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Les horreurs du colonialisme français ...
et ses suppôts PS et PCF


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :18 janvier 2006
Mot(s)-clé(s) :histoire, PS, PCF
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Une loi honteuse a conduit la bourgeoisie française, ces derniers temps, à faire une incursion timorée dans le passé colonial de la France. L’article 4 de la loi du 23 février 2005 exige en effet que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Huit mois après ce vote, à propos duquel Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, a déclaré : « Nous avons manqué de vigilance »…, le PS, en la personne de Dominique Strauss-Kahn, a déposé une proposition de loi demandant le retrait de cet article. Le PS s’était bien gardé, durant ces huit mois, de mobiliser contre ce texte, contrairement à un groupe d’historiens qui avaient immédiatement réagi en lançant une pétition exigeant son abrogation. Mais, en novembre, il s’agissait de toute évidence, pour la « gauche », de se refaire une virginité après la révolte des jeunes de banlieue qui a manifesté de manière éclatante le rejet de cette société qui ne leur offre aucun avenir. Facile ! Pour le PS, demander l’abrogation de cet article ignominieux ne coûte rien ou pas grand-chose, tout au plus quelques voix de « rapatriés » parmi les plus réactionnaires. Ceux-là comptent, cependant, pour certains dirigeants dits « socialistes », comme Georges Frêche : « Ici, à Montpellier, c’est eux qui font les élections », a expliqué le président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon, qui a, avec impertinence mais non sans pertinence, traité ses amis de « gugusses du PS qui font une opération politicienne ». Il a aussi assuré qu’il était « juste de reconnaître le rôle positif de la France en Algérie ».

Mais que les dirigeants socialistes récusent le terme de « rôle positif » ou qu’ils le reprennent à leur compte, eux et leurs compères du PCF ne sauraient faire oublier la complicité directe de ces deux partis dans les atroces méfaits du colonialisme français. D’autant moins que les actuels dirigeants PS et PCF, qui voudraient se draper dans les habits de la vertu anticolonialiste, cautionnent en fait le néocolonialisme pratiqué aujourd’hui par les gouvernements de droite… et de gauche. Car ces gouvernements sont tous à la botte de la bourgeoisie française ; or l’exploitation des ex-colonies joue, aujourd’hui comme hier, un  rôle éminemment « positif »… pour ses profits.

« Rôle positif de la présence française outre-mer » ? Retour sur quelques horreurs du colonialisme français

Massacres et barbarie de la conquête

La « présence française outre-mer », c’est d’abord la conquête. Une conquête d’une barbarie inouïe, où la « France des droits de l’homme » a atteint des sommets dans l’immonde, le plus souvent au nom de « la civilisation ». La conquête de l’Algérie, à partir de 1830, est menée au moyen de pillages et de viols, de razzia et autres destructions systématiques pour contraindre les tribus à la soumission. Une cruauté à peine imaginable. Un officier, le colonel de Montagnac, décrit ces méthodes en 1843 : « Il faut anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens. » En 1845, le général Pélissier enfume un millier d’Arabes dans une grotte de Dahra (1). Quant aux « gens qui n’étaient pas massacrés », ils « mouraient de faim, de malnutrition et de maladies » (2).

Il en va de même pour la conquête de l’Indochine, dans les années 1880 : exécutions capitales, villages brûlés et rasés, civils massacrés y accompagnent l’installation des colons français… Des soldats, à l’époque, témoignent de ces atrocités : « En passant dans les villages, nous avions le droit de tout tuer et piller lorsque les habitants ne voulaient pas se soumettre. Aussi nous n’avons pas manqué de poulets et de cochons… Nous partons le soir vers dix et onze heures, nous allons dans les villages et nous surprenons les habitants au lit. Nous tuons tout, hommes, femmes, enfants, à coups de crosse de fusil et à la baïonnette, c’est un vrai massacre. » (3) En juillet 1885, les troupes françaises font l’assaut de la citadelle de Hué, dans le centre du Vietnam ; elles incendient, pillent et massacrent : « Les palais, les archives, la bibliothèque, tout un héritage culturel précieux, furent réduits en cendres. » (4) La colonisation engendre dans la péninsule indochinoise une véritable catastrophe démographique. Les massacres liés aux guerres de conquête et les maladies apportées par les colons et leurs armées détruisent un tiers de la population, parfois davantage en Afrique noire.

Spoliation et néo-esclavagisme

Après la conquête, « la présence française outre-mer », c’est d’abord, pour les peuples colonisés, la spoliation et le travail forcé. Les peuples colonisés sont victimes du vol de leurs biens, lorsque les colons s’accaparent les meilleures terres. En Algérie notamment, cette dépossession foncière engendre une « paupérisation profonde du monde rural » (5), qu’accompagne une dégradation de l’habitat. Si « rôle positif » il y a, ce ne peut être que pour la bourgeoisie impérialiste française qui y engrange de faramineux bénéfices, avec des taux de profits particulièrement élevés, bien supérieurs à ceux des entreprises exerçant leur activité en métropole ou à l’étranger : vers 1913, ces taux atteignent 30 % pour la Compagnie des phosphates et chemins de fer de Gafsa, 35 % pour les Charbonnages du Tonkin, 39 % pour les chemins de fer de Dakar à Saint-Louis, 50,8 % pour les Distilleries d’Indochine et 56,5 % pour la Banque de l’Indochine (6). L’exploitation des ressources et, pour y aider, la construction de chemins de fer, n’y servent que les intérêts des capitalistes colonisateurs. Mais pas ceux des colonisés, qui subissent une effroyable exploitation. 130 000 Africains sont réquisitionnés pour construire la ligne de chemin de fer Congo-Océan et plusieurs dizaines de milliers y périssent. De rares textes dénoncent alors ces conditions de travail meurtrières : « Dans un coin de cette forêt, entre Pointe-Noire et Brazzaville, au Mayumbe, […] cinquante mille Noirs ont payé de leur vie l’inutile établissement d’une petite ligne de chemin de fer qui pouvait passer ailleurs, mais qui, de cette façon, a rapporté trois milliards à des entrepreneurs que la justice veut ignorer. » (7) Les conditions de travail sont également fort proches de l’esclavage pour les « coolies » indochinois, battus à mort parfois par leurs contremaîtres, dans les plantations d’hévéas notamment, au profit du capitaliste Michelin. En de nombreux endroits, le travail forcé est généralisé, notamment dans ces villages du Sénégal, de Guinée ou de Côte d’Ivoire où l’on trouve, en 1913 encore, des esclaves rachetés à des trafiquants africains et contraints de travailler dans des camps (8). Au début du XXe siècle, sur les quelque huit millions d’habitants que compte l’Afrique occidentale française (AOF), deux millions sont des « non libres » ; ils travaillent comme porteurs ou comme manœuvres sur les chantiers de construction de chemin de fer, tandis que d’autres sont enrôlés comme tirailleurs. En Afrique équatoriale française (AEF), le recours au travail forcé est encore plus massif. Sous la IVe République, une loi est adoptée (le 11 avril 1946) assurant que « le travail forcé est interdit de façon absolue dans les territoires d’outre-mer » : c’est dire s’il avait perduré jusque-là. Mais de vrai travail avec des salaires dignes, il n’y en a point, ou peu, pour les colonisés. À la veille de la guerre d’indépendance, l’industrialisation n’a créé que 15 000 emplois pour les Algériens. Le chômage en Algérie est évalué, en 1954, à 25 % de la population masculine en âge de travailler (9). À part une oligarchie foncière, les trois quarts des Algériens n’ont pas un niveau de vie décent. Moins de 13 % des enfants ont accès à l’école publique.

Chair à canon et zoos humains

Pour le colon, la vie d’un indigène ne vaut que par le profit qu’il rapporte. Paru en 1887, un récit d’aventures exotiques indique, en guise de légende associée à une gravure qui montre des Blancs massacrant des Africains : « Ils tirent habituellement sur les indigènes pour nourrir leurs chiens. » (10) Or, les « verdicts de race » sont monnaie courante aux colonies : les colons coupables de meurtre contre des colonisés sont condamnés à de la prison avec sursis ou doivent verser un « dédommagement » dérisoire. Les colonisés sont surtout bons à servir de chair à exploitation, ou de chair à canon lorsque la France est engagée dans un conflit impérialiste. Pendant la Première Guerre mondiale, 600 000 soldats et travailleurs coloniaux sont enrôlés dans cette guerre : cela représente, pour ces territoires peu peuplés à l’époque, une gigantesque ponction. De véritables chasses à l’homme sont menées pour recruter des soldats et les révoltes, celles des peuples d’Indochine ou de Volta en 1915, par exemple, sont impitoyablement matées. 81 000 soldats coloniaux, enrôlés dans les troupes d’assaut et envoyés en première ligne, périssent sur les champs de bataille de la bourgeoisie impérialiste. Clemenceau déclare alors au sujet des « indigènes » : « Je leur ai dit qu’ils étaient en train de se libérer eux-mêmes en venant se battre avec nous, que nous devenions fils de la même civilisation. »

La République française « une et indivisible » se gargarise alors d’universalisme et d’humanisme, mais pratique dans les faits un racisme poussé à un point tel que l’humiliation devient une « attraction ». Des années 1880 aux années 1930, c’est-à-dire au cœur de la Troisième République, elle invente de véritables zoos humains, « spectacles exotiques » qui encagent des Dahoméens au Jardin d’acclimatation de Paris et des « Zoulous » aux Folies-Bergères (11). Lors de l’Exposition universelle, en 1889, sont « reconstitués » au pied de la tour Eiffel des « villages nègres » et des « villages canaques », dont on force les occupants à rester enfermés à moitié nus. Lorsque la République célèbre, en 1930, le centenaire de la prise d’Alger, elle présente des Algériens déguisés en « tribus vaincues » dans les costumes de 1830. Lors de l’Exposition coloniale, l’année suivante, des Canaques de Nouvelle-Calédonie, francophones et alphabétisés, sont exhibés comme des cannibales, « contraints de poser à moitié nus et maquillés en guerriers » (12).

Les révoltes écrasées dans le sang

Une répression sanglante frappe toute tentative d’insurrection et de révolte populaire. En 1931, dans la garnison de Yen Bay, en Indochine, lorsque les tirailleurs se soulèvent à l’initiative du Parti révolutionnaire national, la répression est féroce : 3 000 morts. Au même moment, en 1930-1931, le soulèvement paysan généralisé à l’ensemble du Vietnam est lui aussi écrasé dans le sang ; le nombre de victimes n’en est pas connu, mais on sait que le commandement a reçu l’ordre de « réprimer, tuer, faire le moins de prisonniers possible » (13). La répression de l’insurrection en Cochinchine, en 1940-1941, fait elle aussi plusieurs milliers de morts. Le 8 mai 1945, des milliers de manifestants nationalistes (protestant contre la déportation du dirigeant nationaliste Messali Hadj dans l’extrême Sud du pays, puis au Gabon), sont abattus par l’armée française à Sétif et à Guelma en Algérie : expéditions punitives, ratissages, répression atroce pendant plusieurs semaines. En outre, l’armée française enlève et abat systématiquement les bestiaux pour affamer les villageois réfugiés dans les montagnes. « Certains douars, après le retour de leurs habitants, resteront sans ravitaillement pendant une assez longue période. » (14) À la même date, une révolte (moins connue) est elle aussi violemment réprimée à Douala au Cameroun. En novembre 1946, le bombardement du port de Haiphong fait 6 000 morts vietnamiens. En mars 1947, plusieurs milliers de Malgaches insurgés — entre 11 000 et 80 000 selon les estimations — sont massacrés. « La riposte coloniale se déploie sur deux plans que l’on pourrait appeler l’atrocité policière en ville, d’une part, et l’atrocité militaire à la campagne, d’autre part. » (15) L’armée française torture, brûle et pille des villages, exécute sans jugement, largue des prisonniers depuis des avions, pour terroriser les populations des villages sur lesquels ces corps sont jetés. C’est bel et bien là une « terreur d’État », pratiquée directement par les gouvernements de la République française.

PS et PCF, suppôts du colonialisme français d’hier… et d’aujourd’hui

Mais au fait, qui siège à l’époque dans ces gouvernements ? Des dirigeants socialistes et communistes ! Jusqu’en mai 1947, les gouvernements sont « tripartites » : « socialistes », « communistes » et membres du MRP. Les massacres en Algérie, en Indochine, au Cameroun et à Madagascar qui viennent d’être évoqués ont tous lieu sous l’autorité de gouvernements où participent la SFIO (PS) et le PCF, sous la présidence du « socialiste » Vincent Auriol !

Le PS (SFIO) a toujours soutenu la colonisation et la politique coloniale de l’impérialisme français

Comment expliquer pareilles avanies de la part de partis qui se réclament de la classe ouvrière et du socialisme ? Pour le comprendre, il faut rappeler que la social-démocratie classique a toujours considéré que les « Lumières » pouvaient être apportées par les « civilisations supérieures » aux « inférieures ». C’est cette conviction qui fait dire à Jaurès lui-même, lors d’une conférence à l’Alliance française en 1884 : « Quand nous prenons possession d’un pays, nous devons amener avec nous la gloire de la France, et soyez sûrs qu’on lui fera bon accueil, car elle est pure autant que grande […]. Là où la France est établie, on l’aime, là où elle ne fait que passer, on la regrette ; partout où sa lumière resplendit, elle est bienfaisante ; là où elle ne brille plus, elle a laissé derrière elle un long et doux crépuscule où les regards et les cœurs restent attachés. » (16) Quatorze ans plus tard, Jaurès persiste et signe, en assurant encore : « Si quelques fous songeaient à dépouiller la France de son domaine colonial, toutes les énergies françaises et toutes les consciences droites dans le monde se révolteraient contre pareille tentative. » (17) Léon Blum s’inscrit parfaitement dans cette continuité lorsqu’il affirme, dans une déclaration à la Chambre des députés en 1925 : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. » (18)

Cela explique que les socialistes, une fois parvenus au pouvoir, assument complètement la politique coloniale française. En 1936, le Front populaire auquel participent la SFIO et le PCF propose tout au plus, dans son programme, une « commission d’enquête parlementaire sur la situation politique, économique et morale dans les territoires français d’outre-mer ». La seule avancée réalisée par le gouvernement du Front populaire est l’amnistie partielle de nationalistes croupissant dans les geôles françaises. Blum se risque aussi à un projet timoré et minimaliste à propos de l’Algérie, connu sous le nom de « projet Blum-Viollette » (Maurice Viollette est un député libéral) : il s’agit d’accorder la citoyenneté française à 25 000 Algériens, anciens gradés, soldats décorés, diplômés, fonctionnaires, élus et responsables syndicaux (19). En fait, devant la pression de la droite, Blum retire le projet. Plus tard, en 1947, le statut proposé pour l’Algérie par le « socialiste » Édouard Depreux (futur fondateur du PSU) et voté par les « socialistes » (sans susciter l’opposition des « communistes », qui se contentent de s’abstenir) entérine l’inégalité fondamentale entre colons et colonisés : deux collèges électoraux sont créés, le premier comprenant les « citoyens français de plein droit » et 58 000 « citoyens de statut local » parmi les « musulmans », le second réunissant 1 300 000 « musulmans » qui élisent une Assemblée algérienne. La voix d’un Européen vaut ainsi huit voix d’Algériens.

Et c’est toujours, officiellement, pour continuer à répandre les bienfaits de « civilisation » française en Algérie que le gouvernement du « socialiste » Guy Mollet se fait accorder tous pouvoirs (les fameux « pouvoirs spéciaux ») afin de prendre « toute mesure exceptionnelle en vue du rétablissement de l’ordre en Algérie ». Ce gouvernement envoie 400 000 jeunes du contingent et couvre les regroupements forcés de villageois et la torture pratiquée par l’armée française. Cette manière de mener la guerre en Algérie est parfaitement assumée par le président du Conseil « socialiste » : il rappelle à ses ministres, en novembre 1956, que « tout le monde est dans la même charrette. [Il n’y a] pas de politique Robert Lacoste [alors ministre résidant en Algérie]. Il s’agit d’une politique gouvernementale. » (20) Mitterrand, s’il n’est pas encore membre du PS, est Garde des Sceaux de ce gouvernement Mollet, après avoir été ministre de l’Intérieur des précédents (21).

Le PCF stalinisé s’est vite rallié à la politique coloniale

Contre la politique de la SFIO, le parti communiste avait été fondé, en 1920, sur des bases révolutionnaires et anticolonialistes, dans le sillage de la révolution d’Octobre. La huitième des vingt et une conditions d’admission dans l’Internationale communiste, adoptées par le congrès de Tours en décembre 1920, est sans ambiguïtés : « Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou oppriment des nations doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de “ses” impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux. » Suivant cette orientation, le jeune parti communiste s’engage fortement, au début des années 1920, dans le combat contre les opérations coloniales françaises, en particulier contre la guerre du Rif, au Maroc, en 1923.

Mais la soumission du parti communiste aux intérêts de la bureaucratie soviétique en voie de constitution sous la direction de Staline conduit à son abandon de l’anticolonialisme, comme de toute orientation réellement révolutionnaire. C’est au moment de la constitution du Front populaire que ce retournement traître se révèle dans toute son horreur : comme en bien d’autres domaines, et sur ordre de Staline, la lutte de classe est abandonnée en faveur d’une alliance nationale. « La France » doit désormais être défendue en tant que telle et son Empire colonial doit être protégé. Dès 1935, les députés du PCF votent au Parlement les crédits militaires du gouvernement Laval — donc en particulier les crédits des opérations coloniales —, contrairement à ce qu’ils avaient toujours fait depuis 1920. Le parti communiste, appelé jusqu’à présent Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC) devient Parti communiste français et même bien français. Il reprend le drapeau tricolore nationaliste comme emblème à côté du drapeau rouge, et La Marseillaise comme hymne ajouté à L’Internationale.

En mai 1945, les dirigeants du PCF, pour justifier la répression des manifestations nationalistes de Sétif et Guelma par le gouvernement tripartite auquel ils participent, les présentent comme un complot fasciste (22). L’Humanité invente de toutes pièces, le 12 mai, un complot de fonctionnaires de Vichy comme cause du soulèvement. Un mois plus tard a lieu le Congrès du PCF. Le représentant du Parti communiste algérien, Caballero, y affirme : « Ceux qui réclament l’indépendance de l’Algérie sont des agents conscients ou inconscients d’un autre impérialisme. Nous ne voulons pas changer un cheval borgne pour un cheval aveugle. » Et les congressistes applaudissent. Maurice Thorez affirme alors que les populations d’Afrique du Nord « savent que leur intérêt est dans l’union avec le peuple de France » (23). À la fin des années 1940, le parti communiste condamne « la pseudo-indépendance qui ne pourrait que renforcer l’impérialisme américain » (24). Après les dizaines de milliers de victimes de Madagascar, en 1947, le dirigeant communiste Georges Cogniot, dans L’Humanité, continue de vouloir sauver l’Union française (nouveau nom de l’Empire colonial) (25). Pendant toute la durée du conflit algérien, le PCF réclame la « paix en Algérie » ou encore le « règlement pacifique de la question algérienne », passant sous le boisseau la revendication primordiale de l’indépendance. En fait, les députés communistes votent en 1956 les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Mollet, Mendès-France et Mitterrand. La direction du PCF condamne les jeunes du contingent qui désertent et exclut ses propres membres déserteurs.

PS et PCF soutiennent toujours le néocolonialisme français

Dès 1966, Mitterrand propose au Parlement une loi pour la « réintégration de plein droit dans les fonctions, emplois publics ou ministériels ainsi que les divers droits à pension » des membres de l’Organisation de l’armée secrète (OAS, groupe d’extrême droite dont les membres luttaient pour la préservation de « l’Algérie française »). En 1981, avant l’élection présidentielle, Mitterrand promet l’amnistie et la réhabilitation pour les membres de l’OAS et pour les généraux putschistes. Il s’agit de gagner des voix de rapatriés aux dépens de la droite : « Les associations de pieds-noirs, et en particulier Jacques Roseau, négocient avec le candidat socialiste à la présidentielle de 1981, François Mitterrand : en échange d’une promesse d’amnistie totale, il semble qu’elles aient décidé de demander aux rapatriés de voter pour lui. » (26) Le projet de loi accordant une amnistie générale est adopté le 23 novembre 1982, après que le gouvernement Mauroy eut engagé sa responsabilité sur cette question.

Dans les vingt-cinq dernières années, la politique néo-coloniale de la France a été dirigée de la même façon par la droite et par la « gauche », PCF inclus. Pour les uns comme pour les autres, il n’est pas question de toucher au « pré carré » que constituent les anciennes colonies de l’impérialisme français : il est source de juteux bénéfices. Le pillage des richesses de ces pays devenus « indépendants » se poursuit, sous la coupe d’entreprises comme Bouygues, Bolloré, et autres Total-Fina-Elf. Les réseaux de la Françafrique, si efficaces sous Mitterrand et son fils Jean-Christophe, dit « Papamadi », autour de la cellule africaine de l’Élysée, ne souffrent pas de remise en cause. Mitterrand, comme ses prédécesseurs, a soutenu les pires dictateurs, du Zaïrois Mobutu Sese Seko au Gabonais Omar Bongo (27), en passant par le Rwandais Juvénal Habyarimana. En 1990, la France de Mitterrand a déployé un millier de soldats au bénéfice de ce dernier et a fourni des armes à ses troupes, les FAR. Or, à l’époque, ce régime menaçait en permanence la minorité tutsie (28), ce qui conduira, en 1994, au génocide. D’après certains témoins, la France aurait même continué à équiper les FAR « longtemps après le début du génocide » (29). Si elle n’a pas directement participé au génocide des Tutsis (un million de morts), elle a, au minimum, « soutenu des gens qui l’ont orchestré » (30).

Aujourd’hui comme hier, la France est la seule puissance anciennement colonisatrice à posséder des bases militaires en Afrique : en Côte-d’Ivoire, au Tchad, en Centrafrique, au Sénégal, au Gabon, à Djibouti, à Mayotte. Des conseillers militaires y assistent certaines armées, comme au Togo. Et les interventions militaires néo-coloniales s’y sont multipliées : en Guinée, au Tchad, au Gabon, en Côte-d’Ivoire. Un soutien sans faille a été accordé à Gbagbo par Jospin (Laurent Gbagbo est membre de l’ « Internationale socialiste », comme le PS français). Le PS et les autres forces « de gauche » soutiennent depuis le début les opérations militaires françaises en Côte d’Ivoire, notamment l’opération « Licorne ». La récente affaire « Firmin Mahé » ne semble bien être que la partie émergée d’un iceberg répressif, dont on a mesuré l’ampleur en novembre 2004, lorsque l’armée française a tiré à balles réelles sur des Ivoiriens manifestant contre sa présence, faisant plusieurs morts et des dizaines de blessés (31). Cela rappelle le temps, pas si lointain, des années 1950, où la Côte-d’Ivoire était déjà l’une des zones où la répression coloniale était la plus systématique.

Contre la « République française » de la bourgeoisie, contre les dirigeants du PS et du PCF qui la soutiennent quand ils ne la dirigent pas, les communistes révolutionnaires doivent être à l’avant-garde de la dénonciation et du combat non seulement contre le colonialisme français d’hier, mais contre celui d’aujourd’hui :

• Retrait immédiat et inconditionnel des troupes françaises de tous les pays où elles interviennent, avec ou sans la caution de l’ONU !

• Pas un sou, pas un hommes pour les opérations militaires !

• À bas la « dette » publique et privée par laquelle l’impérialisme français et ses gouvernements successifs étranglent les peuples !


1) Marc Ferro, « La conquête de l’Algérie », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme XVIe-XXIe siècle : de l’extermination à la repentance, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 492.

2) Catherine Coquery-Vidrovitch, « Évolution démographique de l’Afrique coloniale », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 558.

3) Ch. Fourniau, Annam Tonkin, 1885-1896, cité par Pierre Brocheux, « Le colonialisme français en Indochine », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 354.

4) Pierre Brocheux, « Le colonialisme français en Indochine », ibidem, p. 355.

5) Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, Le Seuil, 1982, p. 20.

6) Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984, [rééd. Le Seuil], p. 109-111.

7) M. Sauvage, Les Secrets de l’Afrique noire, Paris, Denoël, 1937.

8) Gilles Manceron, Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale, Paris, La Découverte, 2003, p. 205.

9) Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962, op. cit., p. 39.

10) Cité par Gilles Manceron, Marianne et les colonies, op. cit., p. 137.

11) Cf. Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, De l’indigène à l’immigré, Paris, Gallimard, 1998, p. 19.

12) Gilles Manceron, Marianne et les colonies, op. cit., p. 126.

13) Centre des Archives d’Outre-mer, Fonds Indochine, 1597, cité par Pierre Brocheux, « Le colonialisme français en Indochine », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 368 (note).

14) Yves Benot, Massacres coloniaux. 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte et Syros, 1994, 2001, p. 31.

15) Idem, p. 528.

16) Cité in Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, De l’indigène à l’immigré, op. cit., p. 103.

17) Cité in Gilles Manceron, Marianne et les colonies, op. cit., p. 226.

18) Cité ibidem, p. 235.

19) Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962, op. cit., p. 26.

20) Cité in Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, p. 82.

21) Ceux qui, au PS, ont encensé Mitterrand en commémorant le dixième anniversaire de sa mort ont soigneusement passé sous silence son action colonialiste (entre autres). Or Mitterrand n’a presque pas cessé d’être ministre sous la IVe République, en particulier pendant la guerre d’Algérie. En 1954, il interdit la manifestation du 14 juillet : chaque année, le 1er mai et le 14 juillet, des ouvriers algériens membres du MTLD (le Mouvement des travailleurs pour les libertés démocratiques) manifestaient aux côtés des ouvriers français ; le 14 juillet 1953, la police avait tué six manifestants, ouvriers algériens. Lorsque commence la guerre d’indépendance algérienne, en novembre 1954, Mitterrand utilise, le 5 puis le 7 novembre, des formules devenues célèbres : « La seule négociation, c’est la guerre » ; « l’Algérie c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne ». Garde des Sceaux, il signe en mars 1956 un décret qui dessaisit considérablement la justice civile au profit des tribunaux militaires, pour faciliter la répression sommaire. Malgré les premières révélations sur la torture pratiquée par l’armée française, Mitterrand reste jusqu’au bout dans le gouvernement Mollet.

22) Marc Ferro, « En Algérie : du colonialisme à la veille de l’insurrection », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 510.

23) Cité par Yves Benot, Massacres coloniaux, op. cit., p. 59.

24) Marc Ferro, « En Algérie : du colonialisme à la veille de l’insurrection », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 510.

25) Yves Benot, Massacres coloniaux, op. cit., p. 131.

26) Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Le Seuil, 2005, p. 31.

27) En mars 1990, Mitterrand soutient par exemple directement Bongo lorsque celui-ci instaure le couvre-feu contre un mouvement de grève et de révolte.

28) Colette Braeckman, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003, p. 220.

29) Patrick May, Le Monde, 13 janvier 2006.

30) Idem.

31) Cf. le tract du Groupe CRI du 12 novembre 2004, sur notre site http://groupecri.free.fr/tracts.php


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