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Sale guerre en Afghanistan : il faut lutter pied à pied contre l’impérialisme français


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :13 septembre 2008
Mot(s)-clé(s) :international, Afghanistan
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« Ils sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine et de la liberté » : c’est en ces termes que Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et Hervé Morin, ministre de la Défense, ont évoqué les dix soldats français morts en Afghanistan le 18 août (1). Dignité humaine et liberté du peuple afghan : quatre jours plus tard, des bombardements dans le district de Shindand ont fait au moins 90 morts dans la population civile, dont 60 enfants. Les habitants de la région touchée par ces bombardements ont immédiatement refusé l’aide de l’armée afghane, jetant des pierres à ses soldats aux cris de « L’armée afghane est notre ennemie, nous ne voulons rien de nos ennemis » (2). La population afghane est victime de cette guerre dans sa chair : elle sait que les troupes impérialistes qui occupent son pays et celles qui combattent à leurs côtés sont ses véritables ennemis et qu’il faut leur résister.

Vive la résistance du peuple afghan contre l’impérialisme !

Le gouvernement Karzaï à la botte de l’impérialisme est tout autant un ennemi de classe du peuple afghan. Terribles conditions de vie (70 % des habitants vivent avec moins d’un dollar par jour, 35 % souffrent de malnutrition), corruption, oppression des femmes, emprisonnement des journalistes s’ils critiquent l’application du droit islamique : l’exploitation et l’obscurantisme règnent toujours en maîtres dans le pays. Les chevaliers blancs occidentaux prétendant lutter contre les talibans, ces « barbares moyenâgeux » (l’expression est de Sarkozy) qu’ils avaient pourtant bien soutenus financièrement et militairement lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, n’en ont cure. Et ils s’embourbent dans leurs euphémismes, comme au temps de la guerre d’Algérie non reconnue comme telle par l’État français : Hervé Morin, comme François Fillon, « conteste absolument le mot guerre » ; officiellement, il s’agit d’opérations de « stabilisation », de « maintien » ou de « restauration » de la paix… L’armée française compte 3 000 hommes en Afghanistan, sur un total de 70 000 soldats postés là-bas au nom du programme « Liberté immuable ». Sarkozy comme Bush, comme Mc Cain et comme Obama, sont tous d’accord pour renforcer davantage encore cette présence militaire, à l’heure où certains experts des questions de défense estiment que « l’OTAN est en train de perdre cette guerre » (3). Et de fait, les impérialistes sont fortement mis à mal dans leur entreprise guerrière. Il leur faut reprendre le contrôle du Pakistan voisin — en aidant un valet à leur service, comme le veuf de Benazir Butto, à accéder au pouvoir —, à l’heure où la résistance afghane en impose aux puissants impérialismes qui lui font face.

Certes, toutes les organisations qui se réclament encore du mouvement ouvrier demandent le retrait des troupes françaises d’Afghanistan. Mais, au nom de prétendues « exigences sécuritaires », la direction du PCF en appelle comme d’habitude à l’ONU pour se substituer à l’OTAN. Elle brandit le drapeau de « la France » pour assurer son rôle impérialiste de gendarme du monde parmi les autres gendarmes du monde : « [La France] peut et doit agir en Afghanistan, comme ailleurs, afin de contribuer à une issue. C’est sa responsabilité de membre permanent du Conseil de sécurité. Des forces sont certainement nécessaires pour garantir la sécurité des populations civiles. Elles doivent agir sous drapeau de l’ONU. » (4) La « tragédie » qu’évoque la direction du PCF, celle qui « suscite un choc émotionnel légitime », c’est la mort de dix soldats français, « morts pour la réalisation de la mission qui leur a été donnée par les autorités françaises », et à qui le PCF a rendu hommage, en s’associant au « deuil de la nation » décrété par Sarkozy (5). Et ces gens-là ont l’hypocrisie et le cynisme de parler d’« opérations de maintien de la paix » !

Pour sa part, le POI dévoile un peu plus encore à cette occasion ses positions nationalistes et réformistes constitutives. Daniel Gluckstein déplore que « l’engagement français en Afghanistan se [fasse] au compte d’intérêts étrangers aux intérêts de la nation » et taxe le gouvernement Sarkozy-Fillon de « gouvernement de supplétifs de l’OTAN et de l’Union européenne » (6) : comme si le gouvernement français, au service de la bourgeoisie française, ne défendait pas ses propres intérêts et n’entendait pas lui aussi s’emparer d’une part du gâteau dans une région stratégique pour le contrôle des ressources énergétiques. Dans son communiqué sur le sujet, le POI, évoquant l’« alignement de cercueils couverts du drapeau français » après l’embuscade du 18 août, juge qu’il est temps pour « la nation » de sortir de l’Union européenne non parce qu’elle est capitaliste, mais parce qu’elle serait « acoquinée au capitalisme américain », et non pour mettre en place un gouvernement des travailleurs, mais pour… « permettre à la France de redevenir une vraie nation et de retrouver la démocratie par l’adoption d’une nouvelle Constitution garante de la République une et indivisible que nos aïeux nous ont transmise ». Rien n’est dit de la nature de classe de cette République, mais l’héritage revendiqué indique clairement qu’elle assume sa filiation chauvine et bien bourgeoise. De fait, le mot d’ordre « Pas d’engagement de la France dans la défense des intérêts américains, qui ne sont pas les intérêts du peuple américain » n’effleure pas même l’idée d’un impérialisme français (7).

La position de LO est quant à elle plus correcte, mais elle est minimale et purement passive. C’est une position de principe sur le retrait des troupes qui ne va pas au-delà. Si elle rappelle qu’il y a deux poids, deux mesures entre l’émotion suscitée par la mort de dix soldats français et le silence sur la population afghane massacrée, elle juge quand même qu’il y a là « dix morts de trop » (8). C’est refuser de prendre le point de vue du peuple envahi et opprimé : nos « révolutionnaires » se sont-ils demandé ce que la population afghane pense des revers subis par les armées d’occupation ? Se placer d’un point de vue réellement anti-impérialiste suppose de dire clairement et sans détours que toute défaite de l’impérialisme est une victoire pour le peuple afghan et par là pour les autres peuples opprimés par l’impérialisme et les travailleurs de tous les pays. Évidemment, pareilles défaites supposent des morts. Dans le cas d’une armée composée pour l’essentiel d’appelés (comme durant les guerres inter-impérialistes ou la guerre d’Algérie), les organisations ouvrières doivent appeler les jeunes travailleurs et étudiants sous l’uniforme à la fraternisation avec leurs frères de classe et avec la population que l’impérialisme les envoie combattre. Dans le cas d’une armée de métier, comme c’est à présent la situation en France, la position de classe doit être claire : cette armée et ses soldats sont des ennemis, quand bien même les individus qui la composent sont des jeunes ayant fait ce choix parce que le système capitaliste leur propose là un métier, quand la situation socio-économique est difficile partout ailleurs. Avec une telle position, LO se refuse à soutenir explicitement la résistance afghane. Plus largement, elle ne se donne pas les moyens de mener un véritable combat anti-impérialiste. Au-delà de quelques articles dans son journal, elle ne propose rien, ne fait strictement rien. Elle ne prend aucune des responsabilités qui devraient incomber à une organisation révolutionnaire digne de ce nom.

Quant à la LCR, elle estime qu’« il faut une aide politique, diplomatique et économique internationale pour permettre au peuple afghan, à ceux et celles qui veulent résister (aux talibans) de le faire » et « non une troupe d’occupation militaire » (dépêche AFP, 23 août, citant Besancenot). Autrement dit, à l’intervention militaire de l’impérialisme, la LCR oppose une autre forme d’intervention impérialiste — car une aide internationale aujourd’hui ne peut être que l’œuvre des gouvernements impérialistes —, démocratique et pacifiste. Il est donc logique qu’elle ne distingue même pas les partis qui ont organisé le déploiement militaire français en Afghanistan et ceux qui lui résistent, O. Besancenot pour la LCR a dans un premier temps appelé « tous les partis de gauche » à organiser ensemble une manifestation pour le retrait des troupes françaises. C’est pourtant Jospin qui avait décidé la participation à cette guerre, « avec une détermination absolue et dans la durée », selon ses propres mots. Et les principaux responsables actuels du PS entendent bien maintenir ce cap, comme le rappelle le secrétaire national chargé des relations internationales, Pierre Moscovici : « Nous voulons autant que la droite lutter contre le terrorisme », c’est-à-dire en fait contre le peuple afghan qui résiste à l’occupation impérialiste. Si quelques voix divergentes se font entendre au PS, telle celle d’Henri Emmanuelli, c’est pour réclamer que l’engagement se mène sous l’égide de l’ONU et non sous la tutelle de l’OTAN. Dès lors, pendant des semaines, la direction de la LCR, attendant peut-être que le PS effectue un virage à 180 degrés et s’enthousiasme soudain pour sa proposition, n’a avancé aucune date et est restée dans les faits passive. À présent, elle co-organise, avec le PCF, les Verts, ATTAC, les Alternatifs, etc., une manifestation le 20 septembre sur la base d’un appel scandaleux. Il s’agit une fois de plus de s’en remettre à « la France » pour qu’elle cesse de collaborer avec l’OTAN et déploie « une politique indépendante, pour la primauté du droit international », de réclamer les « aides internationales promises », et d’attendre « une solution politique internationale ». En fait, cet appel regrette avant toute chose « l’alignement inacceptable sur la politique des États-Unis ». Comble de l’ignominie : cette manifestation à laquelle se joint la LCR ne se prononce pas pour le retrait des troupes, mais contre l’envoi de renforts — elle se conclut par ces mots : « Nous exigeons que le Président de la République renonce à l’envoi de renforts en Afghanistan et à la réintégration de la France dans le haut commandement militaire de l’Otan. » Cela revient de fait à valider la présence de troupes impérialistes en Afghanistan.

Certes, le battage médiatique est puissant : on a rarement vu autant de lamentations sur la mort de dix soldats. Mais les organisations ouvrières n’ont pas à crier avec les loups de la bourgeoisie, elles doivent défendre une orientation clairement anti-impérialiste, c’est-à-dire défaitiste révolutionnaire. C’est pourquoi il faut refuser la position, si facile et si massivement adoptée par les organisations ouvrières, consistant à renvoyer dos à dos les impérialistes envahisseurs et ceux qui leur résistent, tous taxés de « talibans ». La politique réactionnaire des talibans, ennemis de la classe ouvrière, doit être, évidemment et impitoyablement, condamnée. Pour autant, les révolutionnaires soutiennent toutes les forces et formes de résistance militaire aux impérialistes. Pour se défaire des talibans, qui se nourrissent de l’opposition populaire à l’occupation impérialiste, la classe ouvrière et les paysans pauvres d’Afghanistan ne peuvent compter que sur leur propre auto-organisation de classe et sur la solidarité ouvrière anti-impérialiste à l’échelle mondiale, et non pas sur une quelconque intervention, qu’elle soit militaire, économique ou diplomatique, des impérialistes. Mais la première des victoires en ce sens sera la défaite des impérialistes.

L’internationalisme exige donc de lutter ici même, en France, contre la sale guerre en Afghanistan, non seulement pour le retrait des troupes françaises, mais pour leur défaite, pour le soutien inconditionnel à la résistance afghane, pour sa victoire contre l’impérialisme français (9).

Quelques documents


1) Bernard Kouchner et Hervé Morin, « Afghanistan : le sens de notre engagement », Le Monde, 30 août 2008.

2) Cité dans Lutte ouvrière, 29 août 2008.

3) Michael O’Hanlon, expert de la Brookings Insitution à Washington, cité dans Le Monde, 22 août 2008.

4) Jacques Fath, « Afghanistan : quelques éléments pour un positionnement », Info hebdo, n°343, 27 août 2008.

5) Déclaration du PCF, 19 août 2008.

6) Informations ouvrières, n°11, 28 août au 3 septembre 2008.

7) Communiqué du POI, « Morts français en Afghanistan », 20 août 2008, IO, n°11.

8) François Duburg, « Le poids des morts », Lutte ouvrière, 22 août 2008.

9) Le Groupe CRI est l’un de seuls groupes politiques en France à soutenir clairement la résistance du peuple afghan. Ni les principaux partis d’extrême gauche, on l’a vu, ni les plus petites organisations qui se revendiquent pourtant du programme de la IVe Internationale ne le font. Ainsi le GSI (Groupe Socialiste Internationaliste) dans son communiqué du 20 août ou le Groupe pour la construction du Parti ouvrier Révolutionnaire dans son communiqué du 6 septembre, se contentent-ils d’appeler à se mobiliser pour le retrait des troupes françaises, mais ne se prononcent pas pour leur défaite et ne soutiennent pas la résistance afghane. Ces groupes cèdent ainsi à la pression de la bourgeoisie au lendemain de la mort des 10 soldats français sous les coups de la résistance afghane anti-impérialiste. Quant au Groupe Bolchevik (GB), il n’a toujours rien publié à ce sujet sur son site à la date du 11 septembre ! Mais, dans son texte du 1er août, il ne soutient pas lui non plus la résistance et ne se prononce pas pour la défaite de l’impérialisme !


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