Le CRI des Travailleurs
n°32
(mai-juin-juillet 2008)

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Pour l'unification du syndicalisme étudiant de lutte, pour un congrès national fondant une nouvelle organisation


Auteur(s) :Paul Lanvin
Date :22 mai 2008
Mot(s)-clé(s) :syndicalisme, étudiants
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Lors de son Collectif National des 19 et 20 avril, la Fédération Syndicale Étudiante (FSE) a décidé d’appeler à une réunion nationale le 24 mai pour poser la question de l’unité du syndicalisme étudiant. Elle a adressé la lettre suivante d’invitation suivante à la fédération SUD-Étudiant et à ses sections locales :

« La mobilisation nationale de l’automne dernier contre la LRU a montré le rôle central du syndicalisme de lutte tant au niveau des pratiques (auto-organisation, AG et Coordinations Nationales souveraines, mise en place de piquets de grève, etc.) que des revendications qui ont su faire le lien rapidement entre les différentes attaques du gouvernement (sans-papiers, répression, casse du code du travail, etc.).

« Le syndicalisme de lutte gagne du terrain et les élections aux conseils centraux et aux CROUS l’ont confirmé, avec sur certaines universités des victoires éclatantes (notamment à Toulouse le Mirail, Montpellier ou Lyon-II). Néanmoins, nos organisations sont encore trop dispersées pour représenter une alternative crédible nationalement aux yeux des étudiants face au syndicalisme de collaboration et de cogestion de plus en plus assumé de l’UNEF. Face à ce constat, le Collectif National de la FSE du 19 et 20 avril 2008 réaffirme que l’unité du syndicalisme de lutte reste une préoccupation permanente pour notre fédération.

« Conscients qu’à l’heure actuelle, des divergences existent entre nos organisations, mais convaincus de l’utilité d’un syndicalisme de lutte unifié, la FSE invite les différentes organisations nationales et locales à une rencontre le 24 mai 2008 à Toulouse. Cette rencontre permettra de faire le bilan du mouvement contre la LRU et de la nouvelle situation politique après le renouvellement de tous les CA et de poser les bases d’un débat sur la recomposition du syndicalisme de lutte. »

Le Groupe CRI se réjouit de cette initiative et estime que la lettre de la FSE devrait être adressée à l’ensemble des structures étudiantes de lutte (tendance TUUD de l’UNEF, CNT, organisations locales — comme l’AGEC de Clermont-Ferrand, l’AGEN de Nanterre, le SEUL de Paris-III… — et collectifs de lutte subsistance du mouvement de l’automne). En 2005, la FSE avait déjà soulevé cette question de l’unification, mais elle s’était heurtée au scepticisme d’une partie de ses propres militants et au refus de SUD-Étudiant, dont la direction proposait uniquement l’absorption de la FSE dans Solidaires. Or la question se repose aujourd’hui de façon beaucoup plus pressante : comme nous l’expliquions dans les numéros précédents du CRI des travailleurs, le mouvement contre la LRU, lancé par les organisations de lutte, en particulier SUD et la FSE, a montré leur capacité d’initiative et d’organisation, au moment où l’UNEF soutenait ouvertement la loi LRU ; cependant, la défaite du mouvement, si elle s’explique avant tout par le refus de combattre des directions syndicales de l’enseignement supérieur et des confédérations, a montré aussi le manque cruel d’un puissant syndicat étudiant de lutte.

Or les étudiants démontrent à chaque mouvement leur capacité d’organisation et leur radicalité ; ceux qui se mobilisent ont perdu leurs illusions vis-à-vis de l’UNEF. L’attitude de celle-ci lors du mouvement contre la LRU a accéléré le processus : les dernières élections universitaires montrent une baisse significative de l’UNEF au profit non seulement des organisations « corpos » dites apolitiques (de la FAGE en particulier), mais aussi des syndicats étudiants de lutte, dans les universités où ils sont présents ; ceux-ci ont même remporté un franc succès comme à Lyon, où la FSE a battu l’UNEF, et à Toulouse, où les listes d’union SUD-FSE sont arrivées largement en tête, avec presque deux fois plus de voix que l’UNEF ; ces résultats confirment que les syndicats étudiants de lutte rencontrent un écho croissant auprès des étudiants. Enfin, la période actuelle, qui n’est pas propice à une nouvelle mobilisation des étudiants, à cause aussi bien de la défaite du mouvement de l’automne que du calendrier universitaire, permet en revanche d’entamer sérieusement le processus de reconstruction du syndicalisme étudiant.

Il est en effet indispensable de lancer une campagne commune des organisations étudiantes de lutte pour la construction d’une nouvelle organisation syndicale. Rien ne doit faire obstacle à l’unification des organisations qui, malgré des différences réelles, sont au cœur des mouvements étudiants. La constitution d’une organisation étudiante de lutte combative et disposant d’une implantation importante attirerait les étudiants mobilisés bien plus sûrement qu’en l’état actuel de division, qui leur semble bien souvent artificiel. Une organisation unifiée aurait une force et une capacité de coordination qui dépasseraient celle d’une quelconque intersyndicale, permettraient de lancer les mouvements et de lutter en leur sein pour une auto-organisation encore plus efficace, pour lutter contre les bureaucrates et pour contrer plus facilement les manœuvres des fossoyeurs de mobilisation comme l’UNEF et les directions syndicales collaboratrices.

S’il faut tout faire pour ouvrir le processus au maximum de structures étudiantes de lutte et aux grévistes de l’automne, sa réussite dépendra avant tout, dans l’état actuel des choses, des militants et des sections de SUD et de la FSE. Les militants de la FSE qui ont peur parfois de perdre leur « pureté » de syndicalistes de classe en fusionnant avec SUD doivent comprendre qu’une des conditions de la survie du syndicalisme de lutte est son progrès réel et sa massification. La FSE a certes progressé depuis sa fusion-refondation en 2003, mais elle reste une petite organisation, dont seules quelques sections peuvent assumer un véritable travail syndical et avoir un rapport de force au sein de leur université, au quotidien comme pendant les mouvements, et donc être un instrument efficace pour les étudiants.

Mais les militants de SUD en sont au même point, même si leur implantation est plus large : ils ne doivent pas s’illusionner en comptant leurs sections, car elles sont loin d’être toutes bien implantées et bien souvent il ne s’agit que d’un noyau de militants sans formation syndicale et sans influence. En outre, plus encore que la FSE, leurs positions manquent d’homogénéité, ce qui nuit évidemment à leur efficacité.

Quant aux divergences réelles entre les deux organisations, il faut rappeler qu’elles traversent parfois également chacune : elles peuvent et doivent faire l’objet de débats au sein d’une structure unifiée. C’est pourquoi l’on ne peut faire de la question de l’aide sociale, de l’« auto-gestion » ou de l’appartenance à Solidaires des préalables au processus d’unification : la cause de l’unité du syndicalisme étudiant de lutte ne saurait tolérer aucun préalable, mais toutes les divergences sérieuses devront être tranchées démocratiquement dans la future organisation commune.

C’est le cas tout particulièrement de l’appartenance ou non à Solidaires, brandie par certains dirigeants de SUD-Étudiant comme un préalable non négociable. Or non seulement une fusion réussie ne saurait être une pure et simple absorption, mais surtout le choix même de construire Solidaires relève d’analyses et de perspectives très discutées parmi les syndicalistes salariés de lutte, qui dépassent de loin le problème immédiat de l’unification du syndicalisme étudiant de lutte. La question de Solidaires appartient au débat général sur la crise et la recomposition du mouvement syndical des travailleurs, qui n’est pas prêt de trouver une solution : seule la fusion des syndicats étudiants de lutte est concrètement à l’ordre du jour. C’est pourquoi la proposition d’un droit de tendance à l’intérieur du futur syndicat étudiant de lutte unifié semble la plus à même de résoudre le problème posé par les militants de SUD-Étudiant, en leur permettant de constituer s’ils le souhaitent un courant rattaché à Solidaires. Un tel droit de tendance existe par exemple dans la FSU comme dans l’ancienne FEN, où le courant « Unité et action », majoritaire depuis 1966, est idéologiquement proche de la direction de la CGT, tandis que d’autres courants se réclament du syndicalisme révolutionnaire, certains sont proches d’organisations politiques, etc. Le droit de tendance, assurant la représentation proportionnelle des différents courants dans le syndicat unifié, permet une réelle démocratie interne sans entraver le fonctionnement de l’organisation. Au demeurant, sa garantie serait peut-être un argument pour convaincre les militants de la TUUD, qui continuent de considérer l’UNEF comme le « syndicat étudiant majoritaire » (alors que c’est de plus en plus une coquille vide aux mains de bureaucrates), de rompre avec leurs illusions et de participer à un processus de fusion à la fois nécessaire, dynamique et démocratique. Ce serait aussi un argument pour les militants de la CNT.

En tout cas, la question du droit de tendance et celle de l’appartenance ou non à Solidaires sont suffisamment importantes et complexes pour mériter un débat approfondi qui n’empêche pas la fusion rapide, car celle-ci est bien l’essentiel. C’est pourquoi la solution la plus raisonnable est de réaliser l’unification par un congrès de fondation qui règle le maximum d’autres questions, de mener pendant une année le débat sur Solidaires et le droit de tendance et de le trancher au premier congrès suivant.

La responsabilité immédiate de SUD et de la FSE est donc de lancer ensemble le processus d’unification par un appel qui mette en avant les points fondamentaux de convergence, fixe un calendrier de discussion jusqu’à un congrès de fondation, qui pourrait être organisé à l’automne. Le processus doit être démocratique, au moyen de réunions communes régulières au niveau national et local, rassemblant les militants de SUD et de la FSE, si possible de la TUUD et de la CNT, mais aussi des structures étudiantes de lutte locales et des grévistes de l’automne qui s’engageraient à construire le futur syndicat étudiant de lutte unifié. À l’automne, des congrès locaux mandateraient des délégués pour le congrès national de fondation.

Cette perspective est tout à fait réalisable si elle se nourrit de la volonté d’aboutir et fait donc passer au second plan les intérêts de chapelles ; tout dépend donc de la conviction que l’unification du syndicalisme étudiant de lutte est une cause à la fois juste et urgente, nécessaire pour les étudiants immédiatement et, à plus long terme, pour contribuer à la reconstruction future du syndicalisme de lutte en général.


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