Le CRI des Travailleurs
n°30
(janvier-février 2008)

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Le plan d’ensemble du Medef et de Sarkozy contre les principaux acquis des travailleurs


Auteur(s) :Laura Fonteyn, Nina Pradier
Date :24 janvier 2008
Mot(s)-clé(s) :France
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Le MEDEF et le gouvernement attaquent de front tous les dossiers : dans le cadre de l’« agenda 2008 », un vaste ensemble de « réformes » doit être bouclé avant l’été. Dans tous les cas, la méthode est la même : des « négociations » sont organisées entre le patronat et les directions syndicales (il y en a une ribambelle, sur tous les sujets, depuis fin septembre) et, si elles ne débouchent pas sur un accord, c’est le gouvernement qui prendra ses « responsabilités » en faisant passer une loi. Mais, dans tous les cas, le contenu de ces « négociations » a été fixé par le patronat et le gouvernement, dans le cadre de la politique commune des bourgeoisies européennes et selon la méthode définie tant par l’Union européenne que par la loi sur le « dialogue social » du 31 janvier 2007, visant à faire des syndicats des co-élaborateurs des contre-réformes (1). Le président-bonaparte Sarkozy déclarait ainsi dans son discours au Sénat le 18 septembre dernier : sur tous les dossiers, « je serai ouvert sur les moyens et la méthode, mais je ne transigerai ni sur les objectifs ni sur les principes ». C’est pourquoi la participation des organisations syndicales à ces discussions dont les « objectifs » et les « principes » sont établis par le MEDEF et Sarkozy, quand bien même certaines ne signent finalement pas d’accords avec le patronat, est en elle-même de la collaboration de classe : la régression sociale ne se négocie pas, elle se combat !

Attaques contre les droits liés au contrat de travail

L’un des dossiers majeurs de la rentrée sociale est la « négociation » entre les syndicats et le patronat concernant le droit du travail, à commencer par le contrat de travail. Le cadre en est la « stratégie de Lisbonne » élaborée en 2000 au niveau européen : il s’agit de « moderniser le marché du travail » en introduisant la « flexisécurité », c’est-à-dire avant tout en facilitant la rupture patronale du contrat de travail.

On se souvient que l’idée de contrat unique a cheminé un temps dans la tête de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. Il s’agissait de fusionner tous les contrats en un CDI comprenant des « procédures de rupture simplifiées ». Mais, au-delà de l’inconvénient, pour le patronat, de supprimer purement et simplement les CDD, une mise en cause aussi frontale du CDI en général a sans doute été jugée politiquement trop dangereuse à ce stade par le MEDEF et le gouvernement. C’est pourquoi la « réforme » du contrat de travail prend une tournure différente, avec l’accord du 11 janvier approuvé par toutes les organisations patronales et syndicales, à l’exception de la CGT (qui a cependant participé à toutes les « négociations » et même au « diagnostic commun » censé justifier la réforme). La direction de la CFTC prétend qu’il s’agirait d’un accord « acceptable », celle de la CFDT que c’est un accord « équilibré » et Mailly, pour FO, va jusqu’à parler d’un « bon compromis ». Qu’en est-il en réalité (2) ?

Certes, le texte réaffirme que le motif d’un licenciement doit être « réel et sérieux » et sa traduction législative devrait impliquer l’enterrement du CNE, mais celui-ci était en fait déjà mort, la plupart des cas de rupture par le patronat ayant été invalidés par les tribunaux : invoquer cet aspect pour justifier la signature du texte, comme le fait FO, est donc d’une immense hypocrisie. Certes aussi, la création d’une prime forfaitaire pour les chômeurs de moins de 25 ans ayant déjà travaillé semble une avancée, mais cela ne répare pas l’inégalité inacceptable consistant à exclure les jeunes d’indemnités telles que le RMI. Certes encore, l’utilisation des heures acquises pour le droit individuel à la formation pendant la période de chômage ou dans le nouvel emploi, semblent améliorer la situation, mais il s’agit aussi d’un approfondissement de l’individualisation de ce droit naguère collectif, au prix d’une pression accrue du patronat sur les conditions de sa réalisation effective.

Ces améliorations en trompe-l’œil ne contrebalancent donc absolument pas les mesures régressives. D’autant moins que celles-ci ne doivent pas être considérées uniquement dans leur immédiateté, comme le font ceux des dirigeants syndicaux qui prétendent avoir limité les dégâts, mais aussi comme des brèches dont la nature même est de s’élargir progressivement. C’est pourquoi François Fillon considère cet accord comme « un vrai pas vers la flexisécurité à la française », tandis que Laurence Parisot, présidente du MEDEF, va jusqu’à le qualifier d’« historique ». Voici les mesures en question :

• Extension de la période d’essai maximale (2 mois pour les ouvriers au lieu d’1 en moyenne jusqu’à présent, 3 mois pour les techniciens au lieu de 2, 4 mois pour les cadres au lieu de 3) ; de plus, la codification interprofessionnelle de cette période rend possible toute nouvelle extension uniforme par décision législative, alors qu’elle était définie jusqu’à présent, de façon variable, par les conventions collectives.

• Création d’un CDD (de 18 mois à trois ans) « à objet défini » pour les ingénieurs et les cadres, qui introduit ainsi le principe de contrats définis par leur mission (et non par leur seule durée comme les CDD actuels, ne pouvant excéder 18 mois) et considérés comme normaux (alors que les CDD actuels restent théoriquement justifiés par des besoins exceptionnels de l’entreprise) ; c’est donc la porte ouverte à la disparition du CDI pour ces catégories de salariés, clairement à titre de banc d’essai pour les autres. De plus, le patron pourra y mettre fin quand il voudra et sans la moindre procédure de licenciement après les 18 premiers mois, c’est-à-dire que le salarié pourra alors être à sa merci jusqu’à la fin du contrat, sans avoir droit à des indemnités de licenciement (les indemnités de rupture étant nettement inférieures).

• Rupture conventionnelle du contrat, c’est-à-dire séparation par consentement mutuel entre le salarié et son patron ; dans ce cas, l’indemnité que touche le salarié est au minimum égale à l’indemnité de rupture interprofessionnelle due pour un licenciement (versée à partir d’un an d’ancienneté et égale à 1/5 de mois par année de présence), c’est-à-dire inférieure à bien des indemnités conventionnelles de licenciement ; de plus, la rupture est homologuée par le directeur départemental dans un délai de 15 jours (le silence vaut homologation), ne pouvant plus alors être contestée devant les tribunaux : pour le patronat, il s’agit de diminuer les recours coûteux devant les prud’hommes qu’engendrent les licenciements francs et d’individualiser la relation avec le salarié — qui souvent ignore ses droits — avec toute la pression et la manipulation qu’elle implique dans le cadre d’un rapport fondamentalement inégalitaire.

• Mise en place d’un plafond au montant des indemnités (à déterminer par le législateur) que peut accorder le juge prud’homal en cas de licenciement sans cause « réelle et sérieuse » ; c’est donc là aussi une mesure profitant au patronat par la limitation a priori des décisions prud’homales.

• Complexification de la procédure de saisine du conseil prud’homal par les salariés (lettre à l’employeur, saisine du bureau de conciliation, saisine du bureau de jugement) ; il s’agit de dissuader les salariés d’attaquer leur ex-patron.

• Renforcement du contrôle des chômeurs sur « l’effectivité » de la recherche d’emploi ; notion d’« offre valable d’emploi » et mise en concurrence de l’ANPE avec des opérateurs privés dans l’accompagnement des chômeurs.

• Introduction du patronat dans l’école : l’orientation professionnelle doit « prendre en compte la situation du marché du travail et s’accompagner d’interventions plus systématiques de professionnels en activité, notamment de jeunes professionnels, dans les établissements d’enseignement, en liaison avec les chefs d’établissement, dans le cadre d’une amélioration des relations entre le monde de l’éducation et le monde de l’entreprise » (3).

Enfin, au-delà même de son contenu immédiat et de la brèche qu’il constitue pour aller plus loin, dans une étape ultérieure, vers la liquidation des droits liés au contrat de travail, l’accord du 11 janvier doit être compris comme une nouvelle victoire méthodologique, donc politique, du MEDEF et du gouvernement qui, comme telle, les renforce encore. Cette victoire consiste dans le fait même que cet accord résulte d’une longue « concertation » entre « partenaires sociaux », qui aura duré plus d’un an (établissement d’un « diagnostic partagé » et « négociations » proprement dites). C’est ce qu’explique clairement Georges Drouin, président du Groupement des professions de services, liant à juste titre la forme et le fond : « C’est un succès car cette négociation avait été précédée, à l’initiative de Laurence Parisot, d’une délibération sociale. Avec le travail en cours du côté du gouvernement sur la durée du travail, on a maintenant deux dispositions qui vont donner de la respiration aux entreprises. » Quant à la rédactrice en chef du Figaro-Économie, Béatrice Taupin, elle fait certes de la surenchère en soulignant que « l’accord ne révolutionne pas le droit du travail » et qu’il n’est pas assez « ambitieux », mais elle insiste surtout, à juste titre, sur son élaboration par concertation depuis plus d’un an… et sur les « promesses » que cette méthode ouvre pour l’avenir : « Que les partenaires sociaux aient tenté d’apporter ensemble de premières solutions [aux questions soulevées par leur "diagnostic commun"] est (…) une preuve de maturité. (…) Ils ont accepté de poser les questions tabou (…). Que de chemin parcouru en quelques mois de part et d’autre, même si les changements réels sont très encadrés et, pour certains d’entre eux, incertains ! » Et de conclure : « D’évidence, les partenaires sociaux ont voulu poser un acte politique, tenter d’installer une nouvelle démocratie sociale, quitte pour ce faire à apporter des demi-réponses. C’est bien la signification des deux premières signatures syndicales, FO et CFTC. Plus que le contenu du projet d’accord, elles ont voulu conforter une démarche. »

De ce point de vue, c’est d’ailleurs la signature de FO qui est décisive : le MEDEF et le gouvernement peuvent se réjouir d’avoir fait revenir cette confédération, à laquelle son ancien secrétaire général, Marc Blondel, avait donné une réputation de « contestation » (quoique en fait surtout verbale), dans la collaboration de classe ouvertement réactionnaire, aux côtés de la CFDT, de la CFTC et de la CGC. C’est ce que souligne à sa façon la « une » du Figaro-Économie le 15 janvier : « Cruciale, la signature de FO, qui signe là son ancrage au camp réformiste délaissé de longues années, donne un poids politique à l’accord. Cela pèsera au Parlement et devrait limiter les risques juridiques. » Autrement dit, la CFDT étant une cartouche largement grillée auprès de nombreux travailleurs depuis 1995 ou 2003, le gouvernement a réussi à trouver un « partenaire » supplémentaire pour donner à ses exigences un aval « syndical » susceptible de désamorcer la force de réaction des travailleurs…

Déréglementation de la durée du travail

Sarkozy a fait sensation lorsqu’il a déclaré, au cours de sa conférence de presse du 8 janvier, qu’il voulait en finir avec les 35 heures. S’il a ensuite rectifié le tir en affirmant qu’il souhaitait maintenir le cadre de la durée légale du temps de travail comme base pour la comptabilité des heures supplémentaires, son objectif n’en est pas moins clair. Il s’agit de généraliser les dispositions des lois Aubry qui permettent déjà, par des accords d’entreprise, d’annualiser le temps de travail en faisant varier sa durée hebdomadaire (avec par exemple des semaines à 32 heures et d’autres à 40), aux dépens de la rémunération majorée des heures supplémentaires (celles-ci ne sont plus alors prises au compte qu’au-delà des 1692 heures annuelles, non par semaine). Dans sa lettre aux « partenaires sociaux » du 26 décembre, Fillon va encore plus loin puisque, en plus de sa volonté de voir généraliser les accords de branche et d’entreprise atomisant la durée effective du travail, il pose la question d’un « accord direct entre le salarié et son employeur en matière de durée du travail, notamment en matière d’arbitrage entre le travail et le repos », c’est-à-dire que le gouvernement voudrait pulvériser toute durée commune du temps de travail, fût-elle au niveau de l’entreprise ! Corrélativement, Fillon veut supprimer tout cadrage national sur le paiement des heures supplémentaires, au profit d’accords de branches et surtout d’entreprise : « On ne veut plus qu’il y ait de contingent imposé, on ne veut plus que le niveau des heures supplémentaires soit fixé une fois pour toutes, pour tous les salariés, quelles que soient les branches. Partout où il y aura des accords, on pourra utiliser les heures supplémentaires sans contingent, en fixant d’un commun accord leur niveau et leur volume. » (Grand jury RTL-Le Monde, 13 janvier.) Bref, ce serait un coup terrible aux acquis collectifs de la classe ouvrière.

La « modernisation » du droit du travail passera aussi par l’extension du travail du dimanche, en commençant par le secteur du commerce (le patronat des grandes surfaces veut notamment faire passer de 5 à « 13 ou 15 » le nombre annuel de dimanches où le travail est autorisé). D’ores et déjà, 3,4 millions de personnes déclarent travailler habituellement le dimanche. Certains économistes comme Gilles Saint-Paul ont le front de prétendre que « l’ouverture du dimanche sera aussi créatrice de bien-être puisque les magasins seront moins bondés » ; ils n’ont que faire du « bien-être » des salariés qui auront à y travailler ! Le même Saint-Paul, décidément moins charitable que l’autre, ajoute : « Une légère hausse des prix peut survenir. C’est un peu la contrepartie à cette commodité de pouvoir accéder aux commerces le dimanche. » Et il n’a bien sûr que faire du sondage indiquant que 75 % des salariés interrogés ne souhaitent pas travailler le dimanche : « Selon moi, dans un pays qui compte deux millions de chômeurs et beaucoup d’étudiants qui souvent manquent de moyens, des gens sont prêts à travailler le dimanche, même à des salaires non majorés » (Le Monde, supplément Économie, 11 décembre 2007). Autrement dit, il s’agit d’utiliser la situation intolérable des chômeurs et des étudiants pour leur faire accepter n’importe quel emploi et faire ainsi pression sur les salariés travaillant avec des horaires « normaux ». Évidemment, dans la plupart des cas, les salariés n’auront pas le choix, soit à cause de la crainte de perdre leur emploi, soit pour des raisons financières. Des salariés de Conforama, par exemple, sont passés de 1 400 à 1 100 euros par mois quand ils ont renoncé à travailler le dimanche. Le but du patronat et de ses valets gouvernementaux est le même depuis bien longtemps : « Plus mes peuples travailleront, disait Napoléon en 1807, moins il y aura de vices. Je suis l’autorité [...] et je serais disposé à ordonner que le dimanche, passé l’heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les ouvriers rendus à leur travail (4). » Deux siècles plus tard, le bonaparte Sarkozy se croit assez fort pour dire la même chose, même s’il ne foule quant à lui les droits ouvriers qu’avec de petits pieds.

Attaques contre le statut des fonctionnaires

L’« individualisation » est à l’ordre du jour également dans la Fonction publique, appelée à se calquer de plus en plus sur les normes du privé, d’après le « Pacte service public 2012 » de Sarkozy, précisé par un rapport sur la « révision générale des politiques publiques » (RGPP) présenté par Éric Woerth, ministre du Budget, le 12 décembre. Le but est défini dans les termes suivants : « L’État doit apprendre de l’expérience des entreprises, notamment dans la modernisation de la gestion des ressources humaines. » Le calendrier est là encore très serré : selon Sarkozy ouvrant le même jour le « conseil de modernisation des politiques publiques », « à la fin du premier semestre 2008, le gouvernement aura terminé les grandes réformes structurelles. Chaque ministre disposera de sa feuille de route, avec les moyens qui lui seront alloués pour la mettre en œuvre au cours des trois prochaines années. » Les mesures prévues par le rapport sont les suivantes : « suppression des entraves liées au statut de fonctionnaire pour exercer des missions de niveaux comparables » ; « mise en place de primes encourageant la mobilité ou accompagnant la réorganisation des services » ; « création d’une indemnité de départ volontaire » ; « accroissement des échanges public-privé », avec « possibilité de mise à disposition de salariés du privé dans l’administration » en lieu et place de fonctionnaires ; « externalisation de certaines fonctions » de l’État, c’est-à-dire privatisation de services entiers des ministères ; vente d’« établissements publics de tous les ministères », c’est-à-dire du patrimoine public ; accélération de la « régionalisation » pour diminuer les dépenses de l’État et privatiser les services décentralisés…

Quant aux salaires, le but est d’imposer une individualisation des rémunérations fondée sur l’implication, l’expérience et les résultats, bref un salaire au mérite. Le 16 décembre sur France 2, Éric Woerth a déclaré : « Non, il n’y aura pas d’augmentation générale », car « c’est une augmentation anonyme ». Le rapport remis le 12 décembre prévoit en revanche que « des dispositifs d’intéressement de tous les agents aux gains de productivité seront développés » et que « la plupart des fonctionnaires de l’État seront évalués sur la base d’un entretien individuel ». Toutes ces mesures découlent d’ailleurs d’une application stricte de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF, élaborée sous Jospin et adoptée le 1er août 2001 en commun par le PS et la droite, le PCF s’abstenant), qui a entériné la culture de l’évaluation et du résultat. Mais aujourd’hui, il s’agit d’aller jusqu’au bout de cette logique, en pulvérisant les garanties collectives et protectrices du statut de fonctionnaires. Même les ministres doivent être évalués par une officine privée : ils montrent ainsi l’exemple pour mieux faire passer la pilule auprès des travailleurs ! Dans certains ministères et certaines collectivités locales et territoriales, la rémunération modulée selon le critère de la « performance » est déjà abondamment appliquée, comme au ministère de l’Équipement, au ministère des Finances, au conseil général des Hauts-de-Seine, où la prime variable peut représenter jusqu’à 25 % de la rémunération du salarié. Par ailleurs, le changement d’affectation ne sera plus décidé par le comité technique paritaire, mais directement par la direction des ressources humaines et les chefs de service. Et les « performances » devront être réalisées avec moins de personnels (non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux) et moins d’argent (restrictions budgétaires).

Pour ce qui concerne les enseignants plus spécialement, la commission Pochard (à laquelle participe notamment Michel Rocard) devrait rendre son rapport au gouvernement fin janvier, en préparation d’une contre-réforme majeure. Elle prévoit le renforcement de l’autonomie des établissements, la redéfinition des missions des enseignants, l’annualisation des services, la mobilité entre l’Éducation nationale et le privé. D’ailleurs, selon la Lettre de l’Éducation du 26 novembre 2007, « l’hypothèse d’une quatrième fonction publique enseignante réapparaît », car cela pourrait « favoriser une évolution vers l’autonomie des établissements (…). Les enseignants verraient leurs compétences validées au niveau national, avant d’être ensuite recrutés par chaque établissement, comme l’esquissait Nicolas Sarkozy pendant sa campagne électorale. » Ce serait donc la fin de l’égalité de traitement des agents, des mutations et de la progression de carrière selon des barèmes nationaux, au profit du piston ou de l’arbitraire, bref de la vassalisation généralisée.

Attaques contre l’enseignement professionnel

Si le gouvernement prépare de vastes de réformes dans l’enseignement, il a finalement choisi d’en retarder l’annonce par rapport au calendrier initialement prévu (on parle de mai au lieu de fin janvier). Cependant, il a d’ores et déjà engagé une réforme sans l’avoir annoncée, mais au contraire le plus discrètement possible, puisqu’il a procédé par une simple note du ministre de l’Éducation nationale aux recteurs leur demandant de prendre les dispositions nécessaires pour commencer, dès la rentrée 2008, à généraliser la suppression du BEP et la préparation du Bac pro en 3 ans.

Actuellement, l’enseignement professionnel comporte trois niveaux de diplôme : le CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle), le BEP (Brevet d’Études Professionnelles) et le Bac Pro (Baccalauréat Professionnel). Le CAP est un diplôme qui donne la qualification d’ouvrier ou d’employé qualifié dans un métier précis, reconnu dans les conventions collectives (niveau V). Il peut être obtenu soit par l’apprentissage, dès l’âge de 14 ans depuis l’adoption de la loi sur l’« égalité des chances » d’avril 2006, soit en lycée professionnel, généralement en deux ans, soit par validation des acquis de l’expérience. Dans tous les cas, la formation comporte des périodes de stages en entreprises. Le BEP est un diplôme reconnu dans les conventions collectives, donnant la qualification d’ouvrier ou d’employé qualifié, préparé en deux ans après la classe de troisième. Les titulaires du BEP ont la possibilité de poursuivre leur formation en préparant en deux ans un baccalauréat professionnel. Celui-ci est comme tout bac le premier grade de l’enseignement supérieur, donnant de droit accès aux formations post-bac, mais il représente surtout un diplôme, lui aussi reconnu sur le marché du travail, d’une qualification supérieure au BEP. En 2001, c’est-à-dire sous le gouvernement Jospin, lorsque le socialiste « de gauche » Mélenchon était sous-ministre de l’enseignement professionnel, des conventions ont été signées entre le ministère et l’UIMM (Union des Industries Métallurgiques et Minières, principale fédération du MEDEF) pour l’organisation de filières de Bac Pro en trois ans dans certaines spécialités.

Le projet du gouvernement s’appuie donc, ici comme ailleurs, sur le travail de contre-réforme déjà réalisé par la « gauche plurielle ». La motivation la plus évidente de cette décision est la suppression d’environ 25 % des postes en lycée professionnel et les économies qui en résultent. Mais ce n’est pas la seule. Il s’agit également de pousser les élèves les plus en difficulté, découragés par une filière en trois ans, vers des filières en alternance. La réforme impliquerait également un taux d’échec plus important dans la préparation du bac pro, laissant un plus grand nombre de futurs salariés sans diplôme reconnus dans les conventions collectives. En outre, la réduction d’un an de la formation menant au bac pro (passant de 4 ans actuellement à 3 ans) implique une réduction des contenus d’enseignement au détriment des élèves. Parallèlement, le ministre prévoit de réduire le nombre de bacs pro de 69 actuellement à environ 20, qui seraient plus généralistes.

La CGT Éduc’Action Créteil explique très clairement le but poursuivi : « Cette proposition s’inscrit dans les objectifs de la loi Fillon qui préconise des diplômes à champ professionnel large. Elle est développée dans le rapport d’audit sur l’enseignement professionnel qui mentionne : "Il s’agit de concevoir les diplômes professionnels de la façon suivante : un diplôme, à spectre large, délivré par l’État ; des mentions de spécialisations, acquises en entreprise ou en formation. La spécialisation fait partie du diplôme sans pour autant être reconnue dans la certification. La certification reste générale, l’expérience est particulière". On est dans le droit fil des revendications du MEDEF qui ne souhaite reconnaître que des compétences attachées au poste de travail. C’est par ailleurs une conception qui vise à rendre le travailleur acteur responsable de sa formation pour "entretenir son employabilité". Ainsi, le jeune diplômé, quel que soit le niveau de sa formation initiale, doit se mettre en quête d’une formation complémentaire, dont la reconnaissance reste incertaine, via un contrat d’apprentissage ou un contrat de professionnalisation. La perspective d’une embauche ferme se trouvant repoussée à plus tard. » C’est le cœur du projet, qui est donc inséparable des attaques contre les droits collectifs des salariés dans le cadre de la contre-réforme du marché du travail.

Attaques contre les droits des chômeurs

Les chômeurs demeurent la catégorie stigmatisée par excellence. Il est question de négocier entre « partenaires sociaux » la définition d’une « offre valable d’emploi » (OVE) que le demandeur d’emploi ne pourra pas refuser, sous peine de sanction. Officiellement, cette OVE doit être compatible avec les possibilités de mobilité géographique du chômeur et avec « la spécialité ou la formation de l’intéressé ». Pratiquement, aucune garantie n’est laissée au chômeur, puisque n’importe quel emploi peut correspondre à des critères aussi vagues — car qu’est-ce en la matière qu’une « compatibilité » ? On sait qu’en Allemagne, les mesures dites « Hartz » du chancelier « social-démocrate » Schröder ont forgé un « modèle » en la matière. Hartz IV a limité à un an l’indemnité chômage, financée par les caisses d’allocation chômage ; au bout d’un an, le chômeur perçoit une allocation bien plus faible, financée par les contribuables. De surcroît, si le demandeur d’emploi n’envoie pas chaque mois au moins dix dossiers de candidature, un quart de son allocation est gelé. S’il refuse de prendre un poste correspondant officiellement à sa qualification mais payé un euro l’heure (un « travail d’utilité collective » par exemple), ses indemnités sont diminuées de 30 %. Enfin, s’il touche plus de 100 euros grâce à une activité professionnelle déclarée, il doit en reverser 90 % à l’Agence pour l’emploi ! (Le Monde, supplément Économie, 16 octobre 2007).

Cependant, les gouvernements français n’ont pas attendu d’avoir à s’inspirer de l’Allemagne pour constituer un arsenal de sanctions contre les chômeurs. Le « socialiste » Michel Charasse avait déclaré en septembre 1991 qu’il y avait 700 000 « faux chômeurs » sur les 2,8 millions de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE. Martine Aubry puis Jean-Louis Borloo n’ont eu de cesse de multiplier les sanctions à leur égard. Le gouvernement de Sarkozy veut maintenant aller plus loin, en liquidant ce qui restait des droits des chômeurs indemnisés. Parallèlement, par la fusion de l’UNEDIC et de l’ANPE, il veut à la fois fermer des agences, augmenter la productivité et la mobilité des salariés concernés (voire mettre en cause à terme le statut de fonctionnaire des agents de l’ANPE) et perfectionner une machine bien huilée pour rendre encore plus efficaces le flicage des chômeurs et les sanctions contre ceux qui n’acceptent pas n’importe quel emploi.

Attaques contre les retraites et le droit à la santé

Sous prétexte de « déficits » dus au chômage de masse, aux bas salaires et aux exonérations de cotisations patronales décidées par les gouvernements successifs (atteignant 23,9 milliards d’euros rien qu’en 2006), le MEDEF et Sarkozy accélèrent l’offensive contre la Sécurité sociale. D’ailleurs, les 4,2 milliards d’euros de déficit officiel des régimes de retraite, par exemple, doivent être comparés aux 15 milliards de cadeaux fiscaux faits aux plus riches (« paquet fiscal » de l’été 2007) ou aux 100 milliards de profits réalisés par les entreprises du CAC 40 en 2006.

Le passage aux 41 annuités pour tous était annoncé : le gouvernement l’a confirmé en plein milieu des « négociations » sur les régimes spéciaux, en faisant savoir que ces derniers aussi y passeraient en 2016. Dans un rapport remis aux députés le 31 décembre, on lit même que le CORE (conseil d’orientation sur les retraites) préconiserait 41,5 annuités de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein ! Quant au montant des retraites, il est parfois si modique qu’un nombre croissant de pensionnés sont conduits à essayer de trouver des « jobs » pour survivre, comme le constate la présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Le Monde, supplément Économie, 3 juillet 2007). En 2005, 120 000 salariés retirés de la vie active cumulaient ainsi une pension et une retraite.

Enfin, le 1er janvier a été la date d’entrée en vigueur des nouvelles « franchises médicales » décidées en septembre par le gouvernement : 0,5 euro à la charge des malades pour chaque boîte de médicament (sachant qu’un nombre toujours croissant de médicaments ne sont plus remboursés ou le sont de plus en plus mal) ainsi que pour certains soins paramédicaux, et 2 euros par transport sanitaire. Le tout est pour le moment plafonné à 50 euros par an et par malade, mais c’est déjà une forte somme pour beaucoup, d’autant qu’elle s’ajoute à toutes les autres franchises mises en place ces dernières années (les dernières sont la taxe d’un euro par consultation et par acte médical, mise en place par Douste-Blazy en 2004, et celle de 18 euros pour les actes hospitaliers coûtant plus de 91 euros, décidée en 2006). De plus, elle augmentera sans nul doute régulièrement dans les prochaines années (à l’image du « forfait hospitalier » instauré par le ministre PCF Jack Ralite sous le premier gouvernement de Mitterrand en 1982)…

La cohérence et la profondeur de ces attaques patronales et gouvernementales contre les salariés du privé, les fonctionnaires et les chômeurs exige une riposte d’ensemble de classe ouvrière. Pour leur résister, il n’est pas possible de rester en ordre dispersé comme le proposent les principales directions syndicales, foulant au pied le principe même du syndicalisme confédéré. La stratégie à mettre en œuvre doit être à la hauteur de la détermination dont fait preuve l’ennemi de classe. Si nous voulons gagner, il n’y aura pas d’autre solution que d’imposer l’arrêt des prétendues « négociations » des directions syndicales avec le MEDEF et Sarkozy, l’arrêt de la tactique suicidaire des « journées d’action » sans perspective qui démoralisent les travailleurs et la mise en œuvre d’une stratégie de lutte unissant les travailleurs sur une base interprofessionnelle, par l’arme de la grève et de l’auto-organisation, avec l’objectif de la grève générale. Cela ne se décrète pas, comme disent les bureaucrates qui pourtant « décrètent » leurs « journées d’action » sans lendemain et leurs ordres de reprendre le travail sans avoir gagné quoi que ce soit ; mais sans cet objectif et sa préparation politique, sans clarté dans les revendications et l’orientation, sans bilan des défaites récentes, il n’y aura pas de victoire possible.


1) La loi du 31 janvier 2007 oblige le gouvernement à organiser « une concertation préalable avec les organisations syndicales » pour tout projet de réforme concernant le droit du travail, avec l’objectif de « diagnostics partagés » et d’un « calendrier » de discussions commun. De même, dans le texte sur les « principes communs de flexisécurité » adopté par le sommet européen du 14 décembre, par exemple, on peut lire : « La flexisécurité exige un climat de confiance et un vaste dialogue entre tous les intéressés, dans lequel tous sont prêts à assurer la responsabilité du changement (…). Si les autorités publiques ont une responsabilité générale en la matière, l’action des partenaires sociaux dans la conception et la mise en œuvre des politiques de flexisécurité, à travers le dialogue social et les négociations collectives, est d’une importance capitale. »

2) L’accord est consultable sur le site http://www.cfdt.fr/telechargement/cfdt_action/negociations/2008_11_01_texte_accord.pdf

3) Notons d’ailleurs que la CGT, certes non signataire de l’accord, ne critique pas du tout cet aspect.

4) Cité par Paul Lafargue, Le Droit à la paresse, Maspero, 1969, p. 124.


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