Le CRI des Travailleurs
n°25
(janvier-février 2007)

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Pour le droit effectif au logement


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :18 janvier 2007
Mot(s)-clé(s) :société
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Alors que 700 000 personnes en France n’ont pas de domicile pérenne, et que plus encore sont étranglées par des loyers ou des traites trop élevés, et ce dans l’indifférence générale des politiciens bourgeois depuis des années, il n’a suffi que de quelques semaines d’installation de tentes le long du canal Saint-Martin pour que tout le monde prétende prendre ce problème au sérieux. Le gouvernement, à la suite des voeux de Chirac, a annoncé une loi affirmant donner un caractère effectif au droit constitutionnel au logement. De la part d’un gouvernement qui, comme ses prédécesseurs, a multiplié les attaques contre les travailleurs et les classes pauvres, c’est pour le moins étonnant...

Depuis des années, le sort des personnes privées de logement est exclusivement l’apanage du milieu associatif, qu’il soit purement caritatif ou plus combatif, comme l’association Droit au Logement, qui organise elle-même des occupations-réquisitions de logements vacants. Sans que l’on puisse mettre en cause en général la sincérité de ceux qui animent ces associations, celles-ci ne constituent qu’un cache-sexe de la misère engendrée par le système capitaliste, en l’occurrence du rejet vers la rue de centaines de milliers de personnes (1). Plus fondamentalement, l’isolement de ce combat, qui n’est pas imputable aux associations, est la source même de son impuissance. La situation des sans-abri ne constitue en effet que l’aspect le plus dramatique de la difficulté, pour des millions de travailleurs, de trouver un logement correct à un prix abordable. De fait, ce sont désormais 1,4 million de personnes qui sont en attente d’un logement social, auxquels il faut ajouter ceux qui n’en font pas la demande parce qu’ils n’en ont pas le droit, comme les sans-papiers. Plus grand encore est le nombre des mal-logés, c’est-à-dire de tous ceux qui vivent dans un logement insalubre ou trop petit pour les besoins de la famille (2), et de ceux dont le pouvoir d’achat est ruiné par des loyers exorbitants (3). Pour tous, la situation des sans-abri est l’épée de Damoclès dont les menacent les classes possédantes, à travers la crainte de l’expulsion ou d’un licenciement qui conduirait rapidement à la perte du logement.

Le combat pour le droit au logement est donc un combat d’ensemble de la classe ouvrière, de ceux qui travaillent sans toujours pouvoir se loger correctement comme de ceux qui sont privés d’emploi. Il appartient donc aux organisations ouvrières, en particulier aux confédérations syndicales, d’organiser ce combat et de lui donner sa signification politique, en montrant la responsabilité écrasante du gouvernement dans cette situation.

La responsabilité du gouvernement

Alors que la loi sur le logement de 1989 affirmait que la possibilité pour tous de se loger décemment passait par le « maintien et [le] développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales », jamais l’État n’a été garant de ce droit au logement. Au contraire, la politique qui prévaut depuis des années est celle d’une privatisation du logement social, de son bradage aux appétits spéculatifs du privé. Ces logements disparaissent alors de l’offre du logement social avec la diminution constante du parc social privé. Or le parc public est notoirement insuffisant pour satisfaire les demandes, avec une offre de logement social qui stagne à 17 % du parc total et le scandale des maires qui préfèrent payer une taxe dérisoire plutôt que de satisfaire à l’obligation, toute théorique, de construction de logements sociaux.

Le budget de l’État affecté à la construction est lui aussi insuffisant face aux besoins. Les chiffres du ministère eux-mêmes parlent d’un déficit de 40 000 constructions de logements par an de 2000 à 2002. La publicité faite par le gouvernement autour du plan Borloo ne peut masquer que le faible budget disponible n’est pas utilisé pour la construction de logements nécessaires, mais au contraire pour leur destruction, sous prétexte d’une réhabilitation qui, dans les conditions actuelles, se traduit en fait par l’aggravation de la pénurie.

D’autre part, il existe également des logements qui pourraient être utilisés pour les familles qui en ont besoin. On dénombre environ 2 millions de logements vacants en France. À Paris, où le problème est le plus criant, 10 % des logements sont vides. Mais le gouvernement refuse d’appliquer la loi progressiste de 1945 lui permettant de réquisitionner les logements vacants (4). C’est la question de la propriété qui est posée : les gouvernements successifs, en refusant de s’en prendre à la sacro-sainte propriété privée, que ce soit celle des moyens des productions ou celle des logements, donnent le feu vert aux classes possédantes pour continuer à parasiter et déposséder les classes laborieuses. Et cette question des logements vacants se répercute sur tous : en entretenant la spéculation sur les habitations, comme sur les prix des terrains à construire, les promoteurs font peser de plus en plus lourdement le coût du logement sur tous les locataires et sur ceux qui doivent s’endetter pour des dizaines d’années s’ils veulent devenir propriétaires. Le gouvernement, en restant dans sa logique du respect de la propriété privée, et donc en refusant d’instituer un plafonnement des loyers, est complice de ce véritable racket : ainsi Borloo déclarait-il encore en décembre dernier, en réponse à une rencontre avec l’association Jeudi-Noir, qu’il ne fallait pas toucher à la « loi d’équilibre » de 1989 entre les locataires et les propriétaires… « équilibre » qui a vu le prix des loyers doubler en dix ans !

Gesticulations autour de mesures cosmétiques

En contradiction avec le silence habituel qui entoure les revendications et les actions des associations défendant les sans-abri, les médias bourgeois ont donné un fort écho à l’initiative de l’association Les Enfants de Don Quichotte, consistant à planter des tentes le long du canal Saint-Martin à Paris, puis dans les villes de province, pour y faire cohabiter des « SDF » et des personnes ayant un logement. La « Charte du canal Saint Martin », qui est la base de ce mouvement, a elle aussi reçu un fort écho, en particulier chez les politiciens bourgeois. Ainsi, du PS à l’UMP, après avoir donné tous les gages à la bourgeoisie que le futur gouvernement continuerait à servir loyalement ses intérêts, il était temps de se tourner vers les classes populaires : pour les besoins de la campagne électorale, il faut bien faire semblant de partager leurs préoccupations. Signer une telle charte, tout en sachant bien sûr qu’on ne l’appliquera en rien, est facile. Elle comporte d’ailleurs de graves insuffisances, comme l’absence de la revendication du blocage des loyers ou encore le fait que la revendication de la réquisition des logements vides ne soit pas une revendication centrale. Cependant, elle comporte aussi des éléments importants, comme l’humanisation de l’accueil d’urgence (qui, malgré les efforts des travailleurs sociaux, souffre cruellement d’un manque de moyens et de sévères limitations d’accès), l’augmentation de l’offre de logements temporaires (évoquant la réquisition des logements vides, ainsi que l’utilisation des logements voués à la destruction), leur plus grande accessibilité aux ménages pauvres et enfin le « droit au logement opposable ».

Il est certain que la plupart des points de cette charte resteront lettre morte, dans la mesure où ils s’opposent à la politique de rigueur budgétaire des gouvernements, voire au principe de la propriété en ce qui concerne la réquisition. Toutefois, Chirac dans ses traditionnels vœux, puis Villepin annonçant le dépôt d’un projet de loi, se sont saisis de la question du droit au logement opposable. Cette revendication de longue date des associations qui défendent les sans-abri vise, dans l’esprit de celles-ci et dans son acception usuelle, à rendre effectif le droit au logement, dans l’idée qu’il ne reste plus un beau principe institutionnel (comme le droit au travail...), mais que l’État puisse être mis devant ses responsabilités et forcé, via un recours en justice, à fournir réellement un logement à ceux qui en ont besoin. Un véritable droit au logement opposable serait donc progressiste s’il pouvait réellement être mis en œuvre ; mais cela ne saurait être le cas pour nombre de sans-logis et de mal-logés qui n’ont par les moyens de faire face aux frais et à la complexité d’une action en justice. En tout cas, pour le gouvernement, le pseudo-ralliement à cette revendication ressemble plus à une aubaine : d’après les déclarations de Villepin, un projet de loi sur le droit au logement opposable était en préparation depuis plus d’un an, sur proposition du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées (5). Et les projets de loi qui sont rendus publics jusqu’à présent confirment bien sûr les doutes que l’on peut avoir : le texte entretient le flou sur les possibles bénéficiaires de ce droit opposable, laissant cela à l’appréciation du juge, auquel on laisse même le soin d’apprécier si la personne est responsable de se retrouver à la rue ; ce droit ne vaudrait que pour les personnes en situation régulière installées durablement sur le territoire, alors que les sans-papiers sont encore plus touchés que les autres par le manque de logements ; aucun délai n’est fixé dans le traitement du dossier ; une « solution » de logements dans des centres temporaires est envisagée quand la collectivité locale ne dispose pas des logements nécessaires...

Pourtant, les dirigeants de l’association des Enfants de Don Quichotte ont cru déceler « un vrai esprit de consensus politique et associatif » sur le droit au logement opposable, conduisant « à une sortie de crise immédiate ». Cela leur a suffi pour appeler à lever les campements, sachant que les premières victimes de cet appel sont ceux qui, dans plusieurs villes de province, poursuivent leur action : isolés par les déclarations des dirigeants des Enfants de Don Quichotte, ils subissent de plein fouet la répression des forces de l’ordre. Les dirigeants de cette association ad hoc participent ainsi à l’entreprise du gouvernement consistant à centrer le problème du logement sur la question du droit opposable ; ce faisant, ils mettent de côté celle, incomparablement plus importante, de la réquisition (6). De plus, ils sèment la confusion entre véritable logement et hébergement d’urgence (7). Enfin, ils participent à des rencontres de travail avec Borloo et au comité de suivi mis en place par le gouvernement, sans dénoncer sa politique de destruction de logements et en acceptant de cogérer la misère. Les dirigeants des Enfants de Don Quichotte ont donc trahi les SDF et rendu un fier service au gouvernement.

C’est aux organisations ouvrières de mener le combat pour le droit au logement effectif

Le véritable droit au logement opposable, c’est-à-dire effectif, est condamné à rester une fiction tant que l’État ne se donnera pas les moyens de le faire appliquer, en particulier par le droit de réquisition. Dans la mesure où ce principe heurte celui de la propriété privée, il s’agit d’un combat de la classe ouvrière. Ce combat ne sera mené ni par les dirigeants des Enfants de Don Quichotte, ni par les associations caritatives comme Emmaüs qui pallient les manquements de l’État sans remettre en cause l’ordre bourgeois.

C’est pourquoi les organisations du mouvement ouvrier doivent donner un caractère unifiant aux revendications sur le logement, qui concernent la grande majorité des travailleurs et pas seulement les plus précaires d’entre eux, et montrer la responsabilité du gouvernement. Elles doivent en outre coorganiser avec les associations combatives (comme Droit au logement) des actions visant à imposer immédiatement le droit au logement, comme les occupations de logements vides (8). Et, pour commencer à mobiliser massivement les travailleurs pour le droit au logement, il faut se battre dans les organisations du mouvement ouvrier pour qu’elles convoquent une MANIFESTATION NATIONALE pour exiger et imposer :

• Réquisition des logements vacants, et transformations des locaux vides en logements ;

• Arrêt de la destruction des logements sociaux, véritable réhabilitation des cités populaires sans augmentation des loyers ;

• Construction massive et contraignante de logements sociaux de bonne qualité, avec des moyens à la hauteur des besoins ;

• Renationalisation du logement social avec expropriation sans indemnités des promoteurs privés et instauration du contrôle des locataires sur la gestion et toutes les décisions ;

Diminution et blocage des loyers, plafonnement fixé par l’État ;

• Moratoire sur le paiement des loyers ou le remboursement des prêts immobiliers quand les familles ne peuvent plus payer.


1) Pour une analyse précise de la fonction des associations caritatives, voir l’article de Laura Fonteyn, « Charité, “humanitaire” et “ONG” : des piliers décisifs pour le capitalisme » paru dans Le CRI des travailleurs n° 17, mars-avril 2005.

2) Selon l’INSEE, 2,6 % des logements ne satisfont pas aux normes de confort et 10,2 % sont suroccupés.

3) Ou des traites dues aux banques pour ceux qui ont pris au mot la campagne d’« accession à la propriété » du gouvernement.

4) Sans parler de la taxe dérisoire sur les logements vides, qui a rapporté en 2006 20 millions d’euros, soit dix euros par logement vacant !

5) Cet organisme, créé en 1992, servait jusque là essentiellement de décoration.

6) Lors d’un passage à la télévision (Arrêt sur images sur France 5, le 14 janvier), le cofondateur de l’association, Jean-Baptiste Legrand, a ainsi déclaré : « On a obtenu des vraies avancées (…) On a obtenu sur tous les points de la charte des satisfactions ; alors après il y a des détails comme la loi de réquisition effectivement qui ne sera pas mise en œuvre aujourd’hui. » (Nous soulignons.)

7) « Il faut que chaque personne dans nos camps et dans les camps en province aussi soit relogée dans des conditions dignes de relogement ou d’hébergement » (idem, nous soulignons).

8) Quant à l’idée de « grève des loyers » avancée par l’association Jeudi-Noir, elle est intéressante dans la mesure où elle s’en prend directement à la propriété privée. Elle aurait l’avantage de créer un rapport de force collectif entre les locataires d’un côté et les propriétaires et l’Etat qui défend leurs intérêts de l’autre. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une innovation, puisque de telles « grèves » ont eu lieu par le passé, surtout dans des foyers d’immigrés de 1975 à 1980 (voir l’article très complet et intéressant http://www.gisti.org/doc/plein-droit/53-54/lutte.html). Cependant, dans les conditions actuelles, elle constitue un envoi au casse-pipe individuel tant qu’elle est lancée par une association isolée. Il va de soi que, si une « grève des loyers » se déclenchait spontanément aujourd’hui, il serait de la responsabilité des organisations du mouvement ouvrier de lui venir en aide, notamment en prenant position publiquement, en organisant la solidarité à travers des manifestations, en protégeant physiquement les grévistes contre les descentes de police et d’huissiers. Cependant, pour obtenir des concessions significatives au niveau national, la « grève des loyers » ne saurait être locale et spontanée, mais nécessairement organisée et nationale, mobilisant des millions de travailleurs pour imposer des concessions majeures à l’État et l’empêcher de recourir à la répression… En un mot, ce devrait être une « grève générale des loyers ». C’est pourquoi, si l’on veut que cette perspective soit à l’ordre du jour à l’avenir, il faut la populariser, la soumettre à la discussion non seulement dans les associations de locataires, mais aussi dans les organisations ouvrières, notamment syndicales, qui seraient seules à même de l’impulser et de l’organiser si elles en avaient la volonté politique.


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