Le CRI des Travailleurs
n°24
(novembre-décembre 2006)

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Comment les patrons profitent du chômage des jeunes :
Le marché juteux de la prétendue « insertion »


Auteur(s) :Wilbur Schaeffer
Date :17 novembre 2006
Mot(s)-clé(s) :France, société
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Le taux de chômage des jeunes actifs est aujourd’hui à 22,3 % (soit 8,2 % de l’ensemble des jeunes). Dans le cadre du plan gouvernemental visant à multiplier les contrats en alternance, l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes) s’est vu confier au printemps 2006 le pilotage de l’action « 50 000 jeunes ». La finalité officielle de ce programme, qui a pour nom de code  « Préparation et accompagnement au contrat en alternance », est d’octroyer à des jeunes âgés de 18 à 26 ans sans qualification un contrat de professionnalisation ou un contrat d’apprentissage. En fait, il vise à généraliser la précarité des jeunes actifs, tout en permettant aux patrons de s’engraisser doublement : par le travail des jeunes qu’ils exploitent et par l’argent qu’ils touchent en échange de leur prétendue activité de « formation ».

 

« Associations d’insertion »… au service des patrons

Soit l’AFPA assure elle-même cette formation en bon exécutant des directives gouvernementales et notamment du « plan de cohésion sociale », soit elle fait appel à des partenaires. L’AFPA lance un appel d’offre, en direction d’associations « intermédiaires d’insertion ». Ces associations, pour la plupart patronales ou privées, proposent un projet. Associations de type « loi 1901 », elles seront donc financées par l’AFPA qui leur sous-traite ce projet. Dans tel cas concret porté à notre connaissance, le projet retenu consiste en 315 heures de « formation », qui se répartissent en fait en périodes de travail en entreprise et périodes de formation proprement dites. Coût par stagiaire : 6 € par heure, soit 1 860 € par personne. Au final, 24 jeunes passeront par ce dispositif, soit une somme de 44 000 € empochée par l’association. En l’occurrence, l’association d’insertion qui pilote ce projet est présidée par un des responsables de l’AFPI (Association pour la Formation Professionnelle Industrie) départementale, organisme de formation de la Chambre des métiers (Chambre consulaire, financée par les entreprises et pilotée par le patronat — CGPME et MEDEF) et dirigée par la femme de ce responsable de l’AFPI, elle-même au MEDEF. De manière générale, l’ensemble de l’alternance en France est aux mains des chambres consulaires (Chambres des Métiers, Chambres du Commerce et de l’Industrie et Chambres de l’Agriculture). Ces chambres consulaires sont des organismes publics et sont financées partiellement par la taxe professionnelle des entreprises. Mais aujourd’hui, l’élément nouveau dans la formation en alternance, c’est l’apparition de ces associations d’insertion qui, sous couvert de la loi 1901, font du maquignonnage en toute impunité !

De plus, puisqu’il s’agit d’une formation initiale AFPA, pendant tout le temps de la formation, les jeunes ne sont plus inscrits en tant que demandeurs d’emplois s’ils l’étaient initialement. Dans le cas concret évoqué précédemment, ils touchent une rémunération de 130 euros par mois pour les mineurs et environ 300 euros pour les majeurs. Cette rémunération est prise en charge par le CNASEA (Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles, établissement public dépendant du ministère de l’Agriculture et de la Pêche et du ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement). Le double objectif non avoué est donc en fait de sortir des listes de demandeurs d’emplois un certain nombre de jeunes tous les mois et de faire tourner la machine de l’alternance à plein régime.

Ce dispositif est de plus complètement déconnecté du calendrier des inscriptions dans les véritables centres de formation d’apprentis (CFA), puisque celles-ci se font en septembre alors que les stages peuvent commencer à n’importe quelle date. Dans notre exemple, un contrat de professionnalisation débute en octobre ; neuf semaines plus tard, le jeune est lâché dans la nature et doit attendre l’année suivante pour éventuellement s’inscrire en apprentissage et donc mettre sur pied le projet professionnel sur lequel il aura planché pendant neuf semaines. En attendant, tous les organismes auront bien vécu avec l’argent public !

Pseudo-formation… et vraie exploitation

Si, sur le papier, le but de ce type de « formations » est d’envisager tout type de formation par alternance (y compris l’apprentissage garantissant au moins une formation et un diplôme d’État), en fait, il est essentiellement question de préparer à un « contrat de professionnalisation » (qui dure entre six et vingt-quatre mois) (1). Or il n’y a ni diplôme, ni qualification pour sanctionner ce contrat, mais seulement un « certificat ». La formation, peut même être dispensée « par l’entreprise elle-même si elle dispose d’un service de formation ». Elle ne peut en tout durer qu’entre « 15 % et 25 % de la durée totale du contrat à durée déterminée, sans pouvoir être inférieure à 150 heures, ou de l’action de professionnalisation d’un contrat à durée indéterminée ». Ce qui revient, dans la plupart des cas, à une « formation » au rabais. En revanche, le « bénéficiaire » peut être exploité pendant une période qui peut aller jusqu’à 24 mois ! Quand il est âgé de moins de 21 ans, il touche 55 % du SMIC s’il n’a pas de qualification, 65 % s’il détient un bac professionnel ou un titre ou diplôme de même niveau ; quand il est âgé de 21 à 25 ans, il touche 70 % ou 80 % du SMIC selon les cas ; quand il est âgé de 26 ans et plus, il perçoit une rémunération qui ne peut être inférieure ni au SMIC ni à 85 % du salaire minimum conventionnel. Quant à l’employeur, il est « exonéré de cotisations patronales de sécurité sociale […] lorsque le contrat est conclu avec un jeune de moins de 26 ans ou un demandeur d’emploi de 45 ans ou plus ».

En un mot, les « formations » AFPA sous-traitées à des « associations d’insertion » proposent aux jeunes d’entrer dans la vie active par « la grande porte » ! Et de devenir de la main-d’œuvre sous-qualifiée, sous-payée, sans autre horizon que celui de la pire exploitation.

Il n’est dès lors pas étonnant que les structures d’insertion soient si nombreuses : elles sont extrêmement utiles au patronat. Mais on doit également se demander pourquoi autant de jeunes sont sortis de tout cursus scolaire et pourquoi ils se retrouvent pris dans la jungle de ces dispositifs. Est-ce la fatalité ou est-ce la faute de l’Éducation nationale ? Si l’on écoute les chambres consulaires, les associations d’insertion, les AFPA et autres organismes, la réponse est évidemment : haro sur l’Éducation Nationale ! Et pourtant, si l’on se place sous l’angle de la logique capitaliste et libérale du gouvernement, il n’en est rien. Seule la volonté du patronat d’engendrer une nouvelle génération d’exploités, corvéables à merci, sans instruction doit être prise en compte. Les 50 000 jeunes confiés à l’AFPA sont parfaitement identifiés par l’ANPE et les missions locales, cadrés, suivis. Le vivier est disponible : les acteurs de l’ « insertion » peuvent se servir et y puiser allègrement.

Rescolarisation… et syndicalisation

Contre cette politique, il faut revendiquer que ces jeunes soient re-scolarisés. Il faut les réinscrire dans un processus scolaire, débouchant sur de vraies qualifications reconnues par de vrais diplômes, plutôt que de les livrer au patronat.

À ce rythme-là, la classe ouvrière, déjà exsangue en matière de représentants politiquement conscients, se retrouvera totalement incapable de réagir face à un patronat toujours plus agressif et dominant.

Toute cette frange la plus exploitée, que l’on fait semblant d’insérer par le travail est, de plus, complètement tenue à l’écart des syndicats. Syndicats qui ne sont jamais présents, sur aucun dispositif d’insertion. Pourquoi ? Cette main-d’œuvre surexploitée, corvéable à merci n’est-elle pas digne d’être prise en charge par les syndicats ?

Certes, les enseignants, les formateurs, le personnel administratif des organismes de formation (AFPA, CFA, GRETA et autres CCI, ainsi que l’ANPE) sont majoritairement syndiqués, mais les jeunes dont ils s’occupent, le sont-ils ? Non, bien sûr, mais qui s’en inquiète ?

Quant aux associations « intermédiaires d’insertion », leurs formateurs, éducateurs et autres intervenants ne sont pas davantage syndiqués ; toutes de petite taille, ces structures échappent à toute organisation syndicale. Elles sont même hors conventions collectives. Tenues pour partie par des représentants du patronat, elles appliquent les directives gouvernementales à travers les missions qui leurs sont confiées par les institutions.

Que font donc les syndicats ouvriers pour remédier à cette question de l’isolement de toute cette jeunesse prolétarienne ? Ils doivent être mis face à leur responsabilité : il est temps qu’ils fassent entendre leur voix pour dénoncer ce qui s’apparente à la fois à une arme redoutable pour torpiller l’Éducation nationale et à une surexploitation des jeunes les moins formés, sans droits.


1) Les citations données ici sont extraites du document décrivant ce type de contrat sur le site du ministère du travail : http://www.travail.gouv.fr/informations-pratiques/fiches-pratiques/contrats-travail/contrat-professionnalisation-992.html


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