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Salaires rognés, offensive du patronat, contre-réformes gouvernementales, guerre impérialiste : l’heure est à la préparation d’une riposte unie de classe


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :13 septembre 2008
Mot(s)-clé(s) :France
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La situation économique et les attaques du gouvernement

François Fillon cherche à (se) rassurer en affirmant (le 18 août) : « Il n’est pas raisonnable de parler de récession. » De fait, selon les critères de l’économie officielle, on parle de « récession » après deux trimestres consécutifs de recul du PIB (produit intérieur brut). Pour l’instant, l’Europe et la France n’en ont connu qu’un : dans la zone euro, le PIB est en recul (-0,2%) au 2e trimestre (-0,3% en France). Si le ralentissement économique est commun à l’ensemble de l’Europe, ses modalités et les réponses des gouvernements varient. L’Allemagne connaît elle aussi un recul du PIB (-0,5% au 2e trimestre) mais est épargnée par la crise immobilière, qui affecte en revanche très fortement l’Espagne et le Royaume-Uni (où la croissance est néanmoins restée positive : +0,2% au 2e trimestre). Parmi d’autres, l’Italie également les prémisses de la récession (-0,3% durant la même période). Les réactions des bourgeoisies européennes divergent elles aussi selon leur situation budgétaire : « plan de relance » de 20 milliards d’euros en Espagne (financé grâce aux excédents budgétaires), destiné à faciliter le financement des entreprises ; rejet de ce type de plan en Allemagne (dont les finances publiques sont à l’équilibre suite aux réformes drastiques contre les travailleurs), au Royaume-Uni et en France (où les déficits publics sont au contraire importants).

Cette forte fragilisation de l’économie s’est traduite sur l’emploi : pour la première fois en France depuis 2003, le nombre d’emplois détruits a été plus important que le nombre d’emplois créés (avec un solde négatif de 12 200 postes). L’industrie française a ainsi supprimé 44 000 emplois en un an. La direction de Renault vient d’annoncer 6 000 licenciements d’ici 2009 en France, dont 1 000 sur le seul site de Sandouville, et ce alors que les bénéfices versés aux actionnaires sont en hausse (4% au premier semestre 2008 contre 3,5% au premier semestre 2007). Le chômage progresse (selon les chiffres officiels, +0,3% en mai et +0,2% en juin). On sait aussi combien le pouvoir d’achat est affecté par cette situation économique : l’INSEE elle-même prévoit une nette décélération (+0,9% en 2008 contre +3,3% l’an passé), cette moyenne cachant la véritable régression pour des millions de salariés, chômeurs et retraités ; le salaire de base a quant à lui perdu 0,5% de pouvoir d’achat depuis le début de l’année. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement d’annoncer cet été son lot d’augmentations : 2% pour les tarifs de l’électricité et 5% pour ceux du gaz. De surcroît, le budget de l’État en 2009, pour la première fois, affichera une « progression zéro valeurs », c’est-à-dire une baisse des crédits. Les travailleurs subissent au quotidien la hausse des prix, la dégradation de leurs conditions de vie, la lutte de tous les jours pour boucler les fins de mois, rognant sur les loisirs, sur les vacances…

L’option retenue par le gouvernement est d’accélérer le rythme de ses contre-réformes, dans le domaine, dixit Fillon, « du marché de l’emploi, du travail, de l’organisation du travail, de la législation du travail » (Le Monde, 20 août). Bref, il s’agit d’intensifier les attaques contre les droits et les conditions de travail des salariés.

La rentrée scolaire et les attaques contre le service public d’enseignement

Les attaques contre l’école et les enseignants se poursuivent à un rythme accru et violent. Alors que les 11 200 suppressions de postes pénalisent déjà les conditions de la rentrée, Xavier Darcos en a d’ores et déjà annoncé 13 500 de plus pour l’an prochain. Dans le premier degré, deux heures de classe par semaine sont supprimées. La remise en cause du droit de grève se confirme par la loi du 20 août qui instaure « un droit d’accueil pour les élèves des écoles ». En outre, la réforme du lycée, calquée sur le modèle de la loi Pécresse dans l’enseignement supérieur, débouchera dès son application (prévue à la rentrée 2009) sur l’autonomie des établissements et leur mise en concurrence sur la base de critères de « rentabilité ». Enfin, alors que le coût de la vie augmente plus vite que les bourses, le gouvernement veut inciter les étudiants à s’endetter (au prix du marché). Les enfants des classes populaires ont donc le « choix » entre arrêter leurs études ou s’endetter jusqu’au cou (1). C’est tout bénéfice pour le patronat : un travailleur endetté tend à être un travailleur docile.

Accélération du processus de privatisation de la Poste

Le « contrat de service public 2008-2012 » a été signé par les dirigeants de La Poste et les représentants de l’État le 22 juillet, assignant à La Poste une série de « missions », en échange desquelles l’État lui verse une compensation financière (estimée à un peu plus de 800 millions d’euros). Des « partenariats locaux publics ou privés » sont envisagés afin d’adapter le « réseau des points de contact », autrement dit pour pallier la disparition de milliers de bureaux de poste, remplacés par des points de vente dans des épiceries ou, bientôt, des supermarchés… Le prix unique du timbre sera sans doute remis en cause, comme toutes les autres prestations postales fondées sur le principe de la péréquation sur l’ensemble du territoire. C’est l’une des étapes sur le chemin de la privatisation : la transformation en société anonyme est prévue pour 2010, ainsi que son introduction en Bourse. Quant à la libéralisation du marché du courrier, impliquant sa totale mise en concurrence, elle est fixée au 1er janvier 2011. Le processus de privatisation va provoquer la suppression d’au moins 7 000 emplois par an. Pour les salariés de la Poste, la dégradation des conditions de travail, en marche depuis plusieurs années, ne pourra que s’accélérer avec cette course aux profits. Pour les millions d’usagers, c’est une remise en cause radicale du service public.

Délocalisation des administrations centrales pour compenser la fermeture des sites militaires

Suite à la fermeture de sites militaires en province, le gouvernement a annoncé cet été la délocalisation de 10% des effectifs de l’administration centrale (soit 5 000 agents) dans les régions d’ici 2012. Puisque, selon Sarkozy, les militaires ne sont pas là pour faire de l’aménagement du territoire : « Dans mon esprit l’armée, ça assure la sécurité de la nation, pas l’aménagement du territoire », a-t-il déclaré le 17 juin. Il entend bien imposer le départ forcé de 5 000 fonctionnaires franciliens pour « boucher les trous ». Début septembre, Sarkozy a annoncé la création d’un pôle statistique à Metz de 1 500 agents pour fin 2011 : cela signifierait que la majorité des effectifs de l’INSEE à Paris seraient délocalisés. Dans les semaines qui viennent, les annonces de services délocalisés vont sans doute se multiplier. Pour le gouvernement, les fonctionnaires ne sont que des « ressources humaines », sans attaches, qu’on peut trimballer d’une ville à l’autre. En outre, ces délocalisations ne créeraient pas un poste, coûteraient très cher et déstructureraient les services. C’est sans doute un des objectifs : profiter de la délocalisation pour éliminer les services « gênants », à savoir ceux qui produisent des chiffres ou font des études qui déplaisent au pouvoir politique.

Ce projet de délocalisation à Metz est applaudi par les élus locaux de gauche et de droite, qui se réjouissent qu’on déshabille Pierre pour habiller Paul. Pendant ce temps-là, la saignée des effectifs de la fonction publique continue, et le gouvernement supprime des postes dans les écoles, les bureaux de postes, partout, y compris à Metz…

Le RSA, nouvelle machine à baisser le coût du travail

Le RSA (revenu de solidarité active), qui devrait entrer en vigueur le 1er juin 2009, est destiné officiellement à favoriser le « retour à l’emploi ». Il s’agit en fait de faire travailler à n’importe quelles conditions des salariés au chômage au lieu de leur verser des aides. Ce dispositif, qui remplacera le RMI quand il entrera en vigueur, est censé compenser les trop faibles revenus du travail en permettant aux intéressés la sortie de la pauvreté — on estime en France à 1,75 million le nombre de travailleurs pauvres. Ainsi le taux de cumul entre revenu d’activité et revenu de solidarité est-il fixé à 62% : quand un RMIste reprend un travail et touche 100 euros, il garde 62 euros de l’allocation qu’il percevait jusque-là. Toutefois, il faut savoir qu’aujourd’hui, outre la PPE (prime pour l’emploi), les salariés à temps partiel sortant du RMI ont également droit pendant un an au dispositif d’intéressement, qui permet de conserver temporairement une partie du RMI. Les calculs montrent que ces salariés vont perdre la première année où ils reprennent un travail précaire… et qu’en revanche, ils y « gagneront » avec le nouveau système s’ils restent enfermés dans la précarité !

L’économiste et journaliste Denis Clerc, qui a pourtant participé à la commission présidée par Martin Hirsch, à l’origine du projet de RSA, reconnaît que celui-ci va augmenter « les miettes d’emploi » : « Le RSA risque d’augmenter le travail à temps partiel » (Le Monde, 30 août). En effet, les personnes privées d’emploi seront désormais incitées, voire forcées, à accepter des emplois « à temps très partiel », en raison même de ce complément de revenu. L’État y encourage déjà par des déductions fiscales et des baisses de cotisations sociales (services à domicile, hôtellerie-restauration…). Aucune obligation n’est imposée aux employeurs, en termes de droits ou de salaire notamment. C’est donc là une manière d’institutionnaliser un peu plus encore la précarité, avec tous les bénéfices pour les patrons avides d’embaucher des salariés pour quelques heures par semaines avec exonérations à la clef.

En outre, les actuels RMIstes vont devoir désormais, pour pouvoir continuer à toucher le RMI-RSA, s’inscrire à l’ANPE — ce que beaucoup ne faisaient plus, par découragement. Ainsi, ils auront l’obligation de chercher un emploi et ne pourront refuser deux offres « raisonnables » d’emplois : sinon leur RMI, jusqu’à présent inconditionnel, leur sera supprimé. Cette mesure « sociale » permet donc de mettre fin à un véritable « scandale » : le RMIste, victime par excellence l’irrationalité du capitalisme devra mériter son RMI, ou alors il crèvera.

La politique fiscale du gouvernement : au service de sa classe

Le financement du RSA est estimé à 8,5 milliards d’euros annuels ; mais 7 de ces milliards proviendront d’autres allocations tels le RMI (revenu minimum d’insertion), la PPE (prime pour l’emploi) et l’API (allocation de parent isolé) ; reste donc à trouver 1,5 milliard de complément. Le gouvernement et les médias à sa solde ont pu laisser croire un moment que, pour financer le RSA, Sarkozy et Fillon allaient « taxer le capital » ! En quoi consiste donc la surtaxe d’1,1 point sur les revenus du patrimoine et de placements, et qui va-t-elle toucher ? Plus de la moitié des ménages pourrait être mise à contribution : en particulier, les 12,5 millions de Français détenteurs d’un contrat d’assurance-vie (40% des ménages ouvriers et 39% des ménages d’employés ont souscrit un contrat de ce type). Autrement dit, « la surtaxe d’1,1% sur les revenus du capital pourrait toucher plus de la moitié des ménages » (Claire Guélaud, Le Monde, 31 août-1er septembre 2008). En revanche, Sarkozy a très vite déclaré, pour rassurer sa classe et sa majorité, que la nouvelle taxe serait incluse dans le bouclier fiscal qui limite à 50% des revenus la somme d’impôts directs et des contributions sociales : dans les faits, donc, les hauts revenus seront exonérés de ce nouvel impôt. Et ce, bien qu’ils croissent infiniment plus vite que la moyenne : les revenus des 1% de ménages les plus riches ont augmenté de 20% entre 1998 et 2005, à comparer à la hausse de 4,3% du revenu médian durant la même période.

L’an passé, le bouclier fiscal à 50%, la réforme des droits de mutation et celle de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) ont déjà coûté à l’État plus de 3 milliards d’euros. D’autres bonnes grâces fiscales sont prévues pour la bourgeoisie de la part du gouvernement. L’IFA (imposition forfaitaire annuelle), payée par les entreprises en proportion de leur chiffre d’affaires, disparaîtra en 2009, ce qui représente 1,6 milliard d’euros. La taxe professionnelle versée par les entreprises va quant à elle fortement diminuer, passant de 3,5% de la valeur ajoutée à 1,5% (soit un montant estimé à 8 milliards d’euros).

Contre les atermoiements des appareils, une riposte de classe est nécessaire

Les conséquences de la situation économique (salaires rognés, pouvoir d’achat en berne, précarité, chômage…) et les contre-réformes gouvernementales dans tous les secteurs touchent les travailleurs et l’écrasante majorité de la population. L’urgence absolue est à l’organisation de classe et à la riposte sociale.

La déstabilisation du gouvernement dans l’affaire du fichier Edvige, obligeant Sarkozy à intervenir personnellement pour désamorcer la crise, prouve sa fragilité potentielle. Ce dispositif policier de fichage généralisé est une attaque très grave contre les droits démocratiques, justifiant la forte mobilisation, notamment la pétition regroupant plus de 700 organisations, dont le Groupe CRI, et près de 150 000 signatures individuelles (cf. http://nonaedvige.ras.eu.org/petitions/index.php?petition=2&pour_voir=oui) Tout en poursuivant ce combat indispensable jusqu’au bout, il s’agit de réunir les conditions d’une riposte d’ensemble des travailleurs sur le terrain de la lutte de classe.

Or, les directions syndicales ne s’engagent nullement sur cette voie, mais présentent toujours le même visage : celui, au mieux, de l’attentisme, au pire, de la collaboration de classes. Et les partis ouvriers demeurent passifs, en les couvrant.

L’habituel saucissonnage des journées d’action et la collaboration de classe

À la SNCF, la CGT-cheminots a, sans appeler à la grève, invité les salariés à se rassembler devant le siège de RFF (réseau ferré de France) le 3 septembre, en ouverture d’une négociation, pour « refuser le dumping social dans les chemins de fer ».

Dans l’Éducation nationale, les dirigeants des principales fédérations syndicales (FSU, CGT, etc.) avaient refusé d’appuyer réellement la mobilisation des enseignants du printemps, pourtant importante dans certains endroits, notamment en Île-de-France (2). Et, dans le secondaire, à l’exception de SUD et de FO, elles avaient terminé l’année en osant signer avec Darcos un protocole d’accord pour sa réforme du lycée, qui vise pourtant à démanteler le cadre national de l’enseignement et, à terme, du baccalauréat. Dès lors, elles ne s’inquiètent aujourd’hui que du calendrier de mise en application de cette réforme, jugé « intenable », non de son contenu. D’autre part, face aux conditions insupportables de la rentrée, dues aux 11 200 nouvelles suppressions, une intersyndicale regroupant toutes les fédérations sauf le SNALC a dans un premier temps (26 août) appelé à une journée nationale d’action le 11 septembre, « sous des formes diversifiées », avec « des possibilités de grèves locales » — le SNES proposant également des « rendez-vous hebdomadaires » d’action. Libre à chacun, dans son for intérieur, de déterminer ce qu’il fera de ces « rendez-vous » ! Pas d’appel à la grève, donc, pour ce 11 septembre, mais des « actions symboliques » telles que les directions syndicales les aiment. Il est question à présent de tout centrer sur une manifestation un dimanche d’octobre, le 19 !

À La Poste, les fédérations appellent à une grève nationale d’un jour le 23 septembre, mais demandent aussi au gouvernement « une véritable concertation ».

Les unions syndicales de retraités appellent quant à elles à une journée de manifestations régionales le 16 octobre pour la défense du pouvoir d’achat.

Par delà ces mobilisations sectorielles émiettées, envisage-t-on une riposte unitaire ? Ne rêvons pas ! Chérèque (CFDT) ne déroge pas à sa position habituelle : il n’est « pas question d’une opposition systématique » (Le Journal du dimanche, 31 août). « M. Thibault : “Nicolas Sarkozy devrait se méfier, la souffrance des salariés est réelle” », titrait Le Monde le 2 septembre 2008. Pourtant, ce n’est certainement pas le secrétaire de la CGT qui peut faire peur au gouvernement : Thibault ne quitte pas sa posture de bureaucrate amené à justifier sa propre existence en appelant de temps en temps les travailleurs à faire grève une journée : cette fois, ce sera le 7 octobre. Quant à Mailly (Force ouvrière) refuse tout appel à la grève le 7 au nom du rejet de la « confusion des genres » — car cette journée a été retenue par la CSI (Confédération syndicale internationale) comme journée mondiale pour un « travail décent » ; ce jour-là, FO appellera donc au seul rassemblement prévu le soir au Trocadéro (avec meeting et concert…).

3, 11 et 23 septembre, 7, 13 et 19 octobre : une fois de plus, la caricature des journées d’action isolées secteur par secteur et dispersées bat son plein. En outre, la préparation des élections prud’homales qui se dérouleront le 3 décembre aiguisent encore plus que de coutume les rivalités d’appareil et contribuent à freiner toute initiative commune. Des journalistes du Monde (26 août) estiment cependant, pour le redouter, que « cette difficulté des syndicats à s’entendre n’est pas sans risque : elle pourrait favoriser l’émergence de microconflits car la grogne sociale, elle, reste forte ». Ils ont raison !

La défense de la classe passe par la lutte de classe, et par elle seule

Le PCF et sa principale représentante Marie-George Buffet triomphent quant à eux : ils ont réussi à rallier le PS, le MRC et le PRG à une campagne commune contre la privatisation de la Poste : leur campagne consiste en une… pétition. Elle emboîte ainsi le pas à SUD-PTT qui, début septembre, avait rassemblé 10 000 signatures sur un texte condamnant la privatisation mais demandant « l’organisation d’un débat public national sur l’avenir de La Poste ». La CGT a pour sa part recueilli à cette date 85 000 signatures sur un autre texte exactement du même tonneau. Quant à FO, elle demande la tenue d’un référendum sur le sujet — comme le fait aussi le patron de Libération, Laurent Joffrin, qu’on avait connu moins soucieux de défendre les services publics !

Le PCF est également fier de pouvoir brandir une probable prochaine alliance en vue d’un futur attelage gouvernemental avec le PS. On peut supposer que sa base « programmatique » réside dans les suggestions faites récemment par le toujours Premier secrétaire du PS François Hollande : baisser l’impôt sur les sociétés à 20% pour la part des bénéfices réinvestis, alléger la taxe professionnelle pour les nouveaux investissements, créer un livret d’épargne dont la collecte financerait les investissements des PME, diminuer les cotisations sociales des entreprises qui créent ou préservent des emplois : un vrai programme de faveurs pour le patronat (entretien avec François Hollande, Le Monde, 15 août 2008) ! Ce doit être ce que Marie-George Buffet nomme « les grandes réformes nécessaires pour un nouveau mode de développement soutenable » (Le Monde, 31 août-1er septembre 2008).

Il n’y a rien à attendre de la bourgeoisie, de son gouvernement comme de ses autres représentants (ses partis notamment, qu’on les classe officiellement « à droite » ou « à gauche »). Il est essentiel que les organisations ouvrières ne sèment aucune illusion à ce sujet. Proposer de gentilles pétitions en laissant croire que le gouvernement va se laisser impressionner par des paraphes sur des bouts de papier, organiser, comme le fait le PCF le 26 septembre, une paisible « marche pour le pouvoir d’achat », sont autant de leurres destinés à empêcher toute mobilisation de classe et de masse.

Qu’en est-il des organisations d’« extrême gauche » ?

Sur l’orientation de LO

Se satisfaire d’attendre, sans proposition aucune, comme le fait sempiternellement LO, que la mobilisation tombe du ciel, ce n’est pas à la hauteur d’une organisation ouvrière. Éditorial après éditorial, journal après journal, les dirigeants de Lutte ouvrière réitèrent pourtant leurs éternels rappels prophétiques : « Plusieurs fois dans l’histoire, ils [les travailleurs] ont su utiliser leur force collective et à chaque fois le patronat a dû céder sur des revendications qu’il paraissait impossible d’imposer la veille. Souvenons-nous en, en ces jours de rentrée » (éditorial d’Arlette Laguiller, Lutte ouvrière, 29 août 2008) ; l’escroquerie de Sarkozy sur le RSA « sera à ajouter à tout ce qu’il faudra lui faire payer au moment du règlement de comptes » (LO, 5 septembre)… Dans l’enseignement, « le chemin des mobilisations devra suivre » (LO, 29 août). Partout, les travailleurs doivent « imposer que les salaires suivent l’évolution des prix » (LO, 15 août). Oui, mais comment ? Jamais la direction de LO ne propose de répondre concrètement à cette question. Il lui arrive il est vrai de s’inquiéter de la politique menée par les directions syndicales : « Il aurait été souhaitable que les organisations qui se prétendent au service des salariés annoncent qu’elles aussi avaient un plan qui permette de faire pièce à l’offensive de la droite et du patronat et qui prépare à la contre-offensive. Elles ne le font pas. C’est regrettable, mais guère surprenant. Finalement, le meilleur ferment de la riposte pourraient bien être la droite et le patronat qui, parce qu’ils se croient désormais tout permis, multiplient les mauvais coups. À un moment ou à un autre — le plus tôt sera le mieux — leur arrogance peut provoquer des réactions qui s’étendront à l’ensemble du monde du travail. » (3) Le morcellement, la division des luttes et par là même, s’ils ne sont pas contrés, leur défaite programmée, tout cela ne serait que « regrettable ». Et il ne s’agit pas de l’expliquer — que les travailleurs se débrouillent avec le fait que ce n’est « guère surprenant ». Dès lors, LO se contente d’attendre que le « ferment » de la lutte vienne de la bourgeoisie, sans assumer le rôle élémentaire d’une organisation révolutionnaire : exposer précisément les conditions d’une mobilisation victorieuse des travailleurs.

Sur l’orientation du POI (ex-PT)

De son côté, le POI de Gluckstein-Schivardi, désormais ouvertement réformiste et nationaliste, déplore que le gouvernement Sarkozy n’opte pas pour un « plan de relance », c’est-à-dire pour une autre politique capitaliste. Daniel Gluckstein se lamente sur « cette politique d’abandon de la nation » et souhaite un gouvernement français « digne de ce nom (sic) ». Certes, ce gouvernement, dit-il, confisquerait les milliards de la spéculation et des exonérations sociales au patronat, renationaliserait les banques et les secteurs clés de l’industrie… Mais comment ferait-il ? Loin de préconiser un gouvernement des travailleurs eux-mêmes, expropriant les capitalistes sans indemnités ni rachat, D. Gluckstein met en avant une autre politique bourgeoise, celle qui « commencerait par le rétablissement de la souveraineté sur la politique monétaire », gage de la « survie de nation » (4). Au pire, c’est là du nationalisme écœurant. Au « mieux », les « renationalisations » dont il est question seraient analogues aux mesures prises par le gouvernement Mitterrand-Mauroy en 1981-1982, qui étaient purement bourgeoises et ne permirent évidemment pas de résister d’une quelconque façon à la pression du grand capital, comme le prouve la politique de ce même gouvernement dès l’année suivante !

D’ailleurs, la direction du POI sème des illusions sur le PS, à qui elle a écrit cet été, comme aux autres « partis de gauche », pour lui proposer de lutter contre Sarkozy ! Et Daniel Gluckstein s’étonne de ce que les dirigeants du PS soutiennent la politique du gouvernement, par exemple le RSA : « Que ce gouvernement, au service des exploiteurs, veuille condamner les travailleurs et les jeunes à la pauvreté et à la précarité, c’est révoltant… mais c’est dans l’ordre des choses… Mais comment comprendre François Hollande, pour qui, avec le RSA, “les socialistes ont fini par être entendus” ? Et Martine Aubry, pour qui “c’est une mesure qui va dans le bon sens, il faut la voter” ? » (5) Les dirigeants du PS ne seraient donc pas, quant à eux, « au service des exploiteurs » ?

Bref, le POI, à peine né, se confirme n’être rien d’autre qu’une nouvelle mouture caricaturale du réformisme et du nationalisme typiques de la social-démocratie d’après 1914, aux antipodes de l’internationalisme ouvrier et bien sûr du trotskysme.

Sur l’orientation de la LCR

Sur le dossier crucial de la privatisation de la Poste, le porte-parole de la LCR estime que l’on pourrait préserver le service public postal dans le cadre de l’Union européenne : c’est une supercherie. Lorsque Olivier Besancenot propose à juste titre de lutter contre la privatisation de la Poste, il déclare : « Ce qu’un gouvernement demande de faire, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas revenir dessus ensuite. On ne sortirait pas de l’Europe pour autant, d’autant plus qu’il y a une alternative pour un service public européen : on pourrait imaginer une coopération immédiate de tous les opérateurs publics pour faire un premier pas vers un service public postal européen » (interview sur LePoint.fr). Et quand Besancenot se veut plus précis, il dit : « Cela signifie qu’on pourrait très bien, par le biais d’une nouvelle directive courageuse, envisager une coordination des divers acteurs publics de l’Union pour mettre en œuvre un service public postal européen. » Vouloir une directive pour mettre en place un service public européen, c’est clairement s’inscrire dans le cadre de l’UE et faire croire qu’on peut l’utiliser au service des travailleurs. Il ne s’agit pas d’une « gaffe » isolée, mais d’une ligne politique réformiste : la LCR refuse de mettre cause le cadre de l’UE, et fait croire aux travailleurs qu’on pourrait mettre en œuvre une directive qui contredit les traités européens. La démarche de Besancenot est le contraire d’une démarche transitoire, qui vise à démontrer (et ce n’est pas bien dur avec l’UE) que la défense des intérêts des travailleurs exige la rupture avec les institutions capitalistes. Besancenot dit exactement le contraire, en affirmant qu’il n’y a pas besoin de sortir de « l’Europe » (naturalisant ainsi l’UE sous le vocable « l’Europe ») pour faire avancer les droits des travailleurs, et en ne traçant pas la perspective d’un gouvernement des travailleurs.

En revanche, la LCR a raison d’affirmer que, pour lutter contre les licenciements, il faut « un mouvement interprofessionnel et interentreprises » (Communiqué contre les licenciements, 10 septembre 2008). Elle a aussi raison de dire qu’à la Poste « les syndicats doivent donner rapidement des perspectives aux salariés, qui ne se contenteront pas de journées d’action successives, dont les limites ont bien été visibles dans d’autres secteurs » (Rouge, 4 septembre 2008). Cependant, la LCR ne fait pas de cette question la question centrale, alors qu’il faudrait la populariser par tous les moyens, tracts, presse, militantisme quotidien, et proposer aux travailleurs les outils pour l’affronter, notamment l’auto-organisation et le combat politique contre les directions syndicales collaboratrices.

Dans tous les secteurs et de façon interprofessionnelle, il faut être très clair sur les perspectives de lutte. Il est urgent de proposer un plan d’action alternatif fondé sur l’unification des revendications, l’auto-organisation des travailleurs, l’exigence du front unique et la dénonciation des appareils. Certes, il sera difficile à ceux — cheminots, étudiants, enseignants… — qui se sont le plus battus l’an passé, mais ont finalement été défaits, car trahis par ces appareils, de repartir immédiatement dans la lutte. Mais d’autres secteurs peuvent commencer la bataille et être un point d’appui décisif entraînant l’ensemble de la classe : les postiers, les salariés des administrations touchés par les attaques du gouvernement, les travailleurs du privé où les grèves se sont multipliées en début d’année, les travailleurs sans papiers dont la grève pour la régularisation se poursuit depuis mi-avril, malgré le refus des directions confédérales d’étendre le mouvement et de réaliser la jonction avec les autres salariés. À l’INSEE, des assemblées générales très importantes ont déjà eu lieu (par exemple une AG d’environ 300 agents sur 600 sur le site parisien principal) face aux projets de délocalisation, et ont voté le principe de la grève.

Au lieu des journées dispersées, sans lendemain et sans perspective, il faut, partout où s’abattent les contre-réformes, les attaques contre les salaires et les conditions de travail, aider les travailleurs à s’auto-organiser, à se réunir en assemblées générales, pour tirer les leçons des défaites subies l’an passé et débattre des conditions de la riposte de classe la plus efficace, avec l’objectif de la grève tous ensemble et en même temps, seule à même d’imposer une défaite au patronat et au gouvernement. C’est dans cette perspective que des proposition comme les suivantes peuvent être discutées et adoptées.

Pour un plan d’action immédiat pour les travailleurs, les jeunes, leurs organisations

La multiplication des grèves dans le privé depuis le début de l’année, la lutte des enseignants, des lycéens, des agents des Impôts et d’autres fonctionnaires au printemps, la grève des travailleurs sans-papiers pour leur régularisation… montrent que de nombreux travailleurs et jeunes sont prêts à combattre, d’autant plus que Sarkozy est très impopulaire (beaucoup plus qu’à la rentrée de l’année dernière). Il s’agit donc d’aider les travailleurs à s’organiser, à imposer l’unité de leurs organisations et à réaliser la convergence des luttes jusqu’à la grève interprofessionnelle, seul moyen d’obtenir des victoires :

Il s’agit d’abord d’unifier les travailleurs et les jeunes par une plate-forme de revendications claires et communes :

  • Pour une augmentation générale d’urgence des salaires de 300 euros pour tous et pour l’indexation des salaires sur les prix (échelle mobile des salaires), seule façon d’empêcher l’inflation de rogner le pouvoir d’achat des travailleurs !
  • Contre l’allongement à 41 annuités de cotisation pour une retraite à taux plein, pour le retour aux 37,5 pour tous !
  • Contre les plans de licenciements, pour leur faire échec par la grève avec occupation et la convergence des grèves !
  • Pour la régularisation de tous les sans-papiers (travailleurs, familles et étudiants), contre les expulsions, les rafles et les centres de rétention, abrogation des lois anti-immigrés, contre la division et le racisme, pour l’égalité des droits.
  • Contre la mise en cause des droits des chômeurs, pour l’indemnisation de tous et le respect de leurs qualifications !
  • Un CDI pour tous, contre la précarité, l’allongement de la période d’essai, la prétendue « rupture à l’amiable »...
  • Pour la défense des acquis du statut de fonctionnaire : contre la loi sur la mobilité qui prévoit la mise au chômage de fonctionnaires, pour l’abandon du rapport Pochard et du rapport Silicani pour la titularisation de tous les précaires
  • Pour le rétablissement des 22 000 postes de fonctionnaires supprimés (dont 11 200 postes d’enseignants), contre la « révision générale des politiques publiques » qui prévoit d’en supprimer plusieurs dizaines de milliers d’autres d’ici 2012.
  • Contre la privatisation de la Poste, pour un service public postal de qualité sur l’ensemble du territoire !
  • Pour la défense des acquis de l’École et de l’Université publiques : rétablissement des heures de cours supprimées dans le primaire, contre l’allègement des programmes qui en découle, maintien des BEP et du Bac Pro en 4 ans, abrogation de la loi « LRU », défense et rétablissement des diplômes nationaux reconnus sur le marché du travail, contre la réforme » Darcos du lycée, pour le retrait de la signature des principales fédérations sur l’accord en 15 points !
  • Contre le plan de suppression d’hôpitaux et de services hospitaliers, qui concerne 240 établissements dans le pays.
  • Contre la répression policière et judiciaire des mouvements sociaux, des jeunes, des militants.
  • Défense du droit de grève, à bas la loi sur le « service minimum » dans les transports, contre son extension ailleurs !
  • Retrait du fichier Edvige, à bas le fichage, la surveillance et le contrôle policier généralisés !
  • Retrait des troupes françaises d’Afghanistan, vive la résistance du peuple afghan à l’occupation impérialiste !

Pour porter ces revendications, pour gagner contre le MEDEF et Sarkozy, une grève générale sera nécessaire. La stratégie des journées d’action secteur par secteur et sans perspective mise en œuvre par les directions syndicales revient à multiplier les coups d’épée dans l’eau, jusqu’à l’épuisement, sans la moindre chance de gagner. C’est ce qu’enseignent toutes les mobilisations des dernières années, vaincues malgré leur puissance. Pour gagner, il faut lutter tous ensemble par l’arme de la grève, qui n’est efficace que si elle se reconduit et se généralise. Combattons donc tous ensemble :

  • Pour l’auto-organisation des travailleurs et jeunes en lutte, au moyen d’Assemblées générales, intégrant les représentants syndicaux mobilisés. Ces AG permettent à tous de débattre, de décider démocratiquement et d’unifier le mouvement. Dès qu’un mouvement commence, il faut le coordonner à tous les niveaux par des délégués élus, mandatés et révocables.
  • Pour imposer aux directions syndicales la préparation et l’appel à la grève interprofessionnelle, à commencer par l’appel à reconduire la grève dès qu’un secteur se mobilise fortement, car il peut servir alors de volant d’entraînement aux autres secteurs. Les principales directions syndicales ne veulent pas appeler à la grève interprofessionnelle et à la reconduction, car elles préfèrent « négocier » avec le MEDEF et le gouvernement et craignent un mouvement qu’elles ne pourraient pas contrôler. Mais elles subissent la pression des travailleurs qu’elles sont censées représenter, lorsque ceux-ci s’organisent et se battent :  c’est sous cette pression qu’elles appellent à des « journées d’action » et autres vraies-fausses mobilisations. Or elles seules auraient aujourd’hui la capacité de lancer au niveau national une grève jusqu’à la victoire. C’est pourquoi il faut exiger qu’elles préparent et appellent à la grève interprofessionnelle : multiplions les motions de syndicats et d’AG en ce sens et mettons-nous en grève dès que les conditions sont réunies !

Le Groupe CRI combat par ailleurs pour la construction d’un courant de lutte de classe dans les syndicats, contre la collaboration de classe et la bureaucratie. Ses militants syndicaux participent, avec d’autres syndicalistes, au CILCA (cf. http://courantintersyndical.free.fr) et aux Forums du syndicalisme de classe et de masse.


1) Cf. le communiqué national de la FSE, http://luttes-etudiantes.com

2) Voir notre précédent numéro.

3) J.-P. Vial, Lutte ouvrière, 15 août 2008.

4) Informations ouvrières, n° 10, 21 au 27 août 2008.

5) Éditorial d’Informations ouvrières, n° 12, 4 au 10 septembre 2008).


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