Le CRI des Travailleurs
n°32
(mai-juin-juillet 2008)

Derniers articles sur
le site du CILCA

Feed actuellement indisponible

Le CRI des Travailleurs n°32     << Article précédent | Article suivant >>

Le projet de nouvelle déclaration de principes du PS confirme sa nature de parti purement bourgeois


Auteur(s) :Anne Brassac
Date :22 mai 2008
Mot(s)-clé(s) :PS
Imprimer Version imprimable

Dans Le CRI des travailleurs n° 25 (1), nous analysions que le Parti Socialiste (PS) n’était plus un parti ouvrier réformiste (« parti ouvrier-bourgeois »), mais un parti purement et simplement bourgeois. Pour définir ce changement, nous avions examiné trois critères : celui du programme politique fondamental, celui de l’action gouvernementale et celui de la composition sociologique. La parution du projet de nouvelle déclaration de principes du PS qui doit être soumis aux militants le 14 juin, nous donne l’occasion de revenir sur l’examen du premier critère. Cette déclaration est la troisième dans l’histoire du Parti Socialiste tel qu’il existe depuis de Congrès d’Épinay (1971). La première, reprise par ce congrès, a été rédigée en 1969, la seconde en 1990. Même s’il faut les lire avec prudence (la déclaration de 1969, par exemple, peut sembler étonnamment radicale, mais il s’agissait en réalité de rivaliser avec le PC encore très puissant, dans un contexte marqué par la grève générale de Mai 68), ces trois textes, qui se suivent chacun d’une vingtaine d’années, permettent de saisir très nettement l’évolution du PS et confirment sa mutation en parti purement et simplement bourgeois au même titre que l’UMP. En effet, les différences qui subsistent entre le PS et l’UMP sont du même ordre que celles que l’on trouve entre le Parti Républicain et le Parti Démocrate aux États-Unis : le Parti Démocrate affiche une certaine fibre sociale, il est davantage ouvert sur les questions de mœurs et surtout certains de ses secteurs sont liés à l’AFL-CIO et captent ainsi les voix d’un grand nombre de travailleurs ; mais il n’en est pas moins un parti clairement bourgeois.

Du « travailleur » au « citoyen »

Un premier aspect que l’on peut relever à la lecture des Déclarations de principes successives du PS est l’abandon de tout langage de classe. Bien que la direction du PS soit passée du côté de l’ordre bourgeois depuis le ralliement au gouvernement d’union sacrée en 1914, devenant ainsi un agent de la bourgeoisie au sein même du mouvement ouvrier, le PS a longtemps continué à organiser une partie importante de la classe ouvrière et conservait tout de même un certain nombre de références du mouvement ouvrier, à commencer par la lutte de classe et l’objectif officiel du socialisme. C’est ainsi que, encore dans la déclaration de 1969, on peut lire que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes» (2), il est clairement question d’opposition de « classes », d’« idéologie de la classe dominante », de « rapport de force dominé par la classe dominante », ou encore d’« impérialisme ». Dans ce texte dont la première phrase est : « Le Parti socialiste regroupe donc, sans distinction de croyances philosophiques ou religieuses, tous les travailleurs intellectuels ou manuels, citadins ou ruraux, qui font leurs l’idéal et les principes du socialisme », le PS a donc une position officielle que l’on peut qualifier de classe et se place explicitement du côté des travailleurs.

En 1990, en revanche, même si par une formule très vague il est affirmé que « le Parti socialiste est un parti ancré dans le monde du travail. Les mutations incessantes et profondes des sociétés contemporaines n’ont pas éliminé les oppositions des classes et groupes sociaux » (3), il n’est plus question de travailleurs, mais de « citoyens », ce qui dénote un changement de perspective. La déclaration affirme que le PS est attaché aux « valeurs de la République » et qu’« il fonde son action et son projet sur le respect des Droits de l’homme et du citoyen dans le cadre d’un État de droit reposant sur le suffrage universel et le pluralisme ». Non seulement il n’y a dans ce texte quasiment plus aucune trace de langage de classe, mais au contraire le PS utilise presque exclusivement les références habituelles de la démocratie bourgeoise que n’importe quel parti défendant explicitement le système capitaliste peut reprendre à son compte. C’est en effet au nom des « valeurs de la République » qu’ont été justifiés le colonialisme et ses vertus « civilisatrices », et les « Droits de l’Homme » sont invoqués par l’ensemble des partis bourgeois. Or, si ces deux types de discours cohabitaient déjà avant dans les textes du PS, témoignant de sa nature de parti ouvrier-bourgeois, c’est désormais le second qui devient prédominant.

Le nouveau projet de déclaration de principes va plus loin encore dans cet abandon puisqu’il n’est nulle part question de travailleurs, mais d’« intérêt général du peuple français » (article 25). L’objectif officiel que se donne le PS est fixé de la façon suivante : « La redistribution permanente des ressources et des richesses est nécessaire pour donner une réalité à l’égalité des droits, offrir à chacun les chances de conduire sa vie, et réduire les écarts de conditions. » Toute opposition de classe ou même de « groupes sociaux » a donc disparu, il n’y a plus que des citoyens dont il s’agit d’assurer l’égalité des droits, non l’égalité réelle (il faut seulement « réduire » les inégalités). Il est évidemment illusoire de croire que même une réelle égalité des droits soit possible concrètement dans le système capitaliste où s’opposent irrémédiablement les intérêts de deux classes. Même si formellement tout le monde a les mêmes droits, c’est le patron, parce qu’il détient les moyens de production, qui impose sa volonté au travailleur, car celui-ci ne possède que sa force de travail.

On peut donc voir à travers ce changement de langage l’évolution de la façon dont le PS envisage la société. Alors qu’en 1969 il reconnaissait l’existence de classes entre lesquelles se jouait un rapport de force, en 2008 il affirme que nous sommes dans un État de droit dans lequel « il ne considère jamais les rapports de force d’un moment comme figés ou indépassables ». Le PS intègre donc pleinement l’idéologie bourgeoise qui tente de faire croire qu’il n’y a pas d’opposition de classes dans un « État de droit » au sein duquel tous les conflits seraient subordonnés à l’« intérêt général » du peuple français.

De la critique verbale du capitalisme à l’inéluctabilité de l’économie de marché

Le remplacement d’un discours formellement de classe par un discours de la bourgeoisie n’est évidemment pas un simple effet de rhétorique, mais correspond à l’évolution du projet et des objectifs que se fixe le PS. En 1969, il est affirmé que, « parce qu’ils sont des démocrates conséquents, les socialistes estiment qu’il ne peut exister de démocratie réelle dans la société capitaliste ». Il s’agit donc de « substituer progressivement à la propriété capitaliste une propriété sociale qui peut revêtir des formules multiples et à la gestion de laquelle les travailleurs doivent se préparer » (4) ; et il est dit un peu plus haut qu’il faut « supprimer l’exploitation — et par là même les classes — en restituant à la société les moyens de production et d’échange dont la détention reste, en dernière analyse, le fondement essentiel du pouvoir ». Au moins en paroles, le PS affirmait donc ici vouloir en finir avec la société capitaliste. Encore une fois, il ne faut pas avoir d’illusion sur la radicalité apparente de ce texte au vu de ce qu’était déjà le PS en 1969 ; cependant, il permet d’analyser qu’il n’était alors pas un parti purement et simplement bourgeois, mais un parti du mouvement ouvrier, quoique dirigé par des « lieutenants de la bourgeoisie » (Lénine).

En 1990, alors qu’il est dit du capitalisme qu’il « développe les inégalités, accentue les déséquilibres mondiaux, exploite les richesses du Tiers-Monde et maintient dans de nombreux pays chômage et exclusions » (5), il n’est plus question d’y mettre un terme, mais seulement de mettre en place « une société d’économie mixte qui, sans méconnaître les règles du marché, fournisse à la puissance publique et aux acteurs sociaux les moyens de réaliser des objectifs conformes à l’intérêt général ». Le PS, qui est alors au pouvoir depuis neuf ans et a assuré la continuité du travail d’offensive de la bourgeoisie contre les travailleurs, accepte l’économie de marché et n’a plus pour objectif que de faire coexister avec elle un service public « dans les secteurs clés qui déterminent la formation du citoyen (l’école, l’université, la télévision), les conditions de vie (logement, santé, environnement) ».

Le projet de déclaration de principes de 2008 s’oppose sur cette question presque mot pour mot à la Déclaration de 1969 : « La régulation est également un des rôles majeurs de l’État pour concilier l’économie de marché, la démocratie et la cohésion sociale » (article 8) ; il semblerait qu’il n’y ait plus, pour les ci-devant « démocrates conséquents » (6), d’opposition entre capitalisme et démocratie. C’est pourquoi le PS se prononce désormais pour « une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, un secteur public, des services publics de qualité, un tiers secteur d’économie sociale. » (7) Le PS, dans ses principes mêmes, ne présente donc plus l’objectif de remplacer, même à très long terme, le capitalisme par une autre société, mais uniquement de résoudre ses « contradictions » (8).

La comparaison de ces trois textes rend très lisible l’abandon du rejet du capitalisme, même seulement sur un plan théorique, au profit de l’économie « sociale » de marché. Assumant jusqu’au bout cette position dans son discours à Melle le 25 août 2007, Ségolène Royal pouvait même affirmer que « le marché nous est aussi naturel que l’air que l’on respire ou que l’eau que l’on boit. […] Nous inscrivons bien évidemment notre action et notre réflexion dans le cadre des économies de marché, et s’il faut l’écrire, écrivons-le une bonne fois pour toutes. »

Du réformisme aux contre-réformes

Dans notre article sur la nature du PS, nous avions examiné un autre critère, qui était celui de l’action gouvernementale. Nous expliquions que le rôle des partis ouvriers « réformistes » était de prendre d’exercer le pouvoir dans les situations révolutionnaires lorsque les partis bourgeois n’étaient plus capables de maîtriser la situation, ou du moins en cas de fortes luttes de classes. Leur fonction consistait alors à canaliser la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière dans le cadre de l’État bourgeois et à stabiliser la situation (par exemple en 1936 en France), ou à gérer la lutte des classes d’une manière plus efficace que les partis bourgeois (par exemple dans les pays comme la Suède après 1945). Dans ce cadre, poussés par les masses qui les avaient portés au pouvoir, ils étaient obligés d’accorder des concessions importantes aux travailleurs, même si les plus significatives l’étaient sous la pression directe d’une vive lutte de classe, comme ce fut le cas en 1936 avec la grève générale qui a éclaté après l’élection du Front Populaire. Dans les pays comme la Suède ou la Grande-Bretagne dirigée par le Labour Party après la guerre, les partis réformistes réalisaient une sorte de compromis à moyen ou long terme, décidant de gérer les affaires courantes de la bourgeoisie tout en faisant accepter cette politique par les travailleurs au moyen de réformes qui permettaient des améliorations matérielles limitées, par ailleurs temporaires et financées sur le dos des peuples dominés. C’est en ce sens que ces partis, même au pouvoir, pouvaient encore être qualifiés de « réformistes ».

En 1969, le PS déclarait : « L’utilisation des réformes implique que l’on ait conscience de leur valeur et de leurs limites. Le Parti socialiste sait toute la valeur des réformes qui ont déjà atténué la peine des hommes et, pour beaucoup d’entre eux, accru leurs capacités révolutionnaires. Mais il tient à mettre en garde les travailleurs, la transformation socialiste ne peut pas être le produit naturel et la somme de réformes corrigeant les effets du capitalisme. Il ne s’agit pas d’aménager un système, mais de lui en substituer un autre. » (9) Ici encore, il faut se méfier de l’apparente radicalité de ce passage (10). Il s’agit avant tout de donner aux travailleurs l’illusion que le réformisme est une étape vers la révolution, ce qui permet au PS de légitimer par anticipation son action gouvernementale s’il accède au pouvoir : il gouvernera dans le cadre des institutions bourgeoises, mais parce que c’est prétendument un moyen de mettre fin au système capitaliste. Néanmoins, il affirme au moins formellement que faire des réformes n’est pas un but en soi, que l’objectif final est de mettre fin au capitalisme.

La déclaration de 1990 marque là encore un tournant. Depuis 1981, le PS ne s’est pas contenté de canaliser la lutte de classe, mais il a pris le relais des partis bourgeois pour mener directement les offensives exigées par les capitalistes contre la classe ouvrière. Bien qu’il prétende encore « met(tre) le réformisme au service des espérances révolutionnaires » (11), il n’est plus question de mettre en garde les travailleurs contre les limites des réformes, le PS ne prétend même clairement vouloir en finir avec ce système, mais il s’affirme désormais, de façon vague, comme un « parti de transformation sociale ». Cependant, il prétend encore que, « si les socialistes participent au combat pour le progrès de toute la société, ils sont particulièrement attentifs aux intérêts des salariés et au développement de toutes leurs capacités d’action ».

Enfin, en 2008, le PS abandonne toute « espérance révolutionnaire », en expliquant dans le préambule du projet de déclaration de principes que « bâtir un monde nouveau et meilleur, obéissant à la dignité de l’homme et assurant la sauvegarde de la planète, est la tâche première des socialistes, celle qui motive un engagement renouvelé pour le progrès au fil des générations, par-delà les moyens mis en œuvre, qui, eux, se formulent différemment dans le temps selon les enjeux et les problèmes ». En effet, puisque les « moyens mis en œuvre » ne dépendent pas des objectifs que l’on se fixe, mais des « enjeux » et des « problèmes » du moment, le PS peut tout aussi bien justifier des réformes que des contre-réformes, et s’en prendre aux intérêts des travailleurs sous prétexte de « bâtir un monde meilleur » !

C’est ainsi que, dans la pratique, au moment où le gouvernement de Sarkozy multiplie les attaques contre les travailleurs, le PS se contente de critiquer seulement sur la forme ces contre-réformes, tout en admettant qu’elles sont nécessaires. Les exemples de soutien du PS au gouvernement ne manquent pas. Dans une interview au moment de la grève de l’automne dans les universités contre la loi LRU, Ségolène Royal affirme : « Je soutiens une réforme qui permet aux universités d’avoir davantage d’autonomie  » (12) ; elle regrette seulement un manque de moyens. Puis elle demande une réforme supplémentaire de l’université pour résoudre le problème de l’échec par un « rapprochement entre les universités et les entreprises », ce qui n’est ni plus, ni moins que la suite des attaques lancées par le gouvernement avec la mise en place du « plan pluriannuel pour la réussite en licence » (13).

Concernant une des attaques centrales de Sarkozy-Fillon, la réformes des régimes spéciaux, François Hollande, premier secrétaire du PS, a déclaré : « J’ai déjà dit clairement que la réforme des régimes spéciaux, elle était nécessaire » (14) Tout ce qu’il reproche au gouvernement, c’est de ne pas assez négocier et de ne pas prendre en compte le critère de la pénibilité au travail. Mais sur le fond il n’a aucune opposition.

De même, Vincent Peillon, député européen et dirigeant du PS explique, quand le journaliste lui demande ce qu’il pense de la mobilisation des enseignants et lycéens, que le problème n’est pas la suppression des postes, qu’il ne faut pas considérer « que c’est uniquement en disant "nous voulons garder les postes tels qu’ils sont" que nous avancerons », puisqu’« il faudra faire des réformes dans un budget contraint » (15). Il propose donc, dans l’esprit même de la réforme Darcos : « Si vous voulez mieux payer comme dans les pays nordiques, alors vous pouvez avoir un certain nombre d’exigences, de formation continue, de présence auprès des élèves, de diversités de tâches à accomplir ; en contrepartie, il est possible de diminuer le nombre de fonctionnaires dans l’Éducation nationale. » Il s’agit donc, exactement comme le souhaite le gouvernement, de demander aux enseignants de travailler d’avantage pour compenser les suppressions de postes massives.

Plus généralement, selon Peillon dans la même interview, le PS ferait les mêmes réformes que le gouvernement s’il était à sa place : dans la même interview, il dit sur la réforme des régimes spéciaux de retraite : « Cette réforme devait être faite », et sur celle du contrat de travail du 11 janvier : « L’accord a été négocié par les syndicats. C’est une réussite de la négociation. C’est une bonne chose. »

Le nouveau projet de déclaration de principes du PS confirme donc l’analyse que l’on pouvait tirer de ses paroles et de ses actes. Affirmant et même accentuant le tournant qu’il avait pris dans la déclaration de 1990, il montre bien que ce parti est clairement devenu un parti purement bourgeois et n’a plus rien de « réformiste » dans le sens qu’a ce terme dans le mouvement ouvrier. Le PS ne se contente pas de ne pas s’opposer aux contre-réformes du gouvernement de Sarkozy, il les approuve et affirme qu’il ferait les mêmes, peut-être en « négociant » encore plus avec ses amis des directions syndicales, s’il était à sa place.


1) http://groupecri.free.fr/article.php?id=324

2) Déclaration de principes de 1969, http://www.lours.org/default.asp?pid=106

3) Déclaration de principes de 1990, http://www.lours.org/default.asp?pid=107

4) Déclaration de principes de 1969.

5) Déclaration de principes de 1990.

6) Déclaration de principes de 1969.

7) Projet de déclaration de principes de 2008, article 6.

8) Ibidem, article 7.

9) Déclaration de principes de 1969.

10) On peut cependant souligner qu’il est plus « radical » que bien des textes actuels de la LCR, de LO ou du PT !

11) Déclaration de principes de 1990.

12) Le nouvel Observateur, 13 nov. 2007.

13) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 30, janv.-fév. 2008, http://groupecri.free.fr/article.php?id=445

14) Interview de François Hollande sur RTL, 18 octobre 2007.

15) Le Monde, 22 avril 2008.


Le CRI des Travailleurs n°32     << Article précédent | Article suivant >>