Le CRI des Travailleurs
n°30
(janvier-février 2008)

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Réforme de la licence : le gouvernement veut poursuivre la soumission des universités au patronat


Auteur(s) :Gaston Lefranc
Date :24 janvier 2008
Mot(s)-clé(s) :étudiants
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La loi relative aux « libertés et responsabilités des universités » (LRU n’est que la première étape d’un large plan de réforme de l’enseignement supérieur. Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a annoncé la mise en place de la seconde, la réforme de la licence dite « plan pluriannuel pour la réussite en licence » (« Plan de réussite »). De même que la LRU, cette réforme s’inspire directement du rapport Hetzel (1). Celui-ci pouvait être analysé selon trois grands axes : l’orientation-sélection, la professionnalisation et la restructuration de l’université. C’est surtout sur ce troisième axe que se concentrait la loi LRU, même si les deux autres étaient présents, notamment par l’ajout d’une nouvelle mission de l’université : « l’orientation et l’insertion professionnelle ». C’est cette « mission » que la réforme de la licence veut mettre en œuvre.

L’argument fallacieux d’un fort taux d’échec à l’université

Le « Plan de réussite » s’ouvre sur un constat : celui d’un échec « inacceptable » à l’université relativement au reste de l’enseignement supérieur (grandes écoles, BTS, IUT…). Selon ce document, 64 % des étudiants qui entrent à l’université en sortent diplômés, contre 80 % dans le reste de l’enseignement supérieur, et 52 % échoueraient en première année. Cependant quand le document compare le taux de réussite à l’université et dans le reste de l’enseignement supérieur, il n’est mentionné nulle part que l’université est une des rares filières à ne pas être sélective, ni que le budget par étudiant est très largement inférieur à ce qu’il est dans les autres cursus ; or il en résulte un taux d’encadrement et des heures d’enseignement bien inférieurs à ceux accordés aux élèves des classes préparatoires. Dans ces conditions, et si l’on considère en outre que la majorité des étudiants doit se salarier pour vivre, ce taux d’échec n’a rien d’étonnant. Et d’ailleurs en première année, il est précisé que celui-ci se décompose en 30 % de redoublement, 16 % de réorientation et 6 % d’abandon. Or le redoublement et la réorientation ne constituent pas un échec pur et simple : le gouvernement dramatise délibérément la situation pour trouver un prétexte à son projet. En fait, le souci de Pécresse est ailleurs : elle cherche simplement à s’appuyer sur le taux d’échec pour mettre en place des « remèdes » qui n’ont rien à voir avec un quelconque souci d’améliorer le niveau scolaire des étudiants (2). Son plan martèle la même chose que le rapport Hetzel : l’« orientation active » et la professionnalisation seraient une nécessité.

« Orientation active » ou comment choisir à leur place le parcours des étudiants

Le but de l’orientation active est très clair : il s’agit d’exiger des étudiants qu’ils suivent des études en fonction d’un « projet d’études et d’insertion » (3). Les étudiants n’auraient pas à suivre des études en fonction de ce qui les intéresse, mais uniquement dans un but d’insertion professionnelle. Le rapport Hetzel était explicite sur ce sujet : « Nous visons l’efficacité des poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, en terme d’insertion professionnelle, en cohérence avec les besoins futurs des employeurs comme avec les aptitudes et les aspirations des jeunes concernés(4). » Dès lors, il s’agirait de « définir une séquence d’orientation qui irait du "pré-bac au post-bac" »(5). Selon le « Plan de réussite », dès la classe de seconde, les universités interviendraient dans les lycées pour présenter leurs filières. Au deuxième trimestre de la terminale, les élèves devraient constituer un « dossier unique de pré-inscription » qui circulerait dans les différents établissements où ils souhaiteraient s’inscrire. Sur la base de ce dossier, les établissements donneraient leur avis, préconisant des « alternatives ». Un « conseil de classe d’orientation » se réunirait ensuite pour émettre un « conseil » sur les choix d’orientation des élèves. Contrairement aux annonces hypocrites du gouvernement, il s’agit bien, comme cela a été dénoncé dans la loi LRU, d’une forme de sélection : le but est de décourager ceux dont on estime que le niveau n’est pas assez bon pour poursuivre les études de leur choix. Les universités, dans le cadre de leur mise en concurrence, auront tout intérêt à décourager les plus faibles de s’inscrire chez elles pour augmenter leurs taux de réussite. Par ailleurs, les élèves seraient incités à choisir leur filière et leur université en fonction des garanties d’« insertion professionnelle » qu’elles affichent. Dans ce cadre, les universités devront publier sur un site national de l’orientation leurs taux de réussite aux examens comme pour l’insertion professionnelle.

Une fois à l’université, il faudrait signer un « contrat de réussite » dans un but de « responsabilisation de l’étudiant dans la construction de son projet d’étude » et d’« explicitation par l’université de ses exigences pédagogiques ». Ainsi l’étudiant devrait-il justifier ses résultats auprès de l’université. Le « Plan de réussite » proposant d’« élargir des possibilités de réorientation et de réaffectation dès la fin du premier semestre et en fin de première année », notamment par la mise en place de passerelles entre formations générales et professionnelles, on peut supposer que l’étudiant qui ne remplirait pas son contrat aux yeux de son université, serait fortement incité à changer de filière, même si cela ne correspondait pas à son choix. Il est très clairement dit qu’il s’agit de « favoriser l’accès à la licence professionnelle des étudiants de L2 générale ». Les étudiants seraient donc constamment soumis à la contrainte d’une réussite à court terme de leur « projet professionnel ». Il semblerait inadmissible de vouloir s’engager après le bac dans des études longues sans avoir un plan de carrière déjà déterminé.

Mais ce « contrat de réussite » ne pourra en aucun cas remédier à l’« échec » à l’université. En effet, la principale cause de celui-ci réside dans les difficultés matérielles auxquelles sont confrontés les étudiants, à commencer par ceux des milieux populaires, souvent obligés de se salarier en même temps qu’ils étudient. Mais désormais, le gouvernement pourrait prétendre que, si l’échec persiste, c’est que les étudiants ne sont pas sérieux et ne respectent pas leur contrat !

Une licence « professionnalisée » et « pluridisciplinaire »…

mais vidée de tout contenu

Le deuxième aspect de cette réforme est la redéfinition complète du contenu de la licence selon deux orientations : la pluridisciplinarité et la professionnalisation.

Pluridisciplinarité

La première année (réformée en 2008) deviendrait une année dite « fondamentale ». Elle serait commune à l’ensemble des licences générales. Il n’y aurait donc pas d’enseignement spécifique à la filière choisie. Il faudrait attendre la deuxième année (réformée en 2009) pour accéder à un début de spécialisation, mais tout en ayant encore une enseignement pluridisciplinaire. C’est seulement la troisième année (réformée en 2010) qui constituerait une « spécialisation conforme au projet de l’étudiant ». Il faudrait donc attendre la troisième année pour avoir accès à un véritable enseignement dans la filière choisie, et se contenter durant les deux premières d’un saupoudrage de savoirs dispersés (contrairement aux classes préparatoires).

Professionnalisation

Dans la même logique que l’orientation active, selon laquelle on ne fait des études qu’en vue d’un projet professionnel, le nouveau contenu de la licence est censé permettre aux étudiants de s’insérer directement après sur le marché du travail. Le but est donc de formater la licence selon les besoins des entreprises. Au cours de la première année, il s’agirait de « renforcer les compétences pour préparer l’insertion professionnelle » par différents types de modules (« maîtrise des langues étrangères, maîtrise des TIC, c’est-à-dire de cours sur Internet, maîtrise de la langue écrite et orale… »). La seconde serait consacrée à la « découverte du monde professionnel (séminaires, forums, tutorat d’entreprise…) ». Et, au cours de la troisième année, si cela n’a pas encore été fait, un stage en entreprise (naturellement non ou à peine rémunéré, comme tous les stages de ce type qui existent déjà) serait obligatoire.

Par ailleurs, il est annoncé un renforcement de l’encadrement pédagogique, notamment autour du « projet professionnel » de l’étudiant, avec des modules de tutorat obligatoires pour les étudiants en difficulté, mais il n’est évidemment pas précisé comment ceux-ci seront repérés, ni sur quels critères; et surtout, la politique menée ces dernières années comme la mise en cause du statut des enseignants-chercheurs prévue par la loi LRU prouvent que, en fait de soutien, il s’agirait surtout de faire appel à des étudiants vacataires sous-payés pour quelques heures peu efficaces en lieu et place des véritables heures de cours et de TD.

Enfin, le « Plan de réussite » vise à pousser la grande majorité des étudiants à arrêter leurs études après la licence : au cours de la troisième année, il s’agit de « mobiliser les bureaux d’aide à l’insertion professionnelle pour développer les contacts avec le monde socio-économique » et de mettre en place un « renforcement de l’ouverture vers les champs de métiers ». Autrement dit, même pendant la troisième année, seule réellement spécialisée dans le cursus de licence, l’enseignement disciplinaire serait réduit à la portion congrue. Pour bénéficier d’un véritable enseignement disciplinaire à l’université, il faudrait dès lors passer par des filières élitistes telles que les bi-licences ou attendre le master si l’étudiant méritant gagne le droit d’y entrer.

Aggravation de la soumission de l’université au patronat

Le « Plan licence » vise donc à accentuer la dualisation de l’université, avec d’un côté des filières poubelles professionnalisées et courtes pour les enfants de prolétaires et/ou les futurs prolétaires qualifiés, et d’un autre côté des filières sélectives (également professionnalisées) riches en enseignement disciplinaire permettant une poursuite d’études et l’accès futur aux postes d’encadrement.

De même qu’avec la loi LRU, il s’agit toujours de jouer sur les peurs de l’échec et du chômage en prétendant que l’université en serait la cause! Derrière ces arguments, le but est clairement de poursuivre la soumission des universités au patronat. Après la casse de leur caractère national due à la réforme LMD du PS (2002), des diplômes professionnalisés, vidés de leur contenu et finalement dévalorisés, permettraient aux entreprises de disposer d’une main-d’œuvre, moins qualifiée globalement, mais déjà formatée selon les besoins immédiats du monde professionnel.


1) Pour une analyse du rapport Hetzel, voir le document de la FSE Paris-I/IV repris dans Le CRI des travailleurs n° 24 (http://groupecri.free.fr/article.php?id=283) et notre article dans le n° 26, http://groupecri.free.fr/article.php?id=352.

2) Sans améliorer le niveau des étudiants, Pécresse n’aura d’ailleurs aucun mal à faire diminuer le taux d’échec en licence (d’autant qu’elle sera elle-même notée selon son résultat) : il suffira de donner des consignes en ce sens, comme cela se fait déjà largement dans le secondaire.

3) Plan pluriannuel pour la réussite en licence, p.24.

4) Rapport Hetzel, p.10

5) Ibid., p. 18.


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