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Après la grève étudiante de novembre-décembre 2003, la répression s'abat sur des syndicalistes étudiants


Auteur(s) :Paul Lanvin, Antoni Mivani
Date :15 avril 2004
Mot(s)-clé(s) :syndicalisme, étudiants
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Une grève vaincue mais lourde de menaces pour le gouvernement

En novembre-décembre 2003 a eu lieu un important mouvement étudiant contre la réforme dite ECTS/LMD (Système européen de transfert de crédits/Licence-Master-Doctorat — décrets et arrêtés Lang d’avril 2002) et contre le projet de loi de Luc Ferry, qui entendant compléter la réforme en conférant aux universités une autonomie administrative et financière complète (cf. Le CRI de Travailleurs n°5-6, juin-juillet 2003). Ce mouvement a été d’ampleur nationale : il a touché près de 30 universités, dont environ 10 bloquées par les piquets de grève des étudiants, notamment suite à l’appel en ce sens lancé par la coordination nationale de Rennes (cf. Le CRI des travailleurs n°9, novembre-décembre 2003).

Mais ce mouvement a été défait, notamment en raison de la trahison des appareils syndicaux majoritaires. La série de trahisons de l’Unef, sa pratique gestionnaire et son clientélisme légendaire ont conduit depuis des années à un effondrement du nombre d’étudiants syndiqués. Dans ce désert syndical presque complet, l’Unef possède encore un poids relativement important, malgré l’effondrement de ses propres effectifs. Or, elle apporte un soutien critique aux réformes, qui ont été engagés par la gauche plurielle au pouvoir et appliquées par la droite et de la crise du syndicalisme étudiant. D’autre part, le Snesup, principal syndicat d’enseignants dans le supérieur, se refuse obstinément, tout comme l’Unef, à exiger l’abrogation des décrets ECTS/LMD, se contentant de demander un cadrage national a priori (maquettes nationales définissant des contenus et volumes horaires d’enseignement) : il sait pourtant parfaitement que la réforme n’a d’autre fonction que de dynamiter les diplômes nationaux liés aux droits collectifs des travailleurs pour adapter la formation universitaire aux besoins du patronat. Cette position constitue un obstacle considérable sur la voie de la mobilisation en masse des étudiants et des personnels.

Malgré sa faiblesse, ce premier mouvement étudiant d’ampleur nationale depuis plus de cinq ans n’a pas manqué d’inquiéter le gouvernement et les directions des universités, chargées d’appliquer les réformes en y associant les syndicats d’enseignants, d’IATOS et d’étudiants. En particulier, le mouvement a été dur sur une dizaine d’universités, des liens ont commencé à être tissés entre les étudiants mobilisés de différentes villes et une organisation de lutte, combattant résolument la politique de casse de l’enseignement public, structurée au niveau national quoique encore petite, est apparue dans cette mobilisation : la FSE-SE (Fédération Syndicale Étudiante-Solidarité Étudiante) qui, constituée en juillet 2003, a été à l’initiative de la journée du 20 novembre, point de départ de l’extension de la mobilisation. La FSE-SE a joué un rôle dirigeant dans trois des dix grèves sérieuses (Caen, Paris I-Tolbiac, Toulouse-Le-Mirail) et a combattu clairement la ligne d’amendement de la réforme, en exigeant l’abrogation pure et simple de la réforme, alors que l’Unef s’efforçait d’imposer en appelant à une « bonne harmonisation européenne ».

En un mot, le mouvement de novembre-décembre, trahi et vaincu, pourrait bien être la première vague d’un mouvement à venir plus puissant et plus structuré sur les Universités, que l’existence de la toute jeune FSE peut contribuer à faire mûrir chez les étudiants.

Le gouvernement peine à faire appliquer la réforme ECTS/LMD

Or, contrairement aux apparences, le gouvernement et ses relais au sein des universités ont bien du mal à faire appliquer la réforme. Certes, la méthode consistant à fixer un cadre national pour faire ensuite appliquer, université par université, avec un chantage aux crédits (si vous ne vous dépêchez pas d’appliquer la réforme, vous serez mal servis en postes et en moyens financiers) s’est montrée dans un premier temps très efficace : elle a notamment facilité la participation des enseignants, soucieux de préserver leur discipline et leur laboratoire, à la mise en œuvre de la réforme. Mais le gouvernement ne pouvait indéfiniment cacher la réalité : les projets de maquettes envoyés pour avis au Ministère devaient bien redescendre un jour. Or les enseignants, dupés par leurs syndicats, qui leur faisaient miroiter une illusoire « bonne application » de la réforme, avaient souvent rédigé des projets de maquettes très optimistes. Dès lors, le Ministère comme les directions d’université savaient parfaitement que le retour des maquettes de licence et de master allait être douloureux.

C’est pourquoi il était essentiel au gouvernement et aux directions d’université d’utiliser, à titre d’exemple, l’arme de la répression contre les enseignants et les étudiants grévistes de novembre-décembre. Cela s’inscrit dans un contexte plus général où les actes de répression contre les grévistes et les syndicalistes n’ont cessé de se multiplier récemment, notamment à la suite de la montée vers la grève générale de mai-juin 2003, dans l’objectif d’affaiblir les travailleurs en s’en prenant à ses cadres organisateurs, au moment où ils vont devoir affronter une nouvelle série de contre-réformes, notamment sur la Sécurité Sociale. C’est ainsi que, la répression a frappé des syndicalistes étudiants de la Tendance « Tous Ensemble » de l’Unef (tendance animée par les JCR) qui avaient défendu des étudiants dont on refusait l’inscription à Paris-X-Nanterre et à Paris-VI — et qui ont été dénoncés à l’administration par la direction de l’Unef elle-même (Parti Socialiste).

La répression contre les grévistes de Paris I et contre la FSE

Particulièrement exemplaire est la répression qui s’est abattue sur les grévistes de l’Université de Paris I et sur la FSE-SE en tant que seul syndicat combattant réellement pour l’abrogation pure et simple des décrets et arrêtés ECTS/LMD, contre l’application dans chaque université, pour le refus de participer aux commissions de travail d’élaboration des maquettes. Le centre Tolbiac de l’Université Paris-I a été en grève réelle pendant trois semaines, avec de véritables piquets de grève bloquant l’accès. Or le Président de l’Université de Paris-I, M. Kaplan (par ailleurs membre du Snesup), a engagé des poursuites pénales et disciplinaires contre trois étudiants-enseignants (allocataires-moniteurs) considérés comme les « meneurs » de la grève. Parmi eux, deux sont des responsables de la Fédération Syndicale Étudiante (FSE) : le secrétaire national de la fédération et le président de la section de Paris-I, le premier étant par ailleurs connu comme militant du Groupe CRI. La Présidence de l’Université a d’ailleurs à peine caché son souhait d’éliminer ce syndicat devenu gênant. Accusés dans un premier temps « d’atteinte à l’autorité de l’État, destruction, dégradation, et détérioration dangereuse pour les personnes ainsi que de rébellion » (sic !), les militants visés risquaient à la fois de très lourdes sanctions disciplinaires et des poursuites pénales.

La riposte s’organise et oblige le Président de l’Université Paris I à reculer

Face à la répression, le Collectif National de la FSE réuni à Bordeaux les 7 et 8 février 2004 décidait d’organiser la riposte : pétition nationale de la FSE et lettre adressée à toutes les organisations, syndicats et partis «se revendiquant du mouvement social et des libertés démocratiques». La pétition a recueilli plus de 1 500 signatures sur l’université Paris 1, plus de 2000 à Toulouse, 300 à Pau, 300 à Limoges, etc. Le 11 février, les personnels IATOS du centre Tolbiac se sont réunis en Assemblée Générale : ils ont voté une motion exigeant de la Présidence l’arrêt immédiat de toutes les poursuites, ont mandaté une délégation, ont fait circuler la pétition. Au niveau national, la FERC-Sup CGT a pris une position très ferme dès le 12 février, dénonçant les atteintes au droit de grève et demandant l’arrêt immédiat des poursuites. Sud-Etudiant a pris position le lendemain, tout comme la tendance Émancipation de la FSU. Le 14 février, le secrétaire général du Snesup adressait une lettre au président de Paris-I, demandant en des termes vifs l’arrêt des poursuites. Sud-Education Paris a également pris position et, au niveau local, la section PCF du 5e arrondissement, la section LCR 5e-13e arrondissements, les sections CGT, CNT et Sud-Etudiant de Paris 1 — ainsi que, à contre-cœur, le Snesup de Paris-I. Enfin, Marie-Georges Buffet (secrétaire nationale du PCF), Alain Krivine (dirigeant de la LCR), Arlette Laguiller (porte-parole de LO) et Olivier Besancenot (dirigeant de la LCR) ont signé la pétition...

Ce début de pression a conduit le président de l’université (aidé en cela, de l’aveu même de sa responsable, par la section locale du Snesup) à modifier les chefs d’accusation pour la section disciplinaire : il s’est mis à parler désormais d’ « atteinte au matériel de sécurité du centre PMF [Tolbiac] et utilisation abusive de la qualité d'enseignant pour faire pression sur les étudiants ». Le président a en outre annoncé avoir porté plainte au pénal (donc sur les premiers chefs d’accusation).

Tentative d’intégrer les syndicats à la limitation du droit de grève

La mobilisation s’est donc poursuivie : elle a été marquée notamment par plusieurs Assemblées Générales suivies de délégations communes avec le personnel de l’université et par l’adoption de motions demandant l’arrêt des poursuites dans plusieurs conseils d’UFR. Le président a dû changer de tactique. Face à la difficulté de passer en force, il a cherché à associer tous les syndicats de l’université à la remise en cause du droit de grève par la rédaction d’un nouveau règlement intérieur, conditionnant la levée définitive des poursuites, provisoirement « suspendues », à la signature par les syndicats, y compris la FSE-SE, de ce nouveau règlement intérieur. Si la direction du Snesup Paris-I était toute disposée à collaborer, la Présidence a essuyé un refus clair et net de la FSE et de la CGT, qui s’est adressée à tous les syndicats pour appeler au boycott de la commission chargée d’élaborer ce nouveau règlement intérieur. Pour compléter ce dispositif anti-grève, la Présidence de l’Université étudie la possibilité de « délocaliser » les premiers cycles concentrés à Tolbiac sur différents centres, dans le but de réduire ce foyer de grèves étudiantes.

Dans le même temps, les tentatives d’intimidation contre les militants de la FSE-SE a continué : le local du syndicat (ainsi que celui de l’UNEF) a été cambriolé dans la nuit du jeudi 19 au vendredi 20 décembre par des gens qui avaient les clés (seuls quelques militants et l’administration disposent des clés du local) ; le représentant du syndicat élu au Conseil d’Administration s’est vu menacé d’être jeté physiquement dehors par le président et ses sbires parce qu’il présentait une motion demandant le retrait d’un diplôme local payant (5 000 euros !) pour les étudiants étrangers ; un des militants poursuivi s’est vu agrippé par le président alors qu’il intervenait dans une Assemblée Générale sur la recherche organisée par l’administration...

À l’heure où ces lignes sont écrites, toutes ces péripéties ne sont pas encore terminées. Mais ce qui est sûr, c’est que le contexte politique met en lumière la signification globale de cette répression à Paris-I. Le gouvernement s’apprête à casser la Sécurité sociale avec l’aide des directions des syndicats, à limiter le droit de grève après concertation avec les syndicats, à ressortir le projet d’aggravation de l’autonomie financière des universités, à généraliser et achever l’application de la réforme LMD mise en place petit à petit par les universités avec l’aide des appareils syndicaux majoritaires... Mais, ici et là, des militants, des sections locales, des unions locales ou départementales, des syndicats entiers résistent à l’intégration. Le combat intransigeant de certains militants constitue un encouragement et un appui pour se dresser face au gouvernement et à sa politique de casse sociale. Comment le gouvernement et ses valets pourraient-ils le tolérer ?

Annexe : quelques prises de position solidaires

1) Motion adoptée par l’AG des IATOS de Paris I- Tolbiac le 11/02/04

« Les personnels de Tolbiac, réunis le 11/02/2004, ont décidé de demander à être reçus par le Président Kaplan pour :

- exiger le retrait de toutes poursuites engagées contre trois collègues (enseignants/étudiants) ;

- protester contre la répression des mouvements sociaux et syndicaux ;

- réaffirmer et témoigner du caractère démocratique du mouvement de décembre.

Une pétition circule que nous vous invitons à signer» : ‘Je soussigné(e), quelle que soit notre appréciation des réformes en cours, quelle que soit notre appréciation sur la grève de novembre et décembre 2003 à Tolbiac, ses revendications et ses méthodes d’action décidées en assemblée générale, demandons au Président de l’université Paris I d’arrêter immédiatement, inconditionnellement et définitivement les poursuites engagées devant la section disciplinaire contre (les trois enseignants-étudiants), ainsi que d’éventuelles poursuites judiciaires.’ » 

2) Communiqué de presse de la FERC-Sup-CGT

« Répression syndicale à Paris I

Les étudiants légitimement inquiets des réformes des études supérieures qui se mettent en place ont été largement mobilisés en novembre et décembre 2003.

Suite à ce mouvement, le Président de l’Université Paris I a engagé une brutale procédure de répression à l’encontre de trois étudiants-chargés d’enseignements et a saisi la section disciplinaire du Conseil d’Administration compétente à l’égard des enseignants.

Que leur est-il reproché ? « D’avoir porté atteinte à l’autorité de l’Etat »… « de destruction, dégradation et détérioration dangereuses pour les personnes » et de « rébellion ». Rien que cela ! On pourrait en rire si la chose ne menaçait d’avoir des conséquences très graves pour les intéressés.

La FERC Sup-CGT n’accepte pas la criminalisation de l’acte syndical dont de nombreux salariés souffrent déjà dans le monde du travail.

Elle demande solennellement à la Direction de l’Université Paris I de revenir sur la saisine de la section disciplinaire et de cesser toutes les poursuites engagées contre les étudiants-enseignants.

Elle réaffirme son attachement aux traditions de liberté et d’expression démocratique qui ont toujours eu droit de cité dans nos établissements.

Elle s’engage à tout mettre en œuvre pour que cessent de telles pratiques et s’instaure un véritable dialogue social.

Montreuil, le 12 février 2004. »

3) Extrait de la lettre de Maurice Hérin, secrétaire général du Snesup, à M. Kaplan, président de l’Université Paris I

« Les poursuites engagées, les arguments que vous avancez pour les justifier, en particulier l’utilisation par les trois moniteurs de « leur position d’enseignant pour appeler les étudiants à diverses formes d’action... » sont inacceptables. Ces poursuites constitueraient une atteinte aux droits de grève et d’information.

Je vous demande donc d’abandonner immédiatement les poursuites engagées à l’encontre de ces trois allocataires-moniteurs et de faire en sorte que le nécessaire débat démocratique puisse continuer à se développer.

L’enjeu est que la communauté universitaire puisse faire face aux attaques libérales , qu’elle puisse intervenir pour le développement de l’université de Paris 1 et du service public d’enseignement supérieur et de recherche. »


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