Le CRI des Travailleurs
n°30
(janvier-février 2008)

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Congrès de Lutte ouvrière : aggravation du virage à droite et du repli sectaire


Auteur(s) :Pauline Mériot
Date :24 janvier 2008
Mot(s)-clé(s) :LO
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Les 1er et 2 décembre s’est tenu le congrès de LO chargé de voter son orientation pour l’année à venir. La décision la plus spectaculaire a été le choix de faire liste commune dans un certain nombre de villes avec le PS et/ou le PCF, qui fait suite à l’appel à voter Royal au deuxième tour de la présidentielle. C’est en effet non seulement une rupture avec le marxisme révolutionnaire, mais aussi avec une certaine tradition d’indépendance de LO par rapport au PS et au PCF sur le terrain électoral. Cependant, s’agit-il d’une position révisionniste isolée ? N’est-ce pas plutôt la conséquence ultime de l’analyse et de l’orientation générale de LO ? De même, si la Fraction de LO s’est assez nettement opposée à l’orientation de la majorité sur les municipales, est-ce l’expression d’une analyse et d’une orientation différentes ? Et si c’est le cas, cette opposition à la majorité est-elle jusqu’au bout cohérente avec elle-même ?

Sur la situation internationale

Si le congrès a commencé par un rapport sur la situation internationale, il semble qu’il se soit agi surtout de sacrifier à un rituel. En effet, le rapport ne propose aucune analyse marxiste de la situation mondiale, se bornant à constater une relance de la course aux armements et à proposer de petits résumés pour un certain nombre de pays. C’est déjà en soi un symptôme inquiétant dans une organisation qui se prétend trotskyste et compte des centaines de militants, y compris un certain nombre de permanents et de retraités. Ce rapport ne propose ni étude marxiste de la situation économique internationale en plein ralentissement, ni analyse sérieuse de l’évolution des rapports inter-impérialistes dans ce contexte, ni mise en évidence de ses effets sur la lutte de classe dans les principaux pays, notamment sur le mouvement ouvrier en crise, et sur la résistance des peuples opprimés…

Les petits résumés sur quelques pays ne discutent même pas ce que pourrait y être une orientation marxiste révolutionnaire. Ainsi, pour la Palestine, LO estime qu’« il n’y a malheureusement rien de nouveau » (malgré les coups redoublés de l’impérialisme et d’Israël contre le peuple palestinien, le putsch d’Abbas, la conférence d’Annapolis…) et se contente de regretter que toute perspective d’« entente entre les deux peuples » soit ainsi fermée, alors qu’ils sont « destinés à vivre ensemble »… De façon encore plus significative, LO consacre moins d’une page au continent où se produisent les phénomènes de la lutte de classe les plus riches de la période, l’Amérique Latine : il n’y a aucune analyse de la situation politique au Venezuela, en Bolivie ou au Brésil et rien sur l’orientation que devraient y développer les communistes révolutionnaires, comme si nous n’avions rien à apprendre de la lutte des classes dans ces pays. Non, LO se contente d’analyser les résultats… des élections, constatant la confirmation d’« une sorte de basculement à gauche des électorats » — qui plus est même pas en termes marxistes, mais uniquement selon cette opposition superficielle droite/gauche.

Quant à la Fraction de LO, s’il faut certes tenir compte de sa taille plus réduite, elle n’a rien à dire de différent, puisqu’elle n’a même pas jugé utile de proposer un texte alternatif à celui de la majorité. Cela traduit une grave sous-estimation de l’importance des questions internationales pour la définition d’une ligne politique et pour la formation de cadres marxistes révolutionnaires.

Sur la situation intérieure

Mais l’abandon de l’analyse marxiste apparaît encore plus clairement dans le texte sur la situation intérieure.

Sur la politique de Sarkozy

Pour la majorité de LO, la politique de Sarkozy n’exprime pas essentiellement les intérêts du capital financier français, mais… la volonté de satisfaire son électorat ! Raisonner comme si, en démocratie bourgeoise, c’était le vote des électeurs qui décidait de la politique du gouvernement, c’est vraiment renier le marxisme. C’est pourtant ce que fait LO, affirmant que la politique de Sarkozy viserait à « combler cette majorité qui l’a élu », à « combl[er] de joie la fraction franchouillarde de son électorat », celui-ci étant qualifié de « petit-bourgeois xénophobe et surtout anti-ouvrier, détestant les pauvres qui ne peuvent être que des parasites et des fainéants vivant aux crochets de ceux qui travaillent, c’est-à-dire, bien sûr, le petit et le moyen patronat », D’après la majorité, « c’est avant tout » à cet électorat « que Sarkozy s’adressait en déclarant qu’il serait négatif et inutile d’augmenter les salaires et que les salariés qui voulaient gagner plus n’avaient qu’à travailler plus ». Autrement dit, 53 % des électeurs français seraient des petits-bourgeois (il n’y aurait d’ailleurs pas de pauvres parmi eux) et ce seraient ces gens-là qui mèneraient la danse, le grand patronat se contentant de suivre ! Et pour « tout le reste, que ce soient les franchises sur la Sécurité sociale, les atteintes aux retraites, les licenciements plus souples, en passant en force ou en le tentant », il en irait de même : cela n’aurait rien à voir non plus avec les besoins des capitalistes français dans leur compétition avec les capitalistes des autres puissances impérialistes sur le marché mondial !

Mais ce n’est pas tout : LO va jusqu’à écrire que « les dirigeants des grandes sociétés bancaires, financières ou industrielles se moquent éperdument des mesures prises ou à prendre contre les immigrés car ils savent parfaitement qui embaucher et qui faire venir ou pas ». Là encore, ce serait uniquement pour conserver l’électorat défini plus haut que ces réformes seraient faites, par pure démagogie. C’est vraiment sombrer dans l’économisme le plus vulgaire, qui n’a rien de commun avec le marxisme. En effet, d’une part, la bourgeoisie a besoin des lois anti-immigrés, puisqu’elles lui permettent d’exploiter à loisir des travailleurs qui vivent dans la peur d’être renvoyés dans leurs pays d’origine ; or, en constituant une fraction surexploitée de la classe ouvrière, c’est sur l’ensemble de la classe qu’elle exerce une pression pour l’aggravation des conditions d’exploitation. D’autre part, la bourgeoisie a intérêt à entretenir le racisme et plus généralement la suspicion à l’égard des immigrés : quoi de mieux pour diviser les travailleurs que de faire croire que les étrangers seraient la cause de tous les maux ?

LO explique également : « Le grand patronat n’a (…) aucun intérêt économique ou social aux peines plancher pour les récidivistes, qui aboutissent à condamner à des peines démesurées les auteurs de délits mineurs. Il n’a pas non plus le moindre intérêt à des mesures un peu trop choquantes, comme les tests ADN pour rechercher la filiation des enfants d’immigrés qui demandent un regroupement familial. » Et pourtant, les peines plancher ne servent-elles pas à faire croire que le mal profond de la France serait la délinquance et que la solution serait donc le renforcement de l’État bourgeois… c’est-à-dire de la bourgeoisie elle-même ?

En un mot, LO ne comprend pas que Sarkozy a besoin de modifier les rapports de force entre les classes sociales en essayant d’associer une fraction du prolétariat à sa politique pour pouvoir avancer dans la pulvérisation des droits de tous les travailleurs. Pour elle, c’est seulement par ses cadeaux sonnants et trébuchants aux patrons qu’il est à leur service !

Sur le PS et le PCF

LO cherche à mettre en évidence un certain opportunisme de la LCR vis-à-vis du PS et du PCF en écrivant : « Et tout cela [la diabolisation de Sarkozy] contribue à enraciner l’idée qu’on ne peut pas se défendre contre la droite actuelle sans remplacer Sarkozy alors qu’on le peut tout autant qu’auparavant, à condition d’être conscient que se défendre contre la droite c’est avant tout se défendre contre le patronat. » Mais alors, pourquoi avoir appelé à voter Royal au second tour des dernières élections, participant… à cette diabolisation de Sarkozy ? LO refuse d’analyser après coup son choix de l’entre-deux-tours. L’actuel soutien du PS aux contre-réformes de Sarkozy, que son programme laissait clairement prévoir, montre pourtant qu’il était juste de ne semer aucune illusion sur ce parti et de ne pas appeler à voter pour Royal sous prétexte de « battre la droite ».

Mais le congrès de LO est allé encore plus loin : la critique de la LCR sert uniquement à tenter de rassurer les militants par un verbe radical… au moment de leur proposer une alliance parfaitement opportuniste avec le PS dès le premier tour des élections municipales (ce que condamne actuellement, à juste titre, la LCR). C’est pourquoi, dès sa résolution sur la situation intérieure (donc au niveau même de l’analyse politique générale), la direction de LO essaye de faire croire que le PS et le PCF, n’étant plus au pouvoir, n’auraient pas de responsabilité dans les coups reçus actuellement par les travailleurs. Ce faisant, elle passe sous silence non seulement la politique de ces partis lorsqu’ils étaient au gouvernement, mais aussi le soutien que le PS apporte chaque jour explicitement (avec la caution du PCF) aux grandes réformes de Sarkozy, élément pourtant décisif pour expliquer la force politique de celui-ci. Et la direction de LO ne rappelle pas que bien des dirigeants syndicaux qui aident Sarkozy à faire passer ses contre-réformes sont au PS ou politiquement proches de lui, comme Mailly (secrétaire général de FO), Chérèque (secrétaire général de la CFDT), Olive (secrétaire général de l’UNSA), voire Thibault (secrétaire général de la CGT, qui a été accueilli triomphalement au congrès de ce parti).

Sur la lutte des classes et la politique de la bureaucratie syndicale

Dans son texte sur la situation intérieure, l’organisation qui se prétend trotskyste et s’est toujours présentée comme orthodoxe ne consacre que… trois paragraphes à la lutte de classe en France durant l’année écoulée ! On n’y trouve pas d’analyse globale qui aurait permis de mettre en perspective les grèves dans la métallurgie (de celle de PSA-Aulnay au début de l’année à celle de PSA-Sevelnord en novembre), les grèves enseignantes contre le décret Robien, la lutte des travailleurs des régimes spéciaux (qui était pourtant en cours au moment de la préparation du congrès), l’enjeu des grèves interprofessionnelles du 18 octobre et du 20 novembre, la grève des étudiants contre la loi LRU, etc. Quelles leçons en tirer ? Quel rôle ont joué à chaque fois les directions syndicales ? Comment s’expliquent les victoires partielles dans quelques cas et le plus souvent les défaites ? Quelles propositions faire aux travailleurs qui ont mené la lutte pour préparer celles qui se profilent ? Il n’y a rien, désespérément rien.

Pour LO, il ne se passe jamais grand-chose, les années passent et rien ne change. Pourtant, elle ne propose pas d’analyse et d’explication précises sur la crise du mouvement ouvrier, notamment sur la politique des directions syndicales et des réformistes qui, lorsqu’il y a des luttes, refusent de se battre pour les mener à la victoire, quand elles ne les brisent pas. Non, LO préfère s’en prendre en priorité à « ces opinions [réactionnaires de l’électorat de Sarkozy, qui] représentent une grande partie de l’électorat car – il s’agit d’en être conscient – la droite est puissante dans la population. Si Mitterrand a été élu en son temps c’est en grande partie parce qu’il avait tout un passé d’homme de droite, du régime de Vichy aux gouvernements de la IVe République. »

Certes, LO remarque tout de même que « les luttes peuvent surgir spontanément, mais elles pourraient être aussi organisées par les directions syndicales. C’est rarement le cas car celles-ci se contentent souvent, ou presque toujours, de journées d’action sans lendemain. En fait, là encore, c’est leur propre base qui peut leur imposer d’organiser les luttes nécessaires ». Mais elle ne propose pas de stratégie alternative claire à celle des directions syndicales : elle se contente de prétendre, avec un formalisme dépolitisé, que « des journées d’action se succédant et se renforçant dans un temps relativement court peuvent préparer et conduire à une grève générale ». Autrement dit, LO ne propose aucune véritable stratégie pour la grève générale (d’autant moins qu’elle considère la combativité des travailleurs comme quasi-nulle) : elle se contente de déclarer celle-ci « possible » sur la base de « journées d’action » rapprochées, en faisant l’impasse sur la nécessaire clarté des revendications, sur l’auto-organisation des travailleurs comme sur l’indispensable dénonciation précise de la politique des directions syndicales (« concertations » permanentes avec le gouvernement, participation à la co-élaboration des contre-réformes, vrais-faux appels à la mobilisation fonctionnant comme soupapes de décompression pour empêcher qu’un véritable combat de classe ne s’organise, etc.).

Sur les perspectives générales

En ce qui concerne la nécessaire propagande, au-delà des combats défensifs immédiats, LO entend préparer l’« offensive générale » ou la « contre-offensive » par la mise en avant continue de son mot d’ordre phare : « le contrôle des travailleurs, de la population, sur les comptes de toutes les grandes et moyennes entreprises ». Il s’agit certes là d’un mot d’ordre transitoire, mais pourquoi s’en tenir à celui-ci uniquement et surtout pourquoi ne pas le relier au seul objectif politique permettant de centraliser tous les mots d’ordre immédiats comme transitoires, celui du gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes ? Ce faisant, LO ne permet aucun développement de la conscience ouvrière : sa propagande elle-même est presque vide, dépolitisée. Pour Trotsky et les trotskystes de principe, au contraire, chaque mot d’ordre transitoire n’a de sens que dans le système de revendications où il s’inscrit, dont le centre est la propagande pour le gouvernement des travailleurs : « Il faut aider les masses dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la population et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. » (Programme de transition, fondateur de la IVe Internationale).

Mais les propositions de LO pour l’action immédiate ne sont pas plus acceptables. Avec ses milliers de militants et sympathisants proches, elle pourrait très bien décider d’œuvrer au regroupement des travailleurs pour préparer les prochaines luttes en les aidant à comprendre la logique comme le détail des réformes de Sarkozy, à tirer le bilan des défaites de l’automne et à s’auto-organiser pour se tenir prêts à agir efficacement lors des mobilisations à venir. LO pourrait notamment, avec les nombreux militants syndicaux qu’elle organise ou qu’elle influence, avec les syndicats dirigés par ces militants, participer à la construction d’un véritable courant organisé de lutte de classe à l’intérieur des syndicats, capable de dénoncer et de combattre l’orientation collaboratrice des directions syndicales et leur trahison des luttes.

Mais non : LO préfère dévorer l’énergie de ses militants en leur faisant faire tout au long de l’année des « caravanes » dans le plus grand nombre de communes, sur le modèle de ses caravanes d’été ! Celles-ci consistent à aller quelques jours dans des petites villes où l’organisation n’est pas implantée pour y projeter des films, y organiser des débats, vendre la presse de LO, dans le but d’élargir son « rayonnement politique ». Au moment où les travailleurs, confrontés à une offensive globale du MEDEF et de Sarkozy, ont plus que jamais besoin de s’organier pour résister, LO propose à ses militants de tourner le dos à la lutte de classe vivante pour se replier sur le terrain de la propagande pure : « Depuis des années, notre rayonnement politique dépassant certaines régions, c’est-à-dire à l’échelle nationale, dépend essentiellement de nos participations électorales. Cependant l’expérience de la dernière présidentielle montre qu’il serait dangereux de s’en contenter bien qu’il n’ait pas disparu, loin de là, nous l’avons vu lors des caravanes de cet été. » Bref, au lieu de réfléchir aux fautes de sa campagne électorale de 2007, qui expliquent son échec, LO propose une sorte de campagne électorale permanente ! Dans la pratique, cela ne pourra se faire qu’au détriment de l’intervention concrète dans la lutte de classe, voire aux dépens de la présence dans les entreprises et dans les syndicats qui avait jusqu’à présent constitué la principale force de LO en tant qu’organisation.

De fait, la piètre intervention des militants de la majorité de LO dans les luttes de l’automne a montré leur capacité à respecter leur ligne de congrès : dans les AG de cheminots, tout en construisant bien sûr la mobilisation sur le terrain, ils se contentaient d’appeler à la lutte et de soutenir « le moral » des travailleurs, se refusant à dénoncer les directions syndicales collaboratrices, à lutter pour la mise en place de comités de grève et à combattre pour la convergence interprofessionnelle des luttes. Dans le mouvement étudiant, on les a vus s’opposer à la mise en place des piquets de grève, en prétextant que ceux-ci seraient « minoritaires ». Plus généralement, pas la moindre affiche, pas le moindre tract pendant ces grèves (hormis la presse routinière), alors qu’ils vont fleurir pendant les élections.

La ligne de la Fraction

La Fraction a présenté une résolution opposée à celle de la majorité. Elle propose une analyse de la lutte de classe et est clairement écrite sous l’angle de la recherche des voies d’une riposte du prolétariat à l’offensive du gouvernement. Elle n’a pas oublié cette idée élémentaire du marxisme que la politique de gouvernement est faite « au service de la bourgeoisie » et non de son électorat. Elle n’a pas non plus oublié que les immigrés constituent « une fraction de la classe ouvrière dont la surexploitation par le patronat est (…) facilitée » par les lois de Sarkozy. Elle propose une analyse politique, sans doute incomplète, mais globalement correcte. Elle réfléchit d’abord au plan de bataille des ennemis de classe, soulignant que « leur stratégie [est] d’attaquer tout le monde (dans les classes populaires) le plus rapidement possible et leur tactique d’égrener quand même les coups pour n’être confrontés qu’à des résistances isolées dont il faut à tout prix éviter la convergence ». Elle explique l’enjeu de l’attaque contre les régimes spéciaux du point de vue de la classe ouvrière : « cibler une catégorie en tentant de neutraliser les autres, voire les dresser contre la première » et « battre en brèche la résistance d’une catégorie de travailleurs réputée syndicalisée et combative (1995 est encore dans les mémoires) ». Elle souligne qu’il est « nécessaire donc qu’ils entrent en lutte avec une volonté et des objectifs qui soient attirants pour l’ensemble des travailleurs ». Elle esquisse donc un programme général, qui n’est certes pas un véritable programme de transition révolutionnaire, puisqu’il fait l’impasse sur l’objectif clé du gouvernement des travailleurs ou même de la grève générale, mais qui du moins se veut un programme d’action pour intervenir immédiatement dans les luttes, articulant plusieurs thèmes décisifs pour les mobilisations de la prochaine période (augmentation des salaires, défense des retraites, interdiction des licenciements et des suppressions de postes, embauches massives et « contrôle des travailleurs sur les comptes et détournements de l’État en faveur du patronat, sur tous les comptes, les bénéfices et les fraudes des entreprises, et réquisition des super dividendes (…) au bénéfice des classes populaires »). — De plus, la Fraction souligne correctement l’importance, dans le dispositif gouvernemental, de « la neutralisation des syndicats et associations (en particulier écologistes), en les engluant dans une ribambelle de "concertations" » ; car « l’intégration des syndicats aux multiples rouages de l’État est certes déjà une longue histoire, mais elle prend une nouvelle tournure en France ». Elle critique à juste titre la politique de toutes les directions syndicales, y compris celles, plus radicales chez les cheminots, de FO et SUD. Enfin, elle souligne que « c’est le rôle des révolutionnaires de contribuer à ce que tout mouvement petit ou grand aille jusqu’au bout de ses possibilités, c’est-à-dire saisisse aussi la moindre occasion de rassembler autour de lui pour la riposte commune » et met en avant la nécessité de l’auto-organisation des travailleurs : « C’est aussi le rôle des révolutionnaires de contribuer à l’organisation des travailleurs en lutte pour que ceux-ci se dotent de "structures" de décision propres, indépendantes des directions syndicales même si elles comptent évidemment dans leurs rangs les militants syndicaux, "assemblées générales" souveraines par secteurs et si possible "interservices", voire "interpro", comités de grève et coordinations à tous les niveaux. »

Au bout du compte, la différence d’orientation avec la majorité est substantielle. Cependant, la Fraction est loin de mettre en œuvre, dans la pratique, l’orientation qu’elle préconise. Durant les luttes de l’automne, elle ne s’est pas battue pour les réunions interprofessionnelles et n’a même pas participé à celles qui étaient organisées par exemple à Paris le 18 octobre ou le 20 novembre. Dans la grève des étudiants (dont sa résolution au congrès ne parle même pas !), ses militants se sont même opposés, à contre-courant de la grande majorité des étudiants grévistes, à l’élargissement de la plate-forme revendicative au-delà de la LRU ; ils ont refusé de combattre frontalement l’UNEF, au nom d’une prétendue « unité » ; et ils ont appelé bien vite à la levée des piquets de grève quelques jours après l’appel de l’UNEF à cesser le mouvement, reprenant à leur compte l’idée que le blocage des universités serait démobilisateur. Même dans la grève des cheminots, où ses militants se sont battus à l’avant-garde pour la reconduction, la Fraction n’a cependant que très partiellement mis en œuvre l’orientation des AG inter-services et surtout des comités de grève, proposés à notre connaissance sur une seule des gares où elle intervenait, mais reculant ailleurs face à la pression de la bureaucratie syndicale, violemment hostile à l’auto-organisation des travailleurs. Enfin, plus généralement, elle ne fait aucune proposition concrète pour organiser les travailleurs d’avant-garde et en particulier pour contrer les directions syndicales par la construction d’un courant intersyndical de lutte de classe.

Sur la campagne des municipales

Enfin, dans une dernier texte de son congrès, LO rentre dans le jeu de la course aux élus sans même essayer de s’en cacher : « Nous devons (…) préparer ces élections municipales et nous présenter dans le maximum de communes. » Cet objectif purement électoraliste suffit à justifier un total opportunisme : « Cela [essayer de constituer des listes dans le maximum de localités] ne nous empêchera cependant pas d’étudier et d’être ouverts à toute proposition d’alliance, que nous étudierons en fonction des situations, des rapports de forces locaux et des possibilités d’élus que ces alliances pourraient réellement nous ouvrir. » Concrètement, LO choisit de s’allier largement avec le PS, le PCF et les autres partis de la « gauche plurielle ». À l’heure où les travailleurs ont besoin plus que jamais des révolutionnaires pour résister aux attaques frontales de la bourgeoisie, ce ne sont pas des considérations locales qui peuvent décider d’alliances ou non, et ce n’est surtout pas le moment de redorer le blason du PS qui soutient ouvertement les réformes de Sarkozy ! Les révolutionnaires ne peuvent intervenir dans la campagne des municipales qu’en la considérant comme un des éléments pour préparer politiquement la nécessaire lutte de masse contre toutes ces mesures, c’est-à-dire dresser toute la classe ouvrière contre le plan de la bourgeoisie. Cela suppose d’utiliser avant tout la tribune populaire qu’offre la campagne pour populariser le programme de la lutte contre Sarkozy, les leçons politiques des défaites de l’automne, les moyens de gagner dans la prochaine phase de luttes, la construction du « tous ensemble » vers la grève générale.

L’argument principal pour justifier ces alliances avec le PS est qu’il faudrait aider à tout prix la « gauche » à conserver les mairies. Cela participe toujours de la même idée selon laquelle parti ouvrier serait là non pour développer des analyses marxistes qui donnent aux travailleurs les clés pour comprendre la situation et des propositions concrètes d’action et d’organisation qui leur permettent de forger les armes de leur révolte, mais pour les aider à conserver le « moral » — ou plutôt, pour LO, à ne pas trop le perdre ! Les travailleurs sont démoralisés quand la droite est au pouvoir, alors aidons la gauche ! Si aujourd’hui la classe dominante tente de réduire la politique à une opposition entre la bourgeoisie de « droite » et celle de « gauche », le minimum pour des révolutionnaires est de refuser ce schéma. À une opposition entre bourgeoisies, les marxistes doivent opposer un conflit entre classes.

Dans sa réponse à la tribune de la Fraction critiquant l’alliance avec le PS dès le premier tour, la direction de LO fait comme si la nature du PS ne s’était pas modifiée entre les années 50 et aujourd’hui : « Nous avons appelé à voter Mitterrand en 1974, en 1981 et nous avons appelé à voter Ségolène Royal en 2007, avec l’assentiment de nos camarades de la Fraction. Veulent-ils nous faire croire que le parti de Guy Mollet et de Mitterrand était plus à gauche que le PS d’aujourd’hui ? (…) N’était-il pas pire d’avoir appelé à soutenir [Mitterrand] ainsi que Royal que de participer à un Conseil municipal qui n’a aucune responsabilité dans la crise du logement, les licenciements et les bas salaires mais qui, par contre, peut faire pas mal de choses qu’une municipalité de droite ne fait pas ? » (Lutte ouvrière du 14 décembre.) Il y a à peu près autant d’erreurs et d’inexactitude que de lignes dans ce texte. En effet, même si l’on supposait que le PS soit toujours un parti ouvrier réformiste (« ouvrier-bourgeois »), il y aurait une différence évidente entre faire une liste commune avec le PS (ou le PCF) au premier tour, ce qui implique de se présenter sur un programme commun, et appeler de façon purement tactique et critique à voter pour ses candidats au deuxième tour, c’est-à-dire sans confondre son programme avec celui d’un tel parti. Or une véritable alliance électorale avec un parti ouvrier-bourgeois n’est acceptable que sur la base d’un front unique ouvrier strictement indépendant des partis bourgeois, intégrant une partie des éléments du programme révolutionnaire (c’est d’ailleurs pour cette raison que, dans la plupart des cas, malgré les efforts des révolutionnaires, les partis réformistes n’en veulent pas et que les révolutionnaires peuvent alors les démasquer aux yeux des masses). Mais ni le PS, ni le PCF n’envisagent le moindre commencement d’un programme ouvrier ! C’est pourquoi LO ne pourra apparaître aux yeux des travailleurs que comme la cinquième roue du carrosse de la gauche plurielle dont toute le monde se souvient qu’elle a mené récemment, sous Jospin, une politique bourgeoise de régression sociale préparant le terrain à Raffarin, Villepin et Sarkozy.

La Fraction de LO se démarque là encore amplement de la majorité. Elle en appelle à juste titre à des alliances avec l’« extrême gauche », à commencer par la LCR : « Rappelons que cette alliance n’a pas marché en 2001 parce que la LCR envisageait une fusion des listes ou un vote pour la gauche au deuxième tour, ce qu’alors nous refusions. » On regrettera toutefois qu’elle n’aille pas au bout de son analyse en refusant clairement la question des alliances avec un parti bourgeois, puisqu’elle écrit que les « accords techniques » avec le PS au deuxième tour (proposés par la LCR) seraient à « prendre avec des pincettes ». Elle écrit pourtant à juste titre : « Qu’on le veuille ou non, il en restera plus ou moins confusément l’idée que pour un poste d’élu nous sommes prêts à abandonner notre indépendance politique, c’est-à-dire notre totale liberté de critique. » Bref, la Fraction dit craindre les effets d’une alliance avec le PS… mais ne la refuse pas par principe ! Si elle ne le fait pas, c’est qu’elle se laisse sur ce point enfermer elle aussi dans l’analyse bourgeoise qui oppose les partis de droite et de gauche, au lieu du marxisme qui analyse les partis par leur nature de classe. De la même façon, elle avait certes émis des réserves sur l’appel à voter Royal au second tour (« nous regrettons donc l’empressement qu’a mis l’extrême gauche à appeler à voter Royal dès dimanche soir », Lutte ouvrière du 27 avril 2007), mais ne s’était pas prononcée explicitement contre (comme la direction de LO ne perd pas l’occasion de le lui rappeler !). Là encore la Fraction ne va pas jusqu’au bout de sa propre critique.

Bref, en refusant d’analyser le PS en termes marxistes et de reconnaître qu’il est devenu un parti bourgeois, le PC comme parti réformiste moribond survivant par la perfusion permanente du PS, la direction de LO comme la Fraction dans une moindre mesure contribuent à semer la confusion et empêchent le développement de la conscience de classe des travailleurs.

Sur « le parti que veut la LCR »

Concernant la proposition de « nouveau parti anticapitaliste » (NPA) de la LCR, la direction de LO lui oppose une fin de non-recevoir, en s’enfermant dans un sectarisme complet. Le texte de congrès dit vouloir que la LCR réussisse dans la construction du NPA « uniquement parce que tout le monde ne peut pas être révolutionnaire et trotskyste et que bien des gens, des jeunes en particulier, peuvent avoir envie de combattre les maux engendrés par la société actuelle. […] Et ce serait une bonne chose qu’à défaut d’être des révolutionnaires ils puissent trouver une organisation importante, vaste, susceptible d’agir et qui corresponde à leur idées. » Ce à quoi la Fraction répond très justement : « Décréter a priori, et surtout sans envisager l’intervention militante qui pourrait être la nôtre, que le résultat final ne pourrait être qu’un nouveau PSU est une erreur. Sans parler de l’illogisme qu’il y a à se réjouir et trouver positive par avance la formation d’un tel parti… tout en se refusant à participer à le créer (imagine-t-on Trotsky défendant la création d’un parti des travailleurs américains tout en recommandant à ses partisans de s’en tenir soigneusement à l’écart ?) »

En effet, ou bien LO pense que le NPA souhaité par la LCR sera nécessairement un nouveau parti réformiste, et alors elle doit le dénoncer de toutes ses forces, en considérant que sa création serait une grave défaite pour les révolutionnaires (car tout progrès du réformisme ou du centrisme droitier éloigne en lui-même l’avant-garde du marxisme). Ou bien LO se réjouit réellement des potentialités de l’initiative malgré le cadre centriste que lui donne la direction de la LCR, mais alors c’est son devoir de participer aux discussions pour faire progresser les idées marxistes et combattre l’idéologie centriste. En fait, en ne choisissant ni l’une, ni l’autre de ces options, LO confirme qu’elle n’est ni réellement marxiste, ni même cohérente avec elle-même, mais bien sectaire et attentiste à la fois.

La position de la Fraction, en revanche, montre une orientation beaucoup plus juste. Elle dit l’intérêt qu’elle porte à ce projet de NPA et qu’elle entend participer pleinement à sa discussion. Elle rappelle que la LCR est forte d’une réussite électorale (comme l’était Arlette Laguiller en 1995, quand elle a elle aussi affirmé vouloir construire un nouveau « parti des travailleurs »). Il y a beaucoup de travailleurs non organisés qui ressentent le besoin de se battre. L’initiative de la LCR peut donc être saisie par eux comme réponse à ce besoin, même si la direction de la LCR maintient une ambiguïté fondamentale (typiquement centriste) sur le caractère révolutionnaire ou réformiste du parti qu’elle veut. Cependant, la Fraction ne combat pas cette ambiguïté de façon assez claire, précise et pugnace et ses militants, dans les réunions sur le NPA, s’en tiennent plus à des généralités sur la nécessité d’être révolutionnaire que sur ce que cela signifie concrètement en termes de programme et d’orientation précise dans la lutte de classe.

Conclusion : tout dépend des militants de LO

Il ressort donc de la lecture des textes du congrès de LO que la majorité ne propose aucune analyse marxiste de la politique de Sarkozy, ne définit pas une ligne concrète d’intervention dans la lutte de classes, refuse d’avoir une politique claire dans les syndicats, s’enferme sur elle-même en refusant a priori toute discussion avec la LCR… mais fait de la question des élections une priorité, au point d’accepter des accords avec un partis bourgeois comme le PS. Bref, LO met en avant une ligne qui ne correspond pas du tout aux nécessités immédiates ou même à long terme de la classe ouvrière.

Il est urgent pour les militants de LO de prendre conscience que leur organisation s’éloigne toujours davantage des principes et de la méthode du marxisme révolutionnaire. Il leur faut se battre contre l’opportunisme électoraliste sans principe et l’attentisme. Une organisation qui ne sert à rien aux travailleurs pour mener leur lutte de classe ne mérite pas d’être nommée une organisation révolutionnaire.

Quant à la Fraction, il est de sa responsabilité de ne pas rester au milieu du gué, de mener jusqu’au bout sa critique de l’orientation de la majorité et d’en tirer toutes les conséquences qui s’imposent.


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