Le CRI des Travailleurs
n°24
(novembre-décembre 2006)

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LCR, LO et PT partent en ordre dispersé... avec chacun un programme sans perspective !


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :17 novembre 2006
Mot(s)-clé(s) :LO, LCR, PT, élections-2007
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À l’« extrême gauche », les trois principales forces (seules organisations de taille nationale) que sont la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Lutte ouvrière (LO) et le Parti des travailleurs (PT) se disposent pour présenter chacun ses propres candidats aux élections présidentielle et législatives de 2007, sans même avoir tenté de discuter entre elles pour essayer de se mettre d’accord sur un programme anti-capitaliste et des candidats communs.

LCR : valses hésitations entre anti-libéralisme inacceptable et anti-capitalisme confus

Dans la LCR, une forte minorité (plates-formes 3 et 4) continue de se battre à l’intérieur des collectifs pour des candidatures communes anti-libérales et à l’intérieur de la LCR pour que celle-ci ne s’engage pas dans sa propre campagne autonome, mais revienne dans la coalition anti-libérale dominée par le PCF. Cette minorité propose donc expressément de ranger le programme anti-capitaliste dans un tiroir en se contentant de défendre, avec et comme le PCF, une orientation simplement anti-libérale, c’est-à-dire altercapitaliste. Elle sombre ainsi dans l’illusionnisme électoraliste, au lieu de se battre pour faire connaître un véritable programme anti-capitaliste et faire ainsi progresser la conscience des travailleurs. Cependant, la majorité de la LCR est acquise à la candidature d’Olivier Besancenot, qui implique par elle-même un programme plus à gauche que celui de la coalition anti-libérale, dans la mesure où la séparation d’avec celle-ci exige d’être justifiée. De fait, la campagne de la LCR s’oriente sur le thème d’une « gauche anticapitaliste et antidiscriminations », pour un « rassemblement de tous les anticapitalistes dans une nouvelle force politique de masse, utile dans les mobilisations comme dans les élections ». Sur le papier, on ne pourrait que se féliciter d’une telle orientation… si elle était dénuée d’ambiguïtés. Or elle se contente en fait, pour l’essentiel, de slogans vagues, qui pourraient tout à fait convenir aux réformistes, puisque rien n’est dit sur les moyens de rompre avec le capitalisme lui-même pour satisfaire les revendications : « Nos vies valent plus que leurs profits », « Et le partage des richesses, c’est pour quand ? », « Le respect et la fin des discriminations, c’est pour quand ? » (affiches de campagne de la LCR). En laissant ces dernières questions sans réponse, la LCR ne fait guère progresser la conscience de classe, faute d’avancer clairement la perspective d’un gouvernement des travailleurs pour les travailleurs, qui serait pourtant seul capable de satisfaire les revendications et aspirations du prolétariat et de la jeunesse, en mettant en œuvre une politique réellement anti-capitaliste.

Corrélativement, au lieu de marquer le clivage programmatique entre les anti-capitalistes et les pro-capitalistes « anti-libéraux », la LCR continue de semer des illusions sur la « gauche » en général. Si elle refuse clairement le projet du PCF et de la coalition antilibérale de soutenir un gouvernement PS, la LCR n’en trace pas moins une ligne de partage entre la droite et la gauche. C’est ainsi qu’elle valorise, sous la plume d’Alain Krivine dans Rouge du 26 octobre 2006, le fait que le « PS entend battre la droite, comme tous ceux et celles qui souffrent de cette politique réactionnaire » ; autrement dit, la LCR n’exclut nullement d’appeler à voter pour le PS aux seconds tours des élections de 2007, ce qui serait pourtant entretenir les illusions parmi les travailleurs, au lieu de les aider à aller jusqu’au bout de leur rupture avec les ex-réformistes désormais entièrement convertis au « social-libéralisme ». Dans le même numéro de Rouge, un autre dirigeant de la LCR, Pierre-François Grond, a la naïveté de s’étonner que « la gauche » emboîte le pas à la droite sur le thème de l’insécurité ; et, en remarquant que, dans la campagne du PS, « aucune mesure sociale n’émerge, comme pouvaient l’être les 35 heures en 1997 », ce dirigeant de la LCR apporte un soutien tacite aux lois Aubry, au lieu de critiquer leurs très graves dispositions régressives et de dénoncer plus généralement la politique réelle de la « gauche plurielle » dès son élection en 1997 (cf. ci-dessous notre article sur le bilan du gouvernement Jospin-Buffet-Chevènement-Voynet).

Cependant, c’est surtout à l’égard du PCF que la LCR continue de semer des illusions : l’article déjà évoqué d’Alain Krivine, pourtant consacré à ce parti, ne critique pas son programme, se contentant de regretter que la « conférence nationale [du PCF] n’ait même pas envisagé les modalités de consultation des communistes en cas de refus des collectifs » de la candidature Buffet. Car en fait, même si eux-mêmes ne se font plus d’illusions sur la possibilité que le PCF et ses alliés renoncent à soutenir le PS en cas d’arrivée de ce dernier au pouvoir, Olivier Besancenot et la direction de la LCR continuent de répéter qu’ils sont prêts à retirer leur candidature au profit d’une coalition de « tous les partis qui ont appelé à voter non, du PCF à LO ». Or, s’il était juste de se battre pendant toute une période au sein des collectifs, afin d’y faire avancer les idées et le programme réellement anti-capitalistes, cela n’est plus acceptable depuis que le triomphe de la ligne « anti-libérale » défendue par le PCF et ses alliés est acquis, privant les militants et les travailleurs de toute véritable perspective de classe.

LO : auto-isolement identitaire, absence de perspective et ralliement au slogan « battre la droite »

De son côté, LO refuse toute alliance électorale avec les anti-libéraux pour le premier tour, ce qui est tout à son honneur, et tient formellement un discours de classe : « le camp des travailleurs » contre le patronat et la bourgeoisie. Cependant, elle affiche clairement sa propre candidature à la fois comme une décision très « identitaire » et comme une candidature de pur témoignage. C’est ainsi que, dès son premier meeting de campagne à la Mutualité à Paris le 13 octobre, où elle n’a d’ailleurs parlé presque que des élections au lieu de lier sa campagne aux luttes actuelles, non seulement Arlette Laguiller a fait jouer son image médiatique de recordwoman des candidatures à la présidentielle, mais en outre elle s’est efforcée de justifier par toutes sortes d’arguments son refus de s’allier avec la LCR. Elle a certes critiqué la politique opportuniste de la LCR avec des arguments justes, contre la coalition antilibérale ; mais, après la décision de la LCR de ne pas cautionner l’alliance constituée autour du PC pour servir de rabatteur de voix en faveur du PS, il est clair que la situation n’est plus la même que celle qui prévalait encore au printemps et qu’il n’y a plus d’obstacles à l’ouverture de discussions entre LO et la LCR. Or, au lieu de cela, Laguiller a défendu une argumentation puérile, en disant que, si la LCR se retrouvait « le bec dans l’eau », c’était bien fait pour elle… Puis elle a apporté un soutien formel à la campagne de recherche de signatures de la LCR auprès des maires, en disant qu’elle serait très triste si Besancenot ne les obtenait pas… Enfin, Laguiller a essayé de justifier les candidatures séparées par des arguments purement électoralistes : elle a expliqué longuement (en épluchant les sondages qui distinguent différents cas de figure selon que Royal, Fabius ou Strauss-Kahn soit candidat du PS) comment additionner les voix qu’elle-même obtiendrait avec celles de Besancenot pour mesurer le poids global de l’extrême gauche… Ce faisant, LO confirme la conception purement électoraliste qu’elle se fait de sa propre campagne, avec l’objectif de gagner le plus de voix possibles pour elle et la LCR, au lieu de mettre cette campagne au service de la construction d’une véritable alternative ouvrière et anti-capitaliste. Au demeurant, cette tactique, qui est inadmissible stratégiquement, ne peut conduire en fait qu’à un fiasco électoral assuré : les sondages n’ont aucune valeur à sept mois de l’échéance et alors que la pression des médias et des partis institutionnels pour le « vote utile », contre le renouveau d’un 21 avril, a à peine commencé, promet d’être terrible et ne pourrait en fait être contrée que par une large alliance anti-capitaliste unifiée, qui refuse tout soutien au PS (même au second tour) et qui combatte aussi frontalement la coalition « anti-libérale ».

D’autre part, au lieu d’utiliser la campagne électorale pour développer un véritable programme anti-capitaliste, LO refuse de mettre en avant la question du pouvoir, celle d’un gouvernement des travailleurs eux-mêmes. Certes, celui-ci n’est pas à l’ordre du jour immédiat, mais un véritable parti révolutionnaire se doit de dire la vérité aux travailleurs, tout particulièrement quand il s’adresse à eux sur un mode propagandiste dans le cadre d’une campagne électorale : à moins de sombrer dans le réformisme, il faut dire clairement que, sans rupture avec le capitalisme, leurs revendications fondamentales ne seront jamais satisfaites. Or, tout en critiquant le programme seulement « anti-libéral » du PCF et de ses alliés, LO ne propose elle-même rien d’autre qu’une sorte de programme minimal, qui n’est pas clairement anti-capitaliste, puisqu’il ne débouche ni sur la perspective d’un gouvernement des travailleurs, ni même sur un appel à intensifier la lutte de classe pour aller vers la grève générale, pourtant seule capable d’infliger une véritable défaite au patronat et au gouvernement.

Au demeurant, on remarque que, dans son premier meeting de campagne le 13 octobre, Arlette Laguiller s’est contenté d’avancer quelques éléments d’un tel « programme minimal » sans même évoquer l’objectif final du communisme, contrairement à ce qu’elle faisait naguère lors de ses meetings, même électoraux (quoique toujours de manière formelle et sentimentale).

Enfin, LO sème elle aussi des illusions sur le thème « la gauche, c’est moins pire que la droite ». C’est ainsi que, lors du meeting du 13 octobre, Arlette Laguiller a déclaré : « Ne nous y trompons pas, nous ne disons pas et ne dirons pas que la gauche et la droite c’est pareil. Elles sont les acteurs d’une même pièce [...]. Alors chasser ce gouvernement de droite, oui, cela ferait plaisir […]. Évidemment, on ne peut pas, dans les circonstances actuelles, chasser cette droite sans ramener la gauche que nous connaissons pourtant déjà bien. Mais il ne faudrait pas la ramener au pouvoir les yeux fermés, sans rien lui demander en échange. Et par rien lui demander, je n’entends rien exiger d’elle. Je souhaite que les voix qui se porteront sur ma candidature soient une menace pour la gauche [...], que le maximum d’électeurs populaires qui voteront pour le candidat socialiste au second tour disent ouvertement qu’ils ne sont pas dupes des marshmallows déguisés en phrases des candidats socialistes. » Cette orientation a ensuite été confirmée dans l’éditorial des bulletins d’entreprise et de l’hebdomadaire Lutte ouvrière du 20 octobre, qui est encore plus clair puisqu’il se termine en affirmant que « la candidature d’Arlette Laguiller (…) permettra au moins à l’électorat populaire de contribuer, par son vote, à chasser si possible la droite, mais en exprimant sa défiance vis-à-vis des dirigeants de la gauche, qui l’ont déjà trompé bien des fois ». — Autrement dit, tout en critiquant le bilan de la gauche plurielle et le projet du PS, LO n’en participe pas moins à sa façon, à la place qui est la sienne dans la « pièce », à une vaste union de la « gauche » contre la « droite », en encourageant clairement les travailleurs à voter pour le PS aux seconds tours des élections de 2007. LO cède ainsi à la pression des forces qui, du PS à la LCR, donne du crédit au mythe bourgeois d’un clivage entre la « droite » et la « gauche », alors que, pour les marxistes, le seul clivage significatif est celui qui passe entre les partis bourgeois, qui soutiennent ouvertement le capitalisme, et les partis ouvriers, qui le combattent ou au moins le contestent. L’orientation consistant à cautionner le slogan « battre la droite » ne peut que désarmer les travailleurs en semant des illusions sur la nature même du PS, quelles que soient les critiques et « exigences » qu’on puisse lui adresser par ailleurs. Si elle se confirmait, une telle orientation constituerait d’ailleurs une rupture avec celle défendue par LO lors des précédentes élections présidentielles depuis 1988.

PT : nouvelle aggravation de la ligne républicaine-petite-bourgeoise et social-chauvine

Quant au PT, il se dirige de plus en plus clairement vers la présentation de son propre candidat… mais sans que ce soit officiellement son propre candidat, puisque ce serait un candidat qui se présenterait au nom du « Comité pour la reconquête de la démocratie », où le PT est hégémonique, mais qui ne repose pas lui-même sur un programme ouvrier. Ce faisant, le PT se prépare à réaliser un pas de plus dans sa fuite en avant dans la rupture avec toute perspective de classe et, par là même, vers sa propre dissolution politique en tant que parti ouvrier. Avec son orientation tout entière centrée sur la dénonciation de l’Union européenne et pour une prétendue « reconquête de la démocratie », non seulement le PT fait croire aux travailleurs que la « démocratie » existait avant la mise en place de l’Europe de Maastricht (au mépris de toute la tradition du communisme, qui a toujours dénoncé l’État bourgeois comme anti-démocratique), mais en outre il fait croire que le gouvernement français ne serait qu’une victime, certes consentante, de l’Union européenne et par là même, selon lui, des États-Unis. Le PT s’enfonce donc toujours davantage dans le social-chauvinisme consistant à substituer l’anti-américanisme démagogique à l’anti-capitalisme exigeant, à troquer le combat de classe pour une lutte démocratiste petite-bourgeoise et à détourner la colère des travailleurs vers la seule Commission européenne, protégeant ainsi objectivement le gouvernement.

C’est le sens de la délégation de cinq maires que le PT a organisée, au nom du Comité national pour la reconquête de la démocratie, au ministère de l’Intérieur : l’axe de cette délégation, reçue par un représentant de Sarkozy, a été de faire dire à celui-ci qu’il n’était qu’un exécutant de l’Union européenne… D’ailleurs, même de ce point de vue, la « démonstration » est plutôt ratée, quoiqu’en dise le PT, car le sarkozyste en question a revendiqué toutes les décisions du gouvernement comme des « choix » — ce en quoi il avait tout à fait raison : l’Union européenne n’« impose » au gouvernement français que ce qu’il choisit de se faire « imposer », et qui exprime en réalité non pas les intérêts des États-Unis, mais bien évidemment ceux du capitalisme français et de ses principaux alliés européens. Par cette délégation, le PT a montré également l’aggravation sans précédent de sa « méthodologie » petite-bourgeoise : au lieu de proposer ou même d’organiser lui-même une manifestation de travailleurs au gouvernement pour exiger telles ou telles revendications (il s’agissait en l’occurrence de défendre une école ici, un bureau de poste là, des prérogatives municipales, bref de défendre les services publics et des acquis démocratiques), le PT et ses amis proclament une poignée de maires policés « représentants » des travailleurs. À la mobilisation de classe, seule capable d’imposer la satisfaction des revendications ouvrières et démocratiques, est ainsi substituée un conception typiquement bourgeoise de la « représentation » : les « administrés » sont invités à rester bien sagement chez eux pendant que leurs « élus » s’occupent de leur sort dans un salon de ministère !

Dans ce cadre, l’éditorial de Daniel Gluckstein dans Informations ouvrières du 19 octobre annonce la décision du PT concernant la présidentielle en la présentant hypocritement comme une exigence qui viendrait d’« en bas », du « peuple » : il s’agit manifestement de faire avaler la couleuvre aux militants du PT, auxquels on demande de dissoudre leur parti, qu’ils croient ouvrier et socialiste, dans un ectoplasme « républicain ». Gluckstein se prononce pour « un candidat qui vienne d’en bas », « un candidat qui parlerait des préoccupations du peuple »… c’est-à-dire, figurez-vous… « un candidat des maires » ! Car « qui, mieux que les maires, peut se faire l’écho, le porte-parole, l’interprète de ce que sont les préoccupations de leurs administrés ? » Un pas de plus est donc franchi dans le révisionnisme lambertiste : le PT ne voit plus la moindre trace de classes sociales (dans la société française, il n’y aurait plus que des « administrés ») et va jusqu’à nous servir le plat indigeste du « maire providentiel » ! Il faut donc rappeler au PT le B-A-BA des principes du mouvement ouvrier : l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, leurs seuls « porte-parole » ne peuvent être les maires élus dans le cadre des institutions de l’État bourgeois (d’ailleurs pour la plupart de droite dans ce pays, comme le montre aussi bien la composition du Sénat que les élections à l’Association des maires de France) ; les porte-parole des prolétaires ne peuvent être que les délégués mandatés et révocables des organisations de classe qu’ils se donnent eux-mêmes (syndicats, partis, Assemblées générales, comités d’usine, soviets, etc.).

Le sectarisme d’organisation est le corollaire de cette orientation « œcuménique » interclassiste. Dans Informations ouvrières du 19 octobre, Pierre Lambert, dirigeant historique acariâtre du PT, écrit dans une petite note que « l’extrême gauche officielle ne met pas au centre de son activité la dénonciation de l’Union européenne », c’est-à-dire qu’il justifie d’emblée de ne pas envisager la moindre discussion avec LO et la LCR au nom de la ligne identitaire du PT. Et, pour justifier ce sectarisme, il se lance dans un « diagnostic » catastrophiste dont le PT a le secret pour essayer de faire accepter aux militants sa politique révisionniste : « Réinstaurer la démocratie, c’est préserver le pays de la guerre civile engagée sous l’égide de l’Europe de Maastricht. » Rien que ça ? Lambert a-t-il la mémoire qui flanche au point d’avoir oublié ce qu’est une guerre civile ? Il semble plutôt que, sous cette « analyse » tragiquement ridicule de la lutte de classe réelle, Lambert réitère son refus de toute perspective révolutionnaire… qui implique évidemment la perspective de la guerre civile entre les classes ! En prétendant que l’Union européenne fomenterait la « guerre civile » en soi, Lambert va jusqu’au bout de sa ligne de « défense nationale » de la France et de son État.

Certes, les références à la lutte de classe subsistent dans Informations ouvrières, même si elles sont de plus en plus rares, et généralement cantonnées aux rubriques concernant l’activité syndicale : il faut bien persuader les militants du PT, qui sont pour la plupart des dirigeants ou cadres syndicaux se réclamant de la lutte de classe, que la direction de leur parti défend toujours son programme officiel. Mais il est clair que la dérive du PT est en train de franchir un nouveau palier : s’il continue de se dissoudre dans la ligne de la « défense de la République une et indivisible » et de s’aligner derrière les « maires », c’est l’appartenance même du PT au mouvement ouvrier qui finira par disparaître complètement. Il faut espérer des militants lutte de classe du PT une réaction rapide et déterminée, s’ils veulent sauver leur propre organisation en tant qu’organisation ouvrière. Il est clair en tout cas que les militants lutte de classe, s’ils peuvent voter et faire voter pour les candidats de partis ouvriers de différents types (tout dépend de la situation, de considérations programmatiques, stratégiques et tactiques…), ne pourront en aucun cas voter et faire voter en 2007 pour un « candidat des maires », pour un candidat qui ne serait pas celui d’une organisation du mouvement ouvrier.

Pour l’unité anti-capitaliste, pour la popularisation d’un véritable programme anti-capitaliste, pour la clarification politique

Dans notre précédent numéro et dans un tract largement diffusé jusqu’à présent, le Groupe CRI a présenté et justifié sa campagne pour des candidatures anti-capitalistes unitaires rompant clairement avec le PS et la coalition « anti-libérale » qui lui sert d’aile gauche. Cela suppose notamment que les trois principales forces d’« extrême gauche », la LCR, LO et le PT, prennent leurs responsabilités en cessant de persister dans leurs choix électoraux respectifs actuels et en s’unissant, par delà leurs divergences et leurs contentieux historiques, sur la base d’un programme anti-capitaliste commun clair et conséquent.

Cette campagne rencontre une certaine sympathie auprès d’un certain nombre de militants de LO et de la LCR — plus rarement du PT (le sectarisme de l’organisation lambertiste et les calomnies de ses dirigeants sont tels que ses militants sont plus difficilement accessibles). Toutes les initiatives de travail commun avec des militants de LO et de la LCR, voire du PT, doivent être prises à chaque fois qu’elles sont possibles, malgré la pression des directions de ces organisations pour qu’elles ne le soient pas. Cependant, il est clair que, en ce qui concerne l’élection présidentielle, la ligne des trois organisations est en train de se pétrifier à une allure accélérée, chacune n’ayant en tête que sa propre stratégie de construction et son propre renforcement. C’est pourquoi les centaines de militants de ces organisations qui seraient partisans de l’unité croient peu en sa possibilité actuelle. Mais il n’en reste pas moins que des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes seraient intéressés, voire enthousiasmés, par une dynamique unitaire qui romprait clairement avec l’alternance droite/gauche plurielle.

La campagne pour l’unité anti-capitaliste aux élections présidentielle et législatives de 2007 doit donc se poursuivre comme une campagne de fond (popularisation d’un programme anti-capitaliste cohérent et conséquent, cf. la proposition du Groupe CRI ci-dessous) et de clarification (sur l’orientation et la nature des forces de gauche et d’extrême gauche). Car la question posée par l’attitude électorale des trois principales organisations d’« extrême gauche » ne peut être posée que comme l’un des aspect de leur attitude plus générale ; celle-ci se résume à leur incapacité à assumer leurs responsabilités historiques, plus de quinze ans après l’effondrement du stalinisme et alors que la crise générale du mouvement ouvrier rend plus que jamais possible la progression d’une orientation qui se présenterait comme une véritable alternative aux forces de la « gauche » traditionnelle. Or une telle orientation ne peut pas être celle de forces persistant dans le centrisme sclérosé, incapables de rompre le cordon ombilical qui fait d’elles, quelles que soient par ailleurs leurs qualités sur tels ou tels points, des flancs-gardes des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier (notamment des directions syndicales et du PCF). Une telle orientation ne peut être que celle du communisme révolutionnaire, non pas en suivant des considérations abstraites, à la façon des gauchistes de tout poil, mais en se concrétisant sous la forme d’un programme anti-capitaliste conséquent et cohérent, qui débouche sur la perspective du gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes. S’il est vrai que cette perspective est la seule qui corresponde aux intérêts réels du prolétariat et de la jeunesse, aucune considération de soi-disant « réalisme » ou « pragmatisme » ne peut cacher la nécessité de la défendre de manière claire et systématique en toutes circonstances — et tout particulièrement lorsque l’approche d’échéances électorales importantes suscite la curiosité de larges masses envers les propositions des uns et des autres.

Propositions du Groupe CRI pour un programme anti-capitaliste commun, cohérent et conséquent

Nous republions la proposition du Groupe CRI pour un programme anti-capitaliste telle qu’elle a été formulée dans le tract, largement diffusé en octobre auprès des militants de ces organisations, des travailleurs et des jeunes, appelant la LCR, LO et le PT à s’unir pour une campagne électorale commune.

Une coalition réellement anti-capitaliste utiliserait la campagne électorale pour faire connaître massivement la perspective d’une rupture avec le capitalisme et d’une véritable alternative gouvernementale. Son programme pourrait par exemple se concentrer sur une douzaine de revendications cohérentes et conséquentes, répondant aux aspirations de la majorité… et que l’on trouve pour la plupart sous une forme ou sous une autre, à un moment ou à un autre de l’actualité, dans les programmes d’action, les journaux et les tracts de la LCR, de LO et du PT :

• Interdiction des licenciements collectifs et luttes communes immédiates pour aider les travailleurs à faire échec aux plans de licenciements par les méthodes de la lutte de classe (grèves, manifestations, solidarité matérielle avec les grévistes, occupation des entreprises…).

• Interdiction de la précarité : suppression du CNE et de toutes les lois de droite et « de gauche » qui l’ont instaurée depuis vingt-cinq ans, transformation de tous les contrats précaires en CDI ou postes de fonctionnaires selon les cas.

• Baisse générale du temps de travail pour embaucher les chômeurs et mettre fin à la précarité, sans perte de salaire, sans annualisation et sans flexibilité (abrogation des dispositions des lois Aubry sur ces points).

• Ouverture des postes à tous les concours dans les trois Fonctions publiques à hauteur des besoins.

• Augmentation générale des bas et moyens salaires, le SMIC à 1500 euros nets tout de suite, non au « salaire au mérite », échelle mobile des salaires contre l’inflation.

• Abrogation des lois Balladur et Fillon sur les retraites : retour aux 37,5 annuités pour tous, baisse de l’âge de la retraite, prise en compte intégrale des années d’études, de formation, de précarité et de chômage.

• Défense de la Sécurité sociale : non aux déremboursements, suppression des exonérations de cotisations patronales, augmentation de ces cotisations patronales à hauteur des besoins, pour le remboursement à 100 % de tous les soins et médicaments pour les assurés sociaux.

• Arrêt des attaques contre les immigrés : arrêt des expulsions, régularisation de tous les sans-papiers avec la carte de séjour de 10 ans, retrait de la loi CESEDA et de toutes les lois anti-immigrés de droite et de gauche, fermeture des centres de rétention, facilitation des procédures de naturalisation pour ceux qui le souhaitent, défense du droit d’asile.

• Retrait des réformes Fillon et Allègre-Lang contre l’école publique, de la réforme Lang contre les diplômes universitaires (LMD), etc., création des postes d’enseignants, de chercheurs et de personnels nécessaires.

• Retrait des projets de privatisation (GDF, aéroports de Paris, Poste…) et renationalisation sous le contrôle des travailleurs des entreprises privatisées, défense et développement des services publics utiles à la population (hôpitaux, écoles, poste, transports, etc.).

• Droit au logement : non aux expulsions, réquisition des logements vacants, construction massive et obligatoire de logements sociaux, réfection des logements délabrés, plafonnement des loyers.

Retrait des troupes françaises de tous les pays où elles interviennent, pas un homme, pas un sou pour les opérations impérialistes (Afghanistan, Liban, Côte d’Ivoire, etc.).

Mais ces exigences n’ont de sens que si les conditions de leur satisfaction sont indiquées clairement aux travailleurs : au cours de la campagne électorale, il faudrait dire clairement qu’elles sont directement et frontalement anti-capitalistes car elles impliquent des mesures de confiscation immédiate d’au moins une partie des pouvoirs et des profits des capitalistes. Il faudrait par conséquent dire clairement que la seule façon de les imposer est la mobilisation des travailleurs eux-mêmes, leur lutte de classe la plus résolue, incluant notamment l’exigence de contrôle des travailleurs sur les comptes des entreprises et le recours à l’arme de la grève, jusqu’à la grève générale. En s’appuyant ainsi sur les luttes des travailleurs, un gouvernement réellement anti-capitaliste serait capable de commencer à mettre en œuvre une véritable rupture avec toute la politique des gouvernements de droite et de gauche, avec le système politico-institutionnel de la Ve République et de l’Union européenne. Il s’agirait nécessairement d’un gouvernement au service des travailleurs, qui serait contrôlé par eux à tous les niveaux, avec des élus mandatés, révocables et rémunérés au niveau du salaire moyen.

Avec ce programme, cet objectif gouvernemental et un discours franc et clair, une véritable alliance anti-capitaliste permettrait indéniablement d’ « aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat » (Léon Trotsky, Programme de transition de la IVe Internationale).


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