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Le CRI des Travailleurs n°20     Article suivant >>

Pour empêcher de nouvelles défaites et de nouvelles trahisons, il faut préparer et imposer une grève générale, seule capable de stopper et de vaincre ce gouvernement

Plus de cinq mois après le triomphe du Non ouvrier et populaire au référendum du 29 mai, non seulement les travailleurs n’ont pas réussi à transformer l’essai par une victoire de la lutte de classe directe contre le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy, mais encore leurs luttes vont de défaites en défaites. Ces luttes contre le patronat et contre ce gouvernement illégitime et honni sont pourtant nombreuses et déterminées : tout indique que les travailleurs sont prêts au combat. C’est ce qu’a montré encore une fois le succès de la « journée d’action » intersyndicale du 4 octobre (la sixième depuis le début de l’année !) qui, malgré son manque total de perspective, a réuni 1,2 million de manifestants, avec des taux de grévistes comparables à ceux du 10 mars (1) et le soutien de 74 % des personnes interrogées par un sondage CSA pour L’Humanité. La volonté de combattre des travailleurs s’est manifestée également dans toute une série de grèves poursuivies au-delà du 4 octobre ; mais leur dispersion les a toutes conduites à des défaites totales ou partielles :

• grève des bagagistes de l’aéroport de Roissy, que leur isolement a empêché de résister à l’ordre préfectoral de réquisition sous prétexte de lutte anti-terroriste ;

• grève pendant trois semaines des travailleurs de Fralsen Groupe Timex à Besançon contre le plan de suppressions de postes et de licenciements secs ; là aussi, des sanctions judiciaires contre plusieurs grévistes ont contribué à la décision de reprendre le travail sans avoir obtenu satisfaction, même si le patron a dû payer une partie des jours de grève  et s’engager à des indemnités supplémentaires pour les licenciements ;

• grève d’un mois dans la principale raffinerie du pays, à Gonfreville l’Orcher (Seine-Maritime), pour les salaires, la reconnaissance des qualifications et la sécurité au travail ; malgré leur petit nombre, les grévistes ont réussi à tenir grâce à la solidarité de la population, de leurs collègues d’autres raffineries et des travailleurs d’autres entreprises ; en paralysant l’activité de l’établissement, ils ont faire perdre plus de 60 millions d’euros à Total ; pourtant, là encore, leur isolement a fini par les conduire à reprendre le travail après n’avoir obtenu que des avancées individuelles, sans aucun acquis collectif ;

• grève de dix-sept jours dans les transports publics de Nancy, les salariés finissant par accepter des propositions du patronat (en l’occurrence la Connex), soit une augmentation de salaires de 1,7 %, alors qu’ils en demandaient 8 % ;

• poursuite de la mobilisation chez Nestlé, avec une dizaine d’heures de grève par semaine en octobre, mais sans que la direction renonce aux points essentiels de son plan drastique de restructuration et de suppression de postes ;

• grève particulièrement puissante et déterminée des traminots de Marseille contre la privatisation rampante de la RTM ; cette grève se poursuit depuis tente-six jours à l’heure où ces lignes sont écrites, mais les pressions judiciaires (le préavis initial ayant été déclaré illégal par le Tribunal de Marseille) et les menaces de réquisition risquent de la conduire à une lourde défaite si elle continue à rester isolée.

Mais c’est bien sûr la grève des travailleurs de la SNCM contre la privatisation qui, par son caractère immédiatement national, en mettant directement en cause le gouvernement, a constitué le plus grand danger pour la bourgeoisie. Or cette lutte exemplaire de 24 jours, soutenue par la grande majorité des prolétaires conscients non seulement de Marseille et de Corse, mais de tout le pays, s’est soldée par une défaite majeure, qui est une défaite pour toute la classe ouvrière.

Or cette défaite, comme les autres défaites locales successives, ne s’explique ni par une quelconque faiblesse de la mobilisation, ni par la seule détermination du patronat et du gouvernement. En réalité, ces défaites sont avant tout le produit d’une politique de trahison : celle des dirigeants des syndicats et des principales forces politiques qui se réclament des travailleurs (2).

Les travailleurs de la SNCM trahis par les dirigeants syndicaux

C’est ainsi que les dirigeants des syndicats et du PCF (sans parler de la direction du PS) ont refusé d’exiger ne serait-ce que la préservation de la SNCM comme entreprise nationale de service public — et ils ont encore moins exigé, comme ils l’auraient dû, le contrôle des travailleurs sur les comptes de l’entreprise nationale et le retour au monopole de la SNCM pour assurer la continuité territoriale entre la Corse et le continent. En particulier, Jean-Paul Israël, le dirigeant de la CGT-SNCM (syndicat majoritaire), a accepté de « négocier » une privatisation partielle, tout en demandant que l’État reste majoritaire dans le capital. Thibault, de son côté, est intervenu personnellement pour aller « négocier » avec Villepin qui venait pourtant d’envoyer le GIGN contre les marins du Pascal-Paoli et les CRS contre les dockers et travailleurs du port. Comme gage de sa bonne volonté, le secrétaire général de la CGT a fait valoir, dans sa lettre au Premier ministre du 9 octobre, le sens des « responsabilités » des syndicats de la SNCM : il a rappelé que leurs dirigeants, après une « table ronde » avec les élus locaux et les représentants du gouvernement le 17 février dernier, puis « un cycle de huit rencontres techniques dites "structure de contact" », étaient parvenus à « un consensus sur les constats ». On reconnaît là la bonne vieille méthode du « diagnostic partagé », déjà mise en œuvre par les dirigeants syndicaux lors des discussions préalables à la réforme des retraites en 2003, au changement de statut d’EDF-GDF en 2004 ou encore à la loi Fillon contre l’école en 2005. Cette méthode du « diagnostic partagé » conduit de manière systématique à la défaite et à la trahison car elle consiste, pour les dirigeants syndicaux réformistes, à reprendre à leur compte les impératifs de rentabilité et de gestion capitalistes sous prétexte de « réalisme », au lieu de les dénoncer et de leur opposer la logique ouvrière de la défense bec et ongles des acquis, du développement des services publics sous contrôle ouvrier et de la lutte de classe la plus résolue. Or, dans sa lettre à Villepin, Thibault explique qu’il regrette l’interruption de la « concertation » qui avait commencé : ce serait, selon lui, la cause même de « l’impasse actuelle dans laquelle est placée la SNCM ». Enfin, Thibault souligne que la CGT est d’accord avec la privatisation partielle de la SNCM et la suppression de postes : « Vous avez pu noter, écrit-il à Villepin, que les syndicats de l’entreprise dont les organisations de la CGT n’ont pas bloqué la négociation. Ils ont accepté la perspective d’une présence de capitaux privés et l’hypothèse d’un plan social sous couvert d’en négocier précisément les dispositions. »

Cette ligne politique de Thibault et des dirigeants de la CGT, défendue au moment même où les salariés de la SNCM poursuivaient une grève massive et déterminée, était donc clairement celle de la capitulation et de la trahison (sachant que celle des autres confédérations était équivalente ou pire encore). À partir de là, l’opération bureaucratique menée par les dirigeants syndicaux a consisté à isoler ces travailleurs : tout d’abord, les dirigeants des syndicats nationaux des dockers et des travailleurs portuaires ont refusé d’étendre la mobilisation aux autres ports du pays ; de son côté, Alain Mosconi, dirigeant du Syndicat des travailleurs corses, n’avait pas hésité à lever le blocage des ports corses, qui avait pourtant été complet pendant quelques jours et aurait pu servir de tête de pont pour l’extension du conflit. Ensuite, les dirigeants des syndicats des dockers et des travailleurs portuaires de Marseille ont appelé ces deux catégories à reprendre le travail, alors que la jonction avec les travailleurs de la SNCM et avec la puissante grève des traminots de la RTM commencée le 4 octobre, était clairement possible. Finalement, le 13 octobre, tous les dirigeants syndicaux ont repris à leur compte le chantage du gouvernement, ils ont affirmé que « nous ne pouvons rien faire contre la justice et le processus de dépôt de bilan » (J.-P. Israël au meeting du PCF le 22 octobre) ; en fait, ils ont présenté cette issue comme une fatalité juridique (convoquant des avocats pour en convaincre les grévistes !), alors qu’il s’agissait d’une question politique : il n’est pas douteux que, face à une généralisation de la grève à l’appel des directions syndicales après le 4 octobre, le gouvernement aurait pu reculer. Les responsables syndicaux de la SNCM ont poussé l’ignominie jusqu’à faire voter les salariés, à bulletin secret, même pas simplement pour ou contre la poursuite de la grève, mais « pour la poursuite de la grève = dépôt de bilan » ou « reprendre le travail pour assurer la pérennité de l’entreprise » ! Dans ces conditions, ils ont réussi à imposer la reprise du travail alors que la grève était restée jusque-là puissante et déterminée ; ils ont ainsi offert une victoire sans précédent à Villepin, qui constitue un coup sévère pour toute la lutte de classe de ce pays.

La mobilisation du 4 octobre laissée sans suite malgré son succès

La grève des travailleurs de la SNCM a fortement contribué à faire de la « journée d’action » syndicale du 4 octobre un succès. Réciproquement, le succès du 4 octobre a accru leur détermination, car ils espéraient bien qu’elle soit le premier pas d’une généralisation de leur propre lutte. Et c’était tout à fait possible, comme l’ont montré les différentes grèves qui se sont poursuivies courageusement, malgré les directions syndicales nationales, après le 4 octobre. D’ailleurs, dans les jours qui avaient précédé cette « journée d’action », la pression des travailleurs conscients et des militants lutte de classe avait été telle que les dirigeants syndicaux s’étaient tous mis à promettre « des suites », quoique en termes bien vagues. Du côté de la bourgeoisie, la crainte d’une radicalisation des travailleurs était bien réelle. Elle avait été exprimée ouvertement, à la veille du 4 octobre, par une association de directeurs des ressources humaines, « Entreprise et Personnel », qui avait souligné le risque d’une « radicalisation d’autant plus dangereuse qu’elle est d’abord rampante et discrète ». Citant ce propos dans Le Monde du 3 octobre et l’illustrant par le détournement du Pascal-Paoli, le journaliste Michel Noblecourt écrivait pour sa part, au sujet de la « journée d’action » : « Cette "journée-soupape" rendra visible et canalisera le mécontentement. (…) Le meilleur scénario pour le gouvernement est que ce soit une journée exutoire. » De même, dans La Croix du 4 octobre, l’article consacré à l’événement du jour se terminait par une citation de Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et spécialiste du syndicalisme, pour qui « l’envers de la faiblesse des syndicats, c’est qu’ils ne contrôlent plus la conflictualité, et il y a toujours des risques de radicalisation ».

Mais, une fois de plus, les dirigeants syndicaux n’ont en réalité pas donné la moindre « suite » à leur « journée d’action », alors qu’ils en ont eux-mêmes reconnu le succès et que Villepin, quant à lui, n’a même pas fait semblant d’en tenir compte, n’envisageant même pas de recevoir les syndicats avant mi-novembre. Puis, après avoir provoqué la défaite des travailleurs de la SNCM en les laissant isolés, les dirigeants syndicaux s’en sont servis pour justifier leur refus d’appeler à une quelconque mobilisation générale. Réunis le 17 octobre, près de deux semaines après le succès du 4, les dirigeants des confédérations se sont contentés de demander au gouvernement et au patronat… de les recevoir rapidement ! La CFDT a justifié son refus de poursuivre l’action commune avec les autres organisations en leur reprochant d’être trop sévères avec le gouvernement, qui est selon elle plutôt… un allié des syndicats ! C’est ainsi que Rémi Jouan, secrétaire confédéral, avait déclaré la veille du 4 octobre : « Il n’est pas question de demander un "Grenelle des salaires". Ce que nous souhaitons, c’est faire pression sur le patronat et que le gouvernement nous y aide en utilisant les leviers dont il dispose, comme les allègements de charges. » (La Croix, 3 octobre, p. 10). Mailly, pour FO, a bien été obligé de constater que les travailleurs en ont assez des « journées d’action » dispersées et sans lendemain… mais il en a conclu qu’il ne fallait plus rien faire du tout — en attendant, bien sagement, de prochaines rencontres avec le gouvernement. La CGT, enfin, a justifié son propre attentisme en arguant auprès de ses militants que la CFDT ne voulait pas poursuivre la mobilisation, sur le refrain bien connu du « c’est pas ma faute, c’est à cause des autres »… C’est ainsi que tous les bureaucrates, chacun à sa manière, se sont évertués à donner raison à Villepin qui avait déclaré le 6 octobre sur France 2 : « Nous avons des syndicats modernes et nous pouvons élaborer des solutions ensemble. » (3)

Va-t-on laisser le gouvernement mener sa politique jusqu’en 2007 ?

Alors que, en juin, les dirigeants des syndicats et des forces politiques du Non de gauche nous avaient promis une « rentrée chaude » à l’occasion des « 100 jours » de Villepin à Matignon, le gouvernement est en réalité sorti renforcé de ses épreuves du mois d’octobre, qui constituait son baptême du feu social. Par coïncidence, le Conseil d’État a rendu public quelques jours après la défaite de la SNCM son rejet du recours déposé cet été par les syndicats contre le Contrat nouvelles embauches : la politique de Villepin remporte victoires sur victoires, il s’affirme pour le moment comme l’homme de la situation ouverte par la défaite cinglante de Chirac-Raffarin au référendum.

C’est pourquoi le gouvernement n’a aucune raison d’hésiter à poursuivre sa politique, même s’il est manifestement soucieux d’éviter de multiplier les risques d’affrontements majeurs. Le budget de l’État pour 2006 prévoit ainsi la suppression de milliers de postes de fonctionnaires, de nouvelles économies sur les services publics, de nouvelles exonérations de charges sociales (18,2 milliards en 2001, 22 en 2005, 24 en 2006) et plusieurs dispositifs allégeant l’impôt des plus fortunés, à commencer par l’ISF (4) (au total, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, 70 % des réductions d’impôts prévues par le Budget 2006 profiteront aux 20 % des contribuables les plus riches). De la même façon, le budget de la Sécurité sociale prévoit le déremboursement de 156 nouveaux médicaments, la baisse de 35 à 15 % du taux de remboursement de 62 autres, la poursuite de l’augmentation du forfait hospitalier d’un euro chaque année (il passe donc de 14 à 15 euros), un forfait de 18 euros sur les opérations lourdes de plus de 91 euros (hors radiologie, IRM et biologie), un prélèvement sur les intérêts des plans épargne logement (PEL) et enfin la hausse de 0,2 point de la cotisation vieillesse (5).

Mais le dossier principal du gouvernement est la privatisation d’EDF. Avec une prudence qui témoigne de leur crainte d’une riposte majeure, Villepin et Breton ont enrobé l’annonce d’une « ouverture du capital » de multiples promesses et « garanties » : ils ont ainsi limité (pour le moment) cette « ouverture » à 15 % et promis de ne pas descendre en dessous des 70 % de capital étatique que prévoit la loi du 9 août 2004 (c’est ce qu’ils appellent « ne pas privatiser EDF ») ; ils ont en outre affirmé que le secteur nucléaire resterait sous le contrôle de l’État, et ils se sont engagés à garantir la péréquation tarifaire et une modération des tarifs pendant cinq ans. La raison de cette prudence est que le dossier de la privatisation d’EDF, entreprise nationale florissante et bastion du syndicalisme, notamment CGT, serait explosif si les dirigeants des syndicats et des forces politiques de gauche voulaient réellement l’empêcher. On se rappelle notamment la grande manifestation des électriciens et gaziers du 3 octobre 2002. On se souvient aussi de leur combat contre la réforme de leur régime de retraite spécifique que le gouvernement Raffarin avait voulu leur faire avaliser par référendum en janvier 2003 avec la complicité de la CGT — le « Non » largement majoritaire à cette contre-réforme, résultat d’une grande mobilisation militante, ayant été le prodrome du mouvement du printemps contre la réforme Fillon.

Malheureusement, on se souvient aussi de la défaite de la mobilisation contre le changement de statut d’EDF en 2004, qui a été un coup majeur. Cependant, il ne suffirait sans doute pas à lui seul pour empêcher une riposte aujourd’hui, si les directions voulaient vraiment la mener et affichaient clairement l’objectif de préserver EDF comme entreprise publique nationale par tous les moyens. Mais la direction de la fédération CGT se contente de faire signer… une pétition dérisoire, adressée au Premier ministre (6) ; et elle s’est bien gardée, tout comme sa petite complice de FO, de préparer sérieusement la nouvelle « journée d’action » qu’elle avait elle-même convoquée pour le 8 novembre, et qui a dès lors été un fiasco total, avec 7 % de grévistes et moins de 500 manifestants à Paris.

Les organisations d’extrême gauche (LCR, LO et PT) une nouvelle fois flancs-gardes des gros appareils

Face au comportement de capitulation et de trahison des bureaucrates syndicaux et du PCF, on serait en droit d’attendre d’organisations qui se réclament de la révolution qu’elles proposent avec force une véritable politique alternative. Malheureusement, si l’on se tourne vers les trois principales organisations d’extrême gauche (LCR, LO et PT), on est navré de constater à quel point elles couvrent la politique des bureaucrates, à laquelle elles n’ont généralement rien à opposer d’autre qu’une poignée de critiques superficielles.

Le double langage de la LCR

Interviewé dans la manifestation parisienne du 4 octobre, Olivier Besancenot a déclaré : « C’est un succès. Cette journée a été ouverte par le bal de la mobilisation à Marseille. On espère que la gauche annoncera autant de journées de mobilisation que de candidats pour 2007. » Autrement dit, le porte-parole de la LCR n’a rien d’autre à proposer aux travailleurs qu’une série de journées d’action sans perspective, au lieu de mettre en avant l’objectif de la grève générale comme seul moyen de vaincre le gouvernement. De fait, au lendemain du 4 octobre, la seule « perspective » proposée par la LCR était résumée par sa sempiternelle formule insipide : « le 5, on continue ». L’éditorial de Rouge du 6 octobre, écrit par Yvan Lemaitre (qui représente pourtant un courant de gauche à l’intérieur de la Ligue), prenait au mot les déclarations des dirigeants syndicaux qui faisaient mine d’envisager des « suites », au lieu de dénoncer leur refus de mettre en avant une véritable perspective de lutte et de véritables propositions pour poursuive la mobilisation vers la grève générale. Puis, après la défaite de la SNCM le 13 octobre, la LCR a mis elle-même en avant une nouvelle « journée d’action », d’ailleurs fort lointaine, celle du samedi 19 novembre « pour la défense des services publics », conçue par ses organisateurs comme une kermesse citoyenne, évitant soigneusement la question de la grève.

Il a fallu attendre le Rouge du 27 octobre, pour qu’un article de bas de page, dû également à Yvan Lemaitre, mais ne représentant manifestement par la ligne majoritaire de la LCR, dénonce enfin clairement les directions syndicales et leur « politique délibérée » consistant à « étouffer la mobilisation, isoler les secteurs les plus combatifs, organiser la défaite ». Mieux vaut tard que jamais, mais un tel article (partiellement repris sous une forme atténuée dans un tract national du 31 octobre) ne saurait faire oublier le refus de dénoncer et de combattre les directions syndicales qui a été celui de la LCR avant, pendant et après le 4 octobre, c’est-à-dire au moment où les militants ouvriers et les travailleurs combatifs, pleinement investis dans la construction de la mobilisation et enthousiasmés par la grève de la SNCM, avaient plus que jamais besoin d’un discours et d’une orientation clairs pour combattre frontalement les bureaucrates syndicaux. D’autre part, la dénonciation tardive des directions du mouvement ouvrier n’a nullement eu pour effet de modifier la ligne générale de la LCR consistant à couvrir la tactique des « journées d’action » appelées par ces mêmes directions. Par exemple, l’article « premier plan » de Rouge du 3 novembre, dû à Dominique Mezzi, se termine par : « Oui, il faut que toute la gauche, tous les syndicats, tout le mouvement du 29 mai, soient dans la rue le 8 novembre, puis le 19 novembre, pour tous les services publics ! » Là encore, le lecteur ne trouve ni dénonciation des bureaucrates, ni perspective de grève générale. D’ailleurs, dans la manifestation en question du 8 novembre, on n’a pas vu le moindre drapeau de la LCR parmi les manifestants, pourtant fort peu nombreux : cette organisation n’a donc même pas la volonté de faire ce qu’elle dit !

Mais c’est sans doute sur la question centrale de la grande grève des travailleurs de la SNCM que la LCR a le mieux montré la duplicité qui est la sienne, couvrant l’opération bureaucratique qui a abouti à la casse de la grève. D’un côté, elle a certes dénoncé la privatisation, se prononçant plusieurs fois pour une SNCM « 100 % publique » ; mais, d’un autre côté, on lit dans son communiqué officiel du 6 octobre — donc en plein cœur du conflit — : « La lutte continue et ils (les grévistes de la SNCM et leurs syndicats – NDR) maintiennent leur juste revendication : que la SNCM reste une compagnie publique, que l’État reste majoritaire. » La LCR a ainsi repris à son compte la capitulation des bureaucrates syndicaux qui acceptaient la privatisation partielle au lieu de défendre bec et ongles l’entreprise publique nationalisée. Cette duplicité se retrouve de manière flagrante dans le numéro de Rouge du 20 octobre, le premier après la défaite de la SNCM : d’un côté, l’éditorial d’Yvan Lemaitre dit à juste titre que « les directions syndicales ont voulu faire croire qu’il y avait quelque chose à négocier au lieu de maintenir l’exigence des travailleurs : non à la privatisation ! » ; mais, d’un autre côté, à la page suivante, l’article de Samuel Johsua, qui fait le bilan de la grève (et auquel renvoie expressément l’éditorial d’Yvan Lemaitre…), réaffirme que la « revendication centrale de la grève »  aurait été « 51 % à l’État » — c’est-à-dire qu’il confirme l’amalgame de la LCR (ou d’une partie de sa direction) entre la revendication des grévistes et celle des bureaucrates syndicaux qui ont brisé la grève ! Quant aux travailleurs et aux militants de la Ligue eux-mêmes qui comptent sur leur direction pour les orienter clairement dans la lutte de classe, ils peuvent toujours se débrouiller avec cet écheveau de positions contradictoires ! En tout cas, ce confusionnisme entretenu par les sommets de la LCR revient globalement à une évidente couverture sur la gauche des appareils.

L’attentisme capitulard de LO

La politique de couverture des appareils pratiquée par LO n’a pas été essentiellement différente de celle de la LCR. D’un côté, on a pu lire exceptionnellement dans l’éditorial de Lutte ouvrière du 30 septembre qu’ « il n’y a pas d’autre issue pour les travailleurs que de contraindre les centrales syndicales à organiser des luttes et à les fusionner dans une lutte unique susceptible de frapper le grand patronat là où il est sensible, dans ses profits ». Ce passage a le tort de ne pas cibler sur le gouvernement et de ne pas indiquer clairement l’objectif de la grève générale ; mais il a au moins le mérite d’en appeler au combat pour l’unification des luttes et à faire pression sur les directions. Cependant, cette ligne à moitié correcte n’a été ni systématique, ni adressée aux masses.

C’est ainsi qu’Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, interviewée par les grands médias dans la manifestation du 4 octobre, n’a pas plus contesté que Besancenot la tactique des « journées d’action » mise en œuvre par les bureaucrates syndicaux, mais l’a au contraire défendue à sa manière, sur la « gauche », en déclarant : « Aujourd’hui dans la rue, demain préparons la suite. Il faut qu’il y ait rapidement une autre journée d’action pour que ceux qui hésitent dans le privé sentent que les organisations syndicales sont décidées à aller jusqu’au bout. » Il ne s’agit pas de propos isolés, puisque, dans une interview au Figaro du 6 octobre, A. Laguiller répète que, « maintenant, il faut d’autres journées, mais à une brève échéance, pour obliger le gouvernement non seulement à négocier mais aussi à céder ». Autrement dit, LO refuse de combattre réellement les directions syndicales et leur tactique démobilisatrice, surtout quand elle s’adresse aux médias.

D’autre part, LO n’est pas complètement contre l’objectif de « négocier » avec ce gouvernement, même si elle conçoit cette « négociation » dans le cadre d’un rapport de forces où celui-ci reculerait. Dans l’éditorial de Lutte ouvrière du 28 octobre (bulletin d’entreprises du 24), A. Laguiller va jusqu’à écrire à ce sujet que, « quel que soit le gouvernement, il faut le contraindre à changer de politique ». Autrement dit, LO confond les défaites que les travailleurs peuvent infliger à un gouvernement bourgeois par la lutte de classe avec la position purement réformiste, typique des directions syndicales, selon laquelle on pourrait faire pression sur un gouvernement bourgeois jusqu’à ce qu’il « change de politique » ! En ce cas, on ne voit vraiment pas pourquoi les travailleurs devraient se battre dans l’objectif de constituer leur propre gouvernement, pour faire eux-mêmes une politique conforme à leurs intérêts ! De fait, LO ne parle jamais de cet objectif dans sa presse et ses bulletins d’entreprise, se contentant d’évoquer vaguement le « communisme » lors de ses meetings, les jours de fête…

Certes, il arrive que LO dénonce les directions syndicales, comme dans Lutte ouvrière du 21 octobre, p. 3 ; mais c’est pour conclure simplement que, « si les syndicalistes [sic !] n’en veulent pas (de la lutte d’ensemble, NDR), les travailleurs devront l’imposer » ; certes, mais comment, avec quel objectif, par quels moyens, en suivant quelle initiative politique précise ? Cela, LO ne le dit jamais, elle ne propose rien ! En revanche, dès que survient une lutte concrète, qui exige d’en découdre avec les bureaucrates syndicaux briseurs de grève, LO renonce à tout véritable combat contre les bureaucrates. La grève majeure de la SNCM, test décisif pour apprécier la politique des différentes organisations, en fournit la preuve.

Dans la même interview au Figaro du 6 octobre, Arlette Laguiller déclare : « À la SNCM, les travailleurs ont obtenu un premier recul du gouvernement qui accepte désormais de rester à hauteur de 25 % du capital. Mais ce n’est pas suffisant car le projet de privatisation reste et, surtout, les menaces de licenciement ». Autrement dit, premièrement LO a repris à son compte le mythe d’un « recul » du gouvernement, alors qu’il s’agissait d’une manœuvre grossière et éculée de Villepin pour aider les bureaucrates syndicaux à faire croire que des « négociations » étaient possibles, qu’un terrain d’entente pouvait être trouvé au moyen de concessions réciproques. Et, deuxièmement, LO a relativisé la question de la privatisation, jugée moins importante que celle des licenciements, ce qui revenait en réalité à capituler sur l’exigence du maintien de la SNCM comme entreprise nationale publique. De fait, dans le numéro de Lutte ouvrière en date du 30 septembre, la page consacrée à la SNCM, signée par un « correspondant » comme s’il ne s’agissait que d’un conflit local, affirme elle aussi que le gouvernement « a déjà reculé » et se contente de mentionner que les syndicats, « pour la plupart, s’étaient dits prêts à accepter une entrée de capitaux privés même assortie de suppressions d’emplois sans licenciements secs, mais non la privatisation complète ». Mais le rédacteur ne fait aucun commentaire, comme s’il trouvait normal d’accepter la privatisation partielle ! Et l’article se conclut sans la moindre proposition, sans la moindre perspective : « Les marins, les ouvriers et les employés de la SNCM sont résolus à se défendre. Et ils ont la sympathie des autres travailleurs de la ville. »

Enfin, dans le numéro de Lutte ouvrière du 21 octobre, le premier après la défaite de la SNCM, l’éditorial, diffusé par ailleurs sous la forme d’un bulletin d’entreprises à des centaines de milliers d’exemplaires, nous parle de… « la pauvreté dans le monde » et de la nécessité de « mettre fin au capitalisme » ! Certes, mais trois jours après la défaite politique majeure des travailleurs de la SNCM, les lecteurs de LO, comme tous les travailleurs conscients du pays, attendaient sans doute avant tout des explications politiques claires pour comprendre la défaite d’une grève pourtant si puissante et déterminée. Certes, l’article qui se trouve sous l’éditorial dénonce à juste titre le refus des organisations syndicales de donner une suite au 4 octobre, leur demande de « négociations » et leur refus d’ « étendre le mouvement, ne serait-ce qu’à tous les secteurs menacés de privatisation » ; mais ce même article parle une nouvelle fois des prétendus « reculs du gouvernement devant la grève déterminée et combative de la SNCM », au lieu de caractériser la défaite-trahison comme ce qu’elle est ; puis il affirme que cette grève, « grâce à son caractère décidé, a pu gagner l’opinion ouvrière de deux régions », confirmant que, pour LO, l’affaire de la SNCM n’était que locale — alors que le Premier ministre et le secrétaire général de la CGT s’y sont personnellement investis ! De fait, c’est seulement dans la rubrique « Dans les entreprises » que l’article de bilan sur la SNCM se situe : LO en fait bien une question « marseillaise ». Sous un titre insipide (« Une bataille se termine »), le rédacteur (là encore un « correspondant ») nous fait le récit des faits, presque sans dénonciation des responsables syndicaux : il insiste même pour dire que la CGT s’est d’abord battue pour renforcer les grévistes, au lieu de mettre en évidence sa tactique perverse de trahison. Même sur la question du chantage au dépôt de bilan, le rédacteur se contente de s’interroger : « Un coup de bluff du gouvernement ? (…) Peut-être y était-il réellement décidé. » Certes, « peut-être », mais tout le problème, c’est que les directions syndicales, elles, étaient bien « réellement décidées » à ne pas en découdre avec ce gouvernement : c’est cela qu’il fallait avant tout dénoncer, au lieu de suggérer que, finalement, ce n’était « peut-être » pas si déraisonnable d’arrêter la grève ! En fait, la seule conclusion de cet article, c’est qu’ « on peut être fiers de notre grève qui a fait reculer le gouvernement » ! Bref, il n’y aurait pas vraiment de défaite, il faudrait considérer en somme que la grève n’a été qu’un « baroud d’honneur », comme s’il était évident qu’elle ne pouvait pas vaincre.

Certes, l’article dit, mais en passant, qu’ « il aurait fallu rallier les travailleurs d’autres entreprises » Cependant, non seulement LO ne l’avait guère écrit dans les articles consacrés à la SNCM les semaines précédentes, mais encore, l’article de la page d’à côté, consacré à la grève à la RTM, elle aussi très puissante, n’appelle absolument pas à l’extension de la grève (pas plus que celui paru dans le numéro suivant), mais préfère se terminer en annonçant… une « grande paella vendredi 14 octobre » et un « pique-nique sur le Vieux-Port » le 20… (7)

Enfin, en ce qui concerne la privatisation d’EDF, l’éditorial de Lutte ouvrière du 28 octobre (bulletin d’entreprises du 24) n’a pas la moindre proposition pour essayer de l’empêcher : A. Laguiller se contente de la dénoncer, tandis qu’un article à l’intérieur du journal, revenant correctement sur la politique de capitulation et de trahison des dirigeants syndicaux d’EDF, en conclut à mots à peine couverts… qu’il n’y a plus rien à faire : « Il y a trois ans, les travailleurs d’EDF étaient dans la rue. Les dirigeants syndicaux ont tout fait pour les décourager. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils mobilisent difficilement aujourd’hui… » Au demeurant, lors du meeting unitaire du 8 novembre, convoqué par la CGT-EDF, le PCF, les Verts, la LCR, etc., A. Laguiller, qui a décidé au dernier moment d’y participer, s’est bien gardée de dénoncer publiquement cette politique des dirigeants syndicaux, se contentant comme les autres intervenants d’un appel sans contenu au « tous ensemble ». Cette attitude est typique de LO : officiellement, et parfois dans le journal, on dénonce les dirigeants traîtres des syndicats et du PCF ; mais en cas de lutte, au moment où se pose concrètement la question de les combattre pratiquement, d’aider les travailleurs à surmonter l’obstacle des appareils, on plonge dans un silence complice. C’est la définition même de l’opportunisme politique.

Le PT, sectaire et réformiste

Quant au Parti des travailleurs, il n’a ni appelé les travailleurs à participer à la mobilisation du 4 octobre, ni dénoncé dans son journal Informations ouvrières (IO) ou dans ses tracts la tactique des directions syndicales, ni proposé quoi que ce soit pour aider les travailleurs à surmonter l’obstacle des appareils. Après le 4, IO, daté du 6, s’est contenté de reproduire quelques extraits d’une dépêche de l’AFP qui citait elle-même de simples témoignages de manifestants ; la rédaction annonçait : « nous reviendrons la semaine prochaine sur cette journée » ; mais, en réalité, dans les numéros suivants, on a cherché en vain quelque article que ce soit sur cette « journée d’action » : seul l’éditorial l’évoque, en indiquant à juste titre que « les travailleurs sont prêts ». Mais, au lieu de dénoncer le refus des directions syndicales de donner une suite et d’appeler à la généralisation de la grève, Daniel Gluckstein conteste la position de Thibault sur la question de la SNCM, en épargnant les autres directions syndicales ; puis il cite, en la prenant au mot, la « demande » de J.-P. Israël, adressée à la confédération CGT, d’une « généralisation de la grève »… sans rappeler que le même Israël avait en même temps accepté le principe d’une privatisation partielle.

D’ailleurs, même en s’appuyant sur le propos cité d’Israël, le devoir d’un parti ouvrier indépendant n’était-il pas avant tout de proposer des moyens concrets pour aider les travailleurs à imposer la grève générale aux directions syndicales traîtres, en dénonçant clairement celles-ci comme traîtres ? Or, le PT n’a rien fait pour combattre les bureaucrates, pour aider à la mobilisation des travailleurs qui voulaient une suite au 4 octobre, pour la réalisation concrète d’un véritable front unique. Et, après la défaite de la SNCM, il n’a pas dressé le moindre bilan pour l’expliquer à ses lecteurs, il n’a même pas publié le moindre article, participant ainsi à distiller un sentiment d’impuissance chez les travailleurs confrontés à une défaite qu’aucune organisation de taille nationale ne leur a expliquée correctement.

En fait, pendant tout le mois d’octobre, la principale préoccupation du PT a été comme d’habitude non pas d’aider à la mobilisation des travailleurs et à la réalisation du front unique des organisations, mais d’assurer le succès… de sa propre initiative auto-isolée, à savoir sa « Convention nationale pour la reconquête de la démocratie », pour la défense de la « République » et de la « nation ». D’ailleurs, même dans ce cadre auto-isolé, ce n’est pas tant le gouvernement Chirac-Villepin que l’Union européenne, présentée comme cause de tous les maux,  que le PT appelle à combattre ! Même la privatisation de la SNCM n’a pas été combattue avant tout comme une décision du gouvernement français, mais comme une « décision de Bruxelles »… ce qui conduisait de fait à déplacer le problème en refusant de centrer le combat sur Chirac-Villepin.

À la politique de Bruxelles et ses conséquences, le PT et ses alliés opposent une « démocratie sociale » qui aurait existé… avant Maastricht ! En reprenant à son compte cette notion de « démocratie sociale », le PT vient de franchir encore un pas dans cette fuite en avant petite-bourgeoise qui, à partir d’une défense para-syndicale des acquis sociaux, le conduit toujours plus loin dans l’idéalisation du « bon » capitalisme des années 1950-70, de la « bonne » République bourgeoise et même de la « bonne » « nation souveraine » d’autrefois. Tout militant révolutionnaire reconnaît là l’enfoncement de plus en plus explicite de la direction du PT dans le cadre de pensée et d’action qui est celui du vieux réformisme traditionnel, collaborateur et chauvin, celui du prétendu « État social » en Allemagne… et des bureaucrates de FO en France…

Les militants et travailleurs d’avant-garde doivent se coordonner et agir ensemble contre la collaboration de classe

Face à l’actuelle disponibilité manifeste des travailleurs au combat, à la nouvelle série de défaites et de trahisons qui frappent leur lutte de classe et à la politique de flancs-gardes des appareils bureaucratiques pratiquée par les dirigeants des principales organisations d’extrême gauche, les militants révolutionnaires, les militants ouvriers combatifs et les travailleurs conscients qui veulent en découdre avec le gouvernement — c’est-à-dire l’avant-garde du prolétariat — doivent se rassembler pour discuter et agir ensemble au-delà de leurs différences idéologiques et organisationnelles. Ils doivent se réunir en constatant que la principale condition d’une riposte d’ensemble réside dans la rupture avec la collaboration de classe pratiquée par les appareils bureaucratiques des syndicats, du PCF, etc. : rupture des prétendues « négociations » avec le gouvernement, rupture avec la tactique des « journées d’action » dispersées et sans lendemain.

Cette lutte politique intransigeante contre les collaborateurs de tout poil qui dirigent le mouvement ouvrier officiel est possible, nécessaire et urgente. Elle dépend avant tout de la conscience et de la détermination politiques dont doivent faire preuve les militants d’avant-garde et les travailleurs combatifs. Elle doit avoir pour objectif de préparer et d’imposer la seule riposte capable de stopper le gouvernement : la grève générale. Celle-ci ne se décrète pas, mais il est clair que, sans cet objectif politique ouvertement affiché, les travailleurs ne pourront l’imposer, ils ne pourront surmonter l’obstacle des appareils et ne subiront que des défaites. C’est donc sur cet axe qu’il faut intervenir, d’une part en soumettant à la discussion et au vote des résolutions en ce sens dans les structures syndicales, dans les cellules des organisations politiques et dans tous les collectifs pour le Non que les bureaucrates n’ont pas réussi à liquider ; d’autre part, en convoquant des réunions de travailleurs pour débattre de cette orientation partout où c’est possible et pour constituer des comités politiques pour la préparation de la grève générale.

C’est dans ce cadre que le Groupe CRI propose aux militants syndicaux partisans de la véritable lutte de classe, aux organisations, groupes et courants adversaires de toute collaboration de classe, de se rassembler tout particulièrement pour constituer une tendance intersyndicale lutte de classe et anti-bureaucratique ; un projet d’appel en ce sens est en cours d’élaboration et sera prochainement soumis à la discussion. Pour y participer, contactez-nous !


1) Si le nombre de grévistes était en baisse dans l’éducation par rapport au 10 mars, il était équivalent ou en hausse dans les autres secteurs publics, avec près de 30 % à la poste, 40 % à France Telecom, à la RATP et à la SNCF, jusqu’à 50 % au ministère des finances… Dans le secteur privé, le nombre de grévistes était beaucoup plus limité, mais en nette hausse par rapport au 10 mars.

2) Ici, nous nous en tiendrons essentiellement à la trahison des dirigeants syndicaux, étant donné leur rôle central dans les luttes et les défaites du mois d’octobre. L’article ci-dessous de Frédéric Traille, reviendra plus précisément sur la politique similaire du PCF.

3) Rappelons que la tactique des « journées d’action » sans lendemain des dirigeants syndicaux ne date évidemment pas d’aujourd’hui. Pour nous en tenir aux seules mobilisations qui ont eu lieu depuis le deuxième mandat de Chirac, rappelons que, lors du puissant mouvement du printemps 2003 pour la défense des retraites et contre la « décentralisation », les dirigeants des syndicats avaient pourtant refusé d’appeler à la grève générale, même dans la Fonction publique très fortement mobilisée ; les « réformes » des retraites et de la décentralisation avaient pu passer malgré une bonne dizaine de « journées d’action » extrêmement puissantes et la « grève reconductible » de centaines de milliers de salariés, notamment de l’Éducation. De même, en avril-mai 2004, les dirigeants des syndicats, officiellement opposés au changement de statut d’EDF-GDF, avaient pourtant refusé d’appeler les salariés de cette entreprise à la grève générale, allant jusqu’à condamner les actions dites « sauvages » de ceux qui refusaient cette capitulation sans combat ; la « réforme » Raffarin-Sarkozy du statut d’EDF-GDF, phase décisive de l’actuel processus de privatisation, avait pu passer malgré plusieurs « journées d’action » couronnées de succès. De même encore, en février-avril 2005, les dirigeants des syndicats enseignants et des organisations lycéennes (FIDL, UNL, JC…), condamnant officiellement la loi Fillon, avaient pourtant refusé de préparer et d’appeler à la grève générale de l’Éducation, même après l’extension largement spontanée des actions de « blocage » des lycées par les élèves les plus combatifs ; la loi Fillon avait pu passer, malgré une demi-douzaine de « journées d’action » puissantes. Etc.

4) Alors que le PS protestait comme une vierge effarouchée contre cette mesure, le ministre du Budget, Jean-François Copé, a perfidement mais fort justement rappelé à l’Assemblée les propositions faites naguère par deux élus PS, Michel Charzat et Éric Besson, pour un « aménagement de l’ISF » destiné à « encourager les investisseurs » (Le Figaro, 19 octobre 2005).

5) Faisant mine de croire que cela pourrait suffire à appuyer la fable d’une répartition équitable des frais liés à l’augmentation des dépenses de santé, le gouvernement a aussi décidé une légère augmentation de l’impôt sur les profits pharmaceutiques… On comprendra en lisant ci-dessous l’article de Laura Fonteyn que cela ne devrait pas trop gêner les trusts florissants de cette industrie…

6) Rappelons que, en son temps, Denis Cohen, membre du Comité national du PCF, et qui était alors secrétaire général de la fédération CGT des mines et de l’énergie, n’avait pas hésité à dire que l’idée d’une ouverture du capital n’était pas un tabou et qu’il fallait en « examiner » les conséquences. Cette interview, donnée au journal Le Monde du 10 février 2002, se trouvait sur la même page que la déclaration du PDG de l’époque, Roussely, proche du PS, qui annonçait officiellement ce projet. Au congrès de l’automne 2004, Denis Cohen, trop ouvertement collaborateur, a été remplacé à la tête de la fédération par son bras droit de l’époque, Frédéric Imbrecht, plus « à gauche » en paroles, mais non en faits.

7) Notons que, dans sa tribune qui dresse elle aussi le bilan de la grève de la SNCM dans le même numéro de Lutte ouvrière en date du 21 octobre, la Fraction de LO est beaucoup plus correcte que la direction : elle souligne le caractère national de cette grève et dénonce avec clarté et virulence la politique des bureaucrates syndicaux, à laquelle elle oppose à juste titre une réelle démocratie dans la grève. Cependant, l’article se conclut en versant dans un certain gauchisme anti-syndical, au lieu d’appeler les syndiqués à s’organiser pour en découdre avec les bureaucrates traîtres et pour se réapproprier leurs syndicats.


Le CRI des Travailleurs n°20     Article suivant >>