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Le CRI des Travailleurs n°21     << Article précédent | Article suivant >>

Critique du programme du PSoL brésilien


Auteur(s) :Antoni Mivani
Date :18 janvier 2006
Mot(s)-clé(s) :programme, international, Brésil
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(Lettre ouverte du Groupe CRI)

Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2003, le gouvernement du PT, dirigé par Lula, a engagé toute une série de réformes favorables à la bourgeoisie, telles que l’indépendance de la Banque centrale par rapport au gouvernement, la réforme des retraites et l’arrêt presque complet de toute mesure de réforme agraire, accompagné d’un soutien marqué aux grands propriétaires terriens contre les paysans sans terre (1). En engageant cette politique, le gouvernement du PT s’est frontalement heurté à sa base sociale, à commencer par les fonctionnaires, premiers concernés par la réforme des retraites.

Les courants se revendiquant du trotskysme qui se trouvaient encore à l’intérieur du PT se sont donc trouvés pris entre la pression de la bourgeoisie, relayée par la direction du parti, qui voulait faire passer ces réformes coûte que coûte, et la pression des masses se dressant par centaines de milliers contre les réformes. Le courant Démocratie Socialiste (DS, organisation membre du « Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale », aux côtés de la LCR) a apporté son soutien au gouvernement Lula, l’un de ses principaux dirigeants, Miguel Rossetto, devenant même ministre de la Réforme agraire. La majorité des députés de la « gauche » du PT, plus soucieux de leur carrière que des intérêts des travailleurs, votent pour les réformes du gouvernement ou s’abstiennent, en particulier l’écrasante majorité des députés de DS.

Ce soutien et cette participation de la majorité de DS au gouvernement Lula, véritable trahison, a conduit à la scission de ce courant. Une minorité, emmenée par la sénatrice Héloisa Helena, a été exclue du PT pour avoir voté contre la réforme des retraites ; or les protestations de la majorité de DS sont restées de pure forme. Héloisa Helena a donc pris l’initiative d’un nouveau regroupement politique avec d’autres parlementaires dits « radicaux » ayant eux aussi été exclus du PT pour avoir voté contre la réforme des retraites, à savoir Baba (membre du courant CST, section brésilienne de l’UIT), Luciana Genro (dirigeante du MES) et enfin Joao Fontes (membre d’aucun courant).

Dans un premier temps, il a été question de fonder un nouveau parti en collaboration avec le PSTU (Parti Socialiste des Travailleurs Unifié, section brésilienne et principal parti de la LIT, organisation qui compte environ 2 500 militants, dispose d’une influence significative dans bien des syndicats et dont le candidat à la présidentielle en 2002 avait recueilli plus de 400 000 voix). Un accord n’a cependant pas pu être trouvé avec le PSTU : les courants et les députés issus du PT ont finalement décidé de fonder le Parti pour le Socialisme et la Liberté (PSoL). Une conférence de 500 délégués a adopté un programme provisoire en juin 2004. De son côté, le PSTU s’efforce d’utiliser son poids dans la CUT pour se renforcer lui-même en appelant à la construction d’une nouvelle centrale syndicale à la gauche de la CUT à travers un regroupement appelé Conlutas.

À l’automne dernier, la crise du PT a continué de s’aggraver avec le scandale déclenché par les révélations sur l’achat de députés d’autres partis par le gouvernement Lula. Cette crise a notamment obligé José Dirceu, personnage-clé du PT et du gouvernement, à démissionner. Cependant, la direction historique du PT, malgré sa politique à la solde de la bourgeoisie et le scandale des pots-de-vin, s’est maintenue sans trop de difficultés à la tête du parti, les principaux candidats de ce qui restait de la « gauche » étant défaits assez nettement. Mais, au même moment, le PSoL avait recueilli les 450 000 signatures nécessaires à sa légalisation. C’est dans ces conditions que de nouveaux responsables de la « gauche » du PT, dont quatre députés fédéraux (qui n’avaient pas voté contre la réforme des retraites lors des lectures du texte au Parlement), ainsi que d’autres élus au niveau des États et des municipalités, des dirigeants et des militants syndicaux qui étaient restés au PT malgré sa politique, ont fini par rompre avec celui-ci et par rejoindre le PSoL.

La constitution d’un nouveau parti ouvrier à gauche d’un parti réformiste tel que le PT brésilien intéresse nécessairement tous les militants et groupes révolutionnaires, dans la mesure où elle pose en elle-même le problème décisif de la rupture avec les organisations traditionnelles traîtres du mouvement ouvrier, le problème d’une perspective politique indépendante pour les travailleurs, en un mot le problème de l’alternative fondamentale entre réforme et révolution. En mars prochain, le congrès du PSoL doit adopter son programme définitif : la discussion en son sein est intense. C’est pourquoi le Groupe CRI a décidé d’étudier de près, d’un point de vue critique, le projet de programme élaboré par la direction du PSoL, tel qu’il avait été publié peu après sa fondation (juin 2004), et de s’adresser à ce nouveau parti sous la forme d’une lettre ouverte, reproduite ci-dessous. Dans un prochain numéro, nous reviendrons sur l’orientation et l’attitude politiques du PSTU. Ce faisant, il s’agit de participer à la discussion d’une manière qui s’efforce d’être à la fois marxiste et constructive, dans l’optique d’une discussion internationaliste qui nous semble devoir intéresser tous les militants ouvriers réfléchissant à la question décisive du parti à construire.

« Camarades,

À un moment crucial, vous avez choisi le camp du prolétariat contre celui de la bourgeoisie en refusant de voter la réforme des retraites et en contribuant aux mobilisations des travailleurs contre ces mesures prises par le gouvernement Lula au compte de la bourgeoisie. Faisant le constat que « ce cours du parti [le PT] est irréversible », vous avez décidé d’intensifier votre « action afin de construire une alternative politique pour les travailleurs et le pays » (note publique du 1er septembre 2003 aux militants du PT). Dans le programme provisoire du PSoL, vous vous revendiquez du combat pour « le socialisme » et vous affirmez que « la société ne peut pas s’organiser autour des principes de solidarité et d’égalité, ne peut pas produire pour les besoins de la population, sans exproprier cette minorité [les « latifundistes, spéculateurs, capitalistes et banquiers »] et sans prendre le contrôle des grands moyens de production et de crédit ». Et, à la fin de l’introduction à ce texte, vous invitez les militants à vous faire parvenir des contributions, soulignant que votre « site Internet sera en mesure de recevoir des contributions qui enrichiront notre débat et permettront que notre programme soit construit sur la base de l’expérience vivante des mouvements sociaux et de ses protagonistes ».

Comme nous nous plaçons également sur le terrain du combat pour l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes (cf. sur notre site http://groupecri.free.fr/ notre Projet de programme CRI et nos publications), il nous a semblé nécessaire de répondre à votre appel en vous communiquant nos premiers commentaires sur votre projet de programme, limités à quelques points essentiels.

Il manque un bilan de l’expérience du PT

Vous avez estimé pendant des années que le PT pouvait être l’instrument de l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes. Si aujourd’hui vous avez décidé de fonder un nouveau parti, c’est parce que vous pensez que le PT, loin d’être un instrument de cette émancipation, est devenu son contraire, un instrument de la bourgeoisie pour imposer ses exigences aux travailleurs. Au moment de fonder une nouvelle organisation, dans le but de poursuivre ce même combat dont vous avez pensé auparavant que le PT pouvait être l’instrument, n’est-il pas nécessaire de commencer par analyser rigoureusement les raisons pour lesquelles le PT n’a pas été le parti aidant les travailleurs à accomplir leur auto-émancipation ? Or, on ne trouve ni dans votre note publique aux militants du PT en date du 1er septembre 2003 proposant la construction d’un nouveau parti, ni dans votre projet de programme, une analyse de l’expérience du PT, de sa tendance toujours plus ouverte au réformisme, c’est-à-dire en dernière analyse à la capitulation devant la bourgeoisie. C’est là pour le moins un sérieux manque.

« Changement brusque » du cours du PT en 2003… ou évolution toujours plus marquée de sa capitulation devant la bourgeoisie ?

Dans votre note, vous affirmiez que « cette nécessité [de fonder un nouveau parti] ne découle pas seulement de la destruction de la démocratie dans le PT, mais aussi de l’abandon par le noyau dirigeant des bannières historiques du parti ». Vous précisez que les premiers mois du gouvernement Lula « ont largement démontré que la politique du noyau dirigeant du PT a provoqué un changement brusque dans l’orientation du parti. D’une opposition plus ou moins ferme au néolibéralisme, le parti est passé à un rôle de principal pilier des plans capitalistes. » (Nous soulignons.) Cette affirmation est pour le moins surprenante. En effet, c’est depuis des années que le PT gère des mairies et des États loyalement dans le cadre de capitalisme, au lieu d’essayer d’en faire des points d’appui pour l’organisation révolutionnaire des masses contre la bourgeoisie et son État. De plus, Lula avait déjà signé pendant la campagne présidentielle un engagement à respecter le paiement de la dette selon les conditions fixées par le FMI ; or cet engagement est incompatible avec la satisfaction des intérêts des travailleurs et de tous les opprimés. En ce sens, s’il y a eu « changement brusque »ce que nous ne pensons pas —, vous serez au moins d’accord pour reconnaître qu’il s’est produit non pas après, mais avant l’élection présidentielle d’octobre 2002.

Or on ne peut manquer d’avoir l’impression que, en situant le « changement brusque » dont vous parlez après l’élection de Lula, vous vous dispensez de faire la critique de l’attitude qui a été la vôtre dans le passé face à cette soumission de plus en plus nette du PT aux exigences de la bourgeoisie. Certes, vous avez combattu pour que le PT se présente sur une autre orientation, notamment pour qu’il s’engage à rompre avec le FMI, ce qui est juste, quoique insuffisant. Mais, bien qu’il fût évident pour tout militant marxiste que Lula gouvernerait en faveur de la bourgeoisie et non en faveur des travailleurs, vous avez (pour la plupart d’entre vous) appelé à voter pour Lula dès le premier tour et sans mettre ouvertement les travailleurs en garde contre lui, c’est-à-dire contre la politique favorable à la bourgeoisie qu’il s’apprêtait à appliquer. En ce sens, vous n’avez pas aidé les travailleurs à y voir clair. Au contraire, par votre soutien à peine critique à Lula, vous avez donné votre caution de « gauche » à son alliance avec la bourgeoisie et à sa déclaration réitérées selon laquelle il appliquerait les plans du FMI. Selon nous, il fallait présenter au premier tour un candidat ouvrier révolutionnaire contre Lula, en utilisant la campagne électorale pour dénoncer ouvertement son programme de capitulation devant la bourgeoisie et l’impérialisme, pour mettre en garde les masses et pour les appeler à ne compter que sur elles-mêmes, leurs propres mobilisations et leur auto-organisation. Il n’était juste d’appeler tactiquement à voter pour la victoire du PT qu’au second tour, d’une part parce que cela permettait d’infliger une défaite politique aux partis bourgeois honnis, d’autre part parce qu’il était indispensable que les travailleurs, en portant le PT au pouvoir au niveau national, fassent leur propre expérience de la véritable nature de ce parti qu’ils croyaient être le leur. Bien évidemment, en appelant à voter pour Lula au second tour (à l’encontre des gauchistes), il fallait continuer à dénoncer ouvertement son programme de capitulation.

De plus, si on examine la politique menée par le PT non depuis quelques mois mais depuis des années, on voit qu’il n’y a pas de changement « brusque » de son orientation, mais une évolution toujours plus marquée de sa soumission à la bourgeoisie et à l’impérialisme. Le PT gouverne dans des villes et des États depuis longtemps. Quelle politique y a-t-il menée ? Prenons, par exemple, le cas de la ville de Porto Alegre et de l’État de Rio Grande do Sul, qui ont été dirigés par le PT, qui plus est par sa « gauche ». Cette mairie et cet État ont continué de payer leur part de la dette, au lieu de profiter de ces positions acquises pour engager, à partir d’elles, une lutte résolue pour le non paiement de la dette par toutes les mairies et tous les États fédéraux. Bien sûr, une telle lutte aurait peut-être été défaite. Mais, même vaincue, cette lutte aurait contribué à élever la conscience politique des travailleurs de tout le pays. Au lieu de montrer concrètement aux travailleurs que les révolutionnaires n’utilisent les positions institutionnelles qu’ils acquièrent que pour aider et accélérer la lutte révolutionnaire contre le capital et l’État, les dirigeants de la « gauche » du PT ont donné un exemple flagrant d’intégration aux institutions bourgeoises et de soumission sans combat aux diktats imposés par la bourgeoisie et l’impérialisme. Dans cette logique, en mettant en place le « budget participatif », la mairie PT de Porto Alegre, au lieu d’aiguiser la disposition des travailleurs à la lutte, leur a appris à se résigner et à faire eux-mêmes les choix des revendications qu’ils devraient sacrifier en établissant une liste des « priorités » dans le cadre d’un budget largement amputé par le paiement de la dette. Dans ce cadre, la mairie PT a également réduit les salaires des enseignants et privatisé certains secteurs ! De ce point de vue, il n’y a pas rupture, mais continuité, entre la politique municipale ou régionale du PT avant 2003 et sa politique nationale depuis 2003. Il y a donc bien longtemps que les révolutionnaires devaient combattre la politique mise en œuvre concrètement par le PT.

Qu’était le « PT des origines » ?

Mais il faut remonter plus loin encore dans le temps. Vous affirmez haut et fort vouloir défendre les « bannières historiques du PT ». Bien sûr, on peut comprendre que dans un moment où, sous la pression de la lutte de classes, des centaines de militants du PT se heurtaient à sa direction et hésitaient, vous ayez jugé utile, pour entraîner ces militants, d’affirmer que la fidélité aux objectifs qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés rendait nécessaire leur rupture avec le PT et leur ralliement à un nouveau parti ouvrier poursuivant le combat. Mais, même aujourd’hui, vous ne semblez faire aucune analyse critique du programme fondateur du PT. Pensez-vous qu’il était satisfaisant, du moins pour l’essentiel ? Pour notre part, nous n’ignorons pas que le PT a joué à ses origines un rôle progressiste en permettant à la classe de se dresser contre la dictature et de reprendre le chemin de sa constitution comme classe politique ; de ce point de vue, il était tout à fait justifié d’y entrer pour y organiser un courant révolutionnaire pendant un certain temps. Cependant, nous ne pensons pas que le programme fondateur du PT fût juste pour l’essentiel. Tout en se revendiquant certes du « socialisme », il ne précisait rien quant aux moyens d’atteindre effectivement ce but, sous prétexte de ne pas trancher le vieux débat entre réforme et révolution, en fait pour maintenir un compromis entre les différents courants constitutifs du PT. Or, quand la stratégie d’un parti ouvrier n’est pas clairement définie, c’est la bourgeoisie qui finit tôt ou tard par en décider : le parti découvre un beau jour qu’il était en fait réformiste. C’est exactement ce qui s’est passé avec le PT.

Or vous-mêmes semblez hériter de cette ambiguïté fondamentale du « PT des origines ». Tout en soutenant à juste titre qu’ « une alternative globale pour le pays doit être construite à travers un intense processus d’accumulation de forces et ne pourra être imposée que par un affrontement révolutionnaire avec l’ordre capitaliste établi », vous ne dites pas pourquoi la rupture avec le capitalisme ne peut être que révolutionnaire, et vous n’expliquez pas en quoi consiste précisément cet « affrontement révolutionnaire avec l’ordre capitaliste établi » dont vous parlez. Vous justifiez cette attitude en affirmant : « Nous ne pouvons pas prévoir ce que seront les conditions et circonstances d’une rupture systémique. » Nous comprenons qu’un nouveau parti constitué à partir d’une multitude de courants (la majorité des fondateurs se réclamant cependant du trotskysme) et destiné à regrouper des milliers de militants issus du PT réformiste, ne tranche pas immédiatement un certain nombre de questions posées par ligne stratégique de la révolution prolétarienne. Cependant, il est indispensable de préciser davantage votre orientation sur la question-clé de l’alternative entre réforme et révolution. Il est en effet essentiel de dire clairement aux travailleurs, quand on leur propose comme but le socialisme, par quels moyens pratiques on préconise d’en finir avec l’ordre existant, en s’appuyant sur la riche expérience accumulée par l’histoire de la lutte des classes depuis près de deux cents ans. De ce point de vue, il nous semble que votre programme hésite entre anti-néolibéralisme et anticapitalisme conséquent, privilégie un catalogue de réformes au détriment d’un programme de transition vers le socialisme et substitue la perspective de réformes démocratiques de l’État bourgeois à l’objectif fondamental de sa destruction en faveur d’un État ouvrier. Nous allons essayer de le montrer successivement.

« Réformes radicales »…
ou revendications transitoires dirigeant vers la prise du pouvoir par le prolétariat ?

Vous reconnaissez vous-mêmes que la position du PT n’allait déjà plus depuis longtemps bien au-delà d’ « une opposition plus ou moins ferme au néolibéralisme » (note publique aux militants du PT, 1er septembre 2003). Il semble que vous le regrettiez, estimant une position d’opposition au néolibéralisme insuffisante. Pourtant, sur cette question, votre programme nous semble particulièrement ambigu. Vous affirmez en effet qu’il serait nécessaire de « déployer tous les efforts en soutien au mouvement anti-globalisation, avec ses forums sociaux et ses mobilisations de masse initiées à Seattle » (nous soulignons). Or, s’il est juste de vouloir intervenir dans tous les mouvements de masse qui contestent ou critiquent plus ou moins le capitalisme, il est clair que les principaux dirigeants du mouvement anti- ou plutôt altermondialiste n’ont pas d’autre d’objectif que celui, parfaitement illusoire, d’introduire au sein du capitalisme des réformes dites « radicales » (c’est ce que certains d’entre eux appellent « humaniser le capitalisme »). Dans la pratique, au nom du réalisme politique, beaucoup de ces dirigeants du mouvement altermondialiste mettent en œuvre, ou appartiennent à des organisations qui mettent en œuvre une politique conforme aux intérêts non des travailleurs, mais à ceux du capital, que ce soit au gouvernement, dans les régions ou dans les mairies. C’est le cas notamment de la plupart des anciens partis « communistes » (nous en savons quelque chose ici en France !), de bien des partis « verts » ou encore des organisateurs brésiliens du premier Forum social mondial dirigeants du PT de Porto Alegre, dont nous avons déjà parlé.

« Dépasser »… ou supprimer le capitalisme ?

Vous affirmez pour votre part avoir pour but le « dépassement de l’ordre capitaliste ». Or cette formule est au mieux vague, au pire simplement opposée à celle du « renversement révolutionnaire de la bourgeoisie ». De fait, elle est particulièrement prisée par les nouveaux ministres capitalistes, comme Rossetto au Brésil ou les dirigeants du PCF en France (elle a été adopté par le PCF dans les années 1990, juste avant leur participation au gouvernement de la « gauche plurielle » qui a privatisé à elle seule plus que les deux gouvernements de droite précédents !). Or, dans votre programme, après avoir fixé cet objectif vague du « dépassement du capitalisme », vous énumérez toute une série de « réformes radicales » que vous opposez aux « réformes réactionnaires et néolibérales », mais sans jamais rien dire de la manière dont vous espérez les réaliser.

La lutte contre le chômage est-elle possible avec le capitalisme ?

Vous constatez que « plus d’un million de travailleurs ont perdu leur emploi en 2003 » et vous écrivez que «  le chômage est devenu une crise structurelle ». Dans votre présentation du phénomène du chômage, vous semblez considérer que le chômage serait « structurel » mais depuis 2003, ou du moins depuis relativement peu de temps, apparemment depuis que les gouvernements font des politiques « néolibérales ». Dès lors, pour lutter contre le chômage, vous semblez croire qu’il suffise de réduire le temps de travail (vous préconisez avant tout « la réduction du temps de travail à 40 h hebdomadaires, vers la semaine des 36 h »), sans pour autant toucher au capitalisme lui-même.

Pourtant, en réalité, le chômage ne s’explique pas fondamentalement par telle ou telle politique des capitalistes, mais par le procès d’accumulation du capital lui-même, qui conduit à la formation inévitable d’une armée de réserve de travailleurs, comme Marx l’a montré. Celle-ci peut prendre différentes formes selon les cycles de la reproduction capitaliste, mais elle existe toujours. Ce qui distingue la période actuelle, c’est que, avec l’extension du salariat, ce phénomène prend une ampleur particulièrement spectaculaire dans tous les pays industrialisés. C’est pourquoi la revendication de réduction du temps de travail est nécessaire pour mobiliser les travailleurs et améliorer autant que possible leurs conditions d’exploitation, mais elle n’est nullement suffisante pour éradiquer le chômage. À la baisse du temps de travail, la bourgeoisie répond non par la création d’emplois, mais par la hausse de la productivité et de l’intensité du travail. Nous le savons particulièrement bien en France, nous qui avons vu une loi de réduction du temps de travail de 39 h à 35 h qui a surtout servi essentiellement aux patrons pour introduire ou développer la flexibilité et pour geler les salaires, sans la moindre réduction du chômage.

Face au chômage, les révolutionnaires mettent en avant non seulement la revendication de réduction du temps de travail, mais surtout le mot d’ordre de l’échelle mobile des heures de travail, c’est-à-dire la répartition de toutes les heures de travail disponible entre tous les travailleurs sans baisse des salaires. Bien évidemment, face à de telles revendications, les « propriétaires et leurs avocats démontreront l' "impossibilité de réaliser" ces revendications. Les capitalistes de moindre taille, surtout ceux qui marchent à la ruine, invoqueront, en outre, leur livre de comptes. Les ouvriers rejetteront catégoriquement ces arguments et ces références. (…) Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu'il a lui-même engendrés, qu'il périsse ! La "possibilité" ou l' "impossibilité" de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l'esclavage capitaliste. » (Trotsky, Programme de Transition). C’est ainsi que, pour les révolutionnaires, la lutte contre le chômage débouche immédiatement sur l’objectif de rompre avec le capitalisme lui-même, ce qui pose la question de la prise du pouvoir par le prolétariat.

L’ouverture des livres de compte peut-elle suffire pour empêcher les licenciements et la surexploitation ?

Le passage suivant de votre programme semble plus correct : « Nous dénonçons également toutes les mesures de licenciement ou de réduction des salaires sous prétexte de manque de travail. Face aux revendications des patrons à propos de leurs difficultés, nous demandons l’ouverture de leurs livres de compte et l’établissement d’un contrôle sur la production ». Votre formulation s’inspire manifestement de celles de Trotsky sur la même question dans le Programme de transition. Mais il ne suffit pas de les répéter formellement pour leur conserver leur portée révolutionnaire. Premièrement, il est clair que le mot d’ordre de contrôle ouvrier n’a de sens que dans la perspective ultime de la gestion ouvrière directe, laquelle suppose la rupture avec le capitalisme. Or, cet objectif n’est jamais formulé ouvertement dans votre programme. Deuxièmement, Trotsky souligne précisément que tous les petits capitalistes ruinés ouvriront leur livre de compte pour démontrer l’impossibilité de ne pas fermer l’usine. Or, de ce point de vue, c’est évidemment ce que feraient de nombreux capitalistes brésiliens, pressurés par le capital impérialiste et laminés par la concurrence. Les ouvriers devraient-ils accepter leurs arguments, avec le chômage à la clé ? L’expérience vivante des occupations d’usine en Argentine et au Brésil même montre au contraire quelle voie les ouvriers doivent suivre : ils sont capables d’organiser eux-mêmes la production ; il est surprenant que votre parti, qui affirme vouloir s’appuyer sur l’expérience des luttes, n’en dise pas un mot dans son programme.

Mais, là encore, cette orientation n’est juste qu’à condition d’être dirigée non vers l’autogestion dans le cadre du capitalisme (qui ne peut que conduire les ouvriers à s’auto-exploiter), mais vers la réorganisation de l’économie sur la base de la collectivisation des moyens de production, qui suppose la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Car, comme le disait l’Adresse inaugurale de l’Association Internationale des travailleurs, rédigée par Marx, le « mouvement coopératif et des manufactures coopératives » a démontré, « par des actions et non par des raisonnements », que « la production sur une grande échelle, et en accord avec les exigences de la science moderne, peut marcher sans qu’une classe de maîtres emploie une classe de "bras" ; que les moyens de travail, pour porter leur fruit, n’ont pas besoin d’être monopolisés pour la domination et l’exploitation du travailleur » ; mais, en même temps, souligne Marx, « il y a une autre chose que ces expériences (…) ont établi sans aucun doute possible : (…) que la coopération des travailleurs, si elle reste circonscrite dans un cercle étroit (…) ne sera jamais capable d’arrêter les monopoles qui croissent en progression géométrique (…). Pour que les masses laborieuses soient affranchies, la coopération devrait prendre une ampleur nationale et par conséquent il faudrait la favoriser avec des moyens nationaux. Mais ceux qui règnent sur la terre et le capital useront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques. (…) Donc, la grande tâche de la classe des travailleurs, c’est de conquérir le pouvoir politique. »

À notre avis, un parti qui se fixe pour but l’auto-émancipation des travailleurs ne peut faire l’impasse sur des questions que posent non seulement l’expérience des luttes les plus récentes, mais également l’expérience accumulée et théorisée par le mouvement ouvrier depuis plus de deux cents ans.

Réforme… ou destruction de l’État bourgeois ?

Une autre série de réformes que vous proposez sont des réformes démocratiques. Vous vous prononcez pour « une véritable Constituante, souveraine, démocratique » et vous expliquez que vous luttez « pour des mesures démocratiques radicales, telles qu’une assemblée unique avec révocabilité des mandats. Il est également important d’instaurer et faciliter les décisions par plébiscite ou référendum sur les thèmes nationaux les plus significatifs. De même le pouvoir judiciaire a-t-il besoin d’être profondément réformé : il faut mettre fin au choix des juges par le président de la République et instaurer la révocabilité de leurs mandats, ainsi que le recours à une participation populaire dans les décisions de justice ». Bien sûr, les révolutionnaires ne sont pas opposés aux réformes démocratiques : ils sont toujours au contraire au premier rang de la lutte pour les imposer. Mais ils montrent en même temps que cette lutte se heurte nécessairement au capitalisme et à l’État bourgeois qui organise la « dictature de la bourgeoisie » contradictoire avec la véritable démocratie, c’est-à-dire le gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs. Le problème de ce passage de votre programme n’est donc pas qu’il contienne la revendication de réformes démocratiques, mais qu’il en fasse l’orientation principale, pour ne pas dire unique, de votre programme en ce qui concerne la question de l’État. On n’y trouve rien, en effet, sur la destruction de l’État bourgeois, la dictature du prolétariat, les conseils ouvriers et paysans… Et, lorsque vous parlez de la nécessité « d’impulser, particulièrement durant les processus de lutte, le développement d’organismes d’auto-organisation du monde du travail », vous précisez immédiatement que vous les concevez seulement comme des « organismes de contre-pouvoir », mais vous ne dites jamais qu’ils seront la base du futur État des travailleurs eux-mêmes… On est donc amené à s’interroger : votre ligne stratégique, est-ce la réforme radicale de la démocratie bourgeoise ou son renversement révolutionnaire par les travailleurs ?

Conception bourgeoise… ou marxiste du suffrage universel ?

Votre appréciation de la démocratie bourgeoise n’est pas marxiste. Vous affirmez notamment : « Le suffrage universel est une conquête. » C’est vrai, surtout dans un pays comme le vôtre qui a connu une dictature terrible dans une période récente. Cependant, ce n’est qu’un aspect des choses : le suffrage universel est en même temps, et contradictoirement, un des meilleurs moyens dont dispose la bourgeoisie pour assurer sa dictature en la masquant sous l’apparence de la souveraineté populaire. Vous n’expliquez pas que dans une société dans laquelle la bourgeoisie tient toute la réalité du pouvoir d’État, l’école et les médias, le suffrage universel « égalitaire » est un mensonge. Or, une attitude marxiste, capable de considérer la réalité de façon dialectique, et non unilatérale, est d’autant plus indispensable au Brésil sur cette question que l’expérience des formes démocratiques de la dictature bourgeoise est justement encore toute fraîche et que l’introduction de ces formes, notamment le suffrage universel, a joué un rôle essentiel pour canaliser dans le cadre du capitalisme  la montée ouvrière de la fin des années 1970 contre la dictature militaire : il est donc crucial de combattre clairement pour la destruction des illusions des masses à l’égard de la démocratie bourgeoise et du suffrage universel.

Vous affirmez aussi que les « socialistes » ne doivent ni sombrer dans l’électoralisme, ni refuser en bloc les élections. En apparence, c’est une position équilibrée. Mais, en réalité, c’est là encore ne pas aller au-delà de la position du « PT des origines », car c’est ne pas dire l’essentiel pour des révolutionnaires, à savoir que le prolétariat ne pourra pas conquérir le pouvoir par la voie pacifique, électorale. C’est ce que prouve l’Histoire : par exemple, la montée ouvrière au Chili dans les années 1960 et l’arrivée au pouvoir d’un parti ouvrier même simplement réformiste par la voie électorale ont conduit la bourgeoisie à organiser une contre-révolution violente, le coup d’État militaire de Pinochet en septembre 1973, avec des dizaines de milliers de militants assassinés. Plus récemment, la bourgeoisie vénézuelienne et l’impérialisme américain se sont efforcés de renverser par la violence le président Chavez arrivé « démocratiquement » au pouvoir, qui ne faisait pourtant rien d’autre que quelques réformes très limitées. Le programme du parti qui aidera politiquement l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes ne doit-il pas leur dire quelles leçons il faut tirer de tout cela ? Selon nous, il faut dire clairement que la révolution sera nécessairement une guerre civile entre les travailleurs et la bourgeoisie, et il faut par conséquent y préparer correctement les travailleurs pour leur assurer la victoire.

« Démocratisation radicale »… ou révolution prolétarienne ?

De façon cohérente, vous vous prononcez non pour la destruction de l’État bourgeois, mais pour sa « réforme radicale ». Vous écrivez notamment : « Les institutions qui selon la Constitution et les lois servent à protéger le peuple – police, justice, système pénitentiaire et pouvoir politique – sont infestées de mafieux et de corrompus. La corruption policière est avalisée par le pouvoir judiciaire qui est lui-même protégé par le pouvoir politique. Si nous voulons un minimum de sécurité, il faut démanteler toute cette structure. Il est fondamental de démocratiser les forces policières et en particulier l’armée, avec le droit de la troupe à la libre organisation politique et à élire ses commandants ; avec le droit à la promotion, sans limitations pour les officiers subalternes » (nous soulignons). Il n’y a rien à objecter à ces revendications en tant que telles, si elles ont subordonnées à l’objectif stratégique de la prise du pouvoir par le prolétariat. Mais c’est semer des illusions de faire croire qu’elles pourraient être réellement satisfaites dans le cadre de l’État bourgeois. Or vous ne dites nulle part l’essentiel : il ne peut y avoir de police et d’armée au service du peuple tant qu’elles seront des instruments de l’État bourgeois, fût-il « démocratique ». En conséquence, vous ne tracez nulle part l’objectif de l’armement des travailleurs et du peuple tout entier, organisés dans leurs conseils.

Vous croyez et faites croire également qu’il pourrait ne plus y avoir de corruption dans le cadre du système politique bourgeois. Vous constatez à juste titre qu’« il y a différentes sources de corruption. Les privatisations, le laxisme du contrôle des flux de capitaux, qui encouragent et facilitent les commissions illégales et le blanchiment de l’argent du crime ». Mais que proposez-vous ? « Nous sommes pour que les scandales de corruption et de prévarication fassent l’objet d’enquêtes et soient sanctionnés, pour la mise en place de commissions d’enquête parlementaires et indépendantes. » Autrement dit, vous proposez de lutter contre le système de corruption organisé, et en particulier contre les parlementaires corrompus, au moyen même d’un des rouages de ce système et d’une partie de ceux qui en bénéficient ! N’est-ce pas renforcer les illusions des travailleurs à l’égard des mécanismes de la démocratie parlementaire bourgeoise, au lieu de leur apprendre à s’en défier en démasquant qu’il s’agit et ne peut s’agir que d’une « démocratie pour les riches » ? Le scandale de la corruption qui a éclaboussé récemment le sommet du PT et provoqué une crise en son sein confirme à quel point c’est le système politique lui-même qui est pourri, et non seulement certains des hommes ou des partis qui en font partie.

Votre orientation sur la question de l’État est donc clairement réformiste. Tirant les conséquences de l’expérience de la Commune de Paris, Marx écrit dans La Guerre civile en France : « La classe ouvrière ne peut pas simplement prendre possession telle quelle de la machine de l’État ni la mettre en marche pour ses propres objectifs. » Il explique également, dans sa lettre à Kugelman du 12 avril 1871 : « Si tu relis le dernier chapitre de mon 18 Brumaire, tu verras que j’y exprime l’idée suivante : la prochaine tentative révolutionnaire en France ne devra pas, comme cela s’est produit jusqu’ici, faire changer l’appareil bureaucratico-militaire de mains, mais le briser. » La révolution du prolétariat se distinguera de toutes les révolutions passées en ce que l’État nouveau qu’elle construira ne sera déjà plus, dès le début, qu’un « demi-État » (Lénine), c’est-à-dire non celui d’une petite minorité d’exploiteurs, mais de l’immense majorité.

Quelques problèmes de votre pratique politique

Mais ce n’est pas seulement votre programme qui pose un certain nombre de problème : ce sont également vos actes politiques.

Sur votre indulgence à l’égard de Démocratie socialiste et de Rossetto

Vous écrivez dans l’introduction de votre programme : « Notre base programmatique ne peut être fondée que sur un principe : la défense de l’indépendance politique des travailleurs et des exclus. Le parti que nous sommes en train de créer n’aura pas pour but de préconiser la collaboration de classes. (…) C’est pourquoi notre parti rejette les gouvernements communs avec la classe dominante. » Ce passage est tout à fait juste et extrêmement précieux pour la classe ouvrière internationale. Cependant, dans la pratique, le PSoL refuse de mener une campagne de dénonciation contre un membre important du gouvernement de Lula, Miguel Rossetto, qui est membre de Démocratie socialiste, courant politique dont la majorité est restée dans le PT et soutient le gouvernement. Certes, on peut comprendre que certains des dirigeants et militants du PSoL qui ont été pendant des années membres de Démocratie socialiste (Héloisa Helena, Joao Machado…) aient décidé d’y rester après leur rupture avec le PT, tout en construisant le nouveau parti. Mais cela ne saurait être acceptable que pour des raisons purement tactiques, c’est-à-dire à condition de mener à l’intérieur de DS un combat acharné contre Rossetto et les autres dirigeants qui soutiennent Lula, un combat dont le seul but soit de convaincre les militants encore hésitants de rompre avec le PT et de rejoindre le PSoL. Or, dans la pratique, on constate que ces mêmes dirigeants très en vue du PSoL qui viennent de DS sont pour le moins silencieux ou timorés en ce qui concerne la dénonciation, pourtant urgente et décisive, de ce courant dirigé par des collaborationnistes pourris de Lula. Cette attitude est d’ailleurs en contradiction avec le programme du PSoL, où il est dit à juste titre que, « pour impulser tant les luttes actuelles que la construction d’une stratégie socialiste, il est essentiel de combattre les directions opportunistes qui collaborent avec la classe dominante et se subordonnent à ses intérêts ».

Vous soutenez des candidats de partis participant au gouvernement Lula… mais pas ceux du PSTU !

Les élections municipales d’octobre 2004 ont fourni une occasion pour tester à grande échelle votre orientation. L’Exécutif National du PSoL a pris une résolution fixant les critères qu’un candidat devait remplir pour être soutenu par votre parti. Ces critères sont les suivants : 1) liens avec les mouvements représentatifs  et les luttes populaires et sociales ; 2) critique publique du gouvernement Lula ; 3) appui démocratique à la légalisation du PSoL. Ces critères sont insuffisants : le premier implique qu’il n’y a aucune exigence sérieuse en ce qui concerne le programme de ces candidats. Le second signifie que le soutien à des candidats de partis au pouvoir, comme le PT, le PPS ou le PcdoB, peut être toléré, du moment qu’ils sont « critiques » à l’égard du gouvernement Lula, ce qui est le cas de bien des membres et dirigeants de ces trois partis. Quant au troisième, il vise clairement à interdire tout soutien aux candidats du PSTU, dans une logique de vengeance tout aussi inadmissible que le refus inadmissible de ce parti d’appuyer votre légalisation (2). Dans la pratique, cela a permis par exemple à la principale figure de votre parti, Heloisa Helena, d’appeler à voter pour Regis Cavalcante, candidat du PPS, parti qui participe au gouvernement d’Alagoas, et pour Jandira Feghali, candidat du PcdoB, qui participe au gouvernement de Rio de Janeiro. Que peuvent y comprendre les travailleurs ? D’un côté vous combattez les réformes du gouvernement, de l’autre vous appelez à voter pour des représentants de partis qui les appliquent ! D’un côté, vous appelez à voter pour des représentants de partis qui participent au gouvernement, de l’autre vous refusez de soutenir (même de façon critique) les candidatures d’un parti ouvrier qui est sans doute sectaire à votre égard et a bien d’autres défauts, mais qui, comme vous, dénonce et combat clairement le gouvernement !

Construction d’un parti centriste…
ou d’un parti révolutionnaire ?

Mais la question de l’attitude du PSoL à l’égard des autres forces et militants politiques qui se réclament de la classe ouvrière se pose de manière plus générale. Tout d’abord, le PSoL s’est constitué rapidement, à côté du PSTU (et d’une myriade de petits groupes se réclament du socialisme, notamment du trotskysme), sans que tous les efforts aient été faits d’un côté comme de l’autre pour l’ouverture d’une véritable discussion de fond — et c’est le moins qu’on puisse dire. En d’autres termes, les intérêts d’appareils ont été plus forts que la volonté de nombreux militants espérant une discussion générale qui aurait pu poser les bases d’une nouvelle organisation intégrant les apports de tous les courants situés à la gauche du PT. Si le PSTU s’est montré sectaire et a clairement affiché sa volonté d’hégémonie, les courants fondateurs du PSoL ont préféré de leur côté se mettre d’accord entre eux pour un nouveau parti plutôt que d’appeler les militants de base de tous les bords à prendre en main eux-mêmes la question du nouveau parti, y compris en faisant toute la pression nécessaire sur la direction du PSTU. Un processus généralisé de discussion et de refondation était pourtant sans doute possible, qui aurait permis à des milliers de militants de débattre, de confronter leurs positions et d’élaborer ensemble un programme révolutionnaire. Nous ne disons pas que c’était facile, mais nous croyons pouvoir estimer que c’était souhaitable, et par conséquent possible avec une volonté politique réellement révolutionnaire, c’est-à-dire en s’élevant au-dessus des intérêts d’appareils.

En revanche, le PSoL, à l’image du « PT des origines », accepte d’accueillir des « chrétiens de gauche » emmenés par l’ancien dirigeant du courant APS du PT, Plinio Arrudia Sampaio, qui n’ont rien de révolutionnaire, et toute une série de dirigeants qui ont soutenu le gouvernement Lula jusqu’à une date récente, voire voté certaines des contre-réformes. Or toute la question est de savoir si vous voulez construire un parti révolutionnaire ou un parti centriste. Dans le second cas, vous seriez condamnés à reproduire l’expérience du PT, c’est-à-dire à dégénérer en parti réformiste à plus ou moins long terme. Dans la première hypothèse, le combat pour gagner des militants du PT doit se faire dans la perspective claire d’une lutte intransigeante contre le gouvernement Lula et le PT embourgeoisé, pour le véritable socialisme.

Le PSoL à la croisée des chemins

En menant le combat contre la réformes des retraites, en fondant un nouveau parti ouvrier après votre exclusion du PT, vous avez choisi le bon camp, celui des travailleurs et du peuple, contre Lula et la clique de bureaucrates traîtres et largement corrompus qui dirigent le PT. Aujourd’hui, vous vous trouvez à la croisée des chemins : votre nouveau parti hésite entre réforme et révolution, et penche par conséquent plutôt du côté de la réforme que de la révolution. Or une situation pré-révolutionnaire tend à se développer dans nombre de pays d’Amérique Latine, sans que les travailleurs disposent d’un parti révolutionnaire qui leur permette de vaincre. Cette situation conduit à la mise en place d’un bonapartisme sui generis au Venezuela autour de la personne de Chavez ou à la victoire du parti petit-bourgeois de Morales en Bolivie, qui organisent la canalisation des masses dans le cadre du capitalisme et de l’État bourgeois, au prix de quelques réformes.

Étant donné la place décisive du Brésil sur ce continent et vu l’importance des forces militantes existantes qui se revendiquent du combat pour l’auto-émancipation socialiste des travailleurs, votre orientation sera d’un grand poids dans le développement de la lutte de classe sur tout le continent. Votre responsabilité est immense : vous devez, à notre avis, proposer aux masses un véritable programme de rupture avec le capitalisme et l’État bourgeois, et proposer aux autres forces qui combattent contre Lula un front unique pour porter et réaliser ce programme. Vous devez tracer la perspective révolutionnaire des États-Unis socialistes d’Amérique Latine, et non celle, réformiste, d’une vague « fédération des Républiques d’Amérique Latine », à laquelle s’en tient votre programme. Ce n’est pas seulement une question seulement brésilienne. Ce n’est pas seulement une question latino-américaine. C’est une question qui intéresse le prolétariat et les opprimés du monde entier.

En espérant pouvoir mener avec vous un débat internationaliste fructueux pour la cause du prolétariat et de tous les opprimés, et avec nos salutations ouvrières révolutionnaires,

Antoni Mivani,
pour le Groupe CRI (France). »


1) Cf. Le CRI des travailleurs n° 1 (février 2003), n° 3 (avril 2003) et n° 8 (octobre 2003).

2) L’attitude du PSTU est non seulement extrêmement sectaire, mais scandaleuse, un parti révolutionnaire ne peut en aucun cas cautionner le système anti-démocratique visant à limiter l’expression des partis politiques (donc avant tout des partis ouvriers) en imposant toute une série de conditions drastiques à leur légalisation. Cependant, cette attitude du PSTU à l’égard du PSoL ne saurait justifier la vôtre à son égard : vos deux partis se sont comportés en l’occurrence non pas en fonction des intérêts supérieurs de la classe dont ils se réclament, mais en fonction de leurs rivalités d’appareils, ce qui est inadmissible.


Le CRI des Travailleurs n°21     << Article précédent | Article suivant >>