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Togo : Qui sont les amis de l'impérialisme français ?


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :15 mars 2005
Mot(s)-clé(s) :international, Togo
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À la mort du président togolais Gnassingbé Eyadema, le 5 février dernier, Chirac s’est empressé de déclarer qu’il s’agissait d’un « ami de la France et un ami personnel ».

En effet, Eyadema a été pendant des années un fervent défenseur des intérêts impérialistes français. Il a tout d’abord servi la puissance coloniale en tant que sous-officier en Indochine, puis en Algérie, où il fait connaissance avec un certain Chirac. Et c’est ensuite dans son propre pays qu’il a contribué à rétablir la domination impérialiste : en 1963, il assassine de ses propres mains le président élu, Sylvanus Olympio, dont le régime, issu de la lutte pour l’indépendance, avait pris ses distances avec la France (par exemple en ne concluant pas les accords de coopération militaire que réclamait le gouvernement de De Gaulle). Il prend ensuite le pouvoir en 1967, après un coup d’État. Depuis, Eyadéma est l’instrument de la domination française au Togo.

Mainmise de l’impérialisme français sur l’économie et l’État togolais

L’économie togolaise est entièrement sous la coupe des intérêts impérialistes français ; elle est restée largement sous-développée, la production de phosphate étant, via les exportations, l’unique ressource du pays, au détriment de la construction d’une réelle industrie. Cette situation soumet le Togo à la bonne santé du marché des matières premières, et par conséquent au bon vouloir des impérialistes. Les bonnes années, quand l’argent du phosphate rentre massivement dans les caisses de l’État, le gouvernement togolais entreprend des politiques de grands travaux, remplissant ainsi les carnets de commande des multinationales françaises de la construction, et souscrivant au besoin de nouveaux prêts auprès des banques françaises. Quant aux mauvaises années, ce n’est pas la clique au pouvoir qui en subit les conséquences en réduisant son train de vie pharaonique, mais les masses togolaises. C’est ainsi que, aujourd’hui, 68 % des 5 millions de Togolais vivent sous le seuil officiel de pauvreté, avec un niveau de vie moyen qui s’est effondré de 25 % en 20 ans. Par contre, la fortune d’Eyadéma s’élève à 4,5 milliards de dollars, soit plus du triple de la « dette » qui étrangle l’économie togolaise (1,4 milliard de dollars).

L’omniprésence de la France au Togo s’observe aussi dans le domaine militaire : ce sont les cadres de l’armée française qui assurent la formation, les services de renseignement togolais sont inexistants, ce sont la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) et la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) françaises qui assurent directement ces fonctions ! Les gouvernements français qui se sont succédé, qu’ils soient de droite ou de « gauche », ont bien compris l’intérêt qu’ils avaient dans le maintien de l’ami Eyadéma au pouvoir et lui ont assuré un soutien sans faille depuis 38 ans, en venant au besoin à son secours, comme en 1986, pour le sauver d’un coup d’État. Le caractère dictatorial du régime d’Eyadéma ne peut pourtant pas être contesté. Par milliers, les opposants ont été tués ou ont dû fuir le pays. Le mouvement ouvrier en particulier est touché, les syndicalistes devant subir les arrestations arbitraires. Et quand les masses s’élèvent en nombre contre le régime, comme ce fut le cas en 1991 et en 1993, leurs manifestations sont réprimées dans le sang. Cela n’a pourtant pas empêché le ministre « socialiste » des affaires étrangères de l’époque, Roland Dumas, de renouveler son soutien à Eyadéma, affirmant que ce dernier « veille au respect de l’État de droit ». D’ailleurs, on retrouve les empreintes françaises aussi lors de ces répressions, avec la participation d’agences de « sécurité » privées, au service du pouvoir, dirigées par d’anciens superflics de l’Élysée.

La succession du dictateur

Le lendemain de la mort de Gnassingbé Eyadéma, alors que la constitution togolaise prévoyait un intérim assuré par le président de l’Assemblée Nationale jusqu’à l’organisation de nouvelles élections, l’armée togolaise, élément central du pouvoir d’Eyadéma, a remis le pouvoir au fils du président défunt, Faure Eyadéma. Pour donner des allures démocratiques à ce coup d’État, les députés, dont la « légitimité » vient beaucoup plus de l’ancien président que de la souveraineté populaire, ont aussitôt voté une modification de la Constitution avalisant ce coup de force, et offrant le pouvoir au fils jusqu’à la fin prévue du mandat du père. Ce coup d’État traduit sans aucun doute la volonté du clan proche d’Eyadéma, principalement l’armée, de réaffirmer son pouvoir à l’heure où la mort de ce dernier aurait pu ouvrir l’appétit des représentants de l’opposition officielle. Au moment où cet article est écrit, Faure Eyadéma vient de renoncer à son poste de président, pour assurer, dit-il, la transparence des élections qui devraient se tenir dans les prochains mois, et auxquelles il est candidat. L’omniprésence de l’armée et sa volonté de ne pas perdre le pouvoir relativisent toutefois beaucoup cette façade démocratique.

Cette prise de pouvoir a provoqué des cris d’orfraie de la part du gouvernement français et de la « communauté internationale » (ONU, Union Européenne, Union Africaine), qui l’ont qualifiée de coup d’État et ont menacé le pays de sanctions si l’ordre constitutionnel ne revenait pas. L’attitude française en particulier peut surprendre, étant donné ses liens avec le pouvoir en place jusque-là, dont l’armée togolaise a précisément voulu assurer la continuité. Mais même la surprise affichée par le gouvernement français dans ces événements, alors que ses services de renseignement sont omniprésents, marque son hypocrisie. Cependant, si la continuité du pouvoir togolais ne peut que servir les intérêts de l’impérialisme français, d’autres événements sont à prendre en considération. En particulier, la population togolaise n’est pas restée immobile face à ce coup d’État. À l’appel des partis de « l’opposition pacifique », des milliers (3 000 le 12 février et plus de 25 000 le 19 février) sont sortis manifester dans la capitale, Lomé, malgré l’interdiction des manifestations pendant les deux mois de deuil national ; ces manifestations ont été accueillies par des tirs à balles réelles qui ont fait plusieurs morts. Or, ce qui inquiète le gouvernement français, c’est la lucidité des manifestants. Comme lors des manifestations des années 1990, où la complicité du gouvernement français avait été dénoncée par les masses, les slogans comme « Chirac voleur » ou « Eyadema voleur, Chirac complice » se sont multipliés. La presse (notamment Libération du 20 février) rapporte des déclarations comme : « C’est Chirac qui est derrière tout cela. Le Togo est devenu une monarchie avec l’aide de Chirac. » Bien sûr, en l’absence de perspective révolutionnaire, il ne sera pas possible pour les Togolais de se défaire du joug impérialiste. Mais pour le gouvernement français, de tels événements le forcent à se démarquer du régime haï par la population. Si un contexte « pacifié » n’est pas rétabli rapidement, une situation à l’ivoirienne pourrait se développer, avec d’éventuels affrontements « ethniques » (favorisés par le fait qu’Eyadéma a recruté la plupart de ses collaborateurs au pouvoir dans son ethnie du nord). Le chaos ivoirien montre qu’une telle évolution ne peut que saper l’autorité française dans le pays et la région, et ouvrir les appétits des impérialismes concurrents.

Combattre l’impérialisme français

Dans sa lutte contre le régime Eyadéma, père et fils, et contre l’impérialisme français qui le soutient et l’utilise, le peuple togolais ne peut pas espérer d’issue dans les prochaines échéances électorales, qui ne verront que l’opposition entre différents laquais de l’impérialisme : Faure Eyadéma et l’armée d’un côté, « l’opposition pacifique » de l’autre, dont la plupart des membres ont été formés et financés par feu Eyadéma. Les ouvriers et les masses pauvres togolaises ne pourront combattre l’impérialisme que par leur organisation propre, en s’en prenant à la fois à l’impérialisme français, à ses grandes entreprises et à leurs valets locaux qui s’entendent pour le piller et le saigner. Cela ne sera possible qu’en relation avec les autres mouvements populaires qui contestent l’impérialisme français (ou les autres) dans la région, comme en Côte d’Ivoire par exemple. Quant au mouvement ouvrier français, il est de son devoir de soutenir ces luttes et de dénoncer en priorité son propre gouvernement, son propre impérialisme, en encourageant les actions contre les grandes entreprises qui exploitent le Togo et ses habitants, en exigeant le retrait des militaires et des agents français, en exigeant l’annulation de la « dette ».


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