Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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I. Thèses sur la situation du capitalisme et de la société bourgeoise, sur le mouvement ouvrier et ses directions


Auteur(s) :Groupe CRI
Date :1er janvier 2003
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La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la contradiction suivante : alors que les conditions objectives du socialisme sont réunies — et ce depuis fort longtemps —, les conditions subjectives de la révolution prolétarienne ne sont pas mûres. La raison de ce paradoxe tient avant tout à la crise de la direction du prolétariat, les trahisons sociales-démocrates et stalinienne ayant empêché l’aboutissement des vagues révolutionnaires qui se sont succédé tout au long du XXe siècle, conduisant finalement au recul des positions et de la conscience de classe du prolétariat partout dans le monde et à la crise dislocatrice du mouvement ouvrier lui-même.

1. Les prémisses objectives du socialisme existent : le développement du mode de production capitaliste lui-même a mis depuis longtemps et met chaque jour davantage la révolution communiste à l’ordre du jour

Le mode de production capitaliste a étendu et continue d’étendre son règne sur l’ensemble de la planète — bien que cette extension soit toujours plus inégale selon les nations. Il a développé et il continue de développer les forces productives de l’humanité dans des proportions gigantesques, la production mondiale de marchandises ne cesse de se développer et l’accumulation capitaliste se poursuit même à un rythme beaucoup plus rapide aujourd’hui — bien qu’il soit inférieur à ce qu’il était dans les années 1945-1975 — que pendant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe.

a) La socialisation réelle des moyens de production et d’échange à l’échelle mondiale est non seulement souhaitable, mais encore plus que jamais vitale

Malgré ce développement indéniable, le système capitaliste s’est montré intrinsèquement incapable de mettre un terme aux souffrances endurées par l’immense majorité des êtres humains. Bien au contraire, le prix de cet accroissement gigantesque des forces productives a été une persistance de la barbarie capitaliste et impérialiste partout dans le monde, avec une importante aggravation au cours des vingt dernières années (due avant tout à la crise du mouvement ouvrier) : destruction massive de vies humaines et de populations entières par les guerres, les épidémies, les famines, les drogues, la misère ; pauvreté massive, insatisfaction des besoins élémentaires pour des milliards d’êtres humains ; chômage, sous-emploi, insécurité des conditions matérielles d’existence ; gaspillage monstrueux des forces productives réelles et potentielles ; aggravation des inégalités entre les pays et au sein des pays ; insuffisance et liquidation des systèmes de santé publique, d’instruction et de formation publiques ; logements indécents ; pollutions insupportables et dilapidation irrationnelle des ressources naturelles, menaçant l’existence de la planète elle-même ; oppressions politiques, militaires, policières et culturelles partout dans le monde…

La raison d’un tel paradoxe apparent tient à la nature même du mode de production capitaliste : d’une part, l’accumulation du capital, qui a pour condition la mise en œuvre d’une masse sans cesse croissante de travail vivant toujours plus efficace, grâce à un progrès incessant des sciences, des techniques et de l’organisation sociale du travail, implique nécessairement la croissance de la richesse matérielle, car c’est seulement par la production d’une masse toujours plus grande de marchandises qu’une quantité croissante de plus-value peut être extraite des producteurs et capitalisée. Mais, d’autre part, les conditions humaines et sociales de cette production sont déterminées par la logique infernale du mode de production capitaliste, qui consiste non pas en la satisfaction des besoins humains, mais en la recherche de profits d’autant plus importants que les travailleurs créent plus de plus-value.

Dès lors, toutes les politiques s’inscrivant dans le cadre du système capitaliste, considéré comme intangible — qu’elle se disent « libérales », « keynésiennes », « néo-libérales », « néo-keynésiennes », « de régulation de la mondialisation », « progressistes », « de gauche », « anti-libérales », « fondées sur la démocratie participative », etc. — n’ouvrent et ne peuvent ouvrir aucune issue. De fait, aujourd’hui, toutes consistent en une remise en cause — brutale ou progressive, ouverte ou masquée — des conquêtes sociales et démocratiques arrachées par les travailleurs salariés dans leur lutte de classe. Au nom du « réalisme économique », les politiciens bourgeois de « droite » comme de « gauche » exigent des salariés toujours plus de « sacrifices » en promettant qu’ils seront l’assurance de lendemains meilleurs. Mais, en réalité, la politique de rigueur d’aujourd’hui prépare les plans d’austérité de demain, les destructions des acquis succèdent aux mises en cause des conquêtes, et finalement toutes ces politiques ne conduisent qu’à une chose : l’extension de l’exploitation, de la misère, de la barbarie et de tous les maux constamment engendrés par la logique même du mode de production capitaliste.

b) La socialisation réelle des moyens de production et d’échange à l’échelle mondiale est économiquement et techniquement possible

La contradiction entre l’accroissement des forces productives et le maintien du mode de production capitaliste prend un aspect toujours plus irrationnel en apparence, et d’autant plus révoltant : d’une part, l’humanité dispose (de l’avis même des experts bourgeois) des moyens scientifiques et techniques non seulement pour éviter la plupart des maux dont elle souffre, mais encore pour satisfaire correctement l’ensemble de ses besoins ; pourtant, d’autre part, l’écrasante majorité des êtres humains continue de vivre dans le plus grand dénuement et les plus grandes souffrances. — Les progrès de l’agriculture, de l’agronomie et de la génétique au XXe siècle ont permis un développement gigantesque de la production vivrière partout dans le monde, un recul considérable des famines qui étaient jadis inévitables ; pourtant, des millions d’hommes et d’enfants meurent de faim, des milliards souffrent de sous-nutrition ou de malnutrition — y compris dans les pays développés —, des famines ravagent régulièrement des régions entières. — Les progrès de l’industrie permettent de produire rapidement des millions d’exemplaires de tous les articles nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires ; pourtant, la majorité n’a pas accès à ces articles, seule une minorité peut en consommer de manière massive, souvent d’ailleurs sur la base d’un gaspillage et d’une pollution inutiles. — Les progrès de la technique et de la science appliquée permettent d’accroître sans cesse la productivité du travail et rendent ainsi possible une diminution massive du temps de travail ; pourtant, au moment même où des centaines de millions d’hommes et de femmes dans le monde sont privés de travail ou sous-employés, 300 millions d’enfants sont contraints de travailler pour survivre et les travailleurs qui ont un emploi sont harassés par le labeur dans la plupart des pays du monde, doivent se dépenser sans compter pour essayer de se nourrir et d’entretenir leur famille et, dans les pays développés, quand il y a diminution du temps de travail sous la pression de la classe ouvrière, elle reste très limitée et a pour prix l’accroissement du degré d’exploitation, notamment par la généralisation de la flexibilité. — On pourrait construire des millions de logements de qualité, adaptés aux conditions géologiques et climatiques ; pourtant, la plupart des êtres humains vivent dans des conditions indignes, voire sans abri. — On sait creuser des puits, acheminer l’eau, l’assainir ; pourtant, des milliards d’hommes n’ont pas accès à l’eau potable. — Les progrès de la médecine au XXe siècle ont permis et permettent encore dans la plupart des pays un allongement considérable de l’espérance de vie, une progression époustouflante de la maîtrise par l’homme de sa propre nature corporelle ; pourtant, des dizaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants meurent chaque année de maladies que l’on sait soigner, voire guérir ou empêcher par les vaccins. — On sait former d’excellents instituteurs, professeurs, chercheurs, etc., construire des écoles, des lycées et des universités ; pourtant, la plupart des enfants et des jeunes ne reçoivent que des bribes d’instruction et les gouvernements vont jusqu’à saper les exigences qualitatives des programmes scolaires, dans le but de n’enseigner à la majorité que le minimum nécessaire aux travaux qualifiés dont les entreprises ont besoin et de limiter l’accès à des études trop longues et non rentables par un enseignement « adapté » aux besoins immédiats du patronat, empêchant ainsi le plus grand nombre de développer son intelligence. — On pourrait permettre à tous de profiter des acquis de la culture, de la science et des arts ; pourtant, la plupart en sont purement et simplement privés, une forte minorité étant par ailleurs soumise à l’abrutissement quotidien des médias soumis à la rentabilité capitaliste et à l’idéologie des classes dominantes.

Seules, la transformation de la propriété privée capitaliste des moyens de production et d’échange en propriété sociale et l’organisation collective et rationnelle de la production se donnant pour but la satisfaction des besoins de tous — et non plus l’intérêt d’une petite minorité —, permettront que la concentration des moyens de production et la productivité constamment croissante du travail social se changent, de sources d’exploitation et de misère qu’elles ont été jusqu’ici, en sources de bien-être et d’épanouissement. La satisfaction des besoins et des aspirations matériels et intellectuels de tous les êtres humains sont objectivement possibles ; seule l’abolition du système capitaliste, lui-même produit par l’histoire, et la construction de la société communiste, les rendront effectives.

c) L’écrasante majorité des êtres humains a intérêt à se battre pour le socialisme sous la conduite du prolétariat

Dans la société actuelle, l’écrasante majorité des êtres humains est exploitée et opprimée par le système capitaliste et a donc, en ce sens, objectivement intérêt à en finir avec lui. Dans tous les pays, les classes laborieuses, qui se constituent comme classes dans et par leur lutte de classe, sont la grande majorité :

• Les travailleurs salariés du capital — ouvriers ou employés, manuels ou intellectuels, non-qualifiés ou qualifiés, industriels, commerciaux ou agricoles, travaillant dans les entreprises privées (grandes et petites) ou dans les entreprises capitalistes d’État (transports, énergie, télécommunications, banques, etc.) — constituent le prolétariat proprement dit. C’est la classe des travailleurs qui produisent, réalisent et servent à répartir la valeur et la plus-value capitalistes, leur force de travail étant achetée à sa valeur socio-historiquement définie et rapportant plus au capital qu’elle ne lui coûte (théorie marxiste de l’exploitation capitaliste) (1). Parmi les classes laborieuses, il constitue la seule qui soit directement subordonnée au capital exploiteur, à sa logique de profit maximal. Pour cette raison, c’est la classe qui, dans et par sa lutte de classe contre le capital, accède le plus spontanément à la volonté de changer la société capitaliste, dans les limites étroites imposées par le fait que l’idéologie dominante est toujours l’idéologie de la classe dominante. De plus, là où ils sont concentrés, les prolétaires sont enclins à s’organiser pour faire valoir leurs droits et à faire l’épreuve de leur force collective. Le prolétariat est donc la classe motrice de la mobilisation révolutionnaire contre le capital et l’État bourgeois. C’est lui qui conduira les masses à l’assaut de la société bourgeoise.

• De nos jours, la plupart des travailleurs salariés employés pour assurer les fonctions publiques exécute des tâches plus ou moins utiles à toute société complexe ou, grâce aux conquêtes que le prolétariat et ses organisations ont imposées à l’État, assure à la population en général une certaine qualité de vie (travailleurs de l’administration publique, personnels de l’Éducation nationale, de la santé, de la culture, etc.). Ces travailleurs ne contribuent pas à la production et à la réalisation du produit et du surproduit sociaux (en l’occurrence, de la valeur et de la plus-value capitalistes), ils ne sont donc pas exploités comme les prolétaires proprement dits. Mais, privée des moyens de production, la grande majorité d’entre eux n’a d’autre choix que de vendre sa force de travail pour vivre et, notamment dans les pays où les acquis sociaux sont importants, les intérêts de ces travailleurs assurant des fonctions publiques rejoignent dans une large mesure les intérêts immédiats du prolétariat : en effet, ils sont rémunérés par une partie de la masse de valeur globale produite par les prolétaires proprement dits, mais leur travail réalise des services utiles pour ces prolétaires et pour la population en général ; cette valeur représente donc pour les uns et pour les autres une sorte de salaire différé qui fait partie intégrante de la valeur sociale acquise de la force de travail. En ce sens, les travailleurs employés par l’État pour assurer ces fonctions publiques sont les alliés immédiats du prolétariat proprement dit, ils font partie intégrante de la classe ouvrière au sens large du terme et, dans les faits, ils s’organisent et combattent tous ensemble (2). — En outre, même s’il y a une assez grande hétérogénéité entre leurs revenus selon leurs fonctions, ces travailleurs sont souvent mal payés (notamment par rapport à ce qu’ils pourraient toucher dans le privé à qualification égale)  et ils sont soumis aux impératifs de rentabilité — ou de réduction au minimum de leur non-rentabilité — imposés par les gouvernements bourgeois : les méthodes de l’administration contemporaine, par exemple, tendent de plus en plus à copier celles de la production de plus-value, les travailleurs de la santé sont souvent harassés de travail à cause du manque de postes, les enseignants sont victimes de conditions de travail très pénibles dans de nombreux établissements (classe surchargées, baisse et l’hétérogénéité du niveau scolaire, violence de certains élèves, etc.)… Aujourd’hui, tous ces travailleurs sont de plus en plus confrontés aux mesures imposées par les gouvernements pour casser leurs avantages acquis, pour liquider les services publics jugés trop coûteux, pour privatiser les autres ou les soumettre aux impératifs de la rentabilité capitaliste. Ils doivent donc se battre plus que jamais pour se défendre et faire valoir collectivement leurs intérêts contre l’État-patron.

• La petite bourgeoisie laborieuse est composée de travailleurs qui ont en commun d’être propriétaires de leurs moyens de travail et de travailler directement pour le marché, mais sans employer de salariés, ou en en employant seulement quelques-uns : petits paysans, petits pêcheurs, petits artisans, petits commerçants, mais aussi médecins et avocats libéraux au service des particuliers, écrivains, artistes, etc (3). — La position de cette classe est éminemment contradictoire : d’un côté, en tant qu’elle appartient à la bourgeoisie en général, elle ne peut pas vouloir en finir avec le système de la propriété privée ; mais, d’un autre côté, du fait qu’elle accomplit des fonctions directement utiles à la population et qu’elle a souvent des conditions de travail et de vie plus difficiles encore que celles des prolétaires (gains souvent très faibles pour les petits paysans et pêcheurs, endettement colossal conduisant souvent à la ruine pure et simple, étranglement par les grands groupes capitalistes bancaires, commerciaux et industriels, temps de travail extrêmement élevé…), les fractions de la petite bourgeoisie qui sont les plus dépendantes du capital ont très spontanément conscience non pas d’un antagonisme entre leurs intérêts et ceux du système capitaliste en général, mais d’une contradiction entre ces mêmes intérêts et ceux des grands groupes capitalistes (et des propriétaires fonciers) qui les pillent avec la complicité de l’État bourgeois. Cette conscience tend spontanément à conduire la petite bourgeoisie sur des positions politiques réactionnaires ; cependant, elle peut également la mener à un comportement révolutionnaire et à en faire alors un allié décisif du prolétariat dans sa lutte contre le grand capital ; dans cette mesure, une politique adéquate du parti prolétarien en sa direction est un élément fondamental de toute tactique révolutionnaire.

• La catégorie sociale des domestiques, exploités par des personnes privées : valets, femmes de ménage privées… En raison du caractère immédiatement personnel du rapport d’exploitation qui définit cette catégorie — ainsi que de sa dispersion corrélative —, elle n’est pas capable de se constituer comme classe, d’accéder à une véritable conscience de ses intérêts spécifiques — la contradiction entre ceux-ci et les exigences des maîtres ne pouvant prendre que la forme de conflits interindividuels. Il n’en reste pas moins, bien évidemment, que le parti et les militants communistes révolutionnaires internationalistes doivent être parmi les premiers à défendre les intérêts et les droits de ces travailleurs, comme de tous les exploités et opprimés.

• Enfin, à ces classes laborieuses s’ajoute la catégorie du lumpenproletariat — ceux que l’on appelle aujourd’hui les « exclus » —, c’est-à-dire l’ensemble de ceux qui, privés de travail de manière durable et souvent définitive, sont condamnés par le système à essayer de survivre par l’assistance, la mendicité, la prostitution ou le banditisme — quand ce n’est pas à pourrir sur pied purement et simplement. Cette catégorie est une somme d’individus atomisés, dont le mode de vie nécessairement fondé sur la lutte pour l’existence empêche toute possibilité de se constituer en classe. Seule la révolution socialiste permettra de supprimer le paupérisme, notamment par la mise en œuvre d’un plan centralisé et rationnel de résorption rapide et massive du chômage et de la misère.

2) Les conditions subjectives de la révolution font défaut avant tout à cause des trahisons historiques de la social-démocratie et du stalinisme, qui ont conduit à la crise et à la dislocation du mouvement ouvrier mondial

Le fait que les intérêts du prolétariat et de la classe ouvrière au sens large du terme soient objectivement antagoniques avec le maintien du système capitaliste ne signifie pas qu’ils aient automatiquement conscience de cet antagonisme ou, s’ils en ont conscience, qu’ils estiment possible de changer effectivement la société. En effet, une telle conscience naît non pas des conditions de travail et de vie en tant que telles, mais de la lutte collective contre ces conditions de travail et de vie, c’est-à-dire de la lutte de classe. Or la lutte des classes, si elle ne s’arrête jamais (elle est en permanence le moteur de l’histoire), connaît cependant une succession de flux et de reflux, de périodes d’offensive et de défensive de la part de chaque classe, selon des facteurs multiples : conjoncture économique, besoins de la bourgeoisie, puissance des organisations ouvrières syndicales et politiques, justesse de leur politique, qualité et détermination de leurs dirigeants, etc…

Cependant, le principal problème posé aujourd’hui à la lutte de classe du prolétariat est le suivant : la classe ouvrière manque du parti mondial de la révolution prolétarienne nécessaire pour transformer les crises révolutionnaires, qui touchent périodiquement les États, en révolutions effectives et victorieuses. Durablement privée de direction révolutionnaire par la trahison de la IIe et de la IIIe Internationales et par l’incapacité de la IVe, dépourvue de direction marxiste après la mort de Trotsky, à se construire, les fractions nationales de la classe ouvrière mondiale ont vu leurs assauts successifs contre le capitalisme et contre la bureaucratie stalinienne repoussés les uns après les autres. Le reflux de la révolution mondiale, produit de cette crise persistante, a conduit à une crise et aujourd’hui à une dislocation du mouvement ouvrier lui-même.

a) Après avoir trahi la révolution, les partis ouvriers sociaux-démocrates et staliniens ont disloqué le mouvement ouvrier et se transforment maintenant en partis bourgeois

La IIe Internationale, progressivement rongée par l’opportunisme réformiste et parlementaire, est passée définitivement du côté de l’ordre bourgeois en août 1914, lorsque la plupart des partis sociaux-démocrates (à l’exception notamment du parti bolchevik) ont participé à l’union sacrée nationale et soutenu leur propre bourgeoisie dans la guerre impérialiste.

La IIIe Internationale, quant à elle, après avoir trahi à de multiples reprises les intérêts de la révolution mondiale (en particulier en Allemagne en 1919-1923, en Angleterre en 1926, en Chine en 1927), est définitivement passée du côté de l’ordre bourgeois, lorsqu’elle a conduit le prolétariat allemand à la défaite sans combat devant le fascisme en janvier 1933.

Dès lors, les appareils bureaucratiques sociaux-démocrates et staliniens, dont la base sociale est l’aristocratie ouvrière au sens léniniste du terme, ont systématiquement et de concert œuvré à contenir et à briser la mobilisation révolutionnaire des masses. Avant la Seconde Guerre mondiale, c’est spécialement sous l’étiquette des « Fronts populaires » qu’ils se sont efforcés d’arrêter le torrent révolutionnaire des masses, revenant à livrer le prolétariat espagnol à Franco, le prolétariat français à Pétain, et tous les peuples d’Europe à une seconde boucherie impérialiste. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, dans les pays capitalistes, alors qu’une vague révolutionnaire sans précédent déferlait sur le monde et en Europe en particulier, ils ont aidé les bourgeoisies pourtant moribondes à reconstruire leurs États. En France, ils ont mené à bien cette tâche en participant au gouvernement d’union nationale pour la reconstruction de l’économie capitaliste et de l’État bourgeois, substituant aux mots d’ordre révolutionnaires de « conseils ouvriers » et d’ « expropriation de la bourgeoisie » d’abord ceux de : « une seule armée, une seule police, un seul État », « la grève est l’arme des trusts » et « produire d’abord, revendiquer ensuite », puis de : « Assemblée constituante » et « nationalisations » — réussissant dans un cas comme dans l’autre à détourner de son but le mouvement révolutionnaire des masses et à remettre en selle l’économie et l’État capitalistes.

Ensuite, dans les pays impérialistes, les appareils sociaux-démocrates et staliniens ont géré les avantages matériels acquis par la classe ouvrière (les « réformes » que Lénine appelle à juste titre les « sous-produits de la mobilisation révolutionnaire des masses »), tout en soutenant, de manière ouverte ou cachée, les opérations impérialistes de maintien de l’ordre (guerres d’Indochine, de Corée, d’Algérie, du Viêt-Nam, etc.) et en s’efforçant, dans chaque pays, de manipuler les mouvements syndicaux et politiques des masses pour les maintenir dans le cadre du régime capitaliste, c’est-à-dire pour les briser, à commencer par les mouvements révolutionnaires (France 1968, Chili 1970-1973, Portugal 1974, etc.).

En U.R.S.S. et dans les pays où la propriété privée des moyens de production avait été abolie, la bureaucratie stalinienne, représentante de la catégorie sociale privilégiée, de nature bourgeoise, qui dominait ces sociétés fondées sur la propriété étatique des moyens de production, a systématiquement agi contre les intérêts du prolétariat et flétri le nom de « socialisme », exploitant les travailleurs, désorganisant l’économie et entravant son développement par une planification bureaucratique, pillant les fruits du travail au moyen de privilèges considérables, accablant les masses de privations et de souffrances, abrutissant les citoyens par des productions culturelles nullissimes, se maintenant au pouvoir par la répression systématique et sanglante de toutes les oppositions et finissant par réintroduire progressivement, sous la pression de l’impérialisme et du marché mondial, les normes et les formes de l’économie bourgeoise, jusques et y compris la restauration de la propriété privée des moyens de production.

Sur le plan international, la bureaucratie a pu agir à sa guise dans les limites imparties par les accords passés avec l’impérialisme à Yalta et à Potsdam, puis dans le cadre de la « coexistence pacifique ». La bureaucratie stalinienne et ses relais nationaux ont toujours reçu le soutien — fût-il « critique », comme dans l’Italie et l’Espagne des années 1970 — des PC dont les appareils n’étaient que l’émanation. Ce fut le cas tout particulièrement lors de la répression stalinienne des soulèvements révolutionnaires des travailleurs pour renverser la bureaucratie, soulèvements qui ont constitué autant de maillons de la révolution prolétarienne mondiale (Berlin 1953, Hongrie et Pologne 1956, Tchécoslovaquie 1968, Pologne 1980, Chine, Allemagne et Roumanie 1989, etc.).

Depuis près d’un quart de siècle, la période se caractérise avant tout par une offensive généralisée de la bourgeoisie pour reprendre systématiquement les conquêtes de la classe ouvrière. Profitant des crises économiques de la deuxième moitié des années 1970 et de la crise, puis de la chute de l’U.R.S.S. et des pays de l’Est européen sous les assauts de l’impérialisme mondial, sous le poids de leurs propres contradictions et sous la pression révolutionnaire anti-bureaucratique des masses, la bourgeoisie, après trente ans de relative « coexistence pacifique » socialement garantie par la collaboration de classe sociale-démocrate et stalinienne, a d’autant plus facilement pu passer à l’offensive contre les classes laborieuses que le prolétariat se trouvait désorienté, démoralisé et désorganisé avant tout par les défaites successives auxquelles ses directions traîtres avaient conduit et conduisaient encore chacun de ses soulèvements (à l’Ouest comme à l’Est).

Dans une situation où elle ne pouvait plus se contenter de gérer les conquêtes ouvrières dans le cadre du système, la social-démocratie, n’étant pas révolutionnaire, mais ralliée au système capitaliste depuis des décennies, a choisi sans hésitation, au nom du « réalisme », sa liquidation pure et simple en tant que social-démocratie réformiste, c’est-à-dire sa reconversion en instrument « de gauche » (par là même d’autant plus efficace) pour casser les réformes elles-mêmes au compte de l’impérialisme. Quant aux PC, qui ne peuvent plus avoir de place autonome dans la vie politique depuis la disparition de leur raison d’être principale (le Kremlin), ils ont dû choisir entre leur liquidation comme partis politiques et leur reconversion en PS bis ; partout dans le monde, le processus de décomposition des PC suit simultanément l’une et l’autre voix, sous des formes et selon des rythmes variables.

En France, par exemple, c’est le gouvernement PS-PCF, élu sur une ligne de rupture avec la politique bourgeoise de Giscard-Barre, qui a pris en charge la liquidation de pans entiers de l’industrie, qui a imposé la désindexation des salaires par rapport aux prix, l’extension progressive du travail précaire, la remise en cause des acquis sociaux, la mise en place d’un vaste arsenal de lois anti-immigrés ; c’est le gouvernement PS qui a introduit la C.S.G. comme instrument de destruction de la Sécurité sociale fondée sur le salaire différé, aggravé la détérioration de l’école (loi Jospin de 1989), participé au massacre impérialiste du peuple irakien en 1991 et instauré l’embargo sur l’Irak, etc. Finalement, c’est le gouvernement de la « gauche plurielle », poursuivant et accélérant l’œuvre des gouvernements de « droite », qui a porté les coups les plus rudes à la classe ouvrière à partir de 1997 : privatisations massives (Air France, Renault, Crédit Lyonnais, etc.), application du plan Juppé de liquidation de la Sécurité sociale, lois Aubry de flexibilité, de blocage des salaires et de remise en cause des conventions collectives nationales, étranglement des hôpitaux publics, contre-réformes Allègre-Lang-Mélenchon détruisant l’enseignement public, P.A.R.E contre les travailleurs au chômage, etc.

Les appareils sociaux-démocrates et staliniens étaient certes devenus depuis longtemps les agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier. Leur politique de soumission à la bourgeoisie avait déjà conduit à l’affaiblissement considérable des partis et des syndicats liés à la IIe et à la IIIe Internationales, principales organisations que la classe ouvrière s’était données et qui la constituaient politiquement comme classe, malgré la déformation que sa conscience subissait sous la pression des idéologies réformiste et stalinienne. Cependant, depuis une vingtaine d’années, les appareils ont poussé cette politique jusqu’à un seuil qualitatif : ils sont devenus aujourd’hui les instruments directs de l’impérialisme contre la classe ouvrière, ses conquêtes et ses organisations et, par là même, tendent à se décomposer de l’intérieur en tant que partis. Or cela a changé leur nature : alors qu’ils étaient naguère des partis ouvriers-bourgeois (partis possédant une base militante et électorale dans la classe ouvrière, reposant officiellement sur un programme — plus ou moins avancé — de défense des intérêts particuliers du prolétariat, mais dirigés par des agents de la bourgeoisie, traîtres à la cause du socialisme, qui ne gardaient la confiance de la classe qu’en gérant les réformes ou en usurpant le prestige d’Octobre) — ces partis se transforment purement et simplement en partis bourgeois, quand ils ne se décomposent pas. Les PS sont devenus ou sont en train de devenir des partis purement bourgeois, ce processus étant quasi-achevé dans des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, et irréversible en Angleterre (New Labour) et en Allemagne. Quant aux PC, ils suivent ou ont déjà suivi la même voie, parfois en fusionnant avec l’appareil social-démocrate, comme en Italie et dans les pays de l’Est, parfois en disparaissant après un long processus de décomposition interne comme en Espagne et au Portugal, parfois selon une combinaison des deux comme en France (où les deux processus combinés sont en voie de s’achever). — Bien évidemment, tous ces processus s’opèrent à des rythmes variables selon les pays et les organisations, et il est extrêmement important de savoir en tenir compte dans la tactique ; cependant, il s’agit là d’une évolution dont la logique implacable, socialement et politiquement déterminée par la nature même de l’ex-réformisme et de l’ex-stalinisme ralliés au mode de production capitaliste, touche tous les pays.

Dès lors, aujourd’hui, le besoin d’un parti communiste révolutionnaire international se présente sous un jour nouveau : la classe ouvrière doit en quelque sorte repartir du début et reconstruire des partis. D’une part, cela la rend particulièrement vulnérable, car elle se retrouve désorganisée, dépolitisée et par là même désarmée face à la terrible offensive menée contre elle par la bourgeoisie (notamment au moyen des ex-partis ouvriers bourgeois eux-mêmes, ce qui aggrave encore la crise du mouvement ouvrier). Mais, d’autre part, cette situation peut devenir en un sens une aubaine : elle ouvre la perspective de reconstruire le mouvement ouvrier en mettant à profit toute l’expérience, extrêmement riche, pratique et théorique, de la lutte de classe depuis plus de cent-cinquante ans. C’est en ce sens que l’on peut dire : les vieux partis ouvriers sont morts : que vivent de nouveaux partis ouvriers !

b) La IVe Internationale n’a jamais été construite

La construction de la IVe Internationale est à l’ordre du jour depuis que la rapide dégénérescence stalinienne et les trahisons successives du P.C.U.S. et de la IIIe Internationale ont abouti à la liquidation définitive de celle-ci comme instrument révolutionnaire. La IIIe Internationale rejoignait ainsi dans les poubelles de l’histoire la IIe, transformée en ce que Rosa Luxembourg appelait à juste titre un « cadavre puant » après son basculement contre-révolutionnaire définitif en août 1914. Le combat pour la nouvelle Internationale est la poursuite du combat des communistes révolutionnaires internationalistes pour l’émancipation des travailleurs du capital, de la propriété foncière et de l’État, combat mené par des générations successives de militants depuis deux siècles et qui se nourrit de l’élaboration théorique, de l’expérience et des leçons collectives du mouvement ouvrier révolutionnaire. Le mérite historique d’avoir commencé ce combat pour construire la IVe Internationale revient avant tout à Trotsky, dont le travail a permis l’organisation effective de la principale opposition communiste révolutionnaire au stalinisme, jusqu’à l’indispensable proclamation de la nouvelle Internationale en 1938 (4).

Après la mort de Trotsky, la IVe Internationale s’est trouvée privée de direction marxiste. Disloquée au début de la Seconde Guerre mondiale, elle a été reconstruite organisationnellement à la fin de celle-ci par Pablo, mais sur un axe opportuniste à l’égard du stalinisme et avec des méthodes bureaucratiques — la principale section de l’Internationale, le S.W.P. des Etats-Unis, seule dotée d’une véritable direction, se réfugiant quant à elle dans un repli national et sectaire. Cet opportunisme et ce bureaucratisme de la direction pabliste, reflets de la puissance sans précédent acquise par le stalinisme dans le mouvement ouvrier en cette période de montée révolutionnaire gigantesque en Europe, en Asie et ailleurs, est responsable de la crise chronique qui a ravagé l’organisation dès sa reconstruction, et qui a conduit à la capitulation droitière, à l’envolée gauchiste ou plus simplement au renoncement de nombreux militants. Dans ce contexte, le pablisme s’est rapidement cristallisé en un courant révisionniste, puis il a provoqué la dislocation programmatique et organisationnelle de la IVe Internationale en 1951-1953.

Depuis lors, aucun des différents courants qui ont continué de se réclamer de la IVe Internationale n’est parvenu à la construire, même lorsqu’ils ont su maintenir plus ou moins une certaine continuité, au moins formelle, avec le marxisme révolutionnaire. Tous, sous une forme ou sous une autre — quoique selon des degrés de gravité divers —, ont mené une politique à la fois sectaire et opportuniste, aboutissant le plus souvent au bureaucratisme et au révisionnisme latent ou avéré, provoquant des crises chroniques, des expulsions bureaucratiques, des scissions à répétition, des tentatives ouvertes ou camouflées de dislocation... En même temps, et contradictoirement, des militants, des groupes, des courants se sont périodiquement dégagés — et continueront de se dégager — pour essayer, de manière plus ou moins correcte et efficace, de construire vraiment la IVe Internationale. — Parmi les principales organisations qui se réclament encore aujourd’hui de la IVe Internationale, on distingue :

Le courant « IVe Internationale-Secrétariat Unifié » (SU)

Il s’agit d’un courant centriste d’orientation droitière. C’est le plus nombreux des courants qui se réclament de la IVe Internationale, mais c’est aussi le plus opportuniste à l’égard des appareils politiques de la « gauche ».

Le SU s’est fait constamment le complice objectif des appareils en recherchant des substituts au combat pour la construction du parti révolutionnaire (opportunisme à l’égard du stalinisme, du castrisme, du jeunisme, du féminisme, etc.). Après avoir pris position contre le soulèvement révolutionnaire du prolétariat des pays de l’Est en 1953, 1956 et 1968 sous prétexte de défendre la propriété sociale, le SU a soutenu l’invasion contre-révolutionnaire de l’Afghanistan par l’U.R.S.S., apporté un « soutien critique » à la perestroïka gorbatchévienne, qui a ouvert la voie de la restauration de la propriété privée des moyens de production en U.R.S.S. Adepte des « réformes structurelles » du système capitaliste dans les années 1960-1970, puis soutien d’ « extrême-gauche » à la « gauche » dans les années 1980-1990, il participe aujourd’hui à la direction et à l’encadrement d’A.T.T.A.C. et organise les sommets de Porto Alegre pour « l’humanisation » de la mondialisation. En particulier, la section brésilienne du SU, en dirigeant la mairie de Porto Alegre et en soutenant le gouvernement de l’Etat de Rio Grande do Sul, met en œuvre la politique exigée par le F.M.I, notamment le paiement de la dette et les privatisations, au moyen de la « démocratie participative », vaste manipulation des aspirations populaires dont l’un des principaux effets concrets est l’intégration des revendications et des organisations dans un cadre bourgeois, y compris institutionnel. Dans le même temps, le SU apporte son soutien à des mouvements manipulés par l’impérialisme comme l’U.C.K. en Yougoslavie, quand il ne fait pas appel à la prétendue « communauté internationale » — qu’est-ce d’autre que l’impérialisme ? — pour défendre la « paix » (Yougoslavie, Afghanistan, Palestine…).

En un mot, aujourd’hui, la nature petite-bourgeoise du SU tend à l’emporter largement, de manière qualitative, sur la permanence de ses références communistes révolutionnaires et la rhétorique « d’ouverture », anti-dogmatiste et parfois gauchiste sous laquelle il camoufle sa politique opportuniste rend celle-ci d’autant plus dangereuse qu’elle est de ce fait davantage susceptible de semer des illusions parmi les militants et les jeunes. De fait, elle attire encore aujourd’hui un nombre non négligeable de jeunes révoltés, auprès desquels un travail particulier doit être mené.

Le courant « Union communiste internationaliste » (U.C.I.)

Ce courant est un courant centriste de tendance gauchiste, qui pratique un opportunisme à la fois attentiste, ouvriériste et sectaire.

Né de l’incompréhension de la nécessité historique, après le passage définitif de la IIIe Internationale du côté de l’ordre bourgeois, de fonder la IVe Internationale pour maintenir le fil de la continuité communiste révolutionnaire organisée et intervenir politiquement dans la lutte de classe, l’U.C.I. souffre en premier lieu de « national-trotskysme » : de fait, elle existe avant tout comme une organisation française (Lutte Ouvrière). En outre, elle tend à enfermer la lutte de classe au sein de l’entreprise sans jamais poser concrètement la question du pouvoir politique et des institutions, malgré son électoralisme débridé ; au lieu de combattre pour la construction du parti marxiste, elle attend que celui-ci « surgisse de grands événements », qu’il tombe du ciel ; en attendant, elle refuse d’organiser pratiquement la lutte pour les revendications partielles et transitoires, elle ne comprend guère la nécessité du combat quotidien pour la défense et le renforcement des syndicats, elle refuse de combattre l’Union européenne sous prétexte qu’avec ou sans l’Union européenne, les capitalistes sont des capitalistes et les États bourgeois des États bourgeois, elle tombe constamment dans des travers électoralistes et elle a souvent une attitude d’attentisme « critique » devant le PC, qu’elle considère encore comme le « grand parti de la classe ouvrière ». Enfin, son élaboration théorique et politique est le plus souvent indigente et, sur le plan organisationnel, elle fait preuve de sectarisme au nom de conceptions surannées (le modèle des sociétés secrètes de la Monarchie de Juillet) et d’un bureaucratisme étouffant (sous la houlette d’un micro-appareil qui dirige l’organisation de façon despotique).

Néanmoins, ce courant « bartiste-hardyste » reste le plus souvent sur des positions de classe (comme le montre notamment son refus d’appeler à voter pour Chirac au deuxième tour des élections présidentielles de 2002, malgré les pressions de la bourgeoisie et des médias), il continue résolument à populariser le programme de la révolution communiste et, en France, il est certainement le mieux implanté parmi les ouvriers, incluant des capacités de développement potentiellement importantes, quoique entravées par ses nombreuses tares (par exemple, il est symptomatique que, sur environ 7000 militants que compte Lutte ouvrière en France, moins de 900 soient adhérents officiels, les autres étant des activistes sans droits à l’intérieur de leur propre parti).

Il existe donc une contradiction entre sa base de classe et ses références programmatiques formelles, d’une part, et sa politique de passivité camouflée sous un discours gauchiste, de l’autre.

Le courant « IVe Internationale » - « La Vérité »

Ce courant constitue de plus en plus un courant centriste de tendance trade-unioniste, qui pratique toujours davantage un opportunisme défensiste, syndical et « démocratique ».

Certes, le C.C.I. a le mérite incomparable d’avoir défendu le programme de la IVe Internationale contre le révisionnisme pabliste, le C.C.I. et le P.T. ont le mérite incomparable d’inscrire encore aujourd’hui leur activité dans une perspective internationaliste, de dénoncer sans faille la politique des gouvernements de toutes couleurs politiques et d’intervenir pratiquement dans certains secteurs de la lutte de classe.

Cependant, tout en maintenant un certain fil de continuité — en fait de plus en plus ténu —, le C.C.I. a tendu de plus en plus à substituer dans la pratique au programme de la révolution prolétarienne une politique strictement défensiste et trade-unioniste — ce que son culte fétichiste, stérile et aujourd’hui sclérosant de deux ou trois phrases du Programme de transition ne saurait cacher, mais révèle au contraire. En effet, le C.C.I. et le P.T. tendent de plus en plus à remplacer l’articulation correcte des revendications partielles et transitoires avec le programme de la révolution socialiste, par une politique qui se limite à la défense — nécessaire, mais en elle-même insuffisante — des organisations et des conquêtes de la classe ouvrière. En France, on voit même apparaître de plus en plus des mots d’ordre comme ceux de « reconquérir » ou même « défendre », voire « sauver » la « démocratie » en soi, «défendre la nation », voire l’État, alors que la nécessité de combattre contre la mise en cause de l’indépendance des organisations syndicales, contre la casse du cadre républicain fondant l’égalité des droits, contre la privatisation et la fermeture des services publics nationaux et contre la liquidation des conquêtes inscrites dans la loi nationale, ne saurait justifier quelque compromission que ce soit avec l’idéologie bourgeoise et son culte de la Démocratie, de la Nation et de l’État, dont le caractère bourgeois doit être au contraire systématiquement dénoncé par la mise en avant des revendications révolutionnaires du prolétariat. S’il avance parfois dans l’agitation des mots d’ordre de rupture avec l’Etat bourgeois, le P.T. le fait de manière trop partielle, trop timorée et trop formaliste (par exemple en France : abrogation du traité de Maastricht, abrogation des institutions de la Ve République, sans aucune perspective concrète sur la question fondamentale du pouvoir ouvrier, y compris quand il met en avant — c’est-à-dire très rarement — le mot d’ordre d’une vague Assemblée Constituante souveraine dont le contenu de classe est le plus souvent confus). En réalité, pour reprendre les termes de Trotsky contre la vieille social-démocratie, le C.C.I. et le P.T. « ne parlent de socialisme que les jours de fête » (ou au début des congrès), comme pour rassurer les militants qui pourraient se mettre à douter du caractère révolutionnaire de leur organisation.

L’essentiel de l’activité des militants du C.C.I. et du P.T. est consacré à l’intervention (indispensable, mais insuffisante) dans les syndicats, selon une inversion de l’ordre de priorité : dans la pratique, pour la plupart d’entre eux, l’activité syndicale occupe la place décisive et le parti n’est considéré dans les faits que comme un guide pour cette activité, une sorte de groupe de pression bien organisé sur les syndicats. Cette orientation est dialectiquement liée au fait que le C.C.I. et le P.T. s’adressent en priorité aux syndicalistes, c’est-à-dire à l’aristocratie ouvrière au sens léniniste du terme, et non aux travailleurs du rang et à la jeunesse, dont l’écrasante majorité aujourd’hui ne fait ni politique, ni syndicalisme : il y a là à la fois un phénomène d’adaptation à l’idéologie syndicaliste (tendance au « fétichisme syndical », dénoncée par le Programme de transition) et, en retour, une pression des appareils syndicaux réformistes sur le parti et sur la conscience révolutionnaire des militants, qui tend dès lors à régresser, à se limiter à la conviction qu’il faut rester sur une ligne indépendante de la bourgeoisie.

La méthode utilisée pour construire le « parti des travailleurs » se trouve aujourd’hui dans une impasse : faute d’une véritable perspective politique révolutionnaire, elle n’a pas permis de rassembler en masse des militants issus du PS et du PC, elle ne permet plus de gagner les travailleurs et les jeunes (les effectifs du P.T. stagnent, quand ils ne régressent pas comme entre 1997 et 2001, les cadres et militants actifs du P.T. sont presque tous adhérents du C.C.I…) et elle accélère la dérive trade-unioniste des militants.

Corrélativement, le niveau théorique des militants du C.C.I. et du P.T., à commencer par celui de ses dirigeants, est très mauvais. Au nom de l’urgence des tâches défensistes, la direction du C.C.I., en particulier, ne considère pas comme une priorité le combat pour une véritable formation marxiste de ses militants. Elle est elle-même de plus en plus incapable d’écrire des articles de fond, de maîtriser la théorie économique de Marx et surtout de produire une analyse marxiste du mode de production capitaliste dans ses conditions d’existence actuelles — analyse qui se réduit aujourd’hui aux thèses incessamment ânonnées, mais rigoureusement incompatibles avec les analyses de Marx et de Lénine, sur le prétendu « impérialisme sénile », le prétendu auto-effondrement du capitalisme, la prétendue « tendance à la désaccumulation productive » et le prétendu déclin des forces productives depuis 1914. Après avoir couvert l’illusion de l’imminence de la révolution dans les années 1970, la troisième phrase du Programme de transition — qui, écrite en 1938, n’avait et ne pouvait avoir de validité que conjoncturelle — sert aujourd’hui à justifier idéologiquement l’illusion de l’imminence d’un « plongeon de l’humanité dans l’abîme », sous prétexte que les effets barbares inhérents du système capitaliste se réalisent aujourd’hui de manière certainement plus monstrueuse encore que dans les années 1945-1975, pourtant si pleines de guerres, de famines, d’exploitation et d’oppression. En fait, l’épouvantail du « plongeon dans l’abîme » a pour fonction de justifier la pratique purement défensiste et trade-unioniste menée en relation avec l’aristocratie ouvrière — pratique d’un véritable « réformisme à rebours ».

Au niveau international, les forces du courant « IVe Internationale »-« La Vérité » sont très faibles, malgré ses succès réels en ce qui concerne la construction de relations avec les syndicalistes de nombreux pays au cours des dernières années. En effet, le caractère parfois spectaculaire des « conférences internationales » de l’Entente Internationale des Travailleurs ne doit pas cacher le caractère très formel de ces liens internationaux, le plus souvent limités à des actions para-syndicales et de solidarité (ce qui est absolument nécessaire, mais évidemment très insuffisant pour construire le parti de la révolution mondiale). En dehors de la France et de l’Algérie, les sections « IVe Internationale »-« La Vérité » sont le plus souvent squelettiques. Dans tous les pays, elles mènent une politique dont les défauts sont les mêmes que ceux de la section française, les responsables de celle-ci formant le noyau de la direction internationale et développant dans tous les pays une ligne étroitement inspirée de l’expérience et des erreurs françaises. En Allemagne, la direction internationale et les responsables nationaux demandent aux militants de consacrer la plus grande part de leur travail politique à militer au sein du S.P.D., au lieu de construire réellement la section allemande, et ils viennent d’apporter un inadmissible soutien électoral (même pas critique) à Schröder, sous prétexte que celui-ci a fait semblant de s’opposer à la guerre en Irak — ce qui ne trompe aucun analyste tant soit peu lucide —, et aux dépens de la nécessaire dénonciation du bilan désastreux pour la classe ouvrière de quatre ans de gouvernement social-démocrate-vert.

En ce qui concerne leur régime intérieur, le C.C.I. et le P.T. se caractérisent par l'absence de démocratie réelle, la liberté de discussion se limitant le plus souvent au droit d’avoir (temporairement) tort dans les réunions de leurs instances cloisonnées. Il n’y a aucune élaboration collective, aucune discussion écrite, les adhérents du P.T. et du C.C.I. ne sont sollicités que pour faire des « témoignages » et les congrès sont presque toujours unanimes sur tout, à commencer par la conviction qu’il n’y a rien à discuter de fondamental parce qu’il faut d’abord « agir » pour endiguer la montée de la barbarie, c’est-à-dire pour exécuter la politique décidée par la direction.

Dans tous les cas, les politiques de ces trois courants centristes reposent sur l’idée — pourtant jamais vérifiée dans les faits depuis plusieurs décennies — qu’ils sont les seuls à détenir la vérité quant à la stratégie de construction du parti, et qu’un avenir indéterminé finira bien par leur donner raison. En attendant, cela les conduit en réalité à capituler — sous des formes diverses et plus ou moins graves — devant la difficulté des tâches du présent, qui se résument dans la nécessité de construire un grand parti des travailleurs, révolutionnaire, communiste et internationaliste. En particulier, il est symptomatique qu’ils s’arrangent tous trois pour éviter soigneusement toute discussion entre eux, toute action commune, même sur des questions sur lesquelles ils prennent ou pourraient prendre des positions semblables, préférant ou bien l’auto-isolement, ou bien les compromis avec les organisations ouvrières-bourgeoises ou petites-bourgeoises. En agissant ainsi, ils ne servent pas les intérêts de la classe, mais leurs propres intérêts d’appareils, régnant chacun sur son petit royaume, et chacun respectant le royaume de l’autre. En effet, le fondement socio-politique général de ces politiques centristes réside dans la constitution — déjà plusieurs fois décennale — de micro-appareils cristallisés qui se croient infaillibles, mais qui ne sont en fait que les produits de la pression des appareils contre-révolutionnaires du mouvement ouvrier sur les organisations « révolutionnaires ». Ces micro-appareils, même s’ils contribuent dans une certaine mesure à la persistance du trotskysme, constituent en ce sens des obstacles à la construction de la IVe Internationale, y compris à l’activité de leurs militants, dont la plupart est dévouée et sincèrement convaincue par le programme de la révolution communiste.

[Ce développement sera complété ultérieurement par une caractérisation des autres organisations qui se réclament du combat pour la IVe Internationale : Socialisme international, L.I.T., C.I.O., etc.]

c) Il faut construire enfin la IVe Internationale

La classe ouvrière se reconstruira politiquement comme classe en reconstituant le « grand parti des travailleurs » dont elle a besoin pour ses luttes mêmes. Les militants communistes révolutionnaires internationalistes ont pour tâche de participer à la construction d’un tel parti, sans attendre qu’il tombe du ciel ou qu’il émerge spontanément de la lutte de classe quotidienne (même s’il ne se développera véritablement comme parti de masse que par et dans les mobilisations massives de la classe), sans tomber dans l’opportunisme ou le réformisme sous prétexte de récupérer les militants sincères issus de la décomposition des ex-partis ouvriers bourgeois et sans esprit de clocher, sans ultimatisme, sans sectarisme.

Les militants communistes révolutionnaires internationalistes doivent associer leurs efforts pour constituer un noyau marxiste conséquent dans l’objectif de construire l’Internationale communiste révolutionnaire, la IVe Internationale. Le combat pour la nouvelle Internationale est la poursuite du combat des communistes révolutionnaires internationalistes pour l’émancipation des travailleurs du capital, de la propriété foncière et de l’État, combat mené par des générations successives de militants depuis deux siècles et qui se nourrit de l’élaboration théorique, de l’expérience et des leçons collectives du mouvement ouvrier révolutionnaire.


1) Cette définition inclut les contremaîtres, les techniciens, la plupart des ingénieurs et des cadres moyens. Certes, la division du travail engendre un fractionnement extrême du prolétariat, incluant des conflits interclassistes sur le lieu de travail (souvent sous l’apparence de conflits individuels) et permettant aux fractions supérieures de participer à un certain contrôle du processus de production, qui est un processus d’exploitation ; ainsi un certain nombre de prolétaires ont-ils notamment pour fonction de contrôler et d’accroître l’exploitation des autres. Mais, même s’ils touchent de bons salaires (notamment sous la forme mystifiée de la participation aux bénéfices), même s’ils sont intégrés par leur niveau et leur mode de vie à la petite bourgeoisie, ils restent des prolétaires du point de vue — seul scientifique — de leur place dans les rapports de production, dans la mesure où leur force de travail, achetée à sa valeur, est exploitée (son achat coûte au capitaliste moins que ce qu’elle lui rapporte). — En revanche, ne font pas partie de la définition proposée ceux qui, même dans les cas où ils accomplissent des tâches indispensables, dans le cadre de la concurrence capitaliste, à la valorisation et à l’accumulation du capital — tels les P.D.G, les managers, supprimer (car c’est trop vague) : les cadres supérieurs des entreprises, les agents de change, les juristes d’entreprise et avocats d’affaire, etc. — ne sont cependant pas exploités, car leur rémunération ne correspond pas à la valeur socio-historique de leur force de travail, mais à un prix de monopole (extrêmement élevé), déterminé par leur pouvoir, leur part personnelle dans le capital de l’entreprise, parfois leurs compétences individuelles, souvent leurs relations, voire leur nom…

2) Dans la société bourgeoise, les fonctions publiques sont bien évidemment accomplies dans le cadre de l’État bourgeois ; elles ont par là même un caractère éminemment contradictoire : d’une part, elles assurent des tâches nécessaires au fonctionnement de la société en général ; mais, d’autre part, elles sont déterminées par la nature capitaliste de la société (de même que, dans l’entreprise, les capitalistes et leur armée de « fonctionnaires » accomplissent, de manière indissociable, des fonctions de production et des fonctions d’exploitation). Cependant, la définition proposée, s’appuyant sur le concept de salaire différé, permet de faire la distinction suivante : d’un côté, le petit personnel administratif, les enseignants, le personnel de la santé, de la culture, etc., assurent des fonctions qui, pour la plupart, ont été historiquement imposées par la lutte pour les revendications démocratiques et sociales et qui sont, pour l’essentiel, utiles au prolétariat et à la population en général (même si elles participent également au maintien de l’ordre et à un certain intérêt bien compris de l’État) ; d’un autre côté, en revanche, les politiciens, les technocrates, les hauts fonctionnaires, les magistrats, les officiers, etc., relèvent de fait de la bourgeoisie, non seulement par leur mode de vie et leur idéologie, mais surtout parce qu’ils sont par définition les outils humains des vieilles fonctions fondamentales de l’État, les fonctions régaliennes et répressives qui assurent son existence et son respect. Quant au petit personnel de l’armée permanente, de la police, de la justice, sa situation est elle-même double : d’une part, ces fonctionnaires ont en commun avec les prolétaires de n’être pas propriétaires des moyens de production et d’être obligés pour survivre de vendre leur force de travail, de sorte que leur niveau de rémunération et leur mode de vie sont en général semblables à ceux du prolétariat — certaines fractions d’entre eux pouvant même se retrouver dans les syndicats ouvriers ; mais, d’autre part, les fonctions qu’ils assurent sont pour l’essentiel réductibles à la division de la société en classes et à la nécessité de maintenir l’ordre bourgeois par la contrainte, de sorte que leur activité professionnelle les relie intimement au caractère bourgeois de l’État et les oppose frontalement, dès que nécessaire, aux luttes du prolétariat ; de manière générale, leur conscience ne peut donc guère devenir révolutionnaire et est, dans les faits, souvent réactionnaire (même si certains secteurs peuvent être amenés à s’allier avec le prolétariat en cas de crise révolutionnaire).

3) De nos jours, dans les nations développées, cette classe est peut-être la plus « laborieuse » de toutes : elle travaille en général beaucoup plus que les prolétaires et les fonctionnaires. — Bien évidemment, elle est extrêmement hétérogène si l’on considère non plus la place occupée à l’égard des moyens de production et dans les rapports sociaux de production, mais le niveau des revenus, le mode de vie ou la culture : il n’y a à cet égard qu’un rapport lointain entre le petit paysan surendetté qui gagne deux ou trois fois moins qu’un ouvrier et vit entre sa ferme et son village, d’une part, et un médecin de ville qui souvent touche dix fois plus et vit bourgeoisement, d’autre part.

4) Cela ne signifie évidemment pas que toutes les décisions et analyses de Trotsky en tant que dirigeant de l’Opposition de gauche puis de l’organisation pour la IVe Internationale aient toujours été justes, ni même qu’il ait été le seul à maintenir le fil de la continuité communiste révolutionnaire contre la social-démocratie et le stalinisme ; mais il est certainement le seul — par opposition aux bordiguistes, brandlériens, soi-disant « luxembourgistes » et autres « conseillistes » — à avoir mené ce combat en l’inscrivant dans un cadre à la fois organisationnel (principes du bolchevisme contre les différentes variantes de gauchisme), pratique (intervention dans la lutte des classes et non simple propagande de cercle) et internationaliste (construction effective d’une organisation immédiatement internationale).