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Le CRI des Travailleurs n°29     << Article précédent | Article suivant >>

Lettre publique du Groupe CRI à la LCR concernant son projet de thèses politiques pour le nouveau parti anticapitaliste


Auteur(s) :Groupe CRI
Date :18 novembre 2007
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Camarades,

L’absence de toute réponse de votre part à notre lettre publique du 18 juillet, par laquelle nous avions répondu favorablement (et parmi les tout premiers) à votre proposition de discussion sur le projet de « nouveau parti anticapitaliste » (NPA) (1), nous laisse perplexes. Nous le sommes d’autant plus que vous n’avez pas davantage donné suite à notre « relance » non publique du 13 octobre et à nos deux entretiens téléphoniques, aussi brefs que peu encourageants, avec Yvan Lemaitre. Nous sommes bien sûr un petit groupe et nous savons que vous êtes, comme tous les militants, très pris par vos tâches d’organisation. Mais nous avions cru comprendre que, en lançant fin juin votre projet de NPA, il s’agissait pour vous d’ouvrir largement le débat avec « tous les anticapitalistes et tous les révolutionnaires », c’est-à-dire sans exclusive a priori.

C’est d’ailleurs une telle volonté qu’affirment les thèses adoptées par votre Direction nationale les 20-21 octobre : votre projet, écrivez-vous, est celui d’un « parti ouvert, rassemblant sans aucun sectarisme tous les militants, courants, expériences qui se reconnaissent dans une telle démarche » ; et vous poursuivez dans les termes suivants : « C’est dans cet esprit que nous devons ouvrir le dialogue avec les forces qui sont prêtes à s’engager dans la construction de ce nouveau parti anticapitaliste en commençant par les secteurs de la jeunesse et du monde du travail les plus avancés dans le combat anticapitaliste. » Sur la base de cette profession de foi tout à fait limpide, nous vous confirmons donc que nous souhaitons toujours participer aux discussions concernant le projet de NPA, quels que soient les rythmes et autres ajustements de calendrier. Bien sûr, nos militants ont de toute façon l’intention de s’engager pleinement dans les réunions et initiatives organisées dans ce but. Cependant, nous persistons à penser que les rencontres et échanges directs entre organisations et groupes ne peuvent que contribuer à faire avancer la discussion dès lors qu’on la veut ouverte et constructive.

C’est dans cette perspective que nous tenons à faire connaître notre avis concernant les thèses adoptées par la majorité de votre Direction nationale : soumises à votre congrès de fin janvier, ces thèses constituent la plus importante contribution à la discussion sur le NPA qui ait été produite jusqu’à présent. Elles ne sont en effet pas un écrit de circonstances, mais leur nature est programmatique, puisqu’elles définissent la base sur laquelle vous souhaitez que s’engage la LCR pour construire le NPA. Elles rendent par là possible une discussion de fond, avec ce recul et cette ampleur de vue nécessaires à la réflexion politique générale, au-delà des vicissitudes de l’activité militante quotidienne.

Sur l’introduction des thèses

La plupart des idées exprimées dans l’introduction de vos thèses étant développées par la suite, nous y reviendrons au fur et à mesure. Nous tenons cependant à faire sans attendre deux remarques générales, correspondant aux deux points principaux de cette introduction, en raison de leur caractère fondemental :

a) Vous commencez par inscrire la victoire de Sarkozy dans un contexte international et historique caractérisé par « deux tendances lourdes : l’offensive libérale capitaliste et l’effondrement/mutation des partis traditionnels du mouvement ouvrier », ce dernier processus faisant qu’« une période du mouvement ouvrier s’est achevée ». Nous sommes d’accord avec cette analyse, mais il nous semble que son importance est telle qu’elle mériterait d’être bien davantage développée dans les thèses. Or l’un des traits marquants de celles-ci est qu’elles sont au contraire centrées sur le mouvement ouvrier de France (à l’exception de quelques passages rapides dans les thèses 2 et 5). Pourtant, au moment de fonder un nouveau parti, ne faudrait-il pas décrire et expliquer plus précisément les rapports entre les classes et la situation du mouvement ouvrier à l’échelle international ? Cela nous semble indispensable pour aider les militants anticapitalistes à toujours inscrire leur activité quotidienne dans une perspective qui, à l’époque du capitalisme impérialiste et plus encore de la phase actuelle de la « mondialisation », ne saurait être que profondément internationaliste.

b) Le second point principal de votre introduction est une première présentation du projet d’« un parti pour l’émancipation qui défendra jusqu’au bout les intérêts du plus grand nombre, en rupture avec le capitalisme et ses institutions, pour redonner aux idées du socialisme et du communisme toute leur force contestataire, leur actualité ». Là encore, nous sommes d’accord et nous nous réjouissons de cette orientation, mais nous sommes surpris que ce soit l’unique référence au « communisme » dans tout votre texte — le terme de « socialisme » étant quant à lui repris dans un autre passage (thèse 5), mais sans dire ce que c’est selon vous ou plutôt en le présentant non comme un mode de production, mais comme un concept équivalent à « répartition des richesses, égalité sociale »… De plus, nous ne pensons pas que les « idées du socialisme et du communisme » puissent se réduire à leur aspect « contestataire ». Au contraire, les principes du communisme tiennent leur force de leur caractère éminemment positif : c’est le seul véritable projet de société alternatif à la société bourgeoise et, quels que soient les courants historiques du mouvement ouvrier dont on se réclame — notamment les divergences sur la façon de procéder —, l’objectif final commun est une société sans classes et sans États, égalitaire et libertaire, supposant d’abord la destruction du capitalisme et de ses États (2). Certes, vous évoquez, à la fin de vos thèses, « la nécessité d’une rupture révolutionnaire avec le capitalisme, c’est-à-dire en finir avec l’exploitation capitaliste, la propriété privée des moyens de production » et vous inscrivez votre projet dans le combat « pour l’émancipation des travailleurs, pour une société débarrassée de l’exploitation, de toutes les discriminations et oppressions, dirigée démocratiquement par les productrices et les producteurs », bref pour « une société socialiste, démocratique et autogérée ». Mais, selon nous, cette orientation ne saurait être une sorte de supplément d’âme au programme du NPA : ce doit être au contraire son cœur même, c’est-à-dire qu’elle doit le nourrir de part en part. En effet, il ne s’agit pas seulement d’un objectif lointain, mais la critique du capitalisme ne peut être radicale, la défense des travailleurs ne peut aller « jusqu’au bout », les propositions de mots d’ordre et de méthodes de lutte ne peuvent être cohérentes et conséquentes, que si elles partent de cette idée. De ce point de vue, tout parti anticapitaliste cohérent et conséquent ne peut qu’être qu’un parti ouvertement et sytématiquement communiste.

Sur la thèse 1 [justification du projet de NPA par les conditions subjectives en France]

Vous commencez par indiquer les conditions subjectives qui, en France, justifient d’ouvrir la discussion sur le projet de NPA. C’est, d’une part, la manifestation dans les luttes, depuis 1995, d’une « large conscience d’opposition aux plans libéraux du capital », et notamment de l’« existence de dizaines de milliers de militants agissant sur le terrain de l’anticapitalisme et à la recherche d’une politique de rupture avec le "réalisme" des directions syndicales, du PS et du PCF ». D’autre part, il y a l’audience électorale de l’« extrême gauche » depuis 1995 aussi (jusqu’à celle d’Olivier Besancenot cette année) et plus généralement, avec la victoire du Non au référendum de 2005, l’« existence d’un puissant courant de contestation du capitalisme libéral ». Cette double manifestation d’une même conscience exprime le « besoin d’un parti anticapitaliste, internationaliste, écologiste, féministe, qui serait un outil politique pour les travailleurs et l’ensemble des opprimés dans les luttes, qui serait leur porte-parole dans les élections ». Nous sommes d’accord avec cela, mais votre analyse nous semble affaiblie par trois manques :

a) Vous ne dites rien de l’évolution des conditions objectives en France dans la dernière période historique, notamment en ce qui concerne les rapports de production — les changements intervenus dans la taille et la structure des entreprises, les fermetures et restructurations, le développement de la sous-traitance, les nouvelles méthodes managériales, la flexibilité, avec leurs effets sur les effectifs, la composition et les conditions de travail du prolétariat, la précarisation accrue, la place des salariés du secteur public, etc. Il nous semble que, pour éviter tout empirisme et notamment le subjectivisme, un NPA devrait intégrer ces questions dans son analyse de la situation, afin que la démarche militante, nécessairement volontariste et « optimiste » en elle-même, s’inscrive dans un contexte qui reste dominé avant tout par l’offensive du capital pour remodeler les forces productives en liquidant les uns après les autres les acquis de la classe ouvrière.

b) L’équilibre de votre formulation, tendant à accorder une importance égale à l’intervention dans les luttes et aux consultations électorales, nous semble contestable, voire dangereux. C’est d’autant plus vrai que, concrètement, les discussions et réunions que vous avez commencé à organiser dans le pays autour du projet de NPA se sont jusqu’à présent centrées principalement sur la question des municipales, mais n’ont qu’assez peu servi à rassembler une force politique plus large que la LCR pour préparer la résistance à Sarkozy sur le terrain de la lutte de classe (c’est ce qui ressort du premier bilan présenté à votre DN des 20-21/10). — Pour notre part, nous estimons que la conscience de classe se manifeste certes à la fois dans les luttes et sur le terrain électoral, comme le prouvent les faits que vous rappelez, mais on ne peut pas les mettre sur le même plan : dans le cadre des élections organisées par l’État bourgeois, la conscience de classe et les rapports entre les classes ne s’expriment que de manière extrêmement déformée. En effet, la classe dominante maîtrise les principaux mécanismes de l’élection (notamment les médias, le chantage au prétendu « vote utile », etc.) et, d’un point de vue idéologique, l’illusion démocratique pèse au maximum sur les travailleurs eux-mêmes. Dans les luttes, en revanche, la conscience de classe se développe vite et de manière bien plus radicale, comme le prouve le succès constant des propositions qui concernent l’auto-organisation ou des mots d’ordre radicaux (pour la grève, contre le patronat, contre le gouvernement, etc.). C’est donc avant tout la conscience de classe telle qu’elle se manifeste dans les luttes qui devrait, à notre avis, servir de thermomètre principal pour analyser les conditions subjectives. De ce point de vue, un bilan précis des luttes qui ont eu lieu depuis 1995 et des principales leçons concrètes qu’on peut en tirer nous semblerait de la plus grande importance au moment de fonder un NPA se définissant comme un « outil politique dans les luttes ».

c) Enfin, votre analyse des conditions subjectives en France, comme tout le reste de votre texte, ne mentionne pas la question des jeunes des quartiers populaires. Or, quelles que soient les limites de leur conscience du point de vue de la culture du mouvement ouvrier, plusieurs de leurs actions et notamment leur révolte générale de novembre 2005 font d’eux un acteur social d’une grande importance, capable de contester activement le système socio-économique et les institutions de l’État. De plus, les faits montrent que, lorsqu’ils sont intégrés dans une entreprise, comme cela a été le cas par exemple de 2 500 jeunes de la région parisienne à la SNCF ces deux dernières années, leur potentiel de révolte devient un facteur important des luttes ouvrières (cf. notamment l’actuelle mobilisation des cheminots ou, auparavant, la grève à presque 100 % du « tram-train » — ligne T 4 du tramway —, par laquelle ces jeunes cheminots issus des banlieues, astreints à des conditions de travail particulièrement difficiles, ont contraint en quelques jours la direction à céder partiellement à leurs revendications). Il nous semble donc indispensable de parler dans le futur programme du NPA de cette catégorie, en considérant son intégration au prolétariat et la jonction de ses luttes avec celles des travailleurs comme l’une des tâches militantes très importantes de la période.

Sur la thèse 2 [situation internationale]

Sur les questions internationales, nous approuvons évidemment votre dénonciation de la « mondialisation capitaliste » et de ses effets, votre exigence de retrait des troupes impérialistes, et notamment françaises, des pays où elles interviennent, votre soutien au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, votre affirmation selon laquelle « il n’y a pas de solution nationale » aux maux qui accablent les travailleurs, les femmes, les victimes du racisme, etc. Cependant, vos remarques soulèvent à notre avis également des problèmes :

a) Votre analyse de la situation économique internationale est non seulement très rapide, mais en outre inexacte à notre avis : vous écrivez que la récente crise financière « illustre la fragilité du système qui dépend de mécanismes spéculatifs opaques ». Mais, d’une part, le système capitaliste est un mode de production, il ne « dépend » pas de la spéculation (3) : celle-ci n’en est qu’un corollaire parasitaire dont l’importance croissante confirme l’analyse de Lénine sur les traits de pourrissement inhérents à l’impérialisme, mais qui n’en accompagne pas moins le développement (d’ailleurs assez rapide dans la conjoncture actuelle) de la production et des rapports de production capitalistes à l’échelle mondiale (4). D’autre part, les « contradictions » internes au capitalisme impérialiste que vous évoquez accompagnent certes le développement du système, auquel elles sont inhérentes, mais elles n’impliquent pas pour autant, à l’époque actuelle, une « fragilité » particulière de celui-ci. Non seulement, en effet, la crise financière de l’été a été bien maîtrisée au niveau mondial (même si la plupart de ses effets sur l’économie réelle n’ont été ce faisant que différés et seront donc d’autant plus violents quand ils ne pourront plus être évités) ; mais surtout l’offensive du capital et la crise généralisée du mouvement ouvrier assurent depuis un quart de siècle toute une époque historique de triomphe global du capitalisme (quelles que soient les limites à ce triomphe que lui imposent ici ou là les luttes ouvrières et populaires, pour la plupart défensives).

b) Vous évoquez la « nécessité du combat anti-guerre ». On devine avec le contexte que vous pensez avant tout aux guerres impérialistes, mais cette formulation pourrait d’autant plus être interprétée dans un sens purement pacifiste que vous n’exprimez à aucun moment un soutien inconditionnel à la résistance anti-impérialiste des peuples opprimés, donc également aux actes militaires de cette résistance. Or il serait à notre avis nécessaire que le NPA se prononce en ce sens, par exemple vis-à-vis de la résistance du peuple palestinien contre l’État sioniste. Cela ne veut évidemment pas dire que les actions militaires soient en toutes circonstances la meilleure solution (elles n’ont en fait de chances d’être efficaces que lorsqu’elles sont menées par les masses sous la direction d’un parti ouvrier anticapitaliste conséquent et cohérent (5)). Mais cela signifie que, dans tout conflit entre une puissance impérialiste et un peuple opprimé, les anticapitalistes doivent être absolument du côté de celui-ci et pour la défaite de l’impérialisme, car c’est le moindre mal du point de vue de la lutte de classe et anti-impérialiste internationale.

c) En ce qui concerne l’Amérique latine, vous considérez qu’il y a « un processus global de radicalisation, avec pour pointes avancées le Venezuela ("révolution bolivarienne"), mais aussi la Bolivie et l’Équateur, ainsi que l’Argentine ; processus dans lequel apparaissent certains phénomènes de reconstruction du mouvement ouvrier et y compris de l’idée socialiste ». Tout d’abord, pour ce qui concerne l’Argentine, notre analyse est au contraire que la crise de 2001 a été résolue depuis 2003 par la politique du gouvernement de « centre-gauche » de Kirchner et le redémarrage spectaculaire de la croissance économique, de sorte qu’on ne peut guère parler des luttes ouvrières dans ce pays, qui sont aujourd’hui purement économiques, comme de « pointes avancées » d’un « processus global de radicalisation ». Mais surtout votre formulation est à notre avis gravement ambiguë en ce qui concerne le Venezuela : sans la moindre critique contre Chavez et sa politique, vous suggérez que la prétendue « révolution bolivarienne » serait un facteur de « reconstruction de l’idée socialiste ». Or nous pensons que ce n’est absolument pas le cas : la politique de Chavez est certes marquée par un certain nombre de mesures nationalistes, en tant que telles partiellement anti-impérialistes, mais elle n’a rien de « socialiste », à moins de se payer des mots qu’il emploie lui-même. On rejoint ainsi le problème que nous avons posé en commençant (cf. aussi ci-dessous nos remarques sur votre thèse 5) : faute de précisions sur ce que vous entendez par « socialisme », le risque est grand de semer la confusion sur la politique réelle de ceux qui s’y réfèrent plus ou moins. En l’occurrence, ce qu’un NPA nous semble devoir dire aux travailleurs au sujet du Venezuela, c’est que ce pays et le président qu’il s’est donné doivent être défendus contre toute attaque impérialiste (par exemple lors de la tentative de coup d’État de 2002, etc.) (6), mais que la politique de ce président doit être en même temps combattue par la classe ouvrière. Car elle consiste pour l’essentiel à préserver les intérêts des capitalistes du Venezuela et à tenter d’intégrer la centrale syndicale UNT à la politique bourgeoise bonapartiste de Chavez (celui-ci n’hésite pas dans ce but à laisser réprimer les luttes ouvrières et à calomnier les dirigeants syndicaux soucieux de leur indépendance à l’égard de l’État) (7).

d) En ce qui concerne l’Europe, vous vous prononcez non seulement pour une « convergence européenne des luttes et des revendications », mais aussi « pour une Europe sociale et démocratique, une Europe des travailleurs et des peuples ». Là encore, cette formulation nous semble dangereusement ambiguë : une telle Europe est-elle possible si elle n’est pas anticapitaliste ? Non, elle ne l’est pas davantage qu’une « France sociale et démocratique, une France des travailleurs » qui n’aurait pas rompu avec le capitalisme. Or, ne pas faire cette précision fondamentale, c’est prendre le risque de semer des illusions qui se rapprochent de celles du PCF et des courants de gauche du PS prétendant qu’il serait possible de réformer dans un sens progressiste l’Union européenne actuelle, c’est-à-dire les institutions étatiques supranationales mises en place et dominées par les principales bourgeoisies d’Europe. Selon nous, à une époque où la bourgeoisie fait tout pour justifier sa politique au nom de « l’Europe », censée apporter la paix et la prospérité, il est indispensable d’opposer à son projet capitaliste et impérialiste le seul projet alternatif viable, celui d’une Europe anticapitaliste révolutionnaire, communiste, des travailleurs, dont la condition est la destruction du capitalisme et des institutions européennes actuelles.

Sur la thèse 3 [analyse de la politique de Sarkozy et nécessité de lui résister]

Nous nous retrouvons pour l’essentiel dans l’analyse de la politique de Sarkozy, de son contexte et du fait que sa mise en œuvre est facilitée par l’orientation des « directions de la gauche politique et syndicale », notamment par les « différentes "concertations" organisées avec les bureaucraties syndicales ». Nous sommes également d’accord quand vous écrivez que, « si Sarkozy a fait jusqu’alors le choix de soumettre le mouvement syndical et les travailleurs par le jeu de la concertation, il pourrait demain faire le choix de poser à l’homme de l’ordre qui ne craint pas l’affrontement », notamment par la répression. Enfin, nous approuvons évidemment l’affirmation selon laquelle « nous devons organiser et participer à la résistance (…), nous devons incarner l’opposition frontale et globale à la politique de Sarkozy », mettre en œuvre une « politique d’unité, de développement et d’extension des luttes, dans la perspective d’un mouvement d’ensemble ». — Toutefois, vous n’êtes pas très précis sur le contenu de ce « mouvement d’ensemble », ni sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Certes, dans un texte programmatique, il serait vain d’entrer dans les détails de l’action, qui dépendent des circonstances. Cependant, vous écrivez vous-mêmes (dans la thèse 5) que vous voulez « mettre au centre de la construction du nouveau parti sa capacité d’initiative », car un NPA « se construit autour d’initiatives qui donnent sens à ses engagements programmatiques ». Or, de ce point de vue, deux points fondamentaux, de nature programmatique, manquent à notre avis dans la ligne d’intervention stratégique que vous proposez :

a) Vous ne dites rien sur la nécessité de l’auto-organisation des travailleurs en lutte — c’est-à-dire des assemblées générales, des comités de grève, des assemblées interprofessionnelles et de leur coordination par l’intermédiaire de délégués élus en AG, mandatés et révocables, seuls légitimes pour représenter les travailleurs en lutte. Ce manque nous semble particulièrement préoccupant car il s’agit pour nous d’une question de principe : cette auto-organisation (intégrant les syndicats combatifs et leurs représentants) est indispensable dans tout mouvement si l’on veut qu’il soit contrôlé par les travailleurs eux-mêmes et non dévoyé par les bureaucrates de tout poil. D’ailleurs, cette question se trouve être d’une actualité brûlante au moment où nous vous écrivons : la période ouverte par la puissante journée de grève et de manifestations du 18 octobre, avec notamment l’actuelle grève des universités, la grève reconductible des cheminots et l’exigence croissante de la convergence des luttes, pose très concrètement la question des AG par secteurs et au niveau interprofessionnel, comme seul moyen de contrer la politique de division et d’égrenage des directions syndicales. De ce point de vue, il est clair que, si la LCR décidait de se battre partout pour des AG interprofessionnelles, si ses militants s’engageaient pleinement dans leur construction avec l’ensemble des autres organisations et militants favorables à l’auto-organisation, cela constituerait un facteur considérable pour la mobilisation générale et pour son contrôle par les travailleurs eux-mêmes.

b) Vous ne parlez pas non plus, à aucun moment, de l’objectif clair de la grève générale, vous contentant d’évoquer un bien plus vague « mouvement d’ensemble » contre Sarkozy. Certes, dans l’activité militante quotidienne, on peut toujours discuter sur l’opportunité de la mise en avant ou non d’un tel mot d’ordre ou même de cet objectif. Mais, dans un texte programmatique et stratégique, destiné à fonder un NPA, comment comprendre que la grève générale ne soit même pas mentionnée ? Il s’agit non seulement d’un objectif traditionnel du mouvement ouvrier depuis la fin du XIXe siècle, mais encore d’une aspiration présente dans la conscience actuelle de nombreux militants de tendances diverses, qui a notamment été exprimée par des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes en France en 2003 et en 2006. Pour notre part, nous considérons que cet objectif devrait figurer en bonne place dans le programme et la propagande du NPA — et dans son agitation quotidienne dès que la situation le rendrait réaliste, en particulier en ce mois de novembre 2007 —, car l’expérience vivante des luttes dispersées et des « journées d’action » sans perspective des dernières années montre qu’il n’y a pas d’autre solution pour vaincre un gouvernement aussi déterminé que celui de Sarkozy.

Sur la thèse 4 [PS, PCF, directions syndicales, courants anti-libéraux]

Nous sommes largement d’accord avec vos critiques contre le PS, la direction du PCF, les bureaucraties syndicales et les courants anti-libéraux qui ne sont pas anticapitalistes. Nous approuvons aussi votre idée majeure selon laquelle « le mouvement social ne peut à lui seul répondre sur le plan politique aux carences du mouvement ouvrier traditionnel et qu’il est illusoire de croire pouvoir esquiver la question de la construction d’une alternative anticapitaliste ». Ces point sont très importants pour aller vers un authentique NPA. Cependant, nous soulevons là aussi plusieurs points de divergence ou d’interrogation :

a) En ce qui concerne la nature du PS, nous estimons que vous n’allez pas jusqu’au bout de l’analyse. Vous reprenez la distinction floue, car dépourvue de critères de classe, entre « droite » et « gauche », et vous manifestez une hésitation politique qui s’exprime même sous la forme d’une contradiction logique. D’une part, en effet, vous reconnaissez que ce parti se caractérise par un « renoncement ouvert à tout combat de transformation sociale » (nous soulignons cette formule claire, en soi définitive) ; mais, d’autre part, vous affirmez tout de même que son évolution serait marquée par « encore beaucoup d’inconnues (…) : "Nouveau parti social-démocrate", "parti démocrate" à l’américaine », et vous concluez par la formule ouverte suivante : « la situation française permettra-t-elle d’aller jusqu’au bout de tels projets, la question est maintenant posée » — ce qui signifie qu’il serait malgré tout envisageable que le PS n’ait pas renoncé totalement au « combat de transformation sociale », ou qu’il y revienne… Pour notre part, nous soutenons que le PS est un parti purement et simplement bourgeois, et non « ouvrier-bourgeois », c’est-à-dire réformiste, comme il l’était jusqu’aux années 1980 ; c’est maintenant un parti analogue au parti démocrate américain (8). Or cette question a évidemment des implications pratiques très concrètes : elle conduit selon nous à exclure toute alliance politique avec le PS, y compris sur le terrain électoral (nous y reviendrons).

b) Parmi les forces et structures qui selon vous « sont non seulement des éléments de résistance aux politiques libérales, mais participent à leur manière à la création d’un terreau favorable à la construction d’une alternative anticapitaliste », de sorte que « la participation de tout ou partie des équipes qui les animent sera un élément déterminant pour la construction d’un nouveau parti », vous énumérez pêle-mêle toute une série d’organisations, dont les SUD et la FSU. Autrement dit, non seulement vous ne faites pas de distinction entre la base et la direction de ces syndicats, mais vous allez jusqu’à soutenir que « tout ou partie » de leur direction pourrait s’engager dans la construction du NPA ! Comme vous ne mentionnez en revanche pas la CGT ou FO dans cette énumération, il faut en conclure que vous établissez une différence de nature entre celles-ci, d’une part, les SUD et la FSU, d’autre part. Or nous sommes en désaccord avec cette façon de voir les choses : quelles que soient les nuances qui les séparent, la FSU et même les SUD sont, comme la CGT et même une partie de FO, des syndicats réformistes du mouvement ouvrier (l’autre partie de FO est purement et simplement composée de jaunes, mais on en trouve aussi à la CGT et à la FSU). Cela signifie que, d’une part, ces syndicats comptent des dizaines de milliers de militants sincères et dévoués, cadres organisateurs de la classe ouvrière, parmi lesquels plusieurs milliers de militants de lutte de classe, voire révolutionnaires. Mais, d’autre part, ils sont dirigés par des gens qui, quelles que soient les nuances entre eux, pratiquent plus ou moins ouvertement la collaboration de classe, soit parce qu’ils sont des bureaucrates, soit tout simplement parce qu’ils sont des réformistes et n’ont donc pas d’autre perspective que d’essayer de limiter les dégâts (c’est souvent le cas même dans les SUD, qui restent de toute façon très minoritaires). De plus, en qui concerne la FSU et la CGT, contrairement à ce que vous semblez dire, ces dirigeants réformistes sont en fait de la même nuance, puisqu’ils restent encore aujourd’hui majoritairement liés plus ou moins directement au PCF ou en tout cas à sa mouvance historico-idéologique. Concrètement, la direction de la FSU n’a pas joué un rôle moins néfaste dans le mouvement de 2003 ou de 2006, par exemple, que celle de la CGT, même si leurs positions sociales différentes font qu’elles n’ont pas exécuté exactement la même partition (9). Certes, il y a des différences de fonctionnement d’une organisation à l’autre, et elles ne sont pas négligeables pour la démocratie interne et notamment pour l’influence que les anticapitalistes peuvent y gagner ; mais ce point reste secondaire par rapport à la nature de classe fondamentale de ces organisations et de leurs directions. — En réalité, la distinction que vous faites entre la FSU et la CGT semble surtout destinée à justifier l’orientation des cadres de la LCR dans la FSU à travers la tendance École Émancipée, orientation qui consiste à co-diriger de fait la FSU et ses syndicats (comme le prouve notamment le soutien global aux rapports d’activité), quoique en faisant des critiques. Pour notre part, nous sommes en désaccord avec cette ligne, nous pensons qu’il faudrait la discuter très fermement au sein d’un NPA et, en tout état de cause, nous estimons qu’elle ne saurait justifier une prétendue distinction de nature entre la majorité de la direction de la FSU et celle de la CGT.

c) Contre la politique des directions syndicales, que vous dénoncez à juste titre comme accompagnatrices des « réformes libérales », vous écrivez : « Il est nécessaire de reconstruire un mouvement syndical unitaire et lutte de classe, par l’action commune des équipes et syndicats combatifs, par la coordination de ces équipes au sein de la CGT, pour aller vers la formation d’un courant lutte de classe au niveau national et intersyndical. » Nous sommes parfaitement d’accord avec cela : c’est ce qui nous avait conduits, avec des militants d’autres sensibilités et notamment plusieurs de la LCR, à lancer la proposition du CILCA (Comité pour un Courant Intersyndical Lutte de Classe Antibureaucratique (10)) fin 2005. Celui-ci avait été fondé quelques mois après sur la base du constat que, malheureusement, les principales forces d’« extrême gauche », dont la LCR, ne prenaient aucune initiative pour regrouper les militants syndicaux et commencer à construire un tel courant… C’est la même démarche qui a conduit le CILCA à co-initier le Forum du syndicalisme de classe et de masse aux côtés d’autres collectifs de militants syndicaux se réclamant eux aussi de la lutte de classe — mais malheureusement, là encore, en l’absence de tout soutien, comme de toute proposition alternative, de la part de la LCR. Nul doute que, si un NPA demain, ou même la LCR actuelle, s’engageait désormais réellement « vers la formation d’un courant lutte de classe au niveau national et intersyndical », cela jouerait un rôle tout à fait déterminant pour la lutte de classe, quels que soient les modalités, les rythmes et les discussions que cela entraînerait sans doute. C’est pourquoi nous ne pouvons que souhaiter la mise en œuvre la plus rapide possible de cette orientation déclarée.

d) Tout en critiquant à juste titre les courants anti-libéraux qui « préconisent des formules "intermédiaires" entre le social-libéralisme et la gauche anticapitaliste », mais restent en fait « prisonniers de l’horizon social-libéral et institutionnel dominant », vous nuancez votre propos en ajoutant que « cela ne signifie évidemment pas que l’ensemble du mouvement antilibéral (collectifs, militants) partage cette vision stratégique ». Certes, cette précision est incontestable du point de vue de la subjectivité d’un certain nombre d’antilibéraux, qui rend possible bien des actions communes et discussions avec eux ; mais cela ne saurait justifier une quelconque concession à leur égard quand il s’agit de fonder un parti anticapitaliste. En d’autres termes, nous pensons qu’il faut maintenir clairement la ligne de clivage entre l’anticapitalisme, dont le but ne saurait être que d’en finir avec le système capitaliste lui-même, et l’antilibéralisme qui, au-delà de ses nuances internes, s’en prend seulement à la stratégie actuelle du capital financier. Or ce n’est pas là que vous faites passer la ligne de clivage, au prix d’une orientation ou d’une confusion qui nous semblent dangereuses. Certes, vous vous prononcez plus loin (dans la thèse 5) de façon générale pour « le rejet de toute participation à des gouvernements de gestion de l’État et de l’économie capitaliste. Mais ici, le critère de délimitation que vous proposez passe entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre « l’alliance, le soutien parlementaire ou une participation gouvernementale à des coalitions avec le social-libéralisme, voire le centre-gauche ». Or cette formulation n’exclut pas l’alliance parlementaire, voire une participation gouvernementale avec des forces qui seraient antilibérales sans être anticapitalistes… Pourtant, le principe de l’indépendance de classe du prolétariat est absolument incompatible avec le soutien ou la participation à un quelconque gouvernement de l’État bourgeois. Le seul gouvernement qu’un authentique NPA pourrait soutenir serait un gouvernement des travailleurs eux-mêmes, qui impliquerait précisément la destruction de l’État bourgeois. Mais il s’agit ici d’une question très concrète : l’expérience montre que des forces qui se réclament de l’antilibéralisme quand elles sont dans l’opposition se convertissent bien vite en artisanes de politiques « social-libérales », voire libérales tout court, dès qu’elles arrivent au gouvernement ; l’exemple du gouvernement de Lula au Brésil est à cet égard emblématique. Or, tout en notant que le débat sur le soutien ou la participation à un gouvernement social-libéral « a déjà divisé la gauche en Italie ou au Brésil » et qu’il « était à la base de divisions de la gauche anti-libérale à l’élection présidentielle », vous n’allez pas jusqu’à condamner clairement (ni dans les présentes thèses, ni dans vos autres textes depuis 2002) la participation de Démocratie socialiste (qui reste affiliée à la même organisation internationale que la LCR) au gouvernement de Lula au Brésil ; vous ne condamnez ni son choix d’y participer en 2002, ni même sa décision d’y rester après la mise en œuvre d’une politique anti-ouvrière qui a en fait logiquement commencé dès les premières semaines de ce gouvernement. Et vous ne condamnez pas davantage le soutien apporté par les parlementaires de Sinistra Critica, y compris vos propres camarades, au gouvernement de Prodi en Italie — lequel ne s’est d’ailleurs jamais dit « anti-libéral », bien au contraire.

e) De plus, quand vous en venez à la question des municipales françaises de 2008, la ligne de clivage que vous avez vous-mêmes tracée au niveau gouvernemental s’estompe : vous proposez des « listes anticapitalistes, indépendantes du PS et du PC là où ils gèrent des villes, sur la base d’un plan d’urgence pour une politique municipale en rupture avec le libéralisme et le social-libéralisme ». Dans la pratique, une telle formule permet toutes sortes d’accord politique avec des forces qui ne sont pas réellement anticapitalistes, comme avec le PC ou même le NPS de Mélenchon pour peu qu’ils soient dans l’« opposition » (de fait, de tels accords sont déjà en cours d’élaboration dans plusieurs villes). De plus, vous prévoyez « la possibilité selon les cas locaux d’une fusion au second tour avec la liste de gauche arrivée en tête sur la base d’un accord strictement technique, avec respect de la proportionnelle, sans engagement à un quelconque soutien à la politique municipale, y compris sur le budget » ; or les « garanties » avancées n’empêcheront pas que, pour les travailleurs, les candidats du NPA seront bien la cinquième roue du carosse d’une nouvelle « gauche plurielle » et que c’est donc la confusion politique qui l’emportera sur la ligne de clivage trop fragile que vous tracez. Ici, on retrouve le problème de votre hésitation, signalée précédemment, sur la « gauche » et la nature du PS, qui a donc bien des implications très concrètes.

Sur la thèse 5 [contenu du NPA]

Nous sommes d’accord avec la façon dont vous présentez votre projet quand vous écrivez qu’il s’agit d’« engager maintenant la construction d’une nouvelle représentation politique des exploité-e-s et des opprimé-e-s, un nouveau "parti des travailleurs", pour la rupture globale avec le capitalisme et la transformation révolutionnaire de la société, une nouvelle force politique qui renoue avec les meilleures traditions du mouvement ouvrier, tout en tirant les enseignements des expériences des dernières années ». En particulier, nous partageons votre volonté que le programme du NPA se délimite par « l’indépendance vis-à-vis de l’État et de ses institutions, le rapport aux institutions (participation aux processus électoraux et action des élu-e-s) subordonné à l’intervention dans les luttes et le mouvement social, le rôle central de l’auto-émancipation et de l’autogestion de la population dans la transformation sociale, le rejet de toute participation à des gouvernements de gestion de l’État et de l’économie capitaliste, (…) la rupture avec le capitalisme et la constitution d’un gouvernement des travailleurs, vers l’instauration d’une société socialiste, démocratique et autogérée ». En outre, nous nous réjouissons de la précision suivante : le NPA « devra fonctionner démocratiquement, veiller à articuler centralisation de l’activité et efficacité dans l’action, droit à certaines formes d’expérimentation, droit d’expression publique des divers points de vue avec droit de tendance et de fraction, à quoi il faut ajouter la transparence la plus totale » ; c’est là en effet une condition pour que puissent y participer différents courants et groupes anticapitalistes et révolutionnaires qui peuvent avoir par ailleurs entre eux des divergences de traditions, de sensibilités, de méthodes, etc. Enfin, nous sommes parfaitement d’accord pour dire qu’il faut « mettre au centre de la construction du nouveau parti sa capacité d’initiative ». — Cependant, lorsqu’on examine de plus près le contenu que vous proposez pour le NPA, plusieurs points d’interrogation ou de divergence apparaissent de nouveau :

a) Vous écrivez que « les axes de la campagne de Besancenot indiquent quelles devraient être les lignes de force du programme d’un nouveau parti ». Or, si nous avons pour notre part appelé à voter au choix pour Olivier Besancenot ou pour Arlette Laguiller, nous avons surtout soutenu qu’il fallait une candidature commune sur la base d’un programme anticapitaliste cohérent et conséquent. En effet, la ligne essentielle de la campagne de la LCR, comme d’ailleurs de LO, c’étaient des « mesures d’urgence » (notamment la bien vague « répartion des richesses ») qui se caractérisaient surtout par l’absence d’une véritable perspective transitoire, c’est-à-dire de leur lien systématique avec l’objectif du gouvernement des travailleurs comme seul capable de les réaliser pleinement. Certes, vous évoquez cet objectif une fois dans vos thèses, mais force est de constater qu’il n’a pas constitué le cœur de votre campagne électorale (forme d’activité qui se prête pourtant tout particulièrement à la propagande stricto sensu) et, même dans ces thèses programmatiques, vous n’insistez pas beaucoup sur cette question. En fait, il semble que, pour vous, le gouvernement des travailleurs soit un objectif lointain, non un axe politique majeur, permettant de tracer une véritable perspective en élevant la conscience des travailleurs de leurs revendications immédiates à la nécessité de la révolution anticapitaliste. Même quand vous parlez de « la lutte contre le système capitaliste et la logique du profit », vous prônez certes « la remise en cause de la propriété privée des moyens de production pour développer l’appropriation publique et sociale de l’économie », mais cette idée n’est pas du tout développée et l’expression de « remise en cause » manque donc de précision : vous n’indiquez pas en quoi elle doit consister selon vous, vous ne parlez guère d’expropriation des capitalistes et vous ditez encore moins comment faire pour la réaliser, faute d’avoir mis au centre de votre projet de programme la question du gouvernement des travailleurs. Selon nous, cet objectif devrait être au cœur de l’orientation générale du NPA, car toute mise en avant de « mesures d’urgence » un tant soit peu radicales qui ne pose pas ouvertement la question du pouvoir ne peut que semer la confusion ou des illusions réformistes — en particulier la croyance que « les luttes » pourraient suffire pour satisfaire les revendications fondamentales des travailleurs.

b) Cette confusion est d’autant plus forte que les deux propositions politiques un peu concrètes que vous avancez pour le programme du NPA sont, quant à elles, franchement réformistes. La première est l’« élection d’une assemblée constituante » ; or ce mot d’ordre n’a pas de contenu de classe et, s’il peut être mis en avant de façon progressiste dans certains pays (essentiellement en fait des pays dominés par l’impérialisme) ou dans certaines circonstances historiques particulières (par exemple en Russie jusqu’au printemps 1917), on ne voit pas très bien l’utilité qu’il peut avoir aujourd’hui en France ; en revanche, il véhicule à coup sûr le risque d’illusion démocratiste envers une prétendue possibilité de réformer l’État bourgeois. En second lieu, vous préconisez le « contrôle des travailleurs et de la population », sous la forme d’un « pouvoir à des assemblées élues dans les communes et les entreprises » ; s’il s’agissait de soutenir et d’encourager des formes de contrôle ouvrier ou d’autogestion résultant de la lutte (telles que par exemple les usines autogérées comme en Argentine ou au Brésil (11), ou la prise de pouvoir à l’université, comme à la faculté d’Oruro en Bolivie en 2003 (12), etc.), nous serions d’accord. Mais il s’agit manifestement pour vous de proposer des réformes institutionnelles dans le cadre des « communes » et des « entreprises » actuelles… c’est-à-dire dans le cadre de l’État bourgeois et des entreprises capitalistes. Autrement dit, c’est une orientation de type réformiste, donc parfaitement illusoire, car il n’est pas possible pour les travailleurs de participer réellement au pouvoir dans le cadre du capitalisme ! — Certes, vous évoquez par ailleurs l’idée de « démocratie socaliste » et même de « pouvoir des travailleurs », mais ce n’est pas sur le même plan : c’est au moment où vous définissez votre objectif historique à long terme et, de toute façon, vous ne donnez aucune précision sur le contenu concret de cette « démocratie » et de ce « pouvoir ». Au demeurant, ce même passage se termine par l’objectif d’une « force politique vraiment à gauche, dans le camp des travailleurs » — formule bien vague qui confirme le flou global de votre orientation sur la question du pouvoir et de l’État.

Sur les remarques finales [comment construire le NPA]

Au-delà des problème soulevé au début de cette lettre, nous approuvons globalement les formules par lesquelles vous affirmez votre volonté d’ouvrir largement la discussion et le calendrier que vous proposez. Nous avons cependant une remarque et deux divergences à exprimer :

a) Vous avez raison d’écrire que le NPA « ne pourra être la section française de la IVe Internationale » — c’est-à-dire en fait, comme vous le savez, de l’une des nombreuses organisations qui se réclament de celle-ci et dont la LCR est la section française. Sans évoquer ici les désaccords historiques et actuels que nous avons pour notre part avec cette organisation, cette proposition est évidemment cohérente avec l’idée de rassembler dans le NPA « les anticapitalistes et les révolutionnaires » d’origines et de sensibilités diverses. Quant à la question de savoir ce que deviendront les liens des militants ou des dirigeants de la LCR actuelle avec cette organisation internationale, elle concerne avant tout les membres de la LCR, tout comme l’avenir de celle-ci elle-même au sein du NPA (dissolution pure et simple, constitution en tendance ou en fraction, maintien des courants actuels en courants du NPA, etc. — question apparemment non tranchée entre vous). En revanche, il est crucial, comme vous le proposez, que tous les militants du NPA soient effectivement associés à la discussion proprement internationaliste, en particulier sur la question de savoir s’il est pertinent ou non d’appliquer le même modèle de « regroupement des anticapitalistes et révolutionnaires » au niveau international. Comme vous ne développez pas ce point — en relation sans doute avec une certaine sous-estimation de la question du mouvement ouvrier international que nous soulignions en commençant —, nous reportons également nos remarques et propositions à ce sujet. Mais, pour ce qui nous concerne, ces discussions internationalistes et le choix tactique éventuel d’une organisation anticapitaliste internationale analogue au NPA, s’intègreraient de toute façon dans le cadre d’une réflexion en cours sur la méthode de construction de l’Internationale communiste révolutionnaire. Or nous sommes convaincus que la base de celle-ci ne saurait être que le programme de la IVe Internationale actualisé, seul capable selon nous de concentrer et de faire vivre les acquis du marxisme révolutionnaire, réellement anti-réformiste et anti-stalinien ; nos interlocuteurs prioritaires (quoique non exclusifs) seront et sont donc les organisations qui ont de bonnes raisons de se revendiquer encore du trotskysme dans de nombreux pays.

b) Vous affirmez votre volonté d’« engager des discussions au niveau local et éventuellement national avec les courants issus de la crise du PS et du PCF, les collectifs anti-libéraux, les équipes du mouvement syndical, les révolutionnaires dont Lutte ouvrière ». Bien évidemment, la discussion ne doit être fermée a priori à personne — et, de ce point de vue, quelles que soient les orientations et l’attitude de la direction du PT, que nous dénonçons, il n’y a pas de raison de ne pas mentionner ce parti alors que vous parlez de « courants du PS »… d’autant que, dans une ville comme Saint-Malo, vous envisagez de présenter une liste commune avec le PT et que, à Montreuil, vous l’avez intégré dans les organisations auxquelles vous vous êtes adressés en octobre pour préparer la résistance à Sarkozy… Cependant, au-delà même de notre désaccord sur la nature du PS, pensez-vous réellement qu’il soit juste de mettre sur le même plan des « courants du PS » et LO ? Pensez-vous vraiment qu’il soit possible de fonder un parti anticapitaliste tel que vous le délimitez dans vos thèses (« rupture globale avec le capitalisme et transformation révolutionnaure de la société », « rejet de toute participation à des gouvernements de gestion de l’État et de l’économie capitaliste », etc.) avec des courants du PS ? Concrètement, quel courant du PS se prononce dans ce sens aujourd’hui ? Même les Dolez et autres Filoche sont à mille lieues d’une telle orientation, fût-elle en paroles, pour ne rien dire d’un Mélenchon, ancien sous-ministre de Chirac-Jospin ! En revanche, quelles que soient les critiques que l’on puisse adresser à LO, c’est de loin la plus importante des organisations se revendiquant de l’anticapitalisme et de la révolution avec laquelle il serait possible et nécessaire de mener la discussion. Certes, la direction de LO fait preuve pour le moment d’une attitude sectaire à l’égard de votre proposition de NPA, mais ce n’est pas le cas de la Fraction et de nombreux militants et sympathisants de la majorité, et surtout cette attitude elle-même se nourrit des ambiguïtés de votre propre démarche : à cet égard, votre mise sur le même plan de LO et de courants du PS est particulièrement symptomatique ! Selon nous, la claire distinction entre LO, d’une part, les courants du PS, mais aussi du PCF et des antilibéraux, d’autre part, est une nécessité, et la démarche à son égard (intégrant la critique de son orientation, de son attitude, etc.) devrait être tout naturellement prioritaire si vos critères de définition du NPA sont ceux que vous exposez dans vos thèses. C’est d’autant plus vrai que LO avait posé elle aussi la question d’un nouveau « parti des travailleurs » en 1995, même si elle n’y a pas donné suite finalement.

c) Enfin, nous sommes en désaccord avec votre proposition concernant la question des jeunes. Si nous avons bien des divergences avec l’orientation des JCR, nous pensons que ce serait une grave faute de renoncer à la construction d’une organisation de jeunes révolutionnaires indépendante. L’argument que vous avancez est purement technique (il s’agirait de mobiliser toutes les forces pour le NPA) : vous renoncez par là aux raisons de fond qui, dans toute l’histoire du mouvement ouvrier socialiste, communiste et trotskyste au XXe siècle (et dans la vôtre tout particulièrement !) ont justifié la nécessité d’une telle organisation de jeunesse. D’une part, les jeunes révoltés par le capitalisme ne peuvent pas attendre, pour se battre, d’avoir fixé leurs idées sur l’ensemble des points du programme du parti « adulte », car cela demande du temps, de la culture politique et de l’expérience militante dans la lutte de classe ; d’autre part, la première chose que les jeunes doivent apprendre, c’est la rupture avec l’autorité, l’auto-organisation, le sens de l’initiative et la pensée autonome (13)… De ce point de vue, aucune prétendue « garantie » ne peut être donnée aux jeunes par les plus âgés, et rien ne saurait justifier de faire une exception à ce principe révolutionnnaire sous prétexte de construire le NPA. Au contraire, le projet de celui-ci, tout en étant naturellement ouvert à tous les jeunes qui le souhaitent, devrait conduire parallèlement à ouvrir une réflexion analogue pour ce qui concerne l’organisation de jeunesse : celle-ci devrait selon nous — et contrairement aux JCR actuelles — ne pas être organiquement liée à tel ou tel courant particulier, mais rassembler au contraire en son sein tous les jeunes anticapitalistes et révolutionnaires, qu’ils soient déjà proches d’un courant particulier, qu’ils évoluent vers tel ou tel ou qu’ils ne se posent pas encore la question.

En vous remerciant de votre attention, nous vous prions de croire, camarades, en nos salutations anticapitalistes révolutionnaires,

Groupe CRI


1) Toujours lisible sur notre site http://groupecri.free.fr/article.php?id=404

2) Cf. par exemple le Préambule de notre Projet de programme CRI, http://groupecri.free.fr/article.php?id=1

3) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 28, sept.-oct. 2007, http://groupecri.free.fr/article.php?id=412

4) Cf. la critique du livre de Daniel Gluckstein, Mondialisation et lutte de classe, sur notre site, rubrique Discussions, http://groupecri.free.fr/article.php?id=63

5) C’est l’une des raisons pour lesquelles nous désapprouvons fortement, pour notre part, l’idéologie et la stratégie d’Ernesto Guevara ; cf. à ce sujet notre article [ci-dessous].

6) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 14 de sept.-oct. 2004, http://groupecri.free.fr/article.php?id=169

7) Cf. nos articles dans Le CRI des travailleurs n° 24, 25 et notamment 27, http://groupecri.free.fr/article.php?id=390

8) Cf. notamment notre article détaillé paru dans Le CRI des travailleurs n° 25, http://groupecri.free.fr/article.php?id=324, ainsi que la contribution publiée dans Le CRI des travailleurs en cours, n° 29, nov.-déc. 2007.

9) Cf. notre bilan du mouvements de 2003 dans Le CRI des travailleurs n° 5-6, http://groupecri.free.fr/article.php?id=223, et celui du mouvement de 2006 dans Le CRI des travailleurs n° 22, http://groupecri.free.fr/article.php?id=199

10) Cf. le site du CILCA : http://courantintersyndical.free.fr

11) Cf. nos différents articles sur notre site : http://groupecri.free.fr/search.php?keyword=Brésil

12) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 15, nov.-déc. 2004, http://groupecri.free.fr/article.php?id=130

13) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 28, sept.-oct. 2007, http://groupecri.free.fr/article.php?id=415


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