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Le CRI des Travailleurs n°17     << Article précédent | Article suivant >>

Les lycéens effraient le gouvernement...
mais se heurtent aux appareils qui le protègent


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang, Sylvain, Anatole
Date :15 mars 2005
Mot(s)-clé(s) :lycéens, directions-syndicales, extrême-gauche
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Nul ne l’attendait, mais il s’est imposé en quelques jours comme un élément majeur de la situation sociale et politique générale, contribuant fortement à accélérer la fragilisation du gouvernement : sans aboutir encore, à l’heure où nous écrivons (début mars) à une explosion généralisée, le mouvement des lycéens s’est développé comme une traînée de poudre, touchant toutes les grandes villes du pays et de nombreuses villes moyennes (malgré des disparités assez marquées selon les régions).

Une impressionnante montée en puissance du mouvement

Elle a commencé par plusieurs manifestations parisiennes, réunissant d’abord quelques milliers de lycéens, qui avaient été convoquées et animées par les « syndicats » FIDL (Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne) et UNL (Union nationale des Lycéens) — deux organisations dirigées par des courants du PS — ainsi que par des organisations politiques comme les JC (Jeunesses communistes, liées au PCF) ou les JCR (Jeunes communistes révolutionnaires, liés à la LCR).

Mais la mobilisation s’est rapidement étendue à plusieurs dizaines d’établissements de la région parisienne et de l’académie bordelaise, aboutissant à des chiffres très importants (quoique loin encore de ceux enregistrés en 1998, 1991 ou 1986). Cela a été le cas en particulier lors des deux grandes journées de manifestations du 10 et surtout du 15 février — cette dernière rassemblant plus de 100 000 lycéens enthousiastes (60 000 selon la police), dont la moitié à Paris et le quart à Bordeaux ; même dans certaines villes où les lycéens étaient pourtant en vacances, comme à Lyon, on a compté plusieurs milliers de lycéens... Ensuite, les autres académies ont pris le relais de leurs camarades parisiens et bordelais : les lycéens à peine rentrés de vacances se sont lancés à leur tour par dizaines de milliers dans le mouvement, notamment lors des manifestations du 24 février et du 1er mars. Enfin, mardi 8 mars, de gigantesques manifestations ont eu lieu à travers tout le pays, rassemblant près de 200 000 personnes (165 000 selon la police) — même s’il faut déplorer que, en ce lendemain de rentrée, les cortèges de la région parisienne aient été trois fois moins nombreux qu’avant les vacances (9 000 selon la police), dans des conditions sur lesquelles nous allons revenir.

L’obstacle majeur des petits appareils : FIDL, UNL, JC…, couverts par la direction des JCR

Cependant, le problème majeur auquel se heurte la mobilisation lycéenne depuis qu’elle a atteint une ampleur de masse, c’est l’obstacle des petits appareils qui l’avaient initiée, mais qui essaient aujourd’hui à toute force de le canaliser pour éviter d’aller jusqu’au bout dans l’affrontement avec le gouvernement.

En fait, les « syndicats » lycéens, FIDL et UNL, ont mobilisé au départ (pour des raisons qui leur sont propres et qui tiennent vraisemblablement aux conflits internes au PS, en relation notamment avec la question du référendum) en mettant en avant l’objectif de « négociations » avec Fillon, et non pour le retrait pur et simple de sa loi. Ils ont notamment défendu de prétendues revendications comme l’instauration de « partiels » pour le bac, correspondant à leur propre orientation politique, et non aux intérêts et revendications des lycéens les plus conscients.

Une « coordination » s’est alors mise en place en région parisienne, à l’initiative de militants de l’UNL et de militants politiques (JC, JCR, anarchistes, etc.), rassemblant jusqu’à 300 lycéens le samedi 12 février. De son côté, la FIDL a essayé de saboter cette réunion (en s’appuyant sur le service d’ordre de ses amis de « SOS-racisme », appelés en renfort pour l’occasion, selon les bonnes vieilles méthodes !), mais l’UNL en tant que telle (qui est dirigée par la « gauche » du PS) a décidé de s’y raccrocher, tout en annonçant la suspension (provisoire, bien sûr !) de ses négociations avec le ministre Fillon…

Cette « coordination » de la région parisienne a adopté une plate-forme revendicative : retrait de la réforme Fillon ; égalité entre les lycéens et les lycées ; bac national et anonyme pour tous, contre le contrôle continu ; défense de l’enseignement technique et professionnel, maintien des filières ; non à la présence patronale dans les établissements ; non à la professionnalisation dès la 4e ; non aux stages dans l’enseignement secondaire ; maintien de toutes les options ; contre la présence policière dans et devant les établissements ; contre l’expulsion des lycées sans-papiers, union lycéens-enseignants… Et elle a décidé que la manifestation du 15 février se rendrait à l’Assemblée nationale, puisque ce jour-là était celui de la présentation par Fillon de sa loi devant les députés.

Cependant, aucune des forces politiques participant à la « coordination » de la région parisienne n’a posé concrètement la question de la méthode à suivre pour gagner : d’une part, les uns et les autres ont repris ou cautionné la tactique des « journées d’action », au lieu de défendre l’objectif de la grève générale comme seul moyen réellement efficace pour gagner contre le gouvernement ; d’autre part, sous prétexte de court-circuiter les chefs syndicaux, les lycéens présents à la « coordination », pour la plupart militants, se sont auto-proclamés « représentants » du mouvement, alors qu’ils n’avaient été élus par personne pour la quasi-totalité d’entre eux. Or il aurait fallu, tout au contraire, défendre la nécessité d’une construction démocratique du mouvement et de sa direction sur la base d’Assemblées générales d’établissements et de délégués élus dans chaque lycée, mandatés et révocables à tout moment. En effet, l’histoire des mobilisations du passé chez les lycéens montre qu’un mouvement ne reposant pas sur l’auto-organisation et la démocratie complète, dirigé par des gens qui ne représentent qu’eux-mêmes (sous prétexte qu’ils se croient « les plus motivés » !), ne peut aboutir qu’à la récupération politicienne et, finalement, à la défaite. C’est ainsi que, en mai-juin 2003, de telles « coordinations » auto-proclamées avaient été mises en place sous prétexte de contourner les appareils syndicaux, mais sans légitimité démocratique, donc sans base de masse, elles n’avaient en fait que permis d’empêcher le véritable combat des travailleurs eux-mêmes contre les bureaucrates (sur ce point, cf. Le CRI des travailleurs n° 5-6 de juin-juillet 2003)...

La manifestation du 15 février et la « coordination » parisienne

De fait, le vrai visage de la « coordination » de la région parisienne s’est révélé lorsque, dans la manifestation du 15 février, elle a refusé de prendre la tête des lycéens qui voulaient aller jusqu’à l’Assemblée nationale, après que la FIDL, l’UNEF, l’UNL et les JC (aidées par le service d’ordre de la CGT, de la FSU et de l’UNSA) eurent décidé d’arrêter la manifestation à Denfert-Rochereau. Précisons que cette capitulation de la « coordination » devant les bureaucrates qui agissaient ainsi en protecteurs du gouvernement a été couverte par les dirigeants des JCR, qui se sont d’ailleurs heurtés sur cette question à une partie de leur propre base militante.

Ensuite, lors de la réunion du soir, qui a rassemblé 200 personnes environ (des lycéens, mais aussi des étudiants, notamment de l’UNEF, de SUD et de la FSE), tout s’est passé comme si la plupart des forces politiques présentes avaient décidé sciemment d’organiser le désordre et la confusion les plus indescriptibles, faisant tout pour éviter que la discussion ne porte sur les questions brûlantes du mouvement, c’est-à-dire l’objectif de la grève et sa structuration démocratique à partir de la base. Par exemple, la tribune, relayée par l’UNEF et d’autres dans la salle, a voulu interdire à un étudiant de la FSE (Fédération syndicale étudiante) de s’exprimer sous prétexte qu’il était étudiant ! Ce comportement traduisait ainsi la volonté d’isoler les lycéens (sous prétexte d’autonomie !), alors même que Fillon et le gouvernement ne redoutent évidemment rien tant que l’agrégation des mécontentements, notamment la jonction des lycéens et des étudiants. Cependant, sur ce point, un vote a fort heureusement été imposé et, cette fois-là, la tribune a été battue — cet incident, ajouté à d’autres, entraînant néanmoins la fuite des quelques lycéens non militants qui étaient venus pour préparer les conditions de la victoire, non pour s’enfermer dans un panier de crabes bureaucratique.

En revanche, la tribune a réussi à empêcher que ne soit soumise au vote la proposition de militants de la FSE préconisant l’objectif de la grève illimitée jusqu’au retrait du projet Fillon et l’auto-organisation du mouvement sur la base d’Assemblées générales et de délégués élus et mandatés. Contre cette orientation, les animateurs de la « coordination » parisienne ont préconisé d’attendre la rentrée des vacances, tout en décidant un « sit-in » devant l’Assemblée nationale pour donner un os à ronger à une poignée de militants gauchistes particulièrement agités (lesquels se sont retrouvés finalement à moins de 200 le vendredi suivant non loin du Palais Bourbon)…

De leur côté, dès le lendemain de la grande manifestation du 15, la FIDL et l’UNL relançaient à travers tous les médias du pays leur demande de « négociations » avec le gouvernement, pour aboutir à « une autre réforme ». Par exemple, Constance Blanchard, présidente de l’UNL, dans une tribune adressée au journal Le Monde le 16 février 2005, écrivait : « Les lycéens se mobilisent pour défendre une autre conception de l’école, le maintien des travaux personnels encadrés (TPE), pour demander une réforme de l’éducation nationale » et même « une réforme globale », Fillon se voyant reprocher de faire passer non pas tant une contre-réforme destructrice « qu’une série de mesures comptables » !

Tout le problème est que, si la FIDL et la direction de l’UNL ont clairement montré leur volonté de « négocier » avec le gouvernement, la « coordination » de la région parisienne, quant à elle, n’a pas été capable de jouer quelque rôle progressiste que ce soit dans l’intérêt du mouvement, par la faute des organisations qui l’animent, mais qui n’ont pas voulu la construire comme une véritable alternative pour le combat.

La coordination nationale du 5 mars

Cependant, les manifestations se sont poursuivies après le 15 février dans les académies qui n’étaient plus en vacances, avec là encore des dizaines de milliers de manifestants. Or ce passage de relais avant même la nouvelle « journée d’action » convoquée par la FIDL et l’UNL pour le 8 mars, a montré la détermination des lycéens à ne pas se laisser mener en bateau par quiconque et a posé concrètement la question d’une nécessaire structuration nationale du mouvement.

Une « coordination nationale » s’est donc tenue le samedi 5 mars à Paris (Université de Jussieu), réunissant environ 200 lycéens. Selon son communiqué, le nombre d’établissements représenté est impressionnant : étaient présents des lycéens d’Annecy, Arras, Bellegarde, Blois, Bordeaux, Bourg en Bresse, Châlon en Champagne, Chalon sur Saône, Châteauroux, Clermont-Ferrand, Evreux, Grenoble, Hyères, La Rochelle, Lille, La Roche-sur-Yon, Lons, Louviers, Lyon, Macon, Mayotte, Marseille, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nîmes, Orléans, Perpignan, Reims, Rennes, Strasbourg, Toulon, Toulouse, Tours, Oise, Vierzon et de plus de quarante lycées de la région parisienne !

Par contre, l’énorme problème que pose là encore, cette « coordination nationale », c’est qu’elle n’était pas composée de délégués élus dans les lycées, mais majoritairement de militants — même s’il y avait également un certain nombre de lycéens non organisés, mais pas nécessairement élus pour autant dans la plupart des cas. C’est donc encore une fois le problème de la légitimité de cette « coordination nationale » qui est aujourd’hui posé. L’UNL, en particulier, était fortement présente, avec environ quatre-vingts militants : cette organisation garde deux fers au feu, demandant d’un côté une « vraie réforme » pour revenir dès que possible à la table de négociations avec le gouvernement, mais participant de l’autre à la construction... et au contrôle du mouvement. Les JC et JCR avaient également fait le plein de leurs forces.

Cependant, reflétant la pression et la puissance du mouvement lycéen qui se développe dans tout le pays, cette « coordination nationale » a été l’occasion d’une discussion qui a débouché sur une plate-forme assez radicale dans les revendications : « Nous demandons : le retrait intégral de la loi sur l’École ; le rétablissement immédiat des 90 000 postes supprimés depuis 2002 et un plan de recrutement ; le maintien de toutes les options et filières ; le maintien des TPE en terminale et de réels moyens pour les assurer ; la gratuité d’accès à toutes les filières, avec notamment la gratuité des trousseaux professionnels ; des pions, pas de flics dans les lycées. »

Puis le communiqué de la « coordination nationale » se poursuit dans les termes suivants : « C‘est par les grèves et les manifestations que nous ferons céder le gouvernement. Nous appelons donc les lycéens de toute la France à amplifier la mobilisation.

Nous appelons les lycéens à manifester le 8 mars dans toute la France.

Les revendications des enseignants et des personnels de l’éducation vont dans le même sens. Nous appelons à manifester avec eux et avec l’ensemble des salariés le 10 mars.

Nous appelons les lycéens à organiser dans chaque lycée des assemblées générales pour discuter des suites du mouvement, l’organiser, et élire des délégués pour une nouvelle coordination nationale le 12 mars 2005 à Paris.»

Comme on le voit, la coordination a adopté une orientation assez radicale en apparence (même si la revendication du maintien des TPE actuels, alors qu’ils donnent déjà lieu à un contrôle continu pour le bac, est extrêmement contestable). Cependant, le fait même d’avoir consacré la majeure partie de son temps à la discussion des revendications pose problème, dans la mesure où, plus d’un mois après le début du mouvement, c’est bien plutôt le débat sur les perspectives et les moyens pour gagner qui aurait dû être au centre de la réunion — comme l’avait d’ailleurs demandé un certain nombre de lycéens au moment de la discussion de l’ordre du jour. Mais le fait le plus marquant est que, dans ce communiqué de la « coordination nationale », sous la radicalité du propos (seule réponse possible, à ce stade, à la pression des lycéens) perce surtout le refus d’appeler clairement à la grève, c’est-à-dire la grève générale. C’est ainsi que l’évocation de « grèves et manifestations » au pluriel et l’appel à des « journées d’action » dispersées est directement opposée à la nécessité de la grève générale comme seul moyen de vaincre le gouvernement. D’ailleurs, les bureaucrates qui animaient la réunion sont allés jusqu’à refuser de soumettre au vote cette proposition de la grève générale à partir du 8 mars, prouvant ainsi leur refus d’en découdre réellement avec Fillon.

En dernière analyse, cette « coordination nationale », tenue trois jours avant les manifestations du 8 mars qui ont rassemblé plus de 200 000 lycéens, a marqué certes le début d’une structuration nationale du mouvement, mais elle a aussi signifié une canalisation de ce mouvement dans le cadre étroit d’une stratégie qui ne peut permettre de gagner, mais conduit au contraire tout droit à la défaite. Ce refus de décider l’appel à la grève générale jusqu’au retrait s’explique manifestement par la composition de cette coordination : c’est bien parce que sa légitimité est douteuse, parce qu’elle repose essentiellement sur des militants syndicaux et politiques dont la majorité est liée à la « gauche plurielle » (PS et PCF), que cette « coordination nationale » refuse d’appeler les lycéens à la grève générale.

La catastrophe de la manifestation parisienne du 8 mars, détruite par les voyous sous le regard de la police

Mais, là encore, comme le 15 février, c’est au moment de l’action que les organisations animant la « coordination » ont montré leur vrai visage. Lors de la manifestation du 15 février, elles avaient refusé de conduire le cortège jusqu’à l’Assemblée nationale, couvrant la FIDL et les bureaucrates des syndicats enseignants ; elles avaient participé à la dissolution du cortège en prétextant qu’il y avait de nombreux voyous et casseurs qui s’en prenaient aux manifestants (ils étaient d’ailleurs déjà intervenus dans les manifestations précédentes, notamment celle du jeudi 10 février).

Or, pour la journée d’action du 8 mars, non seulement il était prévu que la manifestation de la région parisienne n’aille toujours ni à l’Assemblée, ni au Sénat, ni au ministère de l’Éducation, ni à l’Élysée..., mais en outre les organisateurs n’ont mis en place aucun service d’ordre, à l’exception du carré de tête où se trouvaient les camions de la FIDL et de l’UNL. Pourtant, il était évident que les voyous et les casseurs, qui n’avaient déjà pas rencontré de résistance lors des précédentes manifestations, recommenceraient leurs attaques contre les manifestants !

La réalité a été bien pire que tout ce qu’on pouvait imaginer : c’est avec horreur et terreur que les lycéens ont assisté à des agressions répétées d’une violence extrême contre leurs propres camarades, des groupes organisés de plusieurs centaines de voyous s’attaquant aux manifestants pour les dépouiller ou même les frapper gratuitement. Des bandes très mobiles de plusieurs dizaines d’individus fondaient soudain sur leurs victimes, agissant par surprise, les frappant et les traînant à terre sous les yeux horrifiés et impuissants des lycéens livrés à eux-mêmes, sans la moindre organisation, sans le moindre service d’ordre, sans la moindre structuration des cortèges. Ces scènes se sont déroulées évidemment sous les yeux complaisants, voire ricanants, des CRS, qui ne sont pas intervenus davantage que les très nombreux policiers en civil, eux-mêmes très jeunes, qui s’étaient fondus parmi les lycéens et qui ont sorti leur brassard « police » à la fin de la manifestation pour procéder à quelques arrestations : les lycéens qui ont été témoins de ce comportement de la police auront au moins appris qu’elle n’a pas pour fonction de défendre les citoyens attaqués par des voyous, comme on voudrait nous le faire croire, mais de protéger l’État bourgeois (quand elle ne pratique pas les contrôles au faciès et le harcèlement des jeunes de banlieues).

Mais, dans cette situation, des cortèges entiers de lycéens se sont enfuis de la manifestation, avec d’ailleurs beaucoup de difficultés car les CRS des rues adjacentes les empêchaient de passer, comme pour les enfermer dans un véritable traquenard. C’est ainsi que la manifestation parisienne, déjà peu nombreuse au départ (trois fois moins nombreuse que celles du 10 et du 15 février), s’est réduite comme peau de chagrin au fur et à mesure qu’elle avançait. Les organisateurs ont alors décidé, en concertation avec la police, de la dissoudre à mi-parcours (après le pont d’Austerlitz alors qu’elle devait se rendre jusqu’à Denfert-Rochereau !).

La responsabilité centrale des organisateurs

Ces événements sont d’une gravité sans précédent. C’est la première fois depuis bien longtemps qu’une manifestation est non seulement troublée (ce qui n’est pas nouveau), mais purement et simplement détruite par des voyous (jeunes désocialisés du lumpenproletariat qu’engendre la société capitaliste). Lors des manifestations lycéennes des années 1990, il y avait certes eu déjà des bandes de casseurs, mais ils s’en prenaient alors aux magasins ou aux voitures, non aux manifestants. Cette fois, au contraire, il y a eu très peu de destructions de biens, ce sont les manifestants qui ont été agressés, pour un téléphone portable, un porte-monnaie ou même sans raison apparente.

On ne peut se prononcer avec exactitude sur le degré de manipulation de ces bandes organisées — qui comptaient plusieurs centaines de voyous alors que les manifestants ne se comptaient que par milliers —, mais il est clair que, en détruisant une manifestation par la violence, en s’attaquant aux jeunes scolarisés (travailleurs en formation) pour le plus grand bénéfice du gouvernement, elles ont joué le rôle qui, traditionnellement, revient au lumpenproletariat quand l’État bourgeois décide d’y avoir recours contre le mouvement ouvrier. Cette défaite du mouvement lycéen est d’une gravité qu’on ne saurait sous-estimer : la liquidation de la manifestation parisienne a une signification politique extrêmement forte et rend incertaine la suite du mouvement. À plus long terme, des milliers de jeunes manifestants qui, pour la plupart participaient depuis un mois à leur première mobilisation, sont traumatisés par ce qui s’est passé (il semble d’ailleurs que les violences du 15 février sont l’une des causes qui expliquent déjà la moindre importance de la manifestation du 8 mars, alors qu’au même moment les manifestations de province prenaient quant à elles une ampleur inégalée).

Or, encore une fois, ces attaques de voyous avaient déjà eu lieu les 10 et 15 février — même si le caractère systématique de celles du 8 mars représente un saut qualitatif évident. Que le gouvernement et la police trouvent leur intérêt dans ces événements, c’est une évidence. Mais comment expliquer que les organisateurs, liés aux partis de « gauche » et aux syndicats, n’aient prévu aucune mesure pour protéger la manifestation ? Où étaient les gros bras de la CGT, de FO, de la FSU, etc., qui savent si bien encadrer les manifestations de travailleurs quand il s’agit de protéger l’Assemblée nationale ou les ministères ? Où étaient les services d’ordre du PT, de LO et de la LCR, censés défendre les principes de la lutte de classe, mais incapables de venir défendre une manifestation contre des bandes de voyous ?

Il est clair que les lycéens les plus conscients n’en resteront par là. Quels que soient les résultats des prochaines manifestations en région parisienne, ils demanderont des comptes aux organisations du mouvement ouvrier qui les ont abandonnés, aux organisateurs de la manifestation (FIDL, UNL, UNEF, JC, « coordination », y compris les JCR...) qui ont lamentablement failli. Il est clair aussi que la question de l’auto-organisation des lycéens prend une nouvelle dimension, impliquant désormais l’auto-défense comme un élément fondamental, car vital pour le mouvement.

Mais, comme toujours, la question de la sécurité est plus fondamentalement une question politique. Après les manifestations du 8 mars, le mouvement lycéen est à la croisée des chemins. Il ne pourra continuer à se développer, mais sera vite défait, s’il reste isolé comme il l’est depuis plus d’un mois, par la volonté des bureaucrates qui dirigent les organisations lycéennes et les syndicats de l’Éducation. Or, une défaite du mouvement lycéen, qui est aujourd’hui la pointe avancée de la lutte directe contre le gouvernement, serait évidemment une défaite pour tout le mouvement ouvrier. La question de la jonction des enseignants et des personnels de l’Éducation avec les lycéens devient centrale non pas seulement en principe, mais en pratique. En particulier, la responsabilité des dirigeants des syndicats enseignants est entière : il faut les contraindre, avant qu’il ne soit trop tard, à mobiliser pour le retrait de la loi Fillon, pour que les enseignants et les personnels rejoignent les lycéens. De cette jonction dans le combat politique découleraient évidemment les mesures pratiques pour assurer la sécurité des manifestations. Et cette jonction pourrait ouvrir la voie à une mobilisation générale des travailleurs contre le patronat et contre toute la politique destructrice du gouvernement.

L’incapacité des JCR et de la LCR, de LO et du PT à proposer une alternative, leur refus d’affronter les bureaucrates

Mais la responsabilité des principales organisations d’extrême gauche (LCR, LO et PT) est elle aussi posée. Leur absence le 8 mars ou leur incapacité à défendre les lycéens montre une fois de plus qu’elles sont incapables de prendre leurs responsabilités en se posant comme alternative aux appareils. Mais, là encore, cette faillite pratique a évidemment une racine et un contenu politiques. Depuis le début du mouvement lycéen, en effet, ces trois organisations ont montré une nouvelle fois leur refus de combattre réellement les bureaucrates collaborateurs et de proposer une orientation politique alternative aux lycéens et aux enseignants — comme aux autres salariés.

C’est ainsi que LO est largement absente du mouvement en tant qu’organisation politique. Un certain nombre de ses militants intervienennt bien sûr dans les lycées, mais l’organisation elle-même reste totalement silencieuse sur les problèmes politiques que rencontre le mouvement lycéen et sur les modalités concrètes de l’action à mener. Le journal Lutte ouvrière ne parle jamais de grève, ni d’organisation du mouvement, mais se contente d’articles purement descriptifs, d’un soutien de principe aux lycéens et de l’affirmation générale qu’ils doivent « être rejoints le plus massivement possible par les enseignants » (25 février). En attendant, le 8 mars, quelques militants de LO, regardaient passer les manifestants depuis les trottoirs, en leur distribuant des autocollants avec les mots d’ordre généraux de leur organisation...

Les jeunes du PT, quant à eux, interviennent dans le mouvement — par l’intermédiaire du syndicat étudiant qu’ils animent (le CVSE). Mais, contrairement aux manifestants, ils ne demandent pour ainsi dire jamais le retrait pur et simple de la loi Fillon : ils se concentrent presque exclusivement sur la défense du « bac national et anonyme », comme si les autres aspects de la loi étaient moins graves pour l’avenir de l’école publique ! De plus, ils ne mettent en avant ni l’objectif de la grève, ni celui de l’auto-organisation du mouvement sur la base de délégués élus, mandatés et révocables, mais ils mobilisent toutes leurs forces pour… faire signer une pétition pour la défense du bac ! Et ils demandent à Fillon de les recevoir pour lui remettre bien gentiment leurs signatures ! Enfin, ils font parfois acte de présence dans les réunions des « coordinations », mais ils refusent de s’y battre, d’affronter les bureaucrates ; c’est que, en réalité, ils n’ont aucune alternative à proposer.

Les militants JCR, enfin, sont les seuls à s’engager pleinement dans le mouvement, à déployer toute leur énergie pour le construire. Cependant, dans la pratique, l’orientation impulsée par leurs dirigeants consiste à couvrir l’UNL en particulier — organisation avec laquelle il existe une multitude de liens, notamment via l’UNEF et les courants de « gauche »  du PS (liens renforcés en ce moment dans le cadre de leur campagne pour le « Non de gauche » au référendum). L’un des responsables des JCR écrit ainsi dans Rouge (17 février, p. 3) que la FIDL et l’UNL « construisent pour l’instant le mouvement », sans dire que l’axe principal de leur orientation est avant tout de protéger le gouvernement ! Cette ambiguïté des JCR, qui les avait déjà conduits à capituler sur l’objectif de l’Assemblée nationale le 15 février, se reflète dans une contradiction patente : d’un côté, ces militants distribuent des tracts LCR/JCR qui affirment à juste titre que la loi Fillon n’est « pas amendable », qui réclament donc son « retrait global » et qui même mettent maintenant en avant la nécessité d’Assemblées Générales dans les lycées et l’objectif de la grève. Mais, d’un autre côté, ces mêmes militants manquent de clarté et de fermeté sur la question des délégués élus, mandatés et révocables : est-ce parce que cela leur permet de passer des compromis avec l’UNL, par exemple en obtenant deux « poses » au « Comité de coordination lycéenne » désigné par la « coordination nationale » du 5 mars (l’UNL se réservant quant à elle 4 sièges », 5 autres allant à des lycéens « indépendants », c’est-à-dire non organisés) ? Et surtout, les JCR refusent de défendre clairement l’objectif de la grève générale, notamment au sein de la coordination, ils refusent — sans doute au nom de l’ « unité » de « ceux qui construisent le mouvement » ! — d’affronter les bureaucrates qui font tout, quant à eux, pour empêcher la grève générale.

D’ailleurs, même dans leurs tracts, les JCR — et moins encore la LCR — ne mettent pas en avant cet objectif. C’est ainsi que, dans le tract « édité par le secteur jeune de la LCR » en date du 7 mars (Le Poing levé n° 7), la LCR termine son texte, sans doute pour impressionner ses militants, en citant Karl Liebknecht (« la jeunesse est la flamme de la révolution »)... mais elle se montre bien peu révolutionnaire en réalité, puisqu’elle se contente de dire aux lycéens que, « au-delà du 10 mars, il faut bien sûr amplifier la mobilisation, jusqu’à ce que Fillon abandonne son projet »... c’est-à-dire exactement ce que disent tous les bureaucrates de la FIDL, de l’UNL et de la FIDL qui refusent la grève ! Il est vrai cependant que les JCR sont un peu plus à gauche que la LCR : dans leur texte du 8 mars, sous le titre «Réforme Fillon, pénurie budgétaire : la bataille commence réellement maintenant ! », ils proposent l’objectif d’une « grève des lycéens si possible sur plusieurs jours » ! Encore cet objectif (qui est bien, lui aussi, un refus de parler de grève générale) n’est-il pas présenté comme un objectif politique, mais seulement comme un moyen pour que les lycéens ne soient « pas sanctionnés » et même comme un subtil stratagème grâce auquel... « les profs peuvent même venir à la manif sans perdre leur salaire » ! Sans commentaire !

Pour sa part, le Groupe CRI, malgré les limites de ses liens avec les lycéens, intervient autant que possible dans le mouvement pour la grève générale (seul moyen pour vaincre le gouvernement) et pour l’auto-organisation (seul moyen de vaincre les bureaucrates). C’est l’orientation qu’il a défendue en particulier dans ses tracts du 15 février et du 8 mars, distribués à plusieurs milliers d’exemplaires dans les manifestations, les réunions et la coordination — tracts qui ont reçu un certain écho et dont on trouvera la reproduction ci-dessous.


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