Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Italie : Le puissant mouvement contre la réforme de l’éducation pose la question d’un combat d’ensemble contre le gouvernement Berlusconi


Auteur(s) :Ciro Tappeste (FTQI)
Date :6 novembre 2008
Mot(s)-clé(s) :international, Italie, FTQI
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Rien ne laissait présager un tel automne de luttes en Italie. Après de longs mois de léthargie sociale imposée par les bureaucraties confédérales alliées du gouvernement Prodi, le gouvernement Berlusconi III semblait pouvoir passer au rouleau compresseur les conquêtes des travailleurs et faire passer sa politique ultra-réactionnaire et ouvertement raciste sans que rien ne bouge.

En septembre cependant, les travailleurs d’Alitalia ont commencé à se mobiliser contre un scandaleux plan de reprise de la compagnie en faillite, prenant de cours le « Cavaliere ». Pendant ce temps, dans les écoles, les enseignants précaires et les instituteurs commençaient également à se mobiliser contre la réforme Gelmini.

Votée à la va-vite le 4 août, en pleine pause estivale comme d’autres décrets-lois par lesquels Berlusconi est habitué à légiférer, le décret Gelmini — du nom de la ministre de l’Education — consiste, dans le cas de l’école publique primaire et secondaire, à opérer des coupes claires dans le budget sous couvert « d’efficience » et de « bon sens », alors que dans le cas de l’université, l’objectif de la ministre est à terme la réduction du nombre de facs et leur privatisation par le biais de leur transformation en fondations privées.

Aux enseignants se sont joints rapidement les lycéens, puis progressivement les étudiants. Aux enseignants en colère se sont joints les parents d’élèves, et aux étudiants ont commencé à se mêler des travailleurs, comme à Turin par exemple où des ouvriers Fiat ont participé aux assemblées étudiantes alors que les étudiants turinois ont tracté aux portes de l’usine de Mirafiori pour expliquer les raisons du mouvement. Ce climat a commencé à transformer qualitativement les mobilisations qui avaient été prévues depuis longtemps déjà pour le mois d’octobre (notamment la grève générale du syndicalisme de base le 17 octobre) (1). Elles ont servi de catalyseur à d’autres secteurs au sein desquels la pression a contraint les directions syndicales, notamment la CGIL — principale confédération syndicale —, à devoir proclamer une série de grèves sectorielles, à commencer par celle de l’Éducation le 30 octobre, du service public à partir du 3 novembre, de la métallurgie le 12 décembre, etc.

Les étudiants et les enseignants en lutte ont joui très rapidement du soutien de l’opinion publique populaire qui le leur a exprimé lors de manifestations massives d’enseignants et de parents d’élèves, au cours des « nuits blanches » organisées dans les écoles, collèges et lycées, alors que les étudiants multipliaient les initiatives, allant de la simple manifestation au blocage des trains en gare en passant par l’organisation de cours à l’air libre sur la place du Dôme à Milan ou devant la statue de Giordano Bruno à Rome.

Face à une telle montée du mécontentement et une telle avalanche inattendue de mobilisations, le gouvernement Berlusconi s’est empressé de transformer le décret Gelmini en loi et de menacer de recourir à la force « contre ceux qui bloquent ». Parallèlement, la presse se faisait l’écho des déclarations de Cossiga, indéboulonnable sénateur à vie et ancien Premier ministre et ministre de l’Intérieur dans les années 1970, recommandant d’infiltrer le mouvement anti-Gelmini, en usant des bonnes vieilles méthodes des années de plomb, pour le briser et « casser la tête » (sic) des étudiants et des enseignants en lutte. Ce n’est donc pas un hasard si, après avoir tenté de surfer sur la vague de protestation lycéenne, les organisations de jeunesse de l’extrême droite fasciste ont commencé à multiplier les provocations, au point d’affronter les lycéens et étudiants mercredi dernier à Rome devant le Sénat, en plein centre historique.

Malgré les menaces, les provocations, les premières plaintes pour occupation illégale, le vote de la loi, le mouvement, lui, ne s’essouffle pas, loin delà. La grève générale de l’Éducation à laquelle ont participé les étudiants en témoigne. Il en va de même de l’appel voté vendredi 31 octobre par l’université de Rome, La Sapienza, occupée : les étudiants posent la question de la poursuite de la mobilisation, avec des manifestations prévues les 7 et 14 novembre alors que le week-end des 15 et 16 devrait se tenir une première coordination nationale étudiante. La Sapienza exige également « des syndicats, confédéraux et de base, par-delà leurs différences, (…) qu’ils appellent à la grève générale et généralisée » contre le gouvernement. Enfin, contre ceux qui les accusent d’être conservateurs alors que Berlusconi serait le pourfendeur des privilèges des mandarins de l’université, les étudiants en lutte réclament une véritable « auto-réforme » de l’Éducation qui viendrait d’en bas.

Afin d’illustrer tout ceci, nous publions ci-dessous un tract distribué ces derniers jours à l’université, devant certains lycées et au cours de la manifestation nationale du 30 octobre par le Collectif Communiste de Via Efeso, un groupe de camarades militant à Rome. Une première version du texte a été reprise par le Comité de lutte internationaliste de Turin et Red Link de Naples, deux groupes militant aux côtés du Collectif Communiste de Via Efeso au sein d’un réseau national italien d’organisations d’extrême gauche, Collegamenti Internazionalisti (Liaisons Internationalistes).

Ciro Tappeste,

militant de la FTQI en Italie

Tract du Collectif Communiste de Via Efeso (Rome)

La loi est passée mais la lutte continue !

Contre Berlusconi, Gelmini et les provocations des fascistes, agents du gouvernement, une seule réponse possible :

généralisation du mouvement, extension de la lutte et unification des forces étudiantes avec celles du monde du travail !

« On ne paiera pas votre crise ! »; « Contre Gelmini, Brunetta , Tremonti ! » (2). Les slogans repris ces derniers jours démontrent que le mouvement étudiant a parfaitement compris ce qu’était la réforme Gelmini : un instrument d’une politique plus globale, appliquée depuis des années maintenant par le centre-gauche comme par le centre-droit, consistant à comprimer les salaires et les retraites, opérer des coupes claires dans le service public (…), alors que les cadeaux au patronat augmentent (…). Il s’agit d’une politique plus générale consistant à socialiser les pertes et à privatiser les profits en déchargeant, encore une fois, le poids de la crise sur le dos des travailleurs, en activité ou au chômage, retraités, en CDD ou en CDI.

La réforme Gelmini s’insère également dans l’agenda actuel de la bourgeoisie et du gouvernement afin d’approfondir l’offensive réactionnaire lancée contre nous tous, et ce sur plusieurs fronts, du secteur public à la réforme des contrats de travail en passant par un renforcement de la politique raciste de l’État. L’objectif ? Nous diviser, pour pouvoir nous exploiter encore plus, sans que l’on puisse réagir…

Comme le démontre cependant le mouvement dans les lycées et les universités, il est également possible de dire « non ». Ailleurs en Europe, nombreux sont ceux qui subissent une pression identique et qui luttent. C’est ce qu’ont montré les travailleurs et les étudiants grecs lors de la grève générale du 21 octobre. Ici aussi en Italie il est nécessaire et possible, si le gouvernement persiste à vouloir faire passer tout ce qu’il nous a concocté, de lui en faire payer le prix politique, le plus élevé possible.

Les manifestations et les mobilisations des dernières semaines montrent que nous sommes nombreux à vouloir lutter. Elles démontrent également que nombreux sont ceux qui ne font rien pour unifier les conflits sociaux en cours.

Il n’y a pas d’argent pour l’université et les travailleurs mais en revanche le gouvernement débourse des milliards pour sauver les banques et menace les mouvements de lutte

L’État de la bourgeoisie, soi-disant « neutre », montre son vrai visage. Il sauve les banquiers, avec l’appui du centre-gauche, mais déclare en revanche que les caisses sont vides pour l’Éducation, l’université, etc.

Berlusconi a déclaré que si les occupations se poursuivaient, il enverrait la police. La bourgeoisie italienne, après la répression orchestrée lors des journées de Naples et de Gênes [en mars et juillet 2001], se caractérise encore une fois par sa tendance intrinsèque à élever de manière asymétrique et brutale le niveau de l’affrontement social. Les dernières déclarations de Cossiga montrent d’ailleurs la parfaite continuité de cette stratégie. Les provocations des fascistes, qui tentent de diviser le mouvement étudiant et lycéen, constituent une preuve supplémentaire de ce que le gouvernement est capable de faire.

Aucune négociation ! Défendons et généralisons le mouvement !

Il n’y a rien à négocier avec le gouvernement, l’objectif devant être la lutte jusqu’au blocage de l’application de la réforme, au-delà du résultat prévisible du vote de la loi qui vient d’avoir lieu mercredi [au Sénat, transformant le décret-loi d’août en loi]. Même si la lutte s’annonce très dure, une victoire, dans le contexte actuel, est possible. Il s’agirait de plus d’une première victoire qui favoriserait énormément toutes les luttes actuelles et à venir afin de pouvoir affronter, dans un rapport de forces bien distinct, les politiques de la bourgeoisie.

Il faudrait pour cela étendre le mouvement, non pas seulement à l’intérieur de l’université mais aussi à l’extérieur. Il était clair que les provocations seraient allées en grandissant à partir de mercredi [29 octobre]. La seule réponse possible passe par l’extension des occupations, le blocage des lycées et des facs et surtout par l’unification des forces des étudiants et des travailleurs afin d’éviter l’isolement et lancer une lutte généralisée contre les politiques réactionnaires, antipopulaires et anti-ouvrières de Berlusconi et Marcegaglia [présidente de Confindustria, le Medef italien].

Le CPE, un mauvais souvenir pour la bourgeoisie française et pour Chirac-Villepin-Sarkozy…

Nombreux sont ceux qui, au cours des derniers jours, ont souligné qu’il faudrait faire comme en France, suivre le chemin tracé par les étudiants français qui avaient réussi, entre février et avril 2006, à faire plier le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy et à empêcher l’entrée en application du CPE.

Il faut néanmoins rappeler comment s’est déroulée cette lutte. Après les premières manifestations, le mouvement s’est rapidement étendu aux quelque quatre-vingts universités françaises dont la plupart ont commencé à être occupées ou bloquées. Les étudiants se sont également dotés d’une coordination nationale, qui se réunissait toutes les semaines, basée sur des délégués élus au cours d’AG dans les facs mobilisées au cours desquelles les étudiants en lutte décidaient eux-mêmes de la dynamique du mouvement.

Cela a permis une augmentation de la participation, en gagnant les plus indécis et en donnant une cohésion nationale plus grande au mouvement.

C’est pour cela que le mouvement anti-CPE a pu peser politiquement, et ce en toute indépendance à l’égard des organisations étudiantes (UNEF, Cé, etc.), (…) ainsi que des courants politiques les plus modérés qui intervenaient en son sein. Cela a également permis à l’avant-garde du mouvement étudiant de poser la question de l’extension du mouvement et de sa liaison avec le monde du travail.

Qu’est-ce qui a donc permis la victoire du mouvement anti-CPE ? Les mobilisations massives d’étudiants, de lycéens et de travailleurs, la pression de la base qui a contraint les confédérations syndicales (CGT, FO et CFDT) à « se bouger », le blocage direct des cours imposé par les AG. Unité avec les travailleurs et pouvoir aux AG, voilà ce qui a contraint le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy à reculer.

Blocage des cours, piquet et AG démocratiques pour construire une coordination nationale !

Ici aussi il faudrait faire la même chose pour empêcher l’entrée en application de la réforme Gelmini.

Les assemblées dans les facs doivent être démocratiques pour discuter des modalités d’action et pour élire des délégués, mandatés et révocables, afin de mettre sur pied une coordination nationale des universités et des lycées en lutte.

Voilà quelles devraient être les conditions minimales non seulement pour étendre le mouvement mais également pour éviter qu’il soit instrumentalisé par des forces politiques ou syndicales modérées, qui ont reçu pour directive [dans le cas des organisations étudiantes liées au Parti Démocrate, centre-gauche, notamment] d’intervenir au sein du mouvement afin d’essayer de le contrôler et le porter vers l’impasse des négociations.

Faisons comme en France en 2006, construisons l’unité entre étudiants et travailleurs afin de faire plier le gouvernement !

Ici aussi en Italie il serait possible de faire comme les Français qui avaient réussi à imposer aux confédérations syndicales l’unification entre travailleurs et étudiants, et ce d’autant que le climat est plus favorable encore qu’en France en 2006.

À Rome, par exemple, mardi [28 octobre], les enseignants et les instituteurs étaient nombreux devant le Sénat. Mercredi [29 octobre], les travailleurs précaires de l’hôpital Sant’Andrea étaient présents également aux côtés des étudiants. Ces tendances montrent que l’unification du mouvement étudiant avec les travailleurs de l’Éducation en lutte également contre la réforme Gelmini devrait être un objectif central à atteindre, et ce en participant à toutes les mobilisations, en essayant de leur donner un contenu différent [à commencer par la grève générale de l’Éducation du 30 à l’appel des syndicats confédéraux]. La vague de mobilisations qui a traversé la péninsule au cours des dernières semaines, à commencer par la résistance héroïque des travailleurs d’Alitalia en septembre, la grève générale du syndicalisme de base du 17 octobre ou les grèves sectorielles prévues dans les prochaines semaines, témoignent du fait qu’il existe une situation qui n’a rien à voir avec celle à laquelle nous avons dû faire face au cours des longs mois de léthargie sociale sous le gouvernement Prodi-D’Alema-Ferrero et au cours des premiers mois de gouvernement Berlusconi.

La vague de mobilisations indique également la potentialité d’une unification des luttes actuelles à laquelle ne travaillent malheureusement pas les syndicats. Dans cette lutte pour unifier les conflits en cours, clairement identifiées par les étudiants par le biais de leurs slogans contre Gelmini, Brunetta et Tremonti, le mouvement contre la réforme de l’Éducation pourrait servir de point d’articulation, notamment lorsque l’on considère l’appui et le soutien dont il dispose parmi les travailleurs, qu’ils soient d’ailleurs parents d’élèves ou non. Pour obtenir cette unité cependant, il faudrait exiger des courants politiques et syndicaux qui disent vouloir affronter les politiques du patronat et du gouvernement qu’ils prennent clairement position, sur les lieux de travail et de formation, aux côtés des étudiants et des enseignants en grève. On ne peut revendiquer le mouvement anti-CPE en reniant son arme centrale, l’unité entre étudiants et travailleurs !

Il serait paradoxal qu’au moment même où d’importantes fractions du monde du travail (du secteur public notamment, mais pas seulement) demandent à se mobiliser contre le gouvernement, au point de contraindre les confédérations aux grèves du 30 octobre et du 14 novembre notamment, on ne pose pas la question de l’unification de tous ces mouvements en une lutte étudiante et ouvrière généralisée. Comment pourrons-nous vaincre si nous n’unifions pas toutes les poussées actuelles en un seul et même mouvement de lutte ?

Berlusconi veut élever le niveau de l’affrontement ? Défendons les occupations et étendons le mouvement en unifiant tous les conflits en cours !

Assemblées démocratiques dans tous les lycées et dans toutes les facs, luttons pour nous coordonner nationalement !

Exigeons que toutes les organisations syndicales et politiques qui disent vouloir s’opposer à la politique du gouvernement et de Confindustria adoptent des mesures concrètes, unifient les luttes du monde du travail avec celles des étudiants, afin d’empêcher l’application de la réforme Gelmini. Démasquons ceux qui parlent de lutte mais ne font rien dans les faits, en exigeant des actions concrètes allant dans le sens d’une généralisation et d’une unification de toutes les conflits actuels !

Contre les provocations des fascistes, qui après avoir voulu infiltrer le mouvement essaient de le détruire, organisons l’autodéfense en lien avec les travailleurs !

C’est aux capitalistes et à leurs gouvernements qu’il revient de payer le coût de la crise, pas aux travailleurs et aux étudiants !

Rome, 29 octobre 2008

Collectif Communiste de Via Efeso (Rome)

collcommunista.viaefeso@yahoo.it


1) Les Représentants de Base-Confédération Unitaire de Base (RdB-CUB), la Confédération des Comités de Base (Cobas) et le Syndicat des Travailleurs Intercatégoriel (SdL) sont les trois principales organisations du syndicalisme de base en Italie. Même si elles ont un poids mineur, elles se caractérisent par des positions plus radicales que les grandes confédérations syndicales historiques, la CGIL, la CISL et la UIL. La manifestation nationale à Rome qui s’est tenue à leur appel le 17 octobre a rassemblé plus de travailleurs que prévu : 500 000 selon les organisateurs, 350 000 selon le quotidien La Republica.

2) Gelmini, Brunetta et Tremonti sont, respectivement, ministre de l’Éducation, ministre de la Fonction publique, ayant déclenché une offensive généralisée contre les fonctionnaires qui seraient responsables de tous les maux, et ministre de l’Économie.


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