Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Argentine : Campagne internationale pour l’expropriation définitive de Zanon sous contrôle ouvrier

Dans la province de Neuquen, au sud de l’Argentine, l’entreprise de céramique Zanon est occupée depuis sept ans par ses ouvriers qui l’ont remise en marche après le départ du patron. La légalisation temporaire de la gestion ouvrière directe, sous la forme d’une coopérative portant le nom de FaSinPat (Fabrica Sin Patrones, Usine Sans Patrons), vient d’arriver à échéance. D’un point de vue légal, le gouvernement peut envoyer la police ou l’armée déloger violemment les ouvriers. Mais, étant donné le rapport de force, obligé de reconnaître que l’usine doit rester aux travailleurs, il essaye de faire croire que la seule solution viable en ce sens consisterait pour les travailleurs à la racheter !…

Non seulement il est essentiel pour les travailleurs du monde entier de défendre de Zanon, mais surtout le mouvement ouvrier peut apprendre de cette expérience, au moment même où une grande crise économique est en train de frapper le monde. En effet, l’histoire de Zanon, c’est l’histoire de la seule réponse ouvrière partiellement victorieuse à la crise qui s’est abattue sur l’Argentine au début des années 2000, avec son cortège de licenciements, de chômage, de misère pour l’immense majorité.

Ce que les travailleurs de Zanon ont commencé à faire à l’échelle d’une usine, c’est ce que la classe ouvrière peut et doit faire à l’échelle d’un pays tout entier, puis au niveau international pour ne pas payer la crise : prendre le contrôle de la production et la réorganiser en fonction des besoins de la population. Mais pour cela, il lui faut d’abord conquérir le pouvoir politique.

En ce sens, Zanon est une conquête du mouvement ouvrier mondiale d’une actualité brûlante. C’est la raison pour laquelle nous appelons toutes les organisations politiques, syndicats, sections syndicales qui se revendiquent du mouvement ouvrier, à participer à la campagne internationale pour l’expropriation définitive de Zanon sous contrôle ouvrier, en commençant par adresser des messages de soutien et par faire connaître autour d’eux l’expérience de Zanon.

Cet article s’appuie très largement sur le dossier « Zanon : 7 ans de gestion ouvrière » publié dans La Verdad Obrera n° 298 du 9 octobre 2008, hebdomadaire du PTS (Parti des Travailleurs pour le Socialisme), section argentine de la FT-QI, dont le Groupe CRI est la section sympathisante. Les passages en italiques et entre guillemets sont directement traduits de ce dossier.

Défendre une conquête ouvrière et apprendre par l’exemple de Zanon quelle réponse les travailleurs peuvent donner à la crise du capitalisme

Crise économique, faillites d’entreprises et lock-out patronaux

L’expérience de Zanon est née en plein milieu de l’énorme crise économique qui a secoué l’Argentine en 2000-2001. L’économie était entrée dans une profonde récession, les licenciements s’étaient multipliés, les usines avaient été fermées les unes après les autres, les travailleurs s’étaient retrouvés sans rien, l’État avait été en cessation de paiement. Les travailleurs de Zanon, après s’être réapproprié leur syndicat, puis le syndicat des céramistes de la province à la fin des années 90, ont commencé à lutter pour de meilleurs salaires et conditions de travail pour tous les ouvriers. Le patron, Luigi Zanon, prétendait qu’il était impossible de satisfaire ces exigences. Mais les travailleurs ne se sont pas laissés tromper. En réponse aux revendications maintenues, le patron décida d’intimider, puis de licencier 380 ouvriers, enfin de pratiquer un lock-out pour briser la résistance. Au moment même où de grandes mobilisations contre le pouvoir central secouaient le pays, les travailleurs répondirent en occupant l’usine. Ils justifièrent cette occupation devant l’opinion publique en expliquant avoir besoin de ce gage pour garantir le paiement de leurs arriérés de salaires, en soulignant que le patron avait bâti son entreprise grâce à des fonds de l’État au début des années 1980 sans jamais les rembourser par la suite et en indiquant vouloir éviter que les machines ne soient retirées de l’usine. Ils avaient refusé qu’on leur fasse payer la crise du capitalisme argentin. Pourtant, beaucoup se demandaient : où allons-nous comme cela ? Nous avons occupé l’usine, mais maintenant qu’allons-nous faire pour nourrir nos familles ?

Une usine moderne peut très bien fonctionner sans patrons ni contremaîtres

Les travailleurs de Zanon ont à nouveau prouvé dans la réalité que les travailleurs sont parfaitement capables de gérer eux-mêmes la production dans une usine moderne. Le patron était parti, les ingénieurs aussi, pourtant les ouvriers ont réussi à remettre l’usine en marche. Ils se sont montrés capables de gérer « une usine de 80 000 mètres carrés et d’une haute complexité : ils coordonnent les 36 secteurs de l’usine, assurent la fourniture de centaines d’ingrédients différents, se chargent de la commercialisation et de la distribution des produits ». « Le commandement capitaliste a été remplacé par la gestion ouvrière collective. Libérés du fouet des patrons et des contremaîtres, les ouvriers céramistes ont mobilisé leur intelligence et leurs talents pour créer de nouveaux produits, augmenter la production, réduire les coûts », créer 210 emplois et abaisser de 90% les accidents du travail. En ce sens, c’est « une véritable école de la planification qui montre la capacité de la classe ouvrière à organiser rationnellement la production ». Mais tout cela n’aurait pas été possible sans une intervention politique du PTS (Parti des Travailleurs pour le Socialisme, section argentine de la FTQI), dont les militants ont réalisé un lent et patient travail préalable au sein de l’usine, rendant possible la récupération du syndicat, pour féconder la spontanéité ouvrière en l’aidant à trouver le chemin d’un programme de transition à mettre en œuvre concrètement à l’échelle de la province. En voici quelques éléments clés.

Unité de la classe ouvrière et coordination

Dès qu’il a été arraché à la bureaucratie, le syndicat de Zanon a eu pour orientation de lutter pour que les travailleurs en CDI et les travailleurs en CDD finissent par avoir les mêmes droits. De même, il a toujours lutté aux côtés des mouvements de chômeurs pour le droit à un vrai travail. C’est pourquoi, dès que la situation économique de l’entreprise l’a permis, les ouvriers de Zanon ont incorporé à l’usine des dizaines de militants des mouvements de chômeurs. C’est dans le même esprit que les travailleurs de Zanon ont été à l’initiative de la mise en place de la Coordination Régionale de l’Alto Valle, structure regroupant des sections syndicales combatives de la Fonction Publique comme du privé, des mouvements de chômeurs, des partis d’extrême gauche, constituant ainsi un pôle de regroupement alternatif à la bureaucratie syndicale.

L’indépendance de classe

Les travailleurs de Zanon, après avoir récupéré leur section syndicale, ont arraché le syndicat des céramistes de la province de Neuquen (le SOECN) à la bureaucratie. Ils ont inscrit comme un point fondamental dans ses nouveaux statuts la totale indépendance de classe : « Le SOECN s’oriente et base sa pratique sur la lutte des classe et sur les principes du syndicalisme de classe, en maintenant sa pleine indépendance par rapport à l’État et à ses institutions, par rapport au gouvernement et à toutes les organisations patronales. Le SOECN reconnaît que la classe ouvrière n’a pas de frontières. Nous sommes les frères des travailleurs et des peuples opprimés d’Amérique Latine et du monde (…). Le SOECN livre une lutte conséquente pour les intérêts légitimes de la classe ouvrière en alliance avec les autres secteurs populaires, en cherchant à élever la conscience de classe des travailleurs et à atteindre une société sans exploiteurs ni exploités. »

L’alliance des ouvriers avec les enseignants et les étudiants de l’université

L’un des points clés pour remettre en marche l’usine et développer la production a été la mise en place d’un pacte d’unité entre les ouvriers et les enseignants et étudiants de l’université nationale du Comahue. Ces liens ont pu se nouer car les ouvriers de Zanon, au lieu de s’enfermer dans leurs problèmes particuliers, ont lutté aux côtés des enseignants et étudiants qui, en pleine crise économique, étaient confrontés à une réduction drastique du budget de l’université par le gouvernement. C’était logique, car laisser se dégrader l’enseignement public aurait été laisser se dégrader l’enseignement de leurs enfants. Réciproquement, les enseignants et étudiants ont lutté pour la défense de l’occupation et de la gestion ouvrière. Ils ont mis leur savoir au service des ouvriers pour la maîtrise du processus de fabrication, pour la réparation des machines, pour la tenue de la comptabilité, pour la prévention des accidents du travail, etc.

Mettre FaSinPat au service du peuple travailleur

Les ouvriers de Zanon ont aussi montré que seule la gestion ouvrière rend possible de mettre l’usine au service du peuple travailleur, dans toute la mesure du possible quand la coopérative reste soumise aux contraintes de l’économie capitaliste. Profitant des capacités d’anciens ouvriers du bâtiment, devenus chômeurs, entrés à l’usine, ils ont lutté aux côtés des habitants des quartiers pauvres de Neuquen pour obtenir du gouvernement de la province qu’il s’engage à mettre le personnel médical nécessaire dans un dispensaire qu’ils s’engageaient à construire gratuitement. Chaque mois, FaSinPat donne 1000 mètres carrés de céramiques aux hôpitaux, aux écoles, aux cantines pour enfants et aux familles les plus pauvres de la ville. Les enfants de toutes les écoles sont invités à visiter l’usine. Dans ses locaux, des concerts et autres manifestations artistiques sont régulièrement organisés. Cependant, pour que l’usine puisse être pleinement mise au service du peuple travailleur, il faudrait un plan de travaux publics dirigé par les travailleurs eux-mêmes. Or cela n’est possible qu’avec la prise du pouvoir par les travailleurs.

L’Assemblée générale est souveraine

« Les statuts du syndicat des céramistes prévoit que l’assemblée [rassemblant tous les ouvriers] est souveraine : si les dirigeants n’accomplissent pas leur mandat, on les remplace par d’autres. Dans l’assemblée, il y a une liberté pour toutes les opinions et tendances qui ne défendent pas les patrons. Les élections à la direction de la section syndicale se font à la proportionnelle, afin que les minorités soient représentées. Les dirigeants du syndicat gagnent la même chose que n’importe quel autre travailleur et travaillent, sauf si une assemblée générale décide de les libérer pour qu’ils puissent s’occuper à plein temps de certaines tâches. Dans ce cas, ils ne peuvent pas accomplir plus d’un mandat sans travailler. Dans tous les cas, ils ne peuvent être réélus qu’une fois. Ensuite, ils doivent retourner à la base. »

Démocratie industrielle

« Avec les "Normes de la Collaboration de Zanon sous Contrôle Ouvrier", la participation de chaque camarade au fonctionnement de l’usine a été garantie. Dans chaque secteur, les ouvriers élisent un coordinateur, qui est révocable. Tous les coordinateurs se réunissent le lundi matin pour débattre et résoudre les problèmes de la production et de la lutte. Les questions portant sur la gestion ouvrière se mêlent avec l’appui à d’autres conflits, avec la discussion politique, avec ce qui se passe au-delà du portail de l’usine. Les coordinateurs informent de façon permanente leurs camarades de travail. Lorsqu’il y a une question urgente, on réalise des assemblées générales au moment du changement d’équipe. L’instance suprême est l’assemblée générale ou "journée", comme l’appellent les ouvriers : une fois par mois, on arrête la production et tous les ouvriers des trois équipes se réunissent pendant plusieurs heures pour débattre et prendre les décisions les plus importantes ».

La lutte actuelle pour l’expropriation définitive de Zanon

Le délai pendant lequel les ouvriers avaient été autorisés par la justice à gérer Zanon sous forme de coopérative est venu à échéance le 20 octobre dernier. Depuis plusieurs mois déjà, le SOECN, en alliance avec les travailleurs, les sections syndicales et les syndicats de nombreux secteurs, a mobilisé pour l’approbation par le Parlement de la province de Neuquen d’un projet de loi d’expropriation définitive et de nationalisation sous contrôle ouvrier. Le gouvernement fédéral argentin vient de re-nationaliser Aerolineas Argentinas (la compagnie aérienne nationale, privatisée dans les années 90 au profit d’un groupe espagnol) au bord de la faillite. Pourquoi le gouvernement de la province de Neuquen ne pourrait-il pas exproprier Zanon ? Cela est d’autant plus vrai que l’usine a été montée par Luigi Zanon, à l’époque de la dictature, avec des fonds publics qu’il n’a jamais remboursés. Pourtant, le gouvernement du MPN (Mouvement Populaire Neuquino), parti péroniste de droite, s’y refuse. Il est vrai qu’il serait difficile pour lui d’expliquer pourquoi il nationaliserait Zanon, au moment même où il s’apprête à renouveler les contrats autorisant l’entreprise espagnole Repsol à piller les ressources pétrolières du sous-sol de la province au détriment de ses habitants. Ce serait en outre créer un dangereux précédent pour le capital, car il pourrait pousser les travailleurs des autres usines à suivre le chemin de Zanon. Cependant, comme la politique menée depuis sept ans par les ouvriers de Zanon a rendu la gestion ouvrière très populaire, le gouvernement ne peut pas non plus déloger les ouvriers par la force, tout du moins dans l’immédiat. Il cherche à gagner du temps, espérant fragiliser l’occupation. Il reconnaît en paroles que l’entreprise doit rester dans les mains des ouvriers et propose une solution prétendument raisonnable pour essayer de faire passer les ouvriers de Zanon pour des gens intransigeants qui seraient responsables de la situation de blocage. Mais sa prétendue « solution » n’en est pas une, car elle consiste au fond à demander aux travailleurs de racheter leur usine, ce qui conduirait les ouvriers tout droit à la faillite.

Antoni Mivani,
sur la base d’articles du PTS

Communiqué de presse des ouvriers de Zanon :
Non à la vente aux enchères – Oui à l’expropriation !

À la population

À deux mois de l’expiration du délai qui conduira à l’expulsion des ouvriers de l’usine, nous, travailleurs et travailleuses de Zanon, disons que, contrairement à ce que dit le gouvernement, il n’y a toujours pas de solution.

Le rachat des crédits prioritaires proposés par le gouvernement provincial n’est pas une solution pour les travailleurs. C’est une voie qui conduit à payer la dette de plusieurs millions laissée par la famille Zanon et cela nous conduirait directement à la vente aux enchères de l’usine et des machines.

Nous, travailleurs et population de Neuquen, nous ne devons ni ne pouvons prendre en charge la dette illégitime d’un patron qui a vidé l’usine, l’a abandonnée, a laissé des centaines de familles ouvrières à la rue et a été condamné par la justice. Nous ne pouvons ni ne devons nous endetter à hauteur de plusieurs millions pour participer à une vente aux enchères contre la famille Zanon ou l’un de ses amis patrons.

C’est pourquoi, après plus de six ans de lutte et de production en défense des plus de 470 postes de travail et de l’usine ouverte au service de la population, nous, travailleurs et travailleuses de Zanon, avons décidé en Assemblée Générale de :

Le problème de Zanon ne doit pas être résolu comme une simple question commerciale. C’est un problème social et il doit être traité ainsi. C’est pourquoi la solution consiste à déclarer l’usine d’utilité publique et à l’exproprier.

Ce n’est pas un caprice : c’est le mécanisme par lequel la situation de plus de 150 entreprises et usines récupérées dans tout le pays a été résolue. Dans la province de Buenos Aires, Mendoza, Rio Negro, Cordoba, Santa Fe, La Pampa, Tierra del Fuego et dans la ville de Buenos Aires, il y a eu des dizaines d’expropriations.

De la même façon que nous avons accepté la solution transitoire de la coopérative, nous sommes disposés à débattre des termes de notre projet de loi, que nous avons déjà présenté à trois reprises avec plus de 90 000 signatures. Nous sommes à un moment décisif. En octobre, le délai judiciaire vient à échéance. Ce n’est plus l’heure des discours et des spéculations. Après plus de six ans de gestion ouvrière, nous exigeons une nouvelle fois l’expropriation de l’usine.

Zanon appartient au peuple.

20 août 2008


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