Le CRI des Travailleurs
n°30
(janvier-février 2008)

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Éditorial : Après la défaite des luttes de l’automne, l’heure est au bilan, à la clarification politique et au regroupement de l’avant-garde pour préparer la prochaine phase de luttes


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :24 janvier 2008
Mot(s)-clé(s) :France
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Les souhaits communistes révolutionnaires pour 2008, qui ne sauraient être que des objectifs politiques réalistes, se doivent d’être lucides. Nul ne peut connaître encore toutes les conséquences des défaites de l’automne 2007. Mais il est clair qu’elles sont déjà graves pour la classe ouvrière et la jeunesse. La forte grève reconductible d’un des bastions les plus combatifs des vingt-cinq dernières années, les cheminots, a été défaite. Les salariés d’EDF-GDF, eux aussi battus sur leur régime spécial de retraites, et les fonctionnaires mobilisés le 18 octobre, puis le 20 novembre, n’ont pas réussi à imposer une véritable grève dans leurs secteurs. La grève courageuse des étudiants, bloquant pendant près de six semaines plus de la moitié des universités, a échoué, contrairement à la précédente contre le CPE en 2006, et s’est soldée par une répression très dure. Enfin, avec l’organisation le 19 décembre de la « conférence sociale » entre directions syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC), patronat (MEDEF, CGPME, UPA) et État (représenté par Sarkozy en personne, une première dans l’histoire de la Ve République), un pas supplémentaire a été franchi dans l’intégration des syndicats historiques du mouvement ouvrier à la politique du patronat et du gouvernement. Comme l’écrivait Sarkozy lui-même le surlendemain aux « partenaires sociaux », « la réunion que j’ai tenue avec vous le 19 décembre (…) est une première dans notre pays. Elle nous a permis d’identifier ensemble, État, syndicats et patronat, les principaux thèmes à l’ordre du jour de l’agenda social 2008 dans les domaines de l’emploi, du pouvoir d’achat et des relations sociales. Pour chacun de ces thèmes, nous avons défini un calendrier et une méthode de travail. » Cette association des syndicats au calendrier et à la méthode du gouvernement pour détruire les acquis sociaux, définit ce qu’un chroniqueur du Monde, Michel Noblecourt, dans l’édition du 26 décembre, a appelé le « social-sarkozysme » : celui-ci vise à imposer « un ambitieux remodelage des relations sociales » — autrement dit, comme le déclarait Sarkozy dans ses vœux aux Français le 31 décembre, à « dépasser les vieux clivages partisans ». Et Le Figaro du 17 décembre allait jusqu’à se demander si le « dialogue social » à la sauce Sarkozy ne serait pas un « piège » pour les syndicats… En fait, la collaboration des directions syndicales au « social-sarkozysme » ne saurait donc être, pour les travailleurs, qu’une nouvelle social-trahison.

Les travailleurs ont été défaits par trahison, mais non écrasés

En même temps, les travailleurs des différents secteurs mobilisés cet automne, et même les cheminots, n’ont pas été écrasés par le gouvernement : leur défaite s’explique avant tout, précisément, par la trahison des directions syndicales. Celles-ci, en effet, ont liquidé la grève et toute perspective de convergence des luttes en sacrifiant les revendications de la base sous prétexte de « négocier » quelques miettes : c’est ce qu’ont dénoncé de nombreux syndicats et militants syndicaux de base, notamment la bonne centaine de syndicalistes réunis le 12 janvier dans le cadre du « Forum du syndicalisme de classe et de masse » (cf. ci-dessous la résolution adoptée sur le bilan des luttes de l’automne, ainsi que d’autres documents syndicaux dénonçant la trahison). De plus, les fonctionnaires, notamment, n’ont pas encore réellement combattu et la grève des hospitaliers pour le paiement de leurs 23 millions d’heures supplémentaires non réglées montre, en ce début d’année, que les potentialités de lutte existent. Même chez les cheminots et les étudiants, des minorités conséquentes voudraient reprendre la grève… La situation n’est donc nullement comparable à ce stade avec, par exemple, celle de l’Angleterre au début des années 1980 (1) : de nouvelles luttes peuvent avoir lieu dans la prochaine période et, en ce sens, la classe ouvrière a perdu une bataille contre Sarkozy, mais non la guerre.

La collaboration de classe a renforcé Sarkozy

Cependant, le fait est que l’expérience de novembre-décembre 1995 ne s’est pas renouvelée : le gouvernement sort victorieux de sa première épreuve de force sociale, donc politiquement renforcé face à la classe ouvrière (s’il perd en « popularité » officielle, cela ne constitue pas, à ce stade, un changement qualitatif de la situation). C’est d’autant plus vrai qu’il n’a pas plus d’adversaires à sa taille parmi les partis politiques que dans les directions syndicales : le PS est en accord sur le fond avec ses réformes, se contentant de critiquer la forme, voire le style présidentiel. C’est pourquoi, quelques jours après la trahison de la grève des cheminots par la direction de la CGT, et alors que la direction de SUD-Rail, malgré ses ambiguïtés (notamment sa participation aux pseudo-« négociations »), se prononçait pour la poursuite de la grève, François Hollande n’a pas hésité à se réjouir de « l’évolution réformiste de la CGT » (c’est-à-dire son acceptation des contre-réformes) et à déclarer que « le syndicalisme que l’on doit combattre, c’est celui de SUD » (Ouest-France, 26 novembre). Quant à la direction du PCF, ses pleurnicheries sur la politique de Sarkozy ne sauraient masquer son refus de la combattre réellement : de fait, depuis l’automne, elle consacre l’essentiel de son énergie à la préparation des municipales en alliance avec le PS pour garder quelques élus et essayer ainsi de sauver son appareil.

C’est pourquoi le gouvernement peut annoncer tranquillement le passage à 41 annuités pour tous (y compris les salariés des régimes spéciaux, en pleine prétendue « négociation » !) ; un nouveau « traité européen » semblable à celui rejeté par référendum en mai 2005 ; des mesures frontales contre le contrat à durée indéterminée (CDI) et contre les statuts de la Fonction publique, dans le sens de l’individualisation ; la généralisation des dispositions des lois Aubry (votées par le PS et le PCF) qui permettaient déjà l’annualisation du temps de travail par des accords d’entreprise ; la vente des HLM aux spéculateurs — sans parler du renoncement à toute promesse concernant le pouvoir d’achat alors que l’inflation s’aggrave sous l’effet de la crise financière et que Sarkozy, valet du patronat, se livre à un étalage écœurant des richesses dont ses maîtres veulent bien le récompenser… Comme l’écrit l’éditorialiste du Figaro au lendemain de la conférence de presse présidentielle du 8 janvier, la « méthode » de Sarkozy « se résume en une formule simple "changer tout en même temps". C’est évidemment à l’opposé de la méthode des petits pas dont Jacques Chirac s’était fait l’adepte (…). Face aux blocages de l’administration et aux pesanteurs sociologiques [c’est-à-dire surtout à la résistance des travailleurs, NDR], seules des réformes "tous azimuts" peuvent faire bouger les lignes. » Cette détermination du gouvernement à mener une politique globale, cohérente et rapide, vérifiant dans la pratique l’évolution du rapport de force social entre les classes indiqué par l’élection présidentielle, pèsera de toute façon très fortement sur les luttes à venir. Et ce ne sont pas les nouvelles « journées d’action » catégorielles et sans perspective du 22 janvier ou du 24 qui y changeront quelque chose : la première est destinée à « continuer à peser sur les négociations » concernant les régimes spéciaux sur la base de la réforme gouvernementale et la seconde prétend servir à faire pression pour l’augmentation des salaires des fonctionnaires, mais ne s’inscrit dans aucun plan de mobilisation capable de réaliser un véritable rapport de force et ne définit pas de revendications claires concernant les attaques de Sarkozy contre les statuts. En les convoquant, les directions syndicales n’ont en vérité pas d’autre but que de faire semblant de mobiliser non pour gagner, mais pour ramener quelques voix à leurs amis politiciens du PS et du PCF à quelques semaines des municipales et pour garder leurs strapontins dans les « conférences » et autres « tables rondes » pilotées par le gouvernement.

Propositions pour préparer la prochaine phase de luttes

Les vœux du Groupe CRI pour 2008 sont donc naturellement que la classe ouvrière et la jeunesse combative (étudiants et lycéens grévistes, révoltés des quartiers populaires) repartent au combat, réalisent leur unité interprofessionnelle malgré et contre la politique des directions syndicales, s’engagent dans la voie de la grève générale et infligent ainsi une défaite majeure à Sarkozy. Mais, pour contribuer à réaliser cet objectif, il faut dans l’immédiat avancer des propositions concrètes, en tirant le bilan de la première phase de luttes, en procédant à la clarification politique. Cela est indispensable pour préparer au mieux les prochains combats de classe, que les attaques globales et profondes du gouvernement rendent inévitables, tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre. C’est pourquoi il faut approfondir les discussions et réaliser des pas en avant concrets dans le regroupement des travailleurs, jeunes et militants d’avant-garde, qu’ils soient déjà organisés ou non :

• Pour une coordination nationale des syndicats et collectifs de militants syndicaux de lutte de classe, capable de contribuer à la mobilisation des travailleurs et d’intervenir systématiquement contre la collaboration de classe des directions à l’intérieur de nos syndicats CGT, FSU, SUD, FO, etc. Le succès des Forums du syndicalisme de classe et de masse du 26 mai 2007 comme du 12 janvier 2008, la conscience de la trahison des luttes qui se développe parmi les travailleurs combatifs et la progression de l’idée même d’un courant intersyndical de lutte de classe chez de nombreux militants (dont témoigne la direction de la LCR, quoique seulement en paroles à ce stade) sont des points d’appui réels pour avancer concrètement dans cette voie, pour aider les travailleurs à se réapproprier leurs syndicats, instruments de défense élémentaires et permanents légués par les générations ouvrières précédentes. De ce point de vue, les principales organisations d’« extrême gauche » (LCR, LO et PT) ont une responsabilité considérable : étant donné les milliers de militants syndicaux qu’elles organisent ou influencent, elles auraient de toute évidence les forces suffisantes pour mettre rapidement sur pied un courant intersyndical de classe d’une taille significative, à plus forte raison si elles le font ensemble. Tout le problème est donc de savoir si elles en ont la volonté politique… et donc si elles veulent réellement lutter contre les directions syndicales. La LCR reconnaît en paroles la justesse d’une telle orientation : il faut donc qu’elle passe des paroles aux actes, et cela implique qu’elle dénonce et combatte enfin frontalement la politique des directions syndicales (y compris la FSU !). LO a aussi une grande responsabilité, notamment en raison de son implantation assez importante dans les entreprises privées. Mais il faut qu’elle cesse de sous-estimer gravement le poids de la politique traître des directions syndicales dans les défaites et d’en rejeter la responsabilité sur les travailleurs, jugés trop peu combatifs : parmi ceux qui se sont mobilisés cet automne et ces dernières années, beaucoup répondraient présents si des centaines de militants syndicaux s’organisaient en courant intersyndical de lutte de classe pour préparer les prochaines luttes et combattre la ligne collaboratrice des bureaucrates ! Quant au PT, sa responsabilité n’est pas moindre, car il organise des centaines de militants syndicaux combatifs. Cependant, il le fait depuis des années de façon sectaire (avec ses seuls sympathisants) et sans affronter réellement les directions syndicales (en particulier l’appareil de FO), sous prétexte de défendre les syndicats (alors que ce sont bien leurs dirigeants qui les dénaturent aujourd’hui !). — Cependant, il ne s’agit pas d’attendre que les directions de la LCR, de LO ou du PT se décident : tout en les poussant à constituer un courant intersyndical de lutte de classe, les militants de ces organisations peuvent rejoindre sans attendre ceux qui se battent déjà en ce sens…

Pour la création d’une nouvelle organisation étudiante de lutte, qui permette à tous les étudiants mobilisés cet automne de continuer leur combat dans un cadre pérenne, de capitaliser les acquis de leur expérience et de leur conscience et de dépasser par là même l’éparpillement des actuelles organisations étudiantes de lutte (SUD-Étudiant, FSE, TUUD de l’UNEF, CNT, syndicats locaux…), si préjudiciable au syndicalisme et aux luttes des étudiants. La question d’une organisation lycéenne de lutte, à la fois autonome et liée à celle des étudiants, se pose également.

• Pour le rassemblement des forces qui se réclament de la révolution dans un nouveau parti réellement anticapitaliste, c’est-à-dire révolutionnaire, totalement indépendant du PS bourgeois et du PCF « anti-libéral » satellisé par le PS, mais rompant aussi avec l’opportunisme et/ou le sectarisme des actuelles organisations d’extrême gauche : seul un tel parti serait capable de convaincre les syndicalistes de lutte, les travailleurs combatifs et les jeunes révoltés de s’organiser politiquement pour combattre de façon plus efficace et développer leur conscience de classe. Au moment où la direction de LO s’enfonce encore davantage dans le sectarisme et l’opportunisme électoral, et où celle du PT, avec son prétendu « nouveau parti ouvrier », renonce même en paroles à tout projet révolutionnaire, la direction de la LCR a, quant à elle, lancé un projet de « nouveau parti anticapitaliste » : elle affirme vouloir « rassembler tous les anticapitalistes et révolutionnaires », mais refuse toujours de dire clairement si elle veut fonder un parti révolutionnaire, réformiste ou ambigu (et, soit dit en passant, elle ne répond toujours pas aux demandes de discussion du Groupe CRI…). C’est pourquoi il faut continuer à faire progresser l’idée qu’un tel parti doit être clairement révolutionnaire, c’est-à-dire lutter politiquement contre les réformistes et les bureaucrates syndicaux et défendre haut et fort, dans les luttes comme dans le cadre de la campagne pour les municipales, le programme communiste d’un gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes.

• Pour le renforcement des noyaux marxistes-bolchéviques-trotskystes, dont le Groupe CRI, qui doivent jouer pleinement leur rôle, sans esprit de secte ou de routine, en intervenant concrètement dans la lutte de classe comme dans les processus vivants (quoique partiels) de reconstruction du mouvement ouvrier syndical et politique à l’échelle nationale et, dès que possible, internationale.


1) Cf. ci-dessous l’article de G. Lefranc.


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