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Le CRI des Travailleurs n°20     << Article précédent | Article suivant >>

La violence de la jeunesse populaire répond à la violence du capitalisme et de son État :
Il lui faut un programme et un parti révolutionnaires !


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :14 novembre 2005
Mot(s)-clé(s) :France, banlieues
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Alors que les dirigeants du mouvement ouvrier officiel faisaient tout leur possible, depuis le triomphe du Non ouvrier et populaire au référendum du 29 mai, pour empêcher l’explosion sociale (cf. nos deux articles précédents), celle-ci a éclaté là où on ne l’attendait pas, sous la forme d’une révolte spontanée et massive de la jeunesse populaire, notamment d’origine immigrée. Cet embrasement des banlieues, qui couvait depuis les déclarations odieuses et les provocations du ministre de l’Intérieur, a commencé le 27 octobre, suite à la mort de deux jeunes collégiens réfugiés dans un transformateur électrique, alors qu’ils étaient poursuivis par la police, à Clichy-sous-Bois. Les mensonges de la police et du gouvernement, le jet d’une bombe lacrymogène devant une mosquée et les insultes ignobles de la police contre les femmes qui en sont sorties, ont accéléré et approfondi l’explosion de colère spontanée et massive de la jeunesse populaire, mais aussi de bien d’autres habitants des banlieues. La révolte s’est finalement répandue comme une traînée de poudre à travers tout le pays, sortant de leur torpeur des pans entiers de la population, et semant la panique au sommet de l’État, obligé de décréter l’état d’urgence par le recours à une loi coloniale de 1955 pour essayer de rétablir l’ordre bourgeois.

On assiste manifestement ici à l’un de ces brusques bouleversements de la situation dont l’Histoire a le secret : quelles que soient les suites immédiates de cette irruption spontanée et spectaculaire de la jeunesse populaire sur le devant de la scène sociale et politique, la question de la résistance contre les coups du capital et de son État, la question de la riposte sociale et politique, et en dernière instance la question de la révolution elle-même, ne se poseront plus comme avant. En même temps, comme tous les grands événements de la lutte de classe, cette révolte de la jeunesse populaire révèle dans toute son ampleur, plus encore que la politique quotidienne, largement routinière, des uns et des autres, la véritable béance qui sépare les positions des organisations réformistes — suivies ou couvertes dans une large mesure par leurs flancs-gardes d’extrême gauche —, d’une part, et celles des véritables révolutionnaires, de l’autre.

Une révolte légitime contre le capitalisme et son État

Chirac et son gouvernement — uni comme un seul homme sur ce point — répondent à la révolte de la jeunesse populaire en franchissant un seuil décisif dans leur logique de répression : ils instaurent l’état d’urgence pour restreindre les libertés démocratiques, révélant le vrai visage de la prétendue « République démocratique » bourgeoise ; et ils déploient un impressionnant dispositif policier et judiciaire, avec des milliers d’hommes en armes quadrillant les quartiers, des milliers d’arrestations, des centaines de comparutions immédiates et de condamnations, le plus souvent sur la base des seules paroles des policiers assermentés. D’un autre côté, ils annoncent une nouvelle attaque contre le Code du travail, avec l’envoi en « apprentissage » des jeunes de 14 ans : cela revient à la fois à augmenter encore le chômage, à accroître le « taux d’emploi » de la population (parallèlement aux mesures visant à remettre les « seniors » sur le marché du travail) (1), à fournir une main-d’œuvre corvéable au patronat et à briser les acquis partiels du combat pour l’instruction générale et professionnelle jusqu’à 16 ans. Le gouvernement annonce aussi un plus grand nombre de bourses au mérite, pour opposer les « bons » et les « mauvais » jeunes, au lieu de donner à tous ceux qui en ont besoin les moyens matériels de suivre leur scolarité. Enfin, l’annonce de 100 millions pour des associations officielles participe en fait de la privatisation des services publics, dont les missions sont de plus en plus transférées au privé, qu’il soit mercantile ou « bénévole », avec tout ce que cela implique en termes de discriminations et de manque de compétences.

En bons chiens de garde de l’État bourgeois, les principaux médias, les responsables politiques de tous bords et leurs acolytes imams auxquels les précédents font appel pour encadrer cette jeunesse, condamnent unanimement les « violences ». Ils font croire à la population que l’essence de la révolte en cours consisterait dans les quelques actes odieux commis dans son sillage par d’authentiques voyous. En insistant complaisamment sur ces actes peu nombreux perpétrés contre des conducteurs de bus ou de simples passants, en particulier contre une handicapée et une femme portant son nourrisson, les médias ne nous abreuvent pas seulement du « spectaculaire » dont ils sont toujours si friands pour faire monter leur audience : ils préparent en outre l’ « opinion publique » à accepter, voire à demander, la répression la plus dure de la révolte des jeunes, présentés comme des hordes de barbares.

En même temps, ne serait-ce que pour contribuer à leur façon au retour au calme, de nombreux journalistes sont bien obligés de s’interroger, quoique de manière souvent superficielle, sur les causes profondes de cette révolte : ils font mine de découvrir l’exclusion, les discriminations, le chômage de masse et l’absence d’avenir qui frappent massivement les habitants des banlieues populaires, tout particulièrement ceux qui sont issus de l’immigration. De fait, contrairement à ce que prétendent les organisations de gauche, ce n’est évidemment pas Sarkozy qui a causé la révolte des banlieues : celle-ci aurait de toutes façons éclaté tôt ou tard. Et, contrairement à ce qu’affirme de leur côté la plupart des organisations d’extrême gauche, ce n’est pas non plus la seule politique des gouvernements de droite et de gauche qui se succèdent à la tête de l’État depuis vingt-cinq ans : cette politique n’est elle-même que la manifestation évidente de mécanismes socio-économiques beaucoup plus profonds, qui sont inhérents au capitalisme et exacerbés par la phase actuelle, « mondialisée », de celui-ci.

Rappelons donc simplement ici que le chômage de masse — globalement inévitable dans le cadre du système capitaliste — touche officiellement (soit en réalité beaucoup plus) 10 % de la population, mais 40 % des personnes originaires du Maghreb et de l’Afrique noire. Le chômage des jeunes de moins de 29 ans frappe 16 % des Français de naissance, mais 26 % des étrangers, et il atteint des taux deux fois supérieurs dans bien des villes de banlieue. Rappelons aussi que, dans le cadre de l’école bourgeoise, au-delà de la prétendue « égalité républicaine », seuls 53 % des enfants d’ouvriers  réalisent au collège un cycle complet sans redoublement, contre 80 % des enfants de cadres et d’enseignants ; 42 % des premiers accèdent à un second cycle général ou technologique contre 90 % pour les seconds ; moins de 25 % des jeunes dont les parents sont ouvriers ou employés peu qualifiés décrochent un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 80 % des jeunes dont les parents sont cadres, enseignants ou membres de professions libérales. De plus, les jeunes des cités, notamment ceux qui sont d’origine immigrée, sont tous les jours victimes des discriminations, du racisme, des contrôles au faciès, de la chasse aux sans-papiers et des peines judiciaires les plus lourdes en cas de délits (2). C’est évidemment dans le contexte de toute cette violence économique, sociale et étatique qu’il faut replacer la révolte de la jeunesse populaire : de ce point de vue, l’explosion de violence de la jeunesse populaire, pour spectaculaire qu’elle soit, n’est rien par rapport à la violence du capitalisme et de son État, qui pourrit la vie des gens au quotidien. D’ailleurs, non seulement il y a eu d’autres révoltes de jeunes par le passé, mais surtout il y en aura d’autres, beaucoup plus violentes encore, et pas seulement de la part des jeunes : un peu plus tôt, un peu plus tard, l’exploitation, l’oppression et les contradictions fondamentales sur lesquelles repose le système capitaliste conduiront inévitablement à des luttes de classes de plus en plus dures, auxquels il faut donc se préparer.

Effrayés par la révolte populaire, les réformistes avoués ou cachés montrent dans toute sa hideur leur visage de valets de l’ordre bourgeois : ils pleurnichent sur les « violences », ils appellent au « calme » et ils se posent comme donneurs de leçons à l’égard d’une jeunesse qu’ils n’ont pourtant jamais fait le moindre effort pour organiser. Contre tous ces bourgeois et petits-bourgeois, les communistes révolutionnaires doivent d’abord proclamer haut et fort que les jeunes révoltés ne sont pas des voyous, mais des opprimés qui n’en peuvent plus de cette société où ils savent n’avoir aucun avenir. Mais, plus profondément, les communistes révolutionnaires saluent avec enthousiasme la révolte parfaitement légitime de ces jeunes : les opprimés ont toujours raison de se révolter ! Ces jeunes  ne sont nullement des « désespérés » : ils ont raison de pas accepter de se laisser mépriser et écraser indéfiniment par cette société et son État, ils ont raison de refuser de n’être que des victimes, de se dresser comme sujets agissants.

Rationalité de la révolte et de ses méthodes

Mais, disent les organisations de gauche et même d’extrême gauche, la conscience dont témoignent ces jeunes n’est pas politique, leur violence est irrationnelle et contre-productive, puisqu’elle détruit des biens publics, des entreprises et même les voitures de leurs voisins… Certes, il est normal que, spontanément, nombre de travailleurs, soumis à l’idéologie bourgeoise du travail méritant et de la réussite individuelle, ne comprennent et n’acceptent pas qu’on brûle leur voiture et qu’on s’en prenne à leurs lieux de travail, aux bus ou aux écoles. Mais les réformistes de tout poil qui flattent démagogiquement cette réaction immédiate compréhensible et qui en appellent à l’arrêt des violences, se comportent en valets de l’ordre bourgeois. Car, en réalité, le mode d’action choisi par les jeunes révoltés des banlieues est tout à fait rationnel, quoique débridé, et il ne sera pas abandonné tant que les organisations authentiquement révolutionnaires ne seront pas capables de rassembler ces jeunes, avec les travailleurs, dans l’objectif de la prise du pouvoir politique.

Tout d’abord, il faut noter que les jeunes révoltés ne s’attaquent pas aux habitants des cités eux-mêmes. Au-delà de faits divers mis en avant par les médias, mais qui arrivent en réalité tous les jours, les jeunes révoltés s’en prennent avant tout à la police : c’est de manière tout à fait consciente qu’ils affrontent le bras armé de l’État, dans une situation qui relève à la fois de la légitime défense contre les récentes exactions et provocations qu’ils ont subies, et, plus largement, d’une vengeance bien compréhensible contre les brimades et injustices quotidiennes dont ils sont victimes de la part des « forces de l’ordre » en raison de la couleur de leur peau ou de leur lieu de résidence.

Quant aux incendies de voitures, ils s’expliquent par deux raisons principales. D’une part, ils servent à attirer la police dans les quartiers, dans le but de l’affronter dans le cadre d’une stratégie de guérilla (inévitable, étant donné la disproportion dans le rapport de force) ; c’est aussi pour piéger les véhicules de police que les émeutiers mettent des voitures en feu au milieu des chaussées et des voies d’accès menant à leurs cités. D’autre part, les incendies, parce qu’ils sont par définition spectaculaires, sont l’un des seuls moyens dont disposent ces jeunes pour se faire voir et entendre tout en restant dans leurs quartiers : abreuvés de télévision en période normale, ils savent pertinemment, au moment où ils se dressent pour exprimer leur colère et leur rage, qu’ils n’ont pas d’autre moyen à leur disposition pour attirer l’attention des médias, des hommes politiques et du pays tout entier ; de fait,  nul ne peut nier que, sans cette stratégie des incendies, ces gens-là ne s’intéresseraient pas soudain aujourd’hui aux banlieues, comme c’est le cas en temps normal.

Mais le point essentiel, pour les révolutionnaires, est le suivant : la conscience dont font preuve les jeunes révoltés des banlieues est sans doute confuse, mais elle a en tout cas ceci de très supérieur à celle de bien des bonnes âmes de gauche et même d’extrême gauche qu’elle ne se fait, quant à elle, aucune illusion envers la société et l’État bourgeois. En particulier, ces bonnes âmes de gauche et d’extrême gauche, effrayées par la violence populaire débridée, ne comprennent pas que les jeunes révoltés puissent s’en prendre aux « services publics » et se permettent de les traiter d’imbéciles, du haut de leur morgue bureaucratique. Mais comment cette jeunesse pourrait-elle considérer comme des acquis ce qu’il reste des services publics dans les banlieues populaires, quand elle constate leur incapacité à remédier réellement aux maux qui accablent les habitants ? Au-delà d’actes manifestement commis par de vrais voyous ou des provocateurs, la révolte des jeunes de banlieues, loin d’être irrationnelle, s’en prend aux symboles des institutions étatiques et municipales, dans lesquelles ils ont parfaitement raison de voir des instruments de tout un « ordre social » qui organise leur relégation, leur exclusion, leur ghettoïsation. Même quand certains s’en prennent aux bus et aux abris-bus, ils provoquent certes l’incompréhension, la peur et la colère des travailleurs, mais comment ne pas voir qu’ils expriment aussi à leur manière leur haine des municipalités hypocrites ou impuissantes, leur rage contre les contrôles musclés de la RATP et contre la police qui ne cesse de les harceler dans les rames et les gares ? Même dans les cas où des jeunes révoltés attaquent des écoles, les communistes révolutionnaires ne peuvent qu’y voir l’expression de leur colère légitime, quoique confuse, contre une institution qui en fait ne les instruit guère, mais participe elle-même à leur exclusion sociale par l’intermédiaire d’un « échec scolaire » qui s’apparente souvent à une ghettoïsation, faute de moyens et de perspectives d’avenir. Car, s’il est juste et politiquement nécessaire de revendiquer le droit à l’instruction pour tous et les acquis de l’école publique contre les gouvernements qui les mettent en cause, cela ne saurait conduire à oublier que l’école reste avant tout une institution de l’État bourgeois. Contre les thuriféraires de la prétendue « école républicaine » (y compris ceux des organisations d’extrême gauche, qui comptent une forte proportion d’enseignants), il faut dire clairement qu’il est juste de dénoncer la fonction fondamentale de l’institution scolaire, qui n’est pas tant d’instruire le peuple que d’assurer la reproduction sociale et la répartition des forces de travail selon les besoins généraux du capital et de la société bourgeoise. Au demeurant, c’est justement pour lui faire encore mieux assurer cette fonction que les gouvernements successifs s’évertuent de briser les acquis insérés au sein même de l’institution scolaire, en mettant en cause la qualité de l’enseignement et les diplômes nationaux, en refusant les moyens nécessaires pour enseigner dans de bonnes conditions, etc.

Quant au pillage et aux incendies des supermarchés et des entrepôts de marchandises, en particulier automobiles, ils expriment clairement le rejet d’une société qui leur vante d’un côté, à longueur de publicités, les joies de la consommation, mais qui d’un autre côté les prive du droit de vivre correctement, de travailler et de « consommer » selon leurs besoins.

De la révolte à la révolution

En un mot, la révolte actuelle des jeunes des banlieues doit être d’abord et avant tout, pour les travailleurs et les militants révolutionnaires eux-mêmes, l’occasion d’une réflexion radicale contre la société bourgeoise, et notamment contre les réformistes de tout poil qui croient et font croire à son amélioration possible par les seules vertus de la bonne volonté pacifiste et du « dialogue ». En ce sens, quelles que soient ses limites, l’actuelle révolte de la jeunesse populaire pose à sa manière, dans l’ordre de la spontanéité, la question de la révolution sociale.

Seule une telle reconnaissance des potentialités révolutionnaires de la révolte populaire peut permettre aux communistes d’engager un véritable dialogue politique avec les jeunes révoltés, dans le but de mener une activité politique commune avec eux. C’est dans ce cadre, et dans ce cadre seulement, qu’on pourra leur dire que leur mode d’action, s’il est tout à fait compréhensible et rationnel, n’est pas efficace pour vaincre l’État bourgeois, car il est privé de l’objectif stratégique de la prise du pouvoir. En outre, les incendies de voitures et d’infrastructures utiles à la population sont dangereux du point de vue même de la révolte, dans la mesure où ils isolent les jeunes révoltés des travailleurs, introduisant des divisions difficiles à surmonter au sein même des classes populaires, alors que leurs intérêts sont en fait communs et qu’ils doivent donc combattre ensemble contre la société et l’État bourgeois. Justement parce qu’ils n’ont pas de travail, ces jeunes de banlieue ne peuvent pas avoir recours spontanément aux armes traditionnelles de la lutte de classe prolétarienne, lesquelles ne se réduisent d’ailleurs nullement à leurs formes pacifiées, telles que la grève légale bien encadrée et la manifestation. Ils peuvent d’autant moins connaître les méthodes du mouvement ouvrier que les organisations de gauche et d’extrême gauche, qui regroupent avant tout l’aristocratie ouvrière et les salariés protégés, n’ont jamais fait d’efforts sérieux pour rompre avec leur inertie routinière et organiser cette jeunesse populaire dans leurs rangs.

Les principales forces de gauche et d’extrême gauche se désolidarisent de la révolte populaire et protègent le gouvernement

Sans parler du PS, qui va jusqu’à soutenir ouvertement l’instauration de l’état d’urgence, force est de constater que les principaux syndicats, les forces politiques de gauche et leurs flancs-gardes d’extrême gauche n’ont rien à proposer aux jeunes révoltés : tout en jetant un regard plein de paternalisme et de sollicitude sur ces jeunes « défavorisés » et « désespérés », la plupart condamnent la révolte et s’en remettent au gouvernement Chirac-Villepin pour prendre des « mesures d’urgence », pour apporter des réponses au « malaise » des cités, voire une meilleure « prévention », une « police de proximité », etc.

En particulier, le PCF (dont il faut rappeler que la secrétaire nationale, Marie-George Buffet, fut ministre… de la Jeunesse pendant cinq ans dans le gouvernement Chirac-Jospin) ne se contente pas de demander à ce gouvernement privatiseur qu’il améliore et développe les services publics ; il ne se contente pas de demander à ce gouvernement illégitime et honni qu’il organise un « dialogue » avec la population des banlieues ; en outre, le PCF n’hésite pas à soutenir la répression en regrettant que « les forces de police mobilisées ne parviennent (…) pas à maintenir l’ordre » et en parlant de « la nécessaire réponse de sécurité pour mettre fin aux violences inacceptables » (tract du 8 novembre) ; pour le PCF, ce sont les violences des jeunes révoltés qui sont « inacceptables », mais il cautionne celles du capitalisme en général et de la police en particulier contre les jeunes et les travailleurs.

Certains responsables de la gauche du PS, les Verts et la LCR demandent la tête du seul Sarkozy, accusé d’être un « pompier pyromane », comme si Chirac et Villepin (sans revenir ici sur l’ensemble des forces politiques de droite et de gauche qui se succèdent à la tête de l’État bourgeois) n’étaient pas tout aussi responsables politiquement que le ministre de l’Intérieur ! En réalité, en se focalisant sur Sarkozy, ces organisations s’en remettent comme le PCF à Chirac-Villepin pour sortir de la crise. De fait, même la LCR, tout en dénonçant la « combinaison du libéralisme et du sécuritaire », demande à Chirac-Villepin « le départ de Sarkozy, l’arrêt des réformes libérales, la priorité aux services publics, à l’école, au logement, à la prévention et à la création d’emplois stables » (Rouge du 10 novembre, éditorial d’Olivier Besancenot). Au demeurant, dans la pratique, la LCR refuse de prendre ses propres responsabilités, se couchant devant les exigences du PCF au nom de « l’unité ».

La position de Lutte ouvrière n’est pas moins inadmissible : tout en accusant certes le gouvernement, le PS et « l’organisation capitaliste de la société », elle condamne également les jeunes révoltés, coupables selon elle de commettre des actes « stupides », de faire preuve d’une « absence de conscience sociale et de solidarité », de manquer du « minimum d’éducation » et même de ne pas « parler correctement » ! (Tract reproduisant une déclaration d’A. Laguiller, 7 novembre 2005.) En un mot, LO se contente d’afficher son mépris et de donner des leçons aux jeunes qui se dressent aujourd’hui contre la société et l’État bourgeois ; dans l’éditorial des bulletins d’entreprise du 10 novembre, A. Laguiller va jusqu’à dire, comme Sarkozy, que les jeunes révoltés sont en fait manipulés par des voyous et elle déclare avec un regret manifeste que, « même sur le plan policier, il n’y a pas, dans les quartiers dits sensibles, plus de police de proximité ou de postes de police permanents » ! Et cette organisation se dit révolutionnaire ! En fait, elle n’a rien à leur proposer : « Il faudrait, pleurniche-t-elle, que le mouvement ouvrier retrouve sa capacité de lutte et surtout la volonté politique d’incarner un espoir de transformation sociale »… Certes, « il faudrait », mais il faudrait déjà que LO balaie devant sa porte, qu’elle ait elle-même cette « volonté politique » au lieu de persister dans son attentisme impuissant : « il faudrait » qu’elle ait le courage de proposer à ces jeunes et aux travailleurs un véritable programme politique capable de les faire passer de la révolte spontanée au combat pour la révolution socialiste et pour en découdre immédiatement avec ce gouvernement.

Quant au Parti des travailleurs (PT), non seulement il refuse lâchement de prendre position en tant que tel, préférant se camoufler derrière la coquille vide du « Comité national pour la reconquête de la démocratie » qu’il a constitué avec quelques-uns de ses amis, mais en outre, au lieu de se prononcer sur la révolte de la jeunesse populaire, au lieu d’appeler au combat uni des travailleurs et des jeunes pour en découdre avec ce gouvernement et préparer une alternative anti-capitaliste, il nous livre des balivernes sur « la reconquête de la démocratie », expressément assimilée à un « appel à la raison » ! Dans les circonstances présentes, qu’est-ce que cela signifie sinon un appel au calme, contre la légitime révolte des jeunes, à l’unisson des pires réformistes ?

La révolte du peuple a besoin d’un programme et d’une organisation révolutionnaires

Loin d’en appeler à l’ordre et de donner des leçons de « civisme » bourgeois ou petit-bourgeois aux jeunes révoltés, les révolutionnaires doivent leur proposer de poursuivre et d’amplifier leur combat en s’auto-organisant aux côtés des travailleurs sur la base d’un programme politique : celui de la révolution socialiste. Le centre de ce programme, c’est la conquête du pouvoir par le prolétariat allié aux autres classes populaires, dans le but de détruire l’État bourgeois et de construire une société gérée et gouvernée par les travailleurs et les opprimés eux-mêmes. C’est sur cet axe, et non en leur faisant la leçon ou en adoptant un discours paternaliste, et encore moins en faisant appel au gouvernement Chirac-Villepin, que les communistes révolutionnaires peuvent et doivent intervenir auprès de ces jeunes, les aider à orienter politiquement leur révolte légitime contre l’État. C’est seulement ainsi que ces jeunes comprendront les limites de leur tactique de guérilla urbaine contre la police et accèderont à une véritable conscience politique révolutionnaire, avec l’objectif de la prise du pouvoir. C’est seulement ainsi qu’ils comprendront la nécessité de ne pas provoquer l’hostilité des habitants des cités et s’allieront au contraire avec eux pour combattre le capitalisme et son État.

En même temps, il faut proposer aux jeunes révoltés de rejoindre le combat immédiat des travailleurs qui cherchent les moyens d’en découdre avec le patronat et le gouvernement. Car, si la révolte des jeunes a beaucoup à apprendre aux travailleurs et aux militants ouvriers, il est clair que, réciproquement, elle ne pourra déboucher sur des résultats réellement positifs qu’à condition de converger avec leur propre lutte de classe. Aujourd’hui, le point de convergence, la cible commune des jeunes révoltés et de la lutte de classe des travailleurs est et doit être le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy dans son ensemble. La « convergence des luttes » met à l’ordre du jour le combat pour stopper et vaincre ce gouvernement illégitime et honni. C’est dans la perspective de la préparation d’une grève générale et par la méthode de l’auto-organisation indépendante des jeunes et des travailleurs que ce combat pourra être mené. Et c’est sur cette orientation, pour une véritable alternative anti-capitaliste, que devraient se rassembler aujourd’hui toutes les forces ouvrières et populaires (syndicats, partis, associations de quartiers) :

• À bas l’état d’urgence ! Non au couvre-feu !

• Retrait inconditionnel et immédiat des forces de répression de tous les quartiers où elles interviennent !

• Autodéfense des jeunes et des habitants contre les exactions et provocations policières dans leurs quartiers !

Que toute la lumière soit faite sur la mort de Bouna et Zyed, sur la grenade lancée dans la mosquée et sur toutes les insultes et violences policières de ces dernières semaines ! Que les responsables soient révoqués et punis !

Arrêt des poursuites contre les jeunes révoltés, libération immédiate des condamnés ! Non à l’expulsion des étrangers condamnés !

À bas les contrôles au faciès et les harcèlements policiers !

• Régularisation de tous les sans-papiers !

• Abrogation de toutes les lois anti-immigrés et anti-étrangers ! Droit du sol intégral ! Droit de vote à toutes les élections pour les étrangers qui vivent et travaillent en France ! Naturalisation après cinq ans d’installation pour ceux qui le souhaitent !

• Remboursement intégral par les compagnies d’assurance et l’État de tous les dégâts résultant des émeutes !

• À bas les ordonnances Villepin  (« contrat nouvelle embauche », etc.), à bas le prétendu « apprentissage » dès 14 ans : défense du Code du travail !

• Droit à l’instruction, à la formation et à de vrais diplômes nationaux pour tous : création de tous les postes d’enseignants et d’éducateurs nécessaires ! Non aux bourses au mérite : pour la multiplication et l’augmentation des bourses sur critères sociaux !

Pour la répartition du travail disponible entre tous : baisse générale du temps de travail sans baisse de salaire et flexibilité !

• Pour l’abrogation de la loi Fillon de 2003 et de la réforme Balladur de 2003 contre les retraites ! Baisse de l’âge de la retraite au niveau nécessaire pour l’embauche des chômeurs et des jeunes !

• Pour l’ouverture de grands travaux utiles à la population, à commencer par la construction des logements nécessaires et l’aménagement des cités !

• Non aux privatisations, renationalisation des entreprises privatisées, développement des services publics !

POUR UNE GRANDE MANIFESTATION CENTRALE, À PARIS, OÙ CONVERGERAIENT LES JEUNES RÉVOLTÉS ET LES TRAVAILLEURS, POUR STOPPER ET VAINCRE CHIRAC, SON GOUVERNEMENT ET SON ASSEMBLÉE !


1) Cf. à ce sujet l’article de Gaston Lefranc dans Le CRI des travailleurs n° 18 (mai-juin 2003).

2) Rappelons que, pendant que des milliers d’habitants de banlieue, notamment d’origine maghrébine et africaine, croupissent dans les prisons françaises (par ailleurs bien connues pour leurs conditions indécentes) pour des délits mineurs, la « justice » bourgeoise trouve toujours un moyen de couvrir ou de punir avec une grande clémence les hommes politiques et autres affairistes véreux quand ils sont pris la main dans le sac. C’est ce qu’a montré une fois de plus, quelques jours avant le début de la révolte des banlieues, le verdict du procès concernant les marchés publics truqués des lycées d’Ile-de-France. Ce procès a duré quatre mois, quinze ans après les faits — alors que les jeunes révoltés d’aujourd’hui passent en comparution immédiate avec des procès bâclés et des avocats commis d’office. Or les principaux prévenus ont été pour la plupart relaxés, alors que les principaux partis bourgeois (RPR, PR et PS) et le Conseil régional d’Ile-de-France étaient accusés d’avoir détourné des millions d’euros de fonds publics (pour un montant équivalent à 2 % des marchés publics, soit 1,2 % pour le RPR et le PR et 0,8 % pour le PS). Même ceux qui ont été reconnus coupables, comme Michel Giraud, ex-président RPR du Conseil régional, et Michel Roussin, ex-bras droit de Chirac à la Mairie de Paris, n’ont été condamnés qu’à de la prison avec sursis et à des amendes très limitées. Mais il est vrai que ces prévenus n’étaient eux-mêmes que les exécutants de personnages bien plus haut placés, auxquels la « justice » bourgeoise sait ne pas devoir toucher…


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