Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Éléments pour comprendre les causes, les mécanismes et les conséquences de la crise économique mondiale


Auteur(s) :Gaston Lefranc
Date :6 novembre 2008
Mot(s)-clé(s) :international, économie
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Analyse de la crise financière et des réponses des États bourgeois

La crise financière n’éclate pas dans un ciel serein : le capitalisme est empêtré dans ses contradictions. Depuis les années 1970, le rythme de l’accumulation s’est ralenti dans les pays impérialistes. C’est la conséquence de la baisse tendancielle du taux de profit : en cherchant le profit maximum dans un environnement concurrentiel, le capital accroît sans cesse la force productive du travail, ce qui réduit relativement l’utilisation de la marchandise « miraculeuse » (la force de travail, celle qui produit de la valeur, et donc de la plus value, source du profit) par rapport à l’utilisation des moyens de production. Par conséquent, la valeur des moyens de production (capital constant) augmente plus vite que la valeur créée par les travailleurs. Donc le taux de profit (plus value divisée par capital total) tend à diminuer. Alors le rythme de l’accumulation (investissement) diminue à son tour. Ainsi le ralentissement de l’accumulation ne s’explique-t-il pas par la saturation des besoins, mais par la contradiction entre la logique capitaliste et la satisfaction des besoins humains. Comme l’indique Marx, « il n’est pas produit trop de richesse [des biens et services qui satisfont les besoins humains]. Mais périodiquement, il est produit trop de richesse dans les formes antagonistes du capital ».

Encadré sur le taux de profit

Notations :
  • C = capital constant avancé (valeur des moyens de production)
  • V = capital variable avancé (salaires)
  • PL = plus-value.
  • VA = PL + V = valeur ajoutée (valeur créée par les travailleurs)
  • = taux d’exploitation (rapport entre la part de la valeur ajoutée accaparée par les capitalistes et la part de la valeur ajoutée qui revient aux travailleurs)

Taux de profit

On peut ainsi décomposer le taux de profit comme le produit de l’efficacité du capital (efficacité en termes de production de valeur nouvelle) et une fonction positive du taux d’exploitation  . On peut ainsi identifier deux causes de variation du taux de profit : un changement dans l’efficacité du capital et un changement dans la répartition de la valeur ajoutée.

La suraccumulation de capital – trop peu de plus-value est produite par rapport à la masse de capital investi – consécutive à la baisse de l’efficacité du capital – est la principale cause de la baisse du taux de profit à la fin des « Trente Glorieuses ». Depuis plus de trente ans, faute de guerre mondiale ou de grande vague de faillites (empêchée par les aides de l’État aux entreprises) qui aurait permis une forte dévalorisation du capital constant des entreprises, l’efficacité du capital est toujours très basse : on peut donc parler de suraccumulation structurelle (qui dure depuis plus de 30 ans) de capital qui a bloqué le rétablissement complet du taux de profit, malgré une hausse spectaculaire du taux d’exploitation.

NB : On peut mesurer approximativement l’évolution de l’efficacité du capital, au sens de Marx, avec l’évolution de la « productivité du capital » telle qu’elle est calculée par les économistes. Cf. l’évolution de la productivité du capital aux États-Unis sur longue période dans l’article de G. Duménil et D. Lévy : « The profit rate, where and how much did it recover ? » (2002), http://www.jourdan.ens.fr/levy/dle2002f.pdf

Pour faire face à la crise des années 70, c’est-à-dire rétablir leur taux de profit, les capitalistes et leurs gouvernements ont brutalement attaqué les acquis des travailleurs. À l’échelle mondiale, cela est passé par le rétablissement de la propriété privée en URSS, en Chine et dans les autres pays staliniens, la libéralisation du commerce mondial (OMC) et la déréglementation du système financier. En France comme ailleurs, cela s’est traduit par la fermeture d’entreprises « non rentables » (mines, sidérurgie...), les licenciements massifs, les privatisations, la hausse de la flexibilité et de la précarité, le blocage des salaires, les attaques contre le système de santé et les retraites, etc.

Les capitalistes ont ainsi rétabli (partiellement) leur taux de profit, mais cela n’a pas permis de relancer l’investissement : la part de la plus-value non réinvestie a crû constamment, alimentant la consommation ostentatoire de la bourgeoisie et la spéculation sur les marchés financiers. Le développement de la finance n’est donc pas une excroissance qui tomberait du ciel, mais une conséquence nécessaire de la tendance à la suraccumulation de capital depuis plus de 30 ans. Le « néo-libéralisme » n’est pas le choix d’une forme de capitalisme contre une autre, mais la réponse nécessaire du système à sa crise de rentabilité des années 1970. Du point de vue du capitalisme, la politique néo-keynésienne proposée par les réformistes de tout poil pour relancer la consommation, loin de résoudre la crise, ne ferait que l’aggraver, car elle tendrait à abaisser le taux de profit. Si la crise apparaît comme insuffisance du marché de consommation pour absorber la production, elle a pour cause réelle l’explosion de la contradiction inhérente à l’accumulation du capital.

La fuite en avant dans la finance se traduit aujourd’hui par une crise bancaire généralisée

Les experts économiques de la bourgeoisie ont perdu ou devraient perdre tout crédibilité. De façon péremptoire, ils proclamaient que la crise financière serait passagère et vite réglée, et que l’économie réelle (1) allait repartir de plus belle. Ainsi, l’OCDE affirmait en juin 2008 : « Il semble de plus en plus probable que les turbulences sur les marchés financiers ont commencé à se calmer… c’est grâce aux effets des réformes structurelles antérieures et à des cadres de politique macroéconomiques parfaitement appropriés. Cela souligne la nécessité de persévérer dans cette voie. » (2) Les économistes « de gauche » ont longtemps répété le même refrain ; par exemple Anton Brender et Florence Pisani écrivaient dans La Nouvelle économie américaine en 2004 : « L’économie américaine (...) est aujourd’hui, de toutes les grandes économies développées, celle dont le potentiel de croissance est le plus élevé et le système financier le plus solide. Ce changement (…) résulte aussi d’une transformation financière qui dote désormais cette économie de mécanismes puissants permettant de stabiliser le rythme de sa croissance. »

La crise financière, qui a éclaté à l’été 2007, a désormais une très grande ampleur. L’endettement des ménages états-uniens a été considérable : alors que le taux de ménages propriétaires a oscillé entre 63 et 66% entre 1965 et le milieu des années 1990, il est passé de 64% en 1994 à 69% en 2004. Cet endettement, qui s’est accompagné de l’explosion du capital fictif, a permis de tirer artificiellement la croissance des États-Unis, particulièrement depuis le début des années 2000, mais il provoque aujourd’hui une crise immobilière et financière très importante.

Une seule solution s’impose pour sauver le système capitaliste : faire payer la population, et particulièrement les travailleurs, pour sauver le système bancaire et donc le système capitaliste dans son ensemble. L’ampleur de la crise financière commande l’ampleur du tribut que l’État bourgeois va prélever sur les travailleurs pour sauver le système. Il ne s’agit pas d’une crise financière irrationnelle qui aurait prospéré sur un « corps sain », l’économie réelle des pays impérialistes. Depuis la fin des « Trente Glorieuses », malgré l’ampleur des attaques contre les acquis des travailleurs, la suraccumulation du capital – qui ne pourrait être « résolue » que par une guerre ou une grande crise qui dévaloriserait massivement le capital fixe des capitalistes – condamne les économies des pays impérialistes à une croissance faible. La fuite en avant dans l’endettement et le gonflement du capital fictif ne dure qu’un temps, et les travailleurs du monde entier sont maintenant appelés à payer les pertes des capitalistes qui se sont engraissés sur leur dos pendant la phase ascendante du cycle financier.

Quelques éléments sur le concept de capital fictif et son rapport avec l’économie réelle

Quand une entreprise se crée, des actions sont émises sur le marché financier primaire, et sont achetées par les capitalistes financiers : il s’agit du capital-argent avancé, qui servira à acheter les moyens de production et la force de travail (durant les périodes suivantes, de nouvelles actions ne seront pas forcément émises : le financement se fera essentiellement à partir du profit réinvesti). Le prix des actions évolue ensuite sur le marché financier secondaire (« la bourse » au sens usuel du terme) au gré des achats et des ventes : la circulation des titres, originellement liée à la circulation du capital, s’en détache. Les actions constituent alors du « capital fictif », concept par lequel Marx entendait les droits sur du capital réel dépensé (droits qui impliquent notamment le paiement d’un dividende) ou sur du revenu encore à venir (quand il s’agit par exemple de bons du trésor). Quand la Bourse « monte », le capital fictif enfle et les vendeurs d’action réalisent un gain monétaire en revendant leurs titres plus chers qu’ils ne les ont achetés. Ainsi, ils captent une part plus importante de la valeur créée dans l’économie réelle que ceux qui vendaient leurs actions lors de la période précédente.

La valorisation du capital fictif obéit à des modalités spécifiques, susceptibles de produire une divergence durable et importante avec la valeur du capital réel avancé (ce qu’on constate régulièrement depuis les années 1990, avec de fortes variations à la hausse comme à la baisse). Cependant, il ne peut pas y avoir de déconnexion totale entre la valorisation du capital fictif et ce qui se passe dans l’économie réelle : le capital fictif ne peut pas s’envoler sans limite car la valeur créée dans l’économie réelle n’est pas infinie. D’où l’éclatement des bulles financières.

Si le phénomène des « subprimes » a été le déclencheur de la crise à l’été 2007, si la complexité et l’opacité des marchés financiers ont ensuite amplifié la crise, l’origine directe de la crise financière réside dans la politique monétaire du gouvernement états-uniens depuis 2001. Il s’est en effet lancé dans une fuite en avant qui est devenue délirante à partir de 2001 : pour faire face à la crise financière de 2000-2001, à la crise de suraccumulation dans les secteurs de l’informatique et des télécommunications et éviter la récession, le gouvernement US a mis en place une politique monétaire volontariste de très forte baisse des taux d’intérêt (les baissant jusqu’à 1%, soit un taux inférieur à l’inflation ! (3)), ce qui a incité les ménages à s’endetter massivement. Cela a permis au secteur immobilier de prospérer et de tirer la croissance états-unienne. Les banques ont ensuite disséminé le risque de non remboursement des crédits en les transformant en titres financiers, puis en les vendant sur les marchés financiers. Ces titres ont eux-mêmes été mélangés à d’autres titres et on a vu l’apparition d’une floraison de nouveaux instruments financiers, de produits d’assurance garantissant contre la dévalorisation de ces titres, etc. Le risque a été disséminé partout, dans l’opacité, si bien que tous les acteurs des marchés financiers en viennent aujourd’hui à douter de la « qualité » d’une grande partie des actifs financiers.

Les autres secteurs, et notamment le secteur industriel, n’ont quant à eux pas connu une aussi forte croissance (même si leurs ventes ont été temporairement dopées par l’endettement des ménages), car les conditions de restauration des taux de profit n’étaient pas réunies. Cette croissance à crédit ne reposait donc pas sur des fondements solides : l’écart grandissant entre d’une part le prix des actifs et les rendements exigés, et d’autre part la croissance de l’économie réelle, rendait inéluctable la crise financière.

Eléments pour comprendre le bilan comptable d’une banque

Dans le bilan d’une banque, il y a les investissements (actifs) qui ont été financés en partie par les fonds propres, en partie par de la dette. La règle comptable impose l’égalité de l’actif global et du passif global.

Par prudence et par anticipation, les banques déduisent de leur résultat les provisions (pertes anticipées). On a alors le résultat net. Cela permet aux banques d’incorporer dans leur bilan une partie des pertes futures anticipées afin de « lisser » leur compte de résultat et d’éviter une chute brutale du résultat d’une année sur l’autre. Cela illustre le fait que le compte d’une entreprise n’est pas une photo « objective », mais une construction comptable susceptible de manipulation.

Si le produit de l’activité bancaire est supérieur aux charges (provisions déduites), le résultat net de la banque est positif. Dans le cas contraire, il est négatif.

ACTIF PASSIF
Crédits (prêts) aux entreprises Fonds propres
Crédits (prêts) aux ménages Titres émis (dette)
Titres achetés Comptes courants des clients
Autres actifs Autres passifs
Résultat : bénéfice (si positif) ou perte (si négatif)
TOTAL ACTIF = TOTAL PASSIF

On peut simplifier le bilan en écrivant Actif = Fonds propre + dettes. Ainsi, une banque peut posséder un portefeuille d’actifs bien supérieur à ses fonds propres, en s’endettant. L’effet de levier, c’est-à-dire le ratio actifs / dettes, est d’autant plus élevé que la banque s’endette pour financer son actif.

Quand une banque détient des actifs qui se dévalorisent, ses fonds propres sont diminués d’autant (son « capital » initial part en fumée). Le ratio fonds propres / dettes diminue donc, et peut menacer la solvabilité de la banque (sa capacité à rembourser ses emprunts). Pour éviter que le ratio ne diminue trop, les banques se recapitalisent (augmentent leurs fonds propres via l’émission de nouvelles actions) ou vendent des actifs pour rembourser leurs dettes, ce qui fait remonter le ratio. Quand les banques cherchent à se débarrasser de leurs actifs pour restaurer leur solvabilité, cela alimente la dévalorisation des actifs (augmentation de l’offre sur le marché). Les banques vont alors limiter leurs crédits aux clients les plus sûrs, rétablir leurs marges bancaires, se désendetter, afin de restaurer leur solvabilité.

L’intervention des Banques centrales ne suffit plus :

d’une crise de liquidité à une crise de solvabilité

La bourgeoisie pensait régler la crise financière en se contentant, via les banques centrales, d’injecter massivement des « liquidités » (monnaie émise par la banque centrale) sur le marché monétaire. En effet, alors que les banques refusaient de se prêter entre elles par méfiance, les Banques centrales étaient appelées à la rescousse, en créant de la monnaie « centrale », pour faire face à la crise de liquidité. Mais cela n’a pas suffi et aujourd’hui, on assiste à une crise généralisée de solvabilité des banques qui ont dans leur bilan des actifs « pourris », tellement dévalorisés qu’ils sont en fait invendables. Fin 2007, les grandes banques mondiales ont annoncé des résultats en forte baisse à cause de pertes directes sur les crédits subprimes, mais aussi et surtout à cause de dépréciations d’actifs dérivés des subprimes (inscrites dans les comptes à leur valeur de marché selon les normes comptables internationales).

Au printemps 2008, la première alerte sérieuse a été la reprise par JP Morgan, aidée par la Fed (la Réserve Fédérale, Banque centrale US), de la banque Bear Stearns, au bord du dépôt de bilan (JP Morgan a racheté également en septembre Washington Mutual, l’une des principales caisses d’épargne des États-Unis). En Angleterre, le gouvernement a nationalisé en février dernier la banque Nothern Rock.

Puis les choses se sont vraiment accélérées en septembre : Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants du refinancement du crédit immobilier américain (qui assuraient ou garantissaient près de 40% des prêts immobiliers US, et que le gouvernement US a jusqu’au bout encouragés à continuer de garantir pour éviter l’assèchement du crédit), ont été mis sous tutelle publique : non seulement le Trésor public US a racheté les actions de ces deux géants (il détient désormais 80% du capital social), mais il s’est surtout engagé à racheter des titres pourris détenus par ces deux géants. Si le Trésor US a refusé de sauver la banque d’investissement Lehmans Brothers, il a sauvé AIG, premier assureur des États-Unis, en prenant là encore le contrôle de 80% du capital social ; par ailleurs, la Fed a consenti un prêt préférentiel de 85 milliards de dollars à AIG.

Les États bourgeois sont prêts à utiliser tous les moyens pour sauver le système bancaire et les grandes entreprises, quel qu’en soit le prix pour les travailleurs. Et ils ont pris conscience qu’ils ne pouvaient se permettre de réagir au « coup par coup », mais qu’ils devaient mettre en œuvre des plans de sauvetage globaux de grande ampleur. Et soudain, on découvre que ce qui était impossible quand il s’agissait de satisfaire les besoins vitaux des travailleurs devient possible quand il s’agit de venir aux secours du capital. Ainsi, quand la FAO, au printemps dernier, avait demandé trois milliards de dollars pour faire face à la pénurie de céréales, elle n’avait obtenu que quelques millions des pays impérialistes ; mais maintenant, ce sont des centaines de milliards d’argent public qui vont servir à renflouer les banques ! Quand les services publics de l’Éducation, de la santé, etc., sont asphyxiés par les suppressions de postes, les gouvernements disent que c’est inévitable, qu’il faut réduire les déficits publics ; mais aujourd’hui, tous les interdits d’hier (déficit budgétaire, entorses à la libre concurrence, etc.) qui étaient martelés par les médias, les politiciens et les économistes de la bourgeoisie pour s’opposer aux revendications des travailleurs, n’ont plus aucune importance pour les capitalistes qui mobilisent leur État de toutes les façons possibles !

Pour limiter les effets de la crise sur les capitalistes, les États vont combiner une politique monétaire et surtout une politique budgétaire volontaristes :

La politique monétaire a des effets limités puisque la crise est bien plus grave qu’une simple crise de liquidités :

La politique budgétaire est la principale réponse des gouvernements, mais elle implique l’aggravation des déficits publics et la hausse des impôts payés par les travailleurs :

Adoption du plan Paulson aux États-Unis : un transfert massif de richesse des travailleurs vers les capitalistes, seule solution pour sauver le système capitaliste

Après quelques tiraillements, les autorités états-uniennes se sont résolues à présenter un plan d’ensemble pour racheter les actifs pourris des banques avec l’argent du contribuable et le recours à l’endettement public. Elles n’avaient pas le choix, sous peine d’une chute incontrôlée des marchés financiers, qui aurait pu entraîner une crise du type 1929 : faillite généralisée des banques et chute brutale de la production. Le Secrétaire au Trésor Henry Paulson a annoncé le 18 septembre 2008 que l’État US allait mettre en place une « caisse de défaisance » qui achètera aux institutions financières et gérera à son niveau les actifs toxiques (5) (notamment les dérivés de crédits subprime) qu’elles ont en portefeuille, pour une masse globale annoncée de 700 milliards de $ (5% du PIB des USA, qui s’ajoute aux dizaines, voire aux centaines de milliards déjà débloqués pour sauver Fannie Mae, Freddie Mac, AIG...). Cette somme représente environ 2 000 $ par Américain.

Rejeté par les trois quarts des États-uniens, ulcérés par le racket organisé par l’État au bénéfice des banques, le plan Paulson a été dans un premier temps rejeté par une majorité d’élus à la Chambre des Représentants. Cependant, l’Union sacrée des chefs républicains et démocrates pour sauver le capitalisme a finalement permis d’obtenir une majorité au Sénat puis à la Chambre des Représentants (où cependant seule une minorité de républicains a voté pour) pour adopter le plan Paulson modifié. La nouvelle version du plan est encore plus scandaleuse, puisqu’aux 700 milliards s’ajoutent 150 milliards de réduction d’impôts, essentiellement pour les grandes entreprises, et la hausse de la limite de garantie publique des comptes en banque de 100 000 à 250 000 $ (une mesure qui favorise donc principalement les plus riches). Le plan prévoit en outre de rendre quasiment impossible de contester devant un tribunal la mise en œuvre du sauvetage, ce qui ouvre la voie à la corruption sur une grande échelle. Enfin, le plan se prononce pour le changement des règles comptables afin de permettre aux banques d’évaluer leurs actifs au prix auquel elles les ont achetés, plutôt qu’au prix actuel du marché. Les banques ont vigoureusement fait pression pour que soit ajoutée cette clause, car cela leur permettrait de camoufler leurs pertes dans leurs bilans, de surévaluer leurs titres adossés à des crédits mobiliers et autres holdings spéculatifs et de revendre une partie de ceux-ci au Trésor américain à des prix gonflés. Il s’agit de casser le thermomètre pour mieux dissimuler les pertes... et provoquer des bulles financières encore plus importantes avec à plus ou moins brève échéance des krachs encore plus terribles!

Ce n’est pas la première fois que les États-Unis mettent en place une telle caisse de « défaisance ». À la fin des années 1980, pour sauver les caisses d’épargne, le Trésor avait mis sur la table 400 milliards de dollars pour racheter les actifs pourris. Au final, après revente des actifs par l’État, le coût pour le contribuable n’a été « que » d’une centaine de milliards de dollars. Dans le cas présent, les montants sont déjà bien supérieurs, et il est fort probable que l’État US déboursera beaucoup plus que 700 milliards de dollars, sans savoir à quel prix il pourra revendre les actifs, s’il peut les revendre un jour. Il faudra donc augmenter les impôts des travailleurs et surtout faire exploser le déficit budgétaire (qui devrait passer au minimum de 3% en 2008 à 10% en 2009) et donc l’endettement public, déjà accru par les baisses d’impôts du début d’année. Pour le moment, l’État US peut s’endetter à très bas coût : les épargnants fuient les actifs risqués et se réfugient sur les valeurs sûres, comme les bons du trésor US, si bien que leur taux tend vers zéro.

Il est en tout cas certain que les autorités états-uniennes mettront l’argent qu’il faut pour éviter la faillite des banques, quel qu’en soit le prix pour les travailleurs. Les autorités ont tiré les leçons de la crise de 1929 où l’État avait refusé d’instaurer une caisse de secours public après avoir tenté de convaincre les groupes privés les plus puissants (notamment Rockfeller) de mettre en place une caisse de secours privé.

Le plan Paulson a été depuis amendé : le gouvernement envisage désormais d’utiliser 250 milliards de $ (parmi les 700 milliards du plan) pour recapitaliser les banques et donc les nationaliser partiellement et temporairement. Paulson a affirmé le 8 octobre : « Nous allons utiliser tous les outils qui nous ont été donnés à leur efficacité maximale, y compris en renforçant la capitalisation des institutions financières de toute taille. La loi autorise le Trésor à acheter ou assurer les actifs en difficulté, à fournir des garanties ou à injecter du capital. » Cette annonce a été confirmée lors de la réunion du G7 de vendredi 10 octobre, puis par une déclaration de Bush le 14 octobre.

Dans le même temps, la Fed continue à injecter massivement des liquidités dans les banques, mais ces dernières rechignent à financer les entreprises. Si bien que la Banque centrale a décidé d’assurer son rôle de prêteur en dernier ressort et de financer directement les entreprises ! Un fonds spécialisé dans le rachat des billets de trésorerie à trois mois (qu’émettent les entreprises pour obtenir de l’argent frais) a été mis en place par la Fed.

Faute d’institutions européennes intégrées, les bourgeoisies de l’UE ont bien du mal à se coordonner en faisant taire leurs divergences d’intérêts, malgré l’approfondissement de la crise

Les banques européennes ne sont pas épargnées par la crise financière mondiale. Toutefois, les grandes banques européennes sont a priori moins exposées que les grandes banques d’investissement états-uniennes, car elles ont à la fois une activité traditionnelle de banque de dépôts et une activité de banque d’investissement (directement exposée à la crise financière). Si elles semblent moins exposées, leurs éventuelles faillites auraient par contre des conséquences terribles pour la petite épargne (si les comptes courants et les livrets réglementés comme le livret A sont garantis à hauteur de 70 000 € en France, ce n’est pas le cas pour les autres produits d’épargne comme les assurances vies).

Fin septembre, les États européens se sont portés au secours de plusieurs institutions financières. Ainsi la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont-ils apporté des fonds public au bancassureur belgo-néerlandais Fortis dimanche 28 septembre. Puis l’État néerlandais a racheté la totalité des activités de Fortis aux Pays-Bas (pour 16,8 milliards d’euros), alors que BNP Paribas rachetait les activités en Belgique et au Luxembourg (pour 15 milliards d’euros). En outre, la Belgique, la France (pour 3 milliards) et le Luxembourg ont apporté 6,4 milliards d’euros pour recapitaliser Dexia. Effectuée à travers une augmentation de capital, cette aide passera par une nationalisation de fait, les pouvoirs publics belges et français détenant désormais plus de la moitié du capital de Dexia. La Grande-Bretagne a quant à elle nationalisé Bradford & Bingley.

Pour éviter d’agir au cas par cas et d’alimenter ainsi la panique des marchés financiers, et compte tenu de l’imbrication croissante du système bancaire à l’échelle de l’Europe (6), l’intérêt des capitalistes européens aurait été de mettre en place, à l’instar des États-Unis, une caisse de « défaisance » commune à l’échelle (au moins) de la zone euro. Mais, à la différence des États-Unis, l’UE ne dispose pas d’institutions intégrées budgétaires capables de gérer une telle caisse. L’UE possède un budget commun ridicule, chaque État gardant une politique budgétaire propre dans les limites fixées par le Pacte de stabilité. Comme l’affirme Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE) : « Un plan similaire à celui du gouvernement américain ne correspond pas à la structure politique de l’Europe. ». En effet, un tel plan peut difficilement être mis en place par consensus de l’ensemble des États membres. Cela signifie que les institutions actuelles de l’UE ne sont pas assez intégrées pour répondre aux intérêts communs des capitalistes de l’UE.

Compte tenu de l’état actuel des institutions européennes, les États ne peuvent au mieux que coopérer entre eux et fonctionner au consensus. Les États de l’UE ont échoué à mettre en place une caisse commune de sauvetage des banques. La France a proposé la mise en place d’une caisse de 300 milliards d’€ (alimentée par des dotations nationales), mais l’Allemagne n’en veut pas (et, même si elle en voulait, il resterait à fixer les dotations de chaque État membre...). Le sommet des quatre pays européens du G8 (France, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne) a accouché d’une souris samedi 4 octobre. S’ils ont déclaré vouloir tout faire pour sauver les banques en difficulté et ont réclamé la convocation d’un sommet international en vue d’une réforme du système financier mondial, ils se sont contentés d’affirmer, faute de consensus, que « chaque gouvernement agira selon une méthode et avec des moyens qui lui sont propres mais de manière coordonnée avec les autres États européens ». Notons cependant une décision importante : à l’instar du congrès états-unien, le sommet a demandé « instamment » une modification des normes comptables. Alors que Sarkozy et les autres dirigeants européens se gargarisent de vouloir mettre au pas la finance, ils décident de changer les normes comptables trop contraignantes, pour permettre aux banques de masquer leurs pertes ! Cela prouve qu’ils sont lancés dans une fuite en avant où tous les moyens sont bons pour sortir de la crise à court terme, même s’ils préparent des crises encore plus fortes à l’avenir.

Le cadre institutionnel de l’Europe montre chaque jour ses faiblesses. Ainsi l’Irlande a-t-elle irrité les autres pays de l’UE en décidant, de façon unilatérale, de garantir l’intégralité des dépôts des banques irlandaises pour deux ans, provoquant un afflux de clients vers leurs guichets au détriment des autres banques de l’UE. Le communiqué du sommet des 4 pays européens du G8 du 4 octobre en a appelé d’ailleurs, de façon solennelle mais impuissante, à un « développement coordonné des règles européennes sur la sécurité des dépôts bancaires ». Suite à l’annonce de l’Irlande, tous les pays de l’UE ont multiplié les annonces de garantie publique des dépôts, en relevant leurs seuils, voire en offrant une garantie « illimitée », comme en Allemagne.

Toutefois, dimanche 12 octobre, les pays de l’UE ont réussi à accorder leurs violons et ont annoncé le même type de mesures : fonds pour les prises de participation de l’État dans les banques et « garantie » pour les prêts interbancaires en cas de faillite. Comme les banques refusent de se prêter entre elles, l’État jouera le rôle d’intermédiaire : il s’endettera auprès de la banque prêteuse afin de financer la banque emprunteuse. Ainsi, si la banque emprunteuse fait défaut, l’État continuera à rembourser la banque prêteuse même s’il ne reçoit plus rien de la banque prêteuse ... Cela s’appelle la socialisation des pertes !

Les différents pays européens combinent chacun à sa façon ces deux types de mesures, inspiré du plan Brown pour la Grande-Bretagne. C’est en effet en Grande-Bretagne que le gouvernement a annoncé le premier un vaste plan de recapitalisation publique des banques et de « garantie » des emprunts obligataires.

Les pays européens se sont mis d’accord pour faire sauter la règle du maximum de 3% de déficit budgétaire. Ils ont ainsi prouvé que les traités sont proclamés intangibles quand il s’agit de limiter les dépenses sociales, mais qu’ils peuvent être mis entre parenthèses quand il s’agit d’aider les capitalistes

Citons également le cas de l’Islande (qui n’appartient pas à l’UE) où le gouvernement a été contraint de nationaliser les trois principales banques et de se tourner vers la Russie pour financer cela par un emprunt de 4 milliards d’euros. Alors que la monnaie locale islandaise plonge par rapport à l’euro, le remboursement de cet emprunt risque de coûter fort cher aux travailleurs d’Islande.

Les conséquences de la crise financière sur l’économie réelle

Conjoncture économique française : le pays plonge dans la récession

Dans son point de conjoncture de début octobre 2008, l’INSEE prévoit désormais 0,9% de croissance annuelle pour 2008 (alors qu’elle prévoyait 1,6% en juin dernier) ; 0,4% de croissance au 1er trimestre 2008 ;   0,3% au 2e trimestre ;   0,1% aux 3e et 4e trimestres (7).

Il y a un paradoxe apparent à avoir un taux de croissance annuel aussi « élevé » relativement à d’aussi faibles taux de croissance trimestriel pour l’année 2008. L’encadré suivant permet de comprendre ce paradoxe.

Comment sont calculés les taux de croissance trimestriels et annuels ?

Le taux de croissance de l’année X mesure la croissance du PIB de l’ensemble de l’année X par rapport à l’ensemble de l’année X-1, alors que le taux de croissance trimestriel mesure la croissance du PIB d’un trimestre par rapport au trimestre précédent. Prenons un exemple volontairement caricatural pour bien comprendre :

PIB trimestriels de l’année X-1 PIB trimestriels de l’année X
1er trim 2e trim 3e trim 4e trim 1er trim 2e trim 3e trim 4e trim
100 110 121 133 133 133 133 133

Dans cet exemple, la croissance trimestrielle du PIB est nulle aux 1er, 2e, 3e, 4e trimestres de l’année X. Et pourtant la croissance annuelle du PIB de l’année X par rapport à l’année X-1 est de 14,66% ! En effet, le PIB de l’année X est 133+133+133+133 = 532 alors que le PIB de l’année X-1 est 100+110+121+133=464. Le taux de croissance annuel est donc (532-464)*100/464=14,66%. Ce taux de croissance annuel est très élevé malgré des taux de croissance trimestriels nuls, parce que la croissance au cours de l’année X-1 a été très forte (croissance trimestrielle de 10% au 2e, 3e, 4e trimestres de l’année X-1). Autrement dit, c’est la croissance au cours de l’année 2007 qui est responsable de la croissance annuelle de l’année X !

En fait, on peut affirmer que c’est la croissance au cours de l’année 2007 qui explique qu’on ait un taux de croissance prévu de 0,9% pour 2008. En effet, le PIB du 4e trimestre 2008 (411,1 milliards d’€) est inférieur au PIB du 4e trimestre 2007 (411,6 milliards d’€).

Le gouvernement s’acharne pourtant à tromper les travailleurs. Alors qu’il a toujours pris à son compte la définition de la récession comme deux trimestres consécutifs de baisse du PIB (ce qui est aujourd’hui le cas, puisque les taux de croissance trimestriels estimés des 2e et 3e trimestres sont négatifs), le gouvernement s’est ridiculisé en tournant autour du pot, parlant de « croissance molle », « croissance ralentie » ou de « croissance négative » (sic). Eric Woerth, ministre du budget, a fini par lâcher le mot « récession », mais accompagné de l’adjectif « technique », ajoutant en outre : « Il y a une définition technique et statistique de la récession, et puis il y a la réalité des choses » ; « par nature (sic bis !), la France n’est pas en récession », car « 1% de croissance, ce n’est pas une récession, c’est une très faible croissance ». Woerth ment sciemment en cherchant à nous faire croire que le « vrai » chiffre pour sonder la conjoncture actuelle serait le taux de croissance annuel pour 2008. Or, comme nous venons de le voir, le « 1% » de croissance pour l’année 2008 se mesure par rapport à la croissance de l’année 2007. Pour savoir où on en est réellement aujourd’hui, il faut regarder les taux de croissance trimestriels les plus récents, et ceux-ci sont bel et bien négatifs ! Nous sommes donc bien en récession, selon la définition « officielle », pour la 1ère fois depuis 1992-1993 (le PIB avait alors baissé au 4e trimestre 1992 et au 1er trimestre 1993). Les prévisions de l’INSEE ont été faites avec l’hypothèse que la crise financière n’allait pas s’aggraver. Or elle s’aggrave de jour en jour. On peut donc bien considérer l’hypothèse de la récession comme quasi-certaine et sous-estimée par l’INSEE.

Conjoncture économique internationale : le vieux monde impérialiste plonge dans la récession

Les autres pays de l’Union européenne ne sont guère mieux lotis que la France. Certains subissent même plus fortement les effets de la crise. Selon l’INSEE, le PIB de la zone euro, après avoir reculé de 0,2% au 2e trimestre, devrait baisser de 0,1% au 3e et stagner au 4e trimestre. La zone euro serait donc elle aussi en récession. La croissance annuelle de 2008 y serait comme en France d’environ 1% en 2008, après avoir été de 2,6% en 2007 (2,1% en France).

En Allemagne, la croissance s’élèverait à 1,3% en 2008. Si la croissance était encore très forte au 1er trimestre, l’Allemagne est elle aussi désormais en récession, avec un investissement en fort recul. En Italie, la croissance en 2008 serait à peu près nulle.

Les pays de l’UE où les ménages et les entreprises se sont fortement endettés (Espagne, Irlande, Grande-Bretagne) subissent davantage les effets de la crise financière sur leur économie réelle. Dans ces pays, le secteur immobilier tirait particulièrement la croissance économique. En Grande-Bretagne, l’investissement poursuit sa baisse ; la consommation devrait également baisser au 2e semestre 2008 ; la Grande-Bretagne n’échappera donc pas à un recul du PIB au 2e semestre, malgré la contribution positive du commerce extérieur (stimulé par la dépréciation de la livre sterling). En Espagne, l’activité avait déjà nettement ralenti sur la première partie de l’année 2008 : + 0,3 % au 1er trimestre et + 0,1 % au 2e, dans le sillage du net recul de la construction (  0,4 % au 1er trimestre et   2,4 % au 2e) et du fort ralentissement de la consommation des ménages. Au second semestre 2008, l’Espagne devrait également entrer en récession. La situation est particulièrement critique en Irlande, où le « modèle » tant vanté est en passe de se transformer en cauchemar : la Banque centrale d’Irlande a indiqué vendredi 3 octobre qu’elle envisageait désormais deux ans de recul du Produit intérieur brut (PIB) dans le pays, avec   0,8% cette année et   0,9% l’an prochain.

L’Espagne : la croissance à crédit va se payer très cher !

L’Espagne a connu plusieurs années de très forte croissance : 3,6% de croissance annuelle entre 2000 et 2007 contre 2,4% pour la zone euro. Le moteur de la croissance a été le spectaculaire essor l’endettement des ménages : de 47% de leur revenu disponible brut en 1997 à 135% en 2007. 90% des Espagnols sont désormais propriétaires... en s’étant endettés pour beaucoup à taux variables. Le secteur de la construction a connu un boom phénoménal : 20% des emplois créés depuis 2000 l’ont été dans ce secteur et on a construit en Espagne ces dernières années autant d’appartements qu’en Allemagne, France et Benelux réunis ! Le déficit commercial est encore plus important qu’aux États-Unis, puisqu’il représente 10% du PIB : la consommation espagnole a été financée par l’endettement externe. L’Espagne a profité de l’euro en bénéficiant de taux d’intérêt peu élevés (compte tenu de l’importance de son déficit commercial), ce qui a contribué à alimenter la spirale de l’endettement.

Aujourd’hui, l’Espagne est et va être frappée plus que ses voisins par la baisse des prix immobiliers (qui avaient triplé en 10 ans !). Les banques espagnoles vont essuyer des pertes importantes avec les défauts de paiement de leurs clients (même si elles ont été plus prudentes que leurs homologues états-uniennes puisqu’elles ont mis en place un régime de provisionnement dynamique. Elles ont ainsi adopté un taux de provision bancaire — charges pour anticipation des risques de dévalorisation des actifs — ajusté en fonction du cycle financier : quand le nombre de crédits distribué — notamment aux populations « à risques » — augmente, les banques augmentent leur taux de provision, c’est-à-dire qu’elles anticipent les futurs défaillances de remboursements en augmentant leurs charges dans leur compte de résultat, ce qui fait baisser leur bénéfice comptable). D’ores et déjà, les impayés des crédits à la consommation explosent et concernent entre 40 et 50% de ces crédits (contre 15% en France). Le sort terrible qui attend l’Espagne sera accentué par le fait que les fondamentaux de l’économie réelle sont mauvais : la productivité du travail a très peu augmenté ces dix dernières années (+ 0,2% par an contre 1,3 % pour la France), alors que les coûts salariaux ont augmenté bien plus vite (+ 12% depuis 2000 contre   4% pour la France et   10% pour l’Allemagne).

Même si l’État espagnol dispose de marges de manœuvres plus importantes que ses voisins pour venir au secours des banques (et éventuellement des ménages endettés) – avec un excédent budgétaire de 2,2% en 2007 et une dette publique de seulement 35% du PIB –, les travailleurs espagnols peuvent s’attendre à des attaques particulièrement rudes pour que soit rétablie la compétitivité des capitalistes espagnols, condition sine qua non d’une reprise de la croissance.

C’est, de façon apparemment paradoxale, aux États-Unis, que l’économie réelle a été jusqu’à cet été le moins affectée par la crise. Les États-Unis ont même connu un regain de croissance au 2e trimestre (+0,8%). Si les États-Unis ont été les premiers touchés par le ralentissement économique fin 2007, les baisses d’impôts massives (160 milliards de $) expliquent en partie le rebond du début 2008. Toutefois, c’est la place particulière des États-Unis dans l’économie mondiale (avec le dollar comme monnaie mondiale) qui explique pourquoi ils ont pu faire supporter une bonne partie des effets de la crise au reste du monde. Cependant, ils n’échapperont pas à un fort ralentissement économique : durcissement des conditions de financement, fin de l’effet des baisses d’impôt. Au 3e trimestre, le PIB a reculé et le taux de croissance pour 2009 sera au mieux proche de 0%. Le taux de chômage augmente fortement, compte tenu des destructions d’emploi (175 000 en septembre, 73 000 en août) et de l’augmentation de la population active : il est passé de 4,5% en juin 2007 (avant le début de la crise des subprimes de l’été 2007) à 6,1% aujourd’hui. (Précisons que le mode de calcul sous-estime, de façon bien plus importante qu’en France, le chômage réel. En effet, tous les jeunes qui n’ont jamais travaillé ne sont pas comptés. Tous ceux qui sont au chômage depuis plus de 6 mois ne sont pas comptés puisqu’ils sont classés parmi les inactifs ! Il est certain que le chômage réel est plus important aux États-Unis qu’en France. S’y ajoutent les 2 millions de prisonniers aux États-Unis, exclus du marché du travail.)

Quant au Japon – qui n’est jamais réellement sorti de sa crise du début des années 1990 –, le PIB s’y est contracté au 2e trimestre 2008 et devrait continuer sur cette pente au 2e semestre. Le Japon est particulièrement pénalisé par le repli des exportations qui tiraient jusqu’ici la croissance.

Vers une stagnation économique de longue durée

Une crise semblable à la crise japonaise des années 1990... mais étendue au monde entier

Non seulement la crise financière trouve son origine dans le procès de production immédiat, mais réciproquement elle va se répercuter de façon particulièrement violente sur ce même procès de production. Étant donné le rôle décisif du capital financier dans le fonctionnement de l’économie à l’époque de l’impérialisme, une crise financière aussi importante va inévitablement avoir de lourdes conséquences sur l’économie réelle.

On peut comparer la crise actuelle dans les vieux pays impérialistes à la crise bancaire japonaise du début des années 1990, qui a mis fin à la bulle spéculative et qui a plongé les banques japonaises dans une crise profonde et durable, plombant la croissance jusqu’à aujourd’hui (8). La leçon de la crise japonaise est que la condition de la reprise d’une croissance « normale » de l’accumulation (compte tenu de la crise structurelle de suraccumulation qui persiste depuis la fin des « Trente Glorieuses ») est le redressement du secteur bancaire, grâce à l’aide publique et aux restructurations (éliminations des banques les plus faibles, rachetées par les plus grosses). Et que cela peut durer très longtemps. En effet, la crise n’est pas finie et pourrait même rebondir. De nouvelles « créances pourries » vont apparaître, car d’autres travailleurs américains ayant acheté leur maison à crédit ne vont plus pouvoir rembourser. En outre, les banques et les fonds de placements à court terme vont chercher à vendre des actifs pour redevenir solvables (capables de payer leurs dettes), mais cela va aggraver la crise, car ces ventes massives font baisser les prix des actifs (chute des cours de la Bourse). C’est seulement lorsque les banques auront achevé l’apurement de leurs bilans et redressé leur rentabilité, que seront réunies les conditions d’une reprise « normale » du crédit.

Une autre leçon de la crise japonaise est que la politique monétaire ne peut pas grand-chose pour relancer la croissance. En effet, la Banque centrale du Japon a dans les années 1990 baissé au maximum ses taux d’intérêt (ils sont aujourd’hui fixés à 0,5% !), mais cela n’a pas suffi à relancer le crédit. D’où une situation de « trappe à liquidités » : la Banque centrale a baissé au maximum ses taux et a injecté un maximum de liquidités, mais sans effet sur l’économie réelle. Le cœur de la crise, au Japon comme aujourd’hui dans l’ensemble des vieux pays impérialistes, réside dans le bilan pourri des banques.

Relancer la consommation pour relancer l’accumulation capitaliste ?

Une autre leçon encore est l’échec des politiques de stimulation de la demande des ménages. Au Japon, les différents plans de baisse d’impôts depuis 1992 n’ont pas permis une relance de la croissance ; ils ont même sans doute aggravé la situation économique puisqu’ils ont diminué les ressources publiques pour venir en aide aux banques.

Cela devrait faire réfléchir les économistes antilibéraux ou proches de la LCR qui pensent que l’augmentation des salaires serait un bon remède à la crise. Pour éviter une longue stagnation économique, il faudrait selon eux changer la répartition des richesses et donner du pouvoir d’achat aux plus pauvres. Tout en disant à juste titre qu’on ne peut expliquer la crise actuelle, produit du ralentissement de l’accumulation depuis la fin des « Trente Glorieuses », par un problème de « réalisation » de la plus-value produite, Michel Husson n’en écrit pas moins : « Cette tendance [baisse de la part des richesses revenant aux salariés] posait un problème dit de réalisation, la question étant de savoir à qui vendre une production en hausse si les salaires sont gelés. Or, c’étaient les revenus financiers qui assumaient les débouchés nécessaires. La crise est donc appelée à durer, parce qu’il n’existe pas de solution de rechange. Pour sortir en douceur (sic) de la situation actuelle, il faudrait que la répartition des revenus devienne plus favorable aux salariés. » (9) Or il faut être cohérent avec l’explication selon laquelle la cause du ralentissement de l’accumulation réside dans la suraccumulation du capital : si les capitalistes n’investissent pas davantage, ce n’est pas parce que la demande ne suit pas, mais parce que cela plomberait leur taux de profit. D’où le décrochage entre le taux d’accumulation (qui stagne à un bas niveau) et le taux de profit (partiellement restauré grâce à l’augmentation du taux d’exploitation des travailleurs) : la part de la plus-value consommée a augmenté depuis la fin des « Trente Glorieuses », comme conséquence de la suraccumulation structurelle qui caractérise le capitalisme depuis des années. Quand Husson nous explique que la clé de la reprise économique réside dans les hausses de salaires, il propose une solution réformiste, donc en fait illusoire, à la crise de l’accumulation.

Olivier Besancenot affirme également que le capitalisme a un problème de « débouché » : « L’économie de marché est tiraillée par un dilemme et une contradiction : en effet, il ne suffit pas de produire, encore faut-il vendre et écouler les capitaux qui sont produits. Or, en mettant les travailleurs et les peuples en concurrence entre eux, en accentuant la division internationale du travail, et en célébrant une économie de marché "libre et non faussée", le capitalisme en Europe ne fait qu’accentuer le problème en ôtant à la majorité de la population les moyens de pouvoir consommer et de satisfaire ses besoins sociaux. » (10)

Répétons-le : les causes déterminantes du ralentissement économique depuis 30 ans sont ailleurs. Les États-Unis ne souffrent pas d’une « sous-consommation » des travailleurs. Bien au contraire, la demande intérieure excède ce qu’il est rentable de produire aux États-Unis, d’où le déficit commercial énorme de ce pays. Nous n’avons pas besoin d’affirmer que les salaires trop bas précipitent le capitalisme dans la crise pour défendre la hausse des salaires du point de vue des travailleurs, qui en ont un besoin urgent !

Une crise aux effets planétaires

Le FMI a revu début novembre 2008 ses prévisions de croissance 2009 à la baisse. Il prévoit désormais 2,2% de croissance mondiale pour 2009, alors qu’il tablait sur 3,9% en juillet. Cette croissance serait exclusivement portée par certains pays « émergents » : les vieux pays impérialistes connaîtraient une croissance négative (– 0,7% aux États-Unis ; – 0,5% dans la zone euro, – 1,3% en Grande-Bretagne), alors que la Chine aurait une croissance de 8,5%, l’Inde de 6,3%, et les « pays en développement » dans leur ensemble de 5,1%. L’Amérique latine serait davantage touchée par le ralentissement économique : 3% au Brésil et 0,9% au Mexique.

Les pays dépendants qui ont une balance commerciale déficitaire subissent fortement les contrecoups de la crise. En effet, les capitalistes étrangers rapatrient leurs capitaux pour avoir des liquidités, ce qui tend à déprécier les monnaies de ces pays (et donc à alourdir la charge de leur dette qui est libellée en dollars). Ces pays sont donc obligés d’augmenter drastiquement leurs taux d’intérêt pour retenir les capitaux, et éviter l’effondrement de leur monnaie. Certains pays (Ukraine, Pakistan, Hongrie) en incapacité de rembourser leurs créanciers, ont d’ores et déjà fait appel au FMI qui leur accordera de nouveaux crédits à condition qu’une cure d’austérité soit imposée aux travailleurs.

Le cas de la Hongrie est sur ce plan tout à fait exemplaire. Son économie est totalement soumise au capital impérialiste, qui possède 85% du secteur bancaire et 65% du secteur industriel. Son économie tourne au ralenti (croissance de 1,3%), son déficit commercial atteint 5% du PNB, tout comme le déficit du budget de l’État. L’économie hongroise est donc profondément dépendante du maintien du financement externe. Dans le contexte de crise financière mondiale, le refus des investisseurs de continuer à refinancer la dette, le choix des banques impérialistes de réduire leur exposition via leurs filiales en Hongrie ou leur décision de laisser certaines banques faire faillite pourraient déclencher une crise de grande ampleur dans le pays. Or, étant donné l’implication des capitaux impérialistes, notamment des différents pays européens (Allemagne, Autriche, Suisse, etc.) en Hongrie, cela ne manquerait pas d’avoir de violents effets en retour sur les grandes banques des pays concernés.

Les pays baltes sont aussi fortement exposés, car leur croissance a reposé en bonne partie sur le crédit facile, qui a créé une bulle immobilière. Ils sont donc très dépendants du crédit extérieur. Dans ce cas, ce sont surtout les banques suédoises qui sont concernées, à commencer par la Swedbank. L’Ukraine est aussi durement touchée par la crise, à la fois pour des raisons comparables et à cause de la chute du prix du blé et de l’acier. En Turquie, la monnaie a perdu 40% de sa valeur par rapport au dollar entre septembre et octobre.

La situation n’est pas meilleure en Asie. Le Pakistan, pièce essentielle du dispositif stratégique impérialiste dans la région, voit sa croissance ralentir brutalement (3,5% prévu pour 2008-2009, contre 5,8% en 2007-2008 et 7,6% en 2006-2007) est au bord de la banqueroute. Mais la Corée du Sud, économie à première vue plus solide, est fortement touchée par la crise, à travers le recul de ses exportations, et la dépréciation importante de sa monnaie par rapport au dollar.

En Amérique latine, l’Argentine est confrontée à une fuite des capitaux et à un krach boursier. La situation est aggravée par la baisse du prix des céréales et le recul du tourisme (entraînant une baisse des entrées de devises). Cette situation se rapproche de celle de 2001, avec le spectre du défaut de paiement en ligne de mire. D’autant plus que le FMI a annoncé qu’il refusera tout crédit à l’Argentine puisque le pays refuse l’inspection annuelle de son économie par le FMI depuis 2006.

Les pays dits « émergents », comme la Chine, qui ont de très fortes réserves de change, résisteront mieux, mais ils verront leur rythme de croissance ralentir, via le ralentissement de leurs exportations.

L’UE sera particulièrement touchée par l’extension de la crise aux pays émergents. En effet, les banques européennes (notamment françaises et anglaises) sont davantage exposées que les banques japonaises et américaines. Le développement de la crise économique mondiale tend ainsi à créer une situation de plus en plus instable dans différents pays, menaçant d’une aggravation brutale, qui pourrait ouvrir des situations de tensions sociales particulièrement fortes. L’UE ne sera nullement épargnée et, en l’absence d’un État européen, il est possible que les tensions s’accroissent en son sein.

Vers le déclin des États-Unis à moyen terme

Même s’ils n’échapperont pas une récession ou à une croissance quasi-nulle en 2009, les États-Unis ont réussi, dans une large mesure, à exporter les effets de la crise à l’extérieur, et notamment à l’Union européenne. Leur hégémonie leur permet de faire financer leur déficit extérieur à très bas coût. La dépréciation de leur monnaie leur permet d’améliorer leur compétitivité au détriment du reste du monde.

Cependant, leur déficit commercial structurel a des conséquences sur la propriété du capital des entreprises sur le sol états-unien, qui progressivement passe entre les mains des capitaux étrangers. Les États-Unis perdent des parts de marché dans des secteurs clés de l’industrie (comme la production automobile). Surtout, leur modèle de croissance de ces dernières années, fondé sur l’endettement des ménages et la croissance de la valeur des actifs financiers, arrive à son terme (cf. notre article à ce sujet dans Le CRI des travailleurs n° 31). La profondeur de la crise financière rend impossible une reprise rapide de l’endettement comme lors de la crise de 2001. Les dépenses militaires, indispensables pour maintenir la prééminence de l’hégémonie US, seront limitées par celles consenties pour sauver le système bancaire.

Si, à court terme, les principaux créanciers des États-Unis (en premier lieu la Chine) n’ont pas intérêt à s’en détourner (car cela entraînerait un plongeon du dollar qui dévaloriserait les actifs US qu’ils possèdent déjà), il n’y a aucune raison à moyen terme pour qu’ils continuent de financer le déficit d’une puissance déclinante aux conditions actuelles. A moyen terme, on peut donc anticiper que les États-Unis seront contraints d’augmenter leurs taux d’intérêt pour pouvoir continuer à financer leur déficit. Cet ajustement aura des conséquences négatives sur la croissance US, ce qui contribuera à faire baisser les importations US et donc à rééquilibrer la balance commerciale US. Les États-Unis seront contraints de cesser de vivre au-dessus de leurs moyens au détriment du reste du monde. La Chine et les différents pays « émergents » seront donc amenés à recentrer leur croissance sur leur marché intérieur et à diversifier leurs placements (en cas de balance commerciale excédentaire, ce qu’elle sera vraisemblablement de moins en moins). Le régime chinois a d’ailleurs lancé une offensive (pour l’instant seulement) idéologique : dans une tribune dans le Quotidien du peuple du vendredi 24 octobre, on peut lire : « Les USA ont pillé les richesses du monde grâce à la domination du dollar ». Cette tribune en appelle à la mise en place d’un nouveau système monétaire international mettant fin à l’hégémonie du dollar.

Bien sur, les États-Unis feront tout pour enrayer leur déclin et ils multiplieront vraisemblablement leurs opérations armées (ce qui fait consensus chez les démocrates et les républicains). On peut s’attendre à une exacerbation des tensions entre différents blocs impérialistes.


1) Nous entendons par « économie réelle » la production de biens ou services marchands ou non marchands. L’économie réelle est donc la sphère où sont créées les « valeurs d’usage ».

2) Perspectives économiques de l’OCDE de juin 2008.

3) Quand le taux d’intérêt est inférieur à l’inflation, le prêteur reçoit, après remboursement de son prêt, une somme d’argent qui représente un pouvoir d’achat moindre que la somme de départ. Illustrons cela par un exemple. Telle année, Pierre fait un prêt d’an de 100 € à Jacques au taux de 5%. L’année suivante, Pierre recevra 105 €. Imaginons que le taux d’inflation est de 10% entre la première année et la suivante. Si le prix d’une baguette vaut 1 € la première année, il vaudra 1,10 € l’année suivante. Ainsi, avec ses 105 € la deuxième année, Pierre ne pourra s’acheter que 95 baguettes, alors qu’il pouvait en acheter 100 l’année précédente. Autrement dit, il a perdu en pouvoir d’achat en prêtant son argent !

4) Les billets de trésorerie sont des titres à court terme (le remboursement doit s’effectuer au maximum un an plus tard) émis par les entreprises qui ont besoin de « cash ». Ils sont achetés par des entreprises qui ont des facilités de trésorerie.

5) Le Trésor va racheter ces actions à des prix hors marché puisqu’il n’y a plus de marché, ces actifs étant invendables ! Le Trésor doit se montrer suffisamment généreux pour sauver les banques, mais tout de même pas trop, sous peine de faire exploser la dette publique ou de faire fonctionner excessivement la planche à billets (avec le risque de faire exploser l’inflation).

6) Dans les années 1990, la concentration du système bancaire s’est surtout opérée via des fusions et des acquisitions entre établissements du même pays, donnant naissance à des « mastodontes » bancaires nationaux. Depuis le début des années 2000, on est passé à une nouvelle phase de concentration, à l’échelle de la zone euro et au-delà. Par exemple, le britannique HSBC a racheté le français CCF en 2000, l’Espagnol Santander a racheté le britannique Abbey National en 2001, le français Crédit Agricole a racheté l’italien Banca Nazionale del Lavoro en 2006, etc. En outre, il faut savoir que le capital des grandes banques nationales de l’Europe est détenu à près de 50% par des étrangers, et que les principales banques nationales ont des filiales dans d’autres pays de l’UE.

7) http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/octobre2008_ve.pdf

8) Entre 1992 et 1998, le taux de croissance moyen du Japon s’est établi à exactement 1,0 %. Puis –2,5% en 1998 lors de la crise asiatique.

9) « La trajectoire de la crise » : http://hussonet.free.fr/ee2008.pdf

10) Cf. http://npa2009.org/content/tchat-avec-olivier-besancenot-le-monde-27-octobre


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