pour ne pas heurter de front leurs opinions publiques, comme la Jordanie. « Pour soulager leur conscience, lit-on dans le journal Al-Watan, les dirigeants arabes se bornent à exprimer leurs regrets ». Abdallah de Jordanie, qui s’est largement aligné sur les positions américaines, a ainsi appelé à manifester « de manière civilisée ». À ce mépris scandaleux, la population a répondu aux cris de « Les forces américaines hors de Jordanie ! » Dans ce pays, à partir duquel opèrent les forces anglo-saxonnes, des missiles américains ont aussi fait des victimes civiles, ce que les militaires américains et les médias à leur suite qualifieront de « dommage collatéral ». Les Palestiniens, qui représentent la moitié de la population de Jordanie, ont dit leur solidarité avec le peuple irakien et leurs cousins de Palestine. À Gaza et en Cisjordanie, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés régulièrement, malgré le couvre-feu imposé par l’armée israélienne dans la plupart des villes. Ils ont dit non à la guerre et ont dénoncé la répression qui leur est sans cesse davantage infligée.

Les gouvernement bourgeois sioniste et arabes répriment les manifestants

De fait, la guerre en Irak et la focalisation des médias sur ce conflit permettent à l’armée sioniste d’intensifier ses raids meurtriers contre les Palestiniens, en toute impunité. Chaque jour, des Palestiniens, adultes ou enfants, sont assassinés. Incursions militaires, rafales de raids, obus de chars, carnages. En un mois, plus de cent Palestiniens ont été tués dans les Territoires occupés. Si la presse est brièvement revenue sur ce drame lorsqu’une étudiante américaine, Rachel Corrie, est morte à Rafah, écrasée par un bulldozer israélien alors qu’elle tentait de s’opposer à la destruction d’une maison, cette tragédie n’a pas fait revenir George Bush sur sa déclaration : « Je suis convaincu qu’Ariel Sharon est un homme de paix », ni les gouvernements occidentaux sur leur soutien à l’État sioniste. Certains partis, comme Moledet, dont des représentants siègent dans le gouvernement Sharon, ne cachent plus leur revendication de « transferts » des Palestiniens vers les États arabes, ce qui reviendrait à des déportations et à une véritable politique d’épuration. C’est pourquoi, dans bien des manifestations qui ont envahi les rues des villes arabes, le rejet de la guerre s’accompagnait de témoignages de solidarité à l’égard du peuple palestinien (1).

Dans tous les pays arabes, le pouvoir a tenté de réprimer violemment ces manifestations. Au Liban, les forces de l’ordre ont usé de matraques et de canons à eau, et ont fait plusieurs blessés. Au Caire en Égypte, où l’on n’avait pas vu de tels rassemblements depuis un quart de siècle, les manifestations ont été écrasées par des policiers en civil qui donnèrent coups de pied et coups de bâton à des manifestants jetés à terre. En Algérie, les manifestations ont été interdites et celles qui ont eu lieu malgré tout ont été réprimées. Ailleurs, la police est intervenue brutalement avec des bombes lacrymogènes — à Bahreïn par exemple, des grenades lacrymogènes ont été lancées contre plusieurs centaines de jeunes qui voulaient s’approcher de l’ambassade des États-Unis. La répression a parfois tourné au meurtre. Au Yémen, les affrontements entre les manifestants et la police ont fait deux morts à Sanaa. Et jusqu’au Soudan, pays à majorité musulmane, où plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés : un jeune étudiant est mort à Khartoum, tué par balles.

Certains régimes ont d’ailleurs profité de la fragilisation de la situation engendrée par les préparatifs de guerre, puis par la guerre elle-même pour resserrer un peu plus leur étau dictatorial sur leur peuple. C’est le cas notamment du gouvernement syrien de Bachar El Assad, qui a mis fin à ce que l’on a pu appeler, de manière éphémère, le « printemps de Damas » : à la mort d’Hafez El Assad en juin 2000, un mouvement politique revendiquant des libertés démocratiques (retour à l’État de droit, pluripartisme, libération des prisonniers politiques…) avait vu le jour ; il est aujourd’hui réprimé, et certains militants sont jetés en prison, condamnés à de nombreuses années de détention. Dans ce pays, comme dans bien d’autres, le régime opprime et exploite le peuple (le taux de chômage s’y élève à 20 %, le produit national brut par habitant est inférieur à 1 000 dollars). Pourtant, contre la guerre, la population n’a pas hésité à braver le pouvoir.

Le contenu social de ces soulèvements

Ces manifestations, quelle que soit leur forme, sont d’une importance sociale et politique extrême. Si les tenants d’un fondamentalisme religieux tentent souvent de les détourner de leur sens, le fanatisme et l’obscurantisme de certains groupes islamistes intégristes ne parviennent pas à masquer le contenu social de ces rassemblements. Ils signifient un rejet tout à la fois de l’impérialisme et des gouvernements bourgeois arabes qui peu ou prou le soutiennent. En Égypte par exemple, les manifestants ont clairement exprimé certaines revendications politiques, associées au combat contre la guerre impérialiste : la libération des détenus politiques et la levée de l’état d’urgence. Dans les manifestations qui ont eu lieu au Caire, parmi les mots d’ordre scandés, on entendait celui-ci : « Moubarak, ramasse tes chiens ! », une adresse directe au pouvoir honni (en certains endroits, des portraits du président égyptien Moubarak ont été arrachés). Ou encore : « Égypte, réveille-toi, demain ton tour viendra. » Car les populations prennent chaque jour davantage conscience du fait que, comme l’a déjà annoncé Donald Rumsfeld, le secrétaire américain aux affaires étrangères, et comme le martèlent des « rapports » d’« experts » américains, l’Irak n’est qu’une étape, un premier stade dans la volonté d’étendre l’emprise impérialiste américaine sur toute la région et d’en mâter les populations à coups de canons.

De nouvelles générations s’éveillent aujourd’hui à la politique et s’affrontent directement au pouvoir. Les peuples des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord font ainsi la démonstration de leur capacité de mobilisation. Toutes ces actions récentes constituent un pas important dans la lutte des peuples pour se libérer des impérialismes et des régimes en place qui colonisent pouvoirs et richesses.

Notre position

Bien sûr, les gouvernements occidentaux, quelle que soit leur couleur politique, en particulier les gouvernements français de gauche et de droite, soutiennent ces régimes et passent avec eux des contrats juteux de « coopération bilatérale », pour le pétrole et d’autres ressources comme pour la vente de biens d’équipement (notamment TotalFinaElf en Irak et en Algérie — où la loi de 1986 permet aux compagnies étrangères de réaliser des contrats de partage de la production pétrolière ; la France vient par ailleurs de faire du Yémen une « zone de solidarité prioritaire » qui lui permet de multiplier ce genre de contrats). Notre action de solidarité, à nous, travailleurs et jeunes, ici, en France, envers les peuples du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord passe par la solidarité prolétarienne, par le combat inlassable contre nos propres gouvernements impérialistes et leurs institutions de brigandage international (F.M.I., O.N.U., U.E., etc.), par la dénonciation systématique des massacres des peuples irakien et palestinien, par l’exigence du retrait des troupes impérialistes hors du Moyen-Orient.

Mais qu’est-ce que les militants communistes révolutionnaires internationalistes doivent proposer aux travailleurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ? Les faits l’ont montré depuis des décennies : les bourgeoisies arabes ne peuvent et ne veulent pas secouer le joug de l’impérialisme. Tout au contraire, les gouvernements de la région, qui représentent l’alliance des riches propriétaires fonciers et d’une bourgeoisie débile et corrompue, se comportent comme les valets de l’impérialisme, à commencer par l’impérialisme américain. C’est aux travailleurs, au prolétariat allié aux paysans et aux autres classes populaires, qu’il revient de mener jusqu’au bout le combat contre l’impérialisme et pour chasser les gouvernements locaux. Il reviendra au prolétariat de construire ses organisations de classe indépendantes et de mettre sur pieds un large front anti-impérialiste des masses opprimées. Ce combat se heurte nécessairement aux classes dirigeantes de ces pays. Seuls les travailleurs organisés dans leurs syndicats et leurs partis de classe, en particulier dans un indispensable parti communiste révolutionnaire internationaliste, pourront chasser les troupes impérialistes, conquérir la souveraineté nationale pleine et entière, établir la véritable démocratie, réaliser l’indispensable réforme agraire, mettre en œuvre un plan d’instruction générale du peuple et de santé publique, etc. ; pour ce faire, le prolétariat devra s’attaquer en même temps aux capitalistes arabes, empêcher les privatisations, imposer le contrôle ouvrier sur l’industrie, arracher la satisfaction de leurs revendications sociales, et nationaliser de force toutes les entreprises des bourgeois qui s’opposeraient à la satisfaction réelle des revendications nationales, démocratiques et sociales. C’est dans cette perspective que le mot d’ordre de convocation d’une Assemblée nationale constituante rassemblant les représentants élus, mandatés et révocables du peuple, doit être mis immédiatement en avant dans chaque pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, afin que le peuple — les paysans, les ouvriers, les salariés du secteur public, les intellectuels, les petits industriels, commerçants et artisans... — puisse décider lui-même la forme démocratique et le contenu social de la République dans chaque pays. La réalisation d’un tel programme, répondant aux aspirations immédiates des masses, poserait très concrètement la question d’une fédération socialiste des États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, objectif que, tout en participant activement à chaque étape de la lutte réelle des masses, les communistes révolutionnaires internationalistes doivent populariser de manière patiente et systématique.

(Nous publierons le mois prochain un article particulier sur l’Algérie.)


1) En mars 2002, au moment de l’offensive israélienne contre Jénine et les villes de Cisjordanie, de telles manifestations avaient déjà eu lieu dans nombre de villes arabes. Déjà, la répression avait été meurtrière : un mort en Égypte ; en Jordanie, un enfant de onze ans avait été tué, le crâne écrasé par la police. Dans l’État de Bahrein, peu coutumier des mobilisations populaires, 20 000 manifestants avaient jeté des pierres contre l’ambassade américaine à Manama, en exigeant le retrait des troupes américaines de l’île. Des rassemblements avaient également eu lieu au Koweït, au Qatar et en Arabie saoudite.


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