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La classe ouvrière et les paysans pauvres face au gouvernement Lula


Auteur(s) :Antoni Mivani
Date :15 février 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Brésil
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Une situation complexe et contradictoire

En portant massivement Lula, le candidat du PT (Parti des Travailleurs), au pouvoir lors des récentes élections présidentielles, les masses opprimées du Brésil ont manifesté leur conscience de la nécessité, pour satisfaire leurs propres aspirations, de rompre avec la politique du président sortant Fernando Henrique Cardoso (dit « FHC »), incarnée dans les exigences du Fonds Monétaire International (ou F.M.I.). Cette mobilisation des masses pour leurs intérêts se manifeste aujourd'hui au-delà du terrain électoral, dans les manifestations de masses et dans le mouvement spontané des paysans sans terre qui, persuadés d’avoir désormais un gouvernement qui soit le leur, ont, sans attendre, commencé à s’emparer eux-mêmes des terres.

Les élections ont montré que les masses font pour le moment confiance au gouvernement Lula. Or, il est clair que celui-ci est lui aussi un gouvernement soumis aux exigences de la bourgeoisie brésilienne et de l’impérialisme américain : Lula, comme tous les principaux candidats, s’est engagé déjà pendant la campagne à respecter l’accord avec le FMI ; puis il a confié la plupart des ministères clés à des patrons ou à des propriétaires fonciers ; et il s'engage à payer la dette, qui a doublé en huit ans de gouvernement FHC, malgré les coupes claires dans tous les budgets sociaux, et qui n’est qu’un instrument de pillage des richesses produites par les travailleurs du Brésil au profit du capital financier. Dans ce cadre, une réelle amélioration de la situation des masses n’est pas possible. En effet, le gouvernement Lula ne pourra respecter ses engagements vis-à-vis du capital sans poursuivre la politique de FHC, sans se retourner contre les masses qui l’ont porté au pouvoir. C’est cette contradiction qui est au centre de la situation prérévolutionnaire actuelle. C’est donc seulement en tenant compte de la complexité de cette situation contradictoire qu’il est possible d’aider les masses à comprendre par elles-mêmes le sens objectif de leur propre mouvement, qui exige une politique de rupture radicale avec l’impérialisme. Sans une politique juste des organisations révolutionnaires, qui évite à la fois d'apporter quelque soutien que ce soit à Lula et de se poser en simples commentateurs des événements, la situation peut évoluer dans le sens inverse : les masses trompées, déçues, et démoralisées, se détourneraient du PT sans pour autant se tourner vers les organisations se revendiquant de la IVe Internationale.

Que doivent dire et faire les révolutionnaires ?

D'une part, il ne saurait être question, pour les militants et les groupes communistes révolutionnaires internationalistes, de soutenir, même de façon critique, le gouvernement Lula. Malgré la pression gigantesque, il faut être capable, contre le courant, de prévenir les masses contre leurs illusions, de s’engager dans un travail patient et persévérant de propagande et d’agitation, avec l’objectif de montrer aux masses que le gouvernement Lula, parce qu’il est un gouvernement au service de la bourgeoisie (un gouvernement de type « front populaire »), ne peut réaliser leurs aspirations, et que seul un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs sera en mesure de le faire réellement.

Mais, d'autre part, il faut aider les masses à faire leur propre expérience, et non se poser en donneurs de leçons extérieurs à leur mouvement autonome. Il faut donc appuyer les mobilisations spontanées des travailleurs, et les aider à aller le plus loin possible sur la voie de la satisfaction de leurs revendications par leur propre action autonome et organisée.

Aider à la mobilisation des masses

Tout d'abord, la terre ne peut revenir aux paysans qui la travaillent sans l'expropriation des gros propriétaires fonciers qui, tout en représentant 1% des propriétaires, possèdent 45% des terres. Or le gouvernement Lula, dont le ministre de l’Agriculture, Roberto Rodrigues, est un grand propriétaire foncier, ne peut et ne veut pas prendre une telle mesure. Mais en même temps, Lula, à peine élu, ne peut pas non plus envoyer déjà la police ou l’armée pour protéger ouvertement les grands propriétaires et pour stopper le mouvement des sans-terre qui, s’emparant des terres sans attendre du gouvernement une hypothétique réforme agraire, montrent d'ores et déjà la voie à l’ensemble des masses opprimées. Cette situation éclaire d'un jour tout particulier la nomination de Miguel Rosetto, dirigeant de la section brésilienne du Secrétariat Unifié (l’organisation internationale dont la L.C.R. est la section française), comme ministre de la Réforme agraire : il s'agit manifestement, pour Lula, de s'appuyer sur le crédit dont jouit ce dirigeant d' « extrême-gauche » auprès des paysans pour canaliser le mouvement des sans-terre dans le cadre de l’ordre bourgeois. Dans cette situation transitoire, il faut appeler les masses paysannes à ne compter que sur elles-mêmes, à construire leurs propres organisations pour administrer les terres saisies, pour former leurs propres milices armées contre les milices privées à la solde des gros propriétaires, et il faut œuvrer à l’organisation de ce mouvement à l’échelle nationale. Telle est la seule voie pour réaliser effectivement la réforme agraire.

De même, en ce qui concerne les ouvriers, le projet de développement des exportations de Lula ne peut donner à chaque Brésilien un vrai travail, avec un vrai salaire, car une telle politique implique la subordination aux lois de la concurrence mondiale, par conséquent l’aggravation des conditions de travail, le blocage des salaires, les licenciements, etc. Il faut donc aider les ouvriers à répondre à toute menace de ce type par la grève, l’occupation de l’usine, la constitution de comités d’usine ; chaque succès local en ce sens doit être utilisé comme modèle pour développer ce mouvement à l’échelle de tout le pays.

De manière générale, arrêter les privatisations, défendre et améliorer les retraites, payer les salaires des fonctionnaires, cela n’est pas possible sans refuser de payer la dette externe, sans rompre avec les exigences du FMI, donc sans combattre pratiquement le gouvernement Lula, pour l’empêcher de mettre en œuvre l’accord qu’il a signé avec le FMI et qu’il cherche à imposer aux masses, contrairement au mandat que celles-ci lui ont confié.

Il s’agit donc d’aider les travailleurs à comprendre par leur propre expérience, par leur organisation en comités de lutte autonomes (intégrant les militants du P.T. et de la C.U.T. qui soutiennent les revendications), la nature même du gouvernement Lula, nouveau serviteur de l'impérialisme. Il s’agit d’aider les masses à comprendre que la satisfaction réelle de chacune de leurs revendications immédiates pose la question de la rupture avec la politique du gouvernement Lula, et que seul leur propre gouvernement, un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs, un gouvernement qui rompe avec le FMI et s’appuie sur la mobilisation révolutionnaire des masses, pourra satisfaire leurs revendications.

C’est seulement en intervenant dans la lutte de classe sur cette ligne claire, intransigeante et indépendante, que les militants communistes révolutionnaires internationalistes pourront construire la section brésilienne de la IVe Internationale, qui se construira uniquement sur la base d’une totale indépendance par rapport au gouvernement et comme instrument actif de l’émancipation des masses opprimées.


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