Le CRI des Travailleurs
n°26
(avril 2007)

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Pourquoi le Groupe CRI n’appellera pas à voter pour Ségolène Royal au second tour, mais au boycott


Auteur(s) :Nina Pradier
Date :6 avril 2007
Mot(s)-clé(s) :France, élections-2007
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Le 21 avril 2002, lorsque Le Pen se hissa au second tour de l’élection présidentielle, une union sacrée des partis de droite et de gauche (jusqu’à la LCR), des directions syndicales, des médias et des Églises s’organisa pour un gigantesque (ra)battage visant à imposer le ralliement massif à Chirac. Celui-ci fut ainsi réélu avec un score plébiscitaire de 82 %. Pourtant, les voix des seuls électeurs de droite auraient largement suffi pour le faire gagner, avec une base qui aurait été ainsi beaucoup plus réduite et l’aurait donc d’emblée affaibli, rendant sa politique de contre-réformes bien plus difficile à mener.

En 2007, même si le résultat du premier tour reste incertain, le scénario le plus vraisemblable pour le second est toujours celui d’un face-à-face entre Sarkozy et Royal. Mais, pour le Groupe CRI, il n’est pas nécessaire d’attendre pour se prononcer contre tout appel à voter Royal, car il s’agit d’une question de principe : une organisation communiste révolutionnaire ne saurait appeler à voter pour un parti bourgeois sous prétexte de battre un autre parti bourgeois (1). C’était vrai au second tour de l’élection présidentielle de 2002, ce sera vrai en 2007 : dans les deux cas, il n’y a pas d’autre choix révolutionnaire que le boycott électoral.

Certes, une victoire de Sarkozy impliquerait une remise en cause du droit de grève, une amplification des attaques contre les sans-papiers et les immigrés en général et une aggravation de la répression d’État contre les militants et les manifestants. Cependant, les grandes lignes de sa politique ne seront pas fondamentalement différentes de celles du PS, de même que les attaques des gouvernements Raffarin et Villepin s’inscrivaient dans la continuité de celles du gouvernement Jospin, si clairement sanctionnées par les travailleurs le 21 avril 2002. Le PS a mené une politique de contre-réformes systématiques en dirigeant l’État bourgeois pendant la plus grande partie du dernier quart de siècle, car il est acquis autant que l’UMP au capitalisme et au libéralisme. De plus, aujourd’hui, Ségolène Royal et son parti ne s’engagent même pas à abroger la plupart des lois de régression sociale de la droite, ni même les lois sécuritaires de Sarkozy. Sans parler de la régularisation des sans-papiers (Royal ne s’y engage nullement, de même que Jospin-Chevènement avait refusé de régulariser la plupart d’entre eux) et de l’abrogation des lois anti-immigrées (prises et appliquées successivement par la droite et la gauche depuis vingt-cinq ans). Tout au contraire, le programme de Ségolène Royal promet une politique bien pire encore que celle de la « gauche plurielle » entre 1997 et 2002 : elle s’engage au respect scrupuleux des exigences du MEDEF et des règles de l’Union européenne ; elle promet d’accélérer l’intégration des syndicats à l’État (projet de financement public des organisations et de syndicalisation obligatoire) ; elle annonce une politique répressive renforcée, notamment contre les jeunes (appel à l’armée pour « redresser » les « délinquants ») ; elle exacerbe le discours nationaliste (dont les polémiques sur le thème de l’« identité nationale » et le chant de la Marseillaise à la fin des meetings de campagne de Royal ne sont que les manifestations les plus spectaculaires).

Il est donc hors de question de contribuer à donner au PS une base politique pour réaliser son programme à peine moins anti-ouvrier et réactionnaire que celui de Sarkozy. Au contraire, les travailleurs ont intérêt à ce qu’un éventuel gouvernement de S. Royal soit le plus faible possible à sa sortie des urnes, afin de le combattre d’autant plus efficacement dans la rue. C’est dès maintenant qu’il faut se préparer, par la clarification politique et en s’organisant, à affronter un tel gouvernement éventuel, avec autant de détermination qu’un possible gouvernement de Sarkozy ou de Bayrou. D’autant plus que, dans le cas du PS, il faut briser ce qu’il reste de l’image « sociale » qu’il a héritée de son lointain passé ouvrier et que le PCF comme les directions syndicales contribuent à entretenir soigneusement dans leur propre intérêt d’appareils.

Même s’il y avait un face-à-face entre Royal et Le Pen il ne faudrait pas appeler à voter pour Royal. Même ce scénario ne saurait justifier qu’on aide Ségolène Royal à réaliser un score analogue à celui de Chirac en 2002, un tel plébiscite ne pouvant que faciliter par la suite une nouvelle avalanche de contre-réformes. Non seulement, il n’y a pas, aujourd’hui en France, une situation socio-économique et politique telle que le fascisme puisse constituer un recours pour la bourgeoisie française (et le Front national n’a d’ailleurs pas, comme parti, à ce stade, les pratiques d’un parti fasciste). Mais surtout, même s’il y avait un danger que des fascistes arrivent au pouvoir, que ce soit par les élections ou par un coup d’État, la solution pour les vaincre ne saurait passer par le recours au vote, et moins encore en faveur d’un candidat bourgeois. C’est cette faute impardonnable qu’a commise le parti social-démocrate allemand en appelant à voter, à l’élection présidentielle de 1932, pour Hindenburg, candidat « républicain », sous prétexte d’éviter Hitler. Résultat : Hindenburg nomma Hitler chancelier un an plus tard, et le parti social-démocrate fut liquidé par celui-ci, car il avait remis le sort de la classe ouvrière entre les mains de la bourgeoisie (cf. l’article historique de Laura Fonteyn ci-dessous).

Pour combattre le fascisme aussi bien que, dans l’immédiat, pour combattre Sarkozy et sa politique ou Royal et sa politique, il ne faut s’en remettre ni à parti bourgeois « démocratique » ou « de gauche », ni aux urnes de manière générale (la participation des révolutionnaires aux élections ne sert qu’à faire connaître leur programme), mais exclusivement aux armes de la lutte de classe la plus résolue. Celle-ci inclut le front unique ouvrier (avec, en France aujourd’hui, la CGT, la FSU, FO, Solidaires, le PCF, LO, la LCR, le PT, etc.), mais excluant les partis purement bourgeois, qu’ils soient de droite, du centre ou de « gauche ». L’un des éléments décisifs de ce combat, c’est le regroupement des militants lutte de classe et tout particulièrement la construction, sous des formes et selon des rythmes qui peuvent varier selon les circonstances, d’une véritable organisation communiste révolutionnaire internationaliste.


1) Sur la nature du PS, cf. notre article dans le précédent numéro du CRI des travailleurs. Sur le bilan du gouvernement Jospin de « gauche plurielle », cf. le n° 24.


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