Le CRI des Travailleurs
n°27
(été 2007)

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Tribune libre d'un sympathisant : Après l'élection présidentielle, « rénover les pratiques politiques françaises »

Contribution de Patrick, sympathisant du Groupe CRI et délégué syndical CGT dans le privé

Comme on pouvait s’y attendre, le résultat de l’élection présidentielle marque une nette victoire pour la droite la plus réactionnaire de ce pays. La bourgeoisie et les milieux d’affaire français ont d’emblée cadenassé la démocratie autour de deux options possibles exprimant une même réalité sociale : la rénovation en profondeur des pratiques politiques françaises, c’est-à-dire un pas décisif vers le « consensus ».

Derrière cette « formule » se dresse une volonté commune d’en finir avec un clivage social trop marqué par les oppositions de classe. De ce point de vue (qui est avant tout le point de vue de la bourgeoisie) les deux candidats ont rivalisé de propositions. L’ultra-patriotisme de Ségolène Royal tirant inlassablement le PS vers la bourgeoisie « modérée » de l’UDF, ou le comportement de Sarkozy s’adressant inlassablement et « respectueusement » à son adversaire, tout a été fait pour pacifier les oppositions et extirper jusqu’à la racine le moindre reste de lutte des classes.

Les enjeux de cette élection étaient donc très réduits pour les salariés, les jeunes et les travailleurs de ce pays. La très bonne participation des électeurs, l’ancrage à droite du PS et la marginalisation des extrêmes : tous ces facteurs expriment incontestablement une victoire pour la bourgeoisie et les milieux d’affaire français.

Mais derrière la façade (une démocratie apaisée) se cache quelques enseignements d’une réelle importance :

(1) Une radicalisation de la droite traditionnelle avec un glissement massif de l’électorat Front National vers le candidat de l’UMP. De ce point de vue, nous assistons à un véritable recentrage du parti gaulliste autour du noyau le plus ultraconservateur du libéralisme français. Ce noyau a pour objectif d’en finir au plus vite avec les acquis historiques de la classe ouvrière (Code du travail, sécurité sociale, garanties collectives, etc.,) et tourne résolument le dos à ce que fut le « compromis social » au cours de ces trente dernières années. Ainsi, la peur de la lutte des classes, la nécessité de faire passer les contre-réformes avec le plus large consensus possible, toute cette réserve politique qui paralysait la bourgeoisie a volé en éclat le soir du 6 mai 2007. C’est donc une droite débarrassée de tous les « tabous sociaux » qui a triomphé au soir du second tour de l’élection présidentielle. Dans ce contexte nouveau, il est parfaitement légitime qu’une grande partie de l’électorat du Front National se retrouve derrière les objectifs de Sarkozy.

(2) De son côté, le PS continue son glissement naturel vers la droite modérée. La perte d’une partie de son électorat au profit de l’UDF lors du premier tour caractérise mieux que tous les discours la nature sociale de ce parti. La droitisation du PS fait également exploser les derniers repères de l’ordre politique établi au lendemain de la guerre. La composition sociologique du PS (cadres supérieurs, professions libérales, petite et moyenne bourgeoisie urbaine) rend beaucoup plus volatil son électorat. La bipolarisation politique inhérente aux institutions de la Ve République aboutit aujourd’hui à la coexistence de deux formations politiques exprimant la même réalité sociologique. Les barons du PS sont particulièrement conscients de cette situation et ils appellent dès aujourd’hui à la rénovation du PS, c’est-à-dire à sa transformation droitière sans ambiguïté et sans rivage. Il est manifeste pour eux que le PS n’est pas encore suffisamment en phase avec les couches de la bourgeoisie constituant son électorat potentiel. Le report de la moitié de l’électorat UDF vers le candidat de l’UMP les incite à transformer davantage encore le PS en parti bourgeois. D’autre part, ils sont conscients que la candidature Royal aurait subit une érosion encore plus spectaculaire sans la personnalité de son adversaire. Le vote pour Ségolène Royal émanant des quartiers populaires est loin d’être une adhésion à la politique du Parti Socialiste. C’est la peur de Sarkozy et du projet politique qu’il revendique qui ont poussé des centaines de milliers de jeunes des quartiers défavorisés à voter pour Ségolène Royal. Plus qu’un vote utile, c’est un véritable vote de survie !

L’émergence d’un centre s’inscrit dans cette démarche et constitue aujourd’hui un pôle d’attraction pour les rénovateurs de tous poils. Cette démarche, qui s’inscrit parallèlement au glissement à droite du PS, est d’ores et déjà applaudie par les milieux d’affaire avisés et tout ce que la France compte d’autorité en matière de duperie. « Une démocratie apaisée », « une France citoyenne » et autre « démocratie participative, interactive ». L’objectif pour la prochaine décennie étant de créer les conditions pour l’établissement durable d’un système politique sur le modèle anglo-saxon.

Il va sans dire que le choix démocratique entre une droite libérale (Sarkozy) et une droite modérée (Royal/Bayrou) est loin de représenter un progrès démocratique pour les millions d’hommes et de femmes qui voient quotidiennement leurs conditions de vie se dégrader, qui assistent impuissants à la destruction de leurs acquis de classe et que l’on tente de museler par un système politique neutralisé. « La démocratie apaisée » est un déni de démocratie et nécessite une destruction préalable des organisations de classe du prolétariat. Politiquement, la classe ouvrière n’a plus de représentation réelle, mais elle n’est pas encore défaite.

Le modèle anglo-saxon est viable parce qu’il est le produit d’une histoire et d’une tradition qui associent étroitement les organisations syndicales et les partis politiques (Labour Party en Angleterre). Les trade-unions et le système qu’ils représentent subordonnent totalement les syndicats aux partis politiques. En France, le syndicalisme s’est constitué sur les bases d’une réelle indépendance de classe et a toujours combattu toutes les tentatives d’assimilation aux partis politiques et à l’État. La première étape de la nouvelle phase politique que la bourgeoisie tente de mettre en œuvre passe donc nécessairement par une domestication des syndicats ou leur destruction. Malgré des liens étroits avec la CFDT et la soumission des bureaucrates syndicaux de la CGT et des autres confédérations ouvrières au social-libéralisme du PS, celui-ci a encore d’énormes difficultés pour domestiquer les structures de base (UL) ou intermédiaires (Unions Syndicales Départementales) des organisations de classe. Toutefois, malgré la défaite de Royal, ne doutons pas que le nouveau gouvernement cherchera également à associer les organisations syndicales aux plans de destruction qu’il entend mettre en œuvre le plus rapidement possible. D’ores et déjà, l’arsenal pour une intégration des organisations de classe dans un dispositif de destruction des acquis historiques de la classe ouvrière existe. La « loi de modernisation du dialogue social » ou « la sécurité sociale professionnelle » sont autant de dispositifs qui visent à associer les organisations syndicales à la destruction des acquis sociaux de classe. D’ores et déjà, Sarkozy a déclaré vouloir mettre en œuvre une réforme du mode de représentativité des organisations syndicales Dans les grandes entreprises, le patronat active ou réactive les syndicats maisons. La CSL, organisation fascisante émanant des grands patrons de l’automobile, s’est mise en sommeil en 2002, et ses militants se sont dissous dans certaines organisations syndicales de salariés pour les phagocyter. Aujourd’hui ces gens se mettent à l’œuvre et investissent de nouveaux secteurs de l’économie. [Dans mon entreprise,] le syndicat maison s’est développé comme par enchantement et a investi l’ensemble des établissements du groupe avec l’aide directe des directeurs d’établissements. L ’anti-cgtisme primaire du chef de fil de ce syndicat maison ressemble étrangement à l’idéologie véhiculée par les sbires de la CSL durant ses heures de gloire.

La destruction des organisations de classe est devenu une nécessité vitale pour que fonctionne la machine de guerre que la bourgeoisie veut mettre en œuvre contre la classe ouvrière, les jeunes et les immigrés. Résister à cette destruction nécessite une approche de classe et le refus clair de participer à toutes les simagrées de « concertation des partenaires sociaux » que le nouveau gouvernement appelle déjà de ses vœux. Il n’y a pas besoin de « diagnostic partagé » pour savoir ce que la bourgeoisie entend faire de la Sécurité sociale, du droit de grève, ou pour comprendre la nature sociale de la défiscalisation des heures supplémentaires. Plus que jamais, la classe ouvrière et la jeunesse ont besoin d’organisations de classe indépendantes. La cogestion de la société dans le cadre du mode de production capitaliste est une invention de syndicats jaunes (CFDT) et n’est qu’une variante du vieux concept catholique de collaboration capital/travail. Le résultat de l’élection présidentielle nous démontre que la bourgeoisie est engagée dans une offensive sans précédent contre les travailleurs de ce pays, qu’elle est engagée dans une lutte de classe sans merci pour garder ses privilèges et accroître encore davantage ses profits.

L’État et la Ve République sont des instruments entre les mains de la bourgeoisie ! Avec l’élection de Sarkozy à la présidence de la République, c’est bien la fin des illusions sur la pseudo-neutralité de l’État qui tombe à l’eau et laisse place à une cruelle réalité. « L’État-providence » n’a jamais été autre chose que le produit d’un rapport de force entre les classes au lendemain de la guerre. Aujourd’hui, cet État est entre les mains d’une bourgeoisie ultralibérale au capital transnational. Cette bourgeoisie à besoin d’adapter les conditions d’exploitation du salariat au marché européen et mondial. Cette adaptation ne peut se faire qu’en détruisant les acquis historiques de la classe ouvrière, en muselant la démocratie et en faisant fonctionner l’État comme un instrument de cœrcition entre les mains des milieux d’affaires français.

Dans ce contexte, les directions syndicales ne peuvent continuer à semer des illusions sur la pseudo-neutralité de l’État. Les directions syndicales doivent refuser de participer au « diagnostic partagé » et autres « concertations des partenaires sociaux » qui ne sont qu’une variante moderne de l’association capital/travail sous l’égide de l’État bourgeois.

Le syndicalisme français s’est développé sur les bases d’une indépendance de classe du prolétariat et de la reconnaissance de la lutte des classes. L’indépendance de classe s’exprime essentiellement par un refus de s’intégrer à l’État bourgeois et aux organisations bourgeoises, et la lutte des classe n’est que le produit de l’antagonisme irréductible entre le capital et le travail.

La soumission des bureaucrates syndicaux au libéralisme économique et à l’État bourgeois est devenue un véritable danger pour la survie des organisations de classe du prolétariat. Aujourd’hui, la classe ouvrière, la jeunesse doivent combattre pour sauvegarder l’indépendance de leurs organisations de classe. C’est dans cette perspective que se déroulera le samedi 26 mai à Paris le « Forum pour un syndicalisme de classe et de masse » organisé par différents collectifs de militants syndicaux qui entendent défendre l’indépendance de classe de leurs organisations et résister à l’offensive de liquidation pratiquée par les bureaucrates syndicaux soucieux de s’adapter au libéralisme économique.

Soyons nombreux le 26 mai.

Vive l’indépendance de classe du prolétariat !

Vive la lutte des classes !


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