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La révolution allemande et ses enseignements (1918-1923) (première partie)


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :15 février 2003
Mot(s)-clé(s) :histoire, Allemagne
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Les enseignements à tirer de la révolution allemande et de son échec sont nombreux et riches de sens pour les militants révolutionnaires aujourd’hui. Ils concernent au premier chef les modalités de la trahison sociale-démocrate, aujourd’hui arrivée à son point de parachèvement. Ils portent aussi, fondamentalement, sur la question du pouvoir, et les stratégies adoptées pour le conquérir. Enfin, ils indiquent la nécessité vitale de l’organisation, sous la forme de la construction d’un parti prolétarien indépendant.

L’Allemagne et le parti social-démocrate au début du siècle

À la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant, l’Allemagne réunit toutes les caractéristiques d’une société prête au socialisme : sa population compte une majorité écrasante d’ouvriers ; cette population ouvrière se trouve regroupée dans de grandes villes et centres industriels ; l’économie elle-même est très concentrée sous la forme de grandes entreprises, trusts ou cartels. Le parti social-démocrate est une organisation extrêmement puissante, sorte d’État dans l’État, disposant de journaux, revues, associations diverses. Mais, par sa composition sociale, ce parti montre certaines faiblesses, qui seront sans doute décisives par la suite : 10% des adhérents sont des travailleurs non-salariés, éléments petits-bourgeois auxquels le parti ne manque pas de faire des concessions pour des raisons électorales, et une grande majorité des adhérents est issue de l’aristocratie ouvrière, dans laquelle le dirigeant Pankoek voit alors une couche privilégiée, source principale d’un certain opportunisme dans le parti. En outre, le Reich souffre d’un archaïsme politique par rapport à ses voisins, à commencer par la France, en République depuis plusieurs décennies. Bismarck et ses successeurs s’appuient sur cet archaïsme pour concéder des droits sociaux face à la pression du mouvement ouvrier. La bourgeoisie allemande, notamment dans les organisations religieuses, tente d’agiter le sentiment nationaliste parmi les masses, pour faire obstacle à la lutte de classes. Cette volonté de réconcilier le prolétariat avec le Reich, s’appuyant sur une idéologie chauvine, trouve son apogée lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale.

1914 : trahison du SPD, résistance de Karl Liebknecht

La guerre impérialiste déclenchée en 1914 voit les dirigeants sociaux-démocrates désemparés, surpris dans leur routine, incapables d’organiser une mobilisation, et craignant l’entrée dans la clandestinité. Par peur de la répression, tous se rallient à l’Union sacrée, comme en France. La pression des couches privilégiées dans le parti se fait alors grandement sentir (1). Les travailleurs qui tenteraient de s’opposer à la boucherie impérialiste sont isolés ; bien loin d’être soutenus par leurs dirigeants, ils sont réprimés dans leur propre parti. Karl Liebknecht vote seul contre les crédits de guerre au Bundestag, le Parlement allemand, le 3 décembre 1914. Mobilisé et envoyé sur le front, il y organise la résistance, par la diffusion massive de tracts, proclamant l’union des travailleurs contre leurs gouvernements impérialistes, avec ce mot d’ordre : « L’ennemi principal est dans notre propre pays. »

1917-1918 : le prolétariat relève la tête, le SPD entre au gouvernement bourgeois

Mais la lutte des travailleurs contre la guerre s’organise, et un véritable mouvement révolutionnaire émerge à partir d’avril 1917, notamment chez les marins qui se livrent à un héroïque combat, violemment réprimé. Les opposants de gauche du parti socialiste, exclus du parti en 1917 pour leur combat révolutionnaire (Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Karl Radek entre autres) diffusent par avions des milliers de tracts reproduisant l’appel à la paix du gouvernement soviétique : la Révolution russe représente un immense espoir pour les travailleurs allemands. De grandes grèves ont lieu dans tout le pays entre avril 1917 et janvier 1918, mais l’un des principaux dirigeants sociaux-démocrates, Ebert, proclame que le devoir des travailleurs allemands est de combattre sur le front contre les Français et condamne les grèves. Pour contenir le mouvement révolutionnaire, la bourgeoisie fait d’ailleurs appel à des sociaux-démocrates, dont Ebert, pour constituer un gouvernement de coalition : la trahison du parti social-démocrate, commencée en 1914 avec l’Union sacrée dans la guerre impérialiste, des millions de travailleurs étant ainsi envoyés à la tuerie pour la défense des intérêts de la bourgeoisie, trouve là un premier apogée. Dès lors, cette trahison se reproduira d’étape en étape dans l’histoire de la Révolution allemande. Lénine en a déjà conclu que les militants ouvriers révolutionnaires doivent rompre avec le SPD traître, et constituer un nouveau parti communiste révolutionnaire Non sans hésitations, Rosa Luxemburg et ses camarades constituent le groupe Spartakus, mais restent au sein de l’USPD, le parti socialiste unifié, né d’une scission de gauche du SPD, mais dirigé par les centristes et les social-pacifistes.

Novembre 1918 : révolution et nouvelles trahisons du SPD

En 1918, la révolution allemande a commencé. Elle prend la forme de conseils d’ouvriers et de soldats, sur le modèle des soviets en Russie, organisés par entreprises ou par quartiers. À Berlin, le 9 novembre 1918, les drapeaux rouges couvrent la ville, et Karl Liebknecht proclame la « République socialiste allemande ». Mais la bourgeoise allemande et les sociaux-démocrates tentent de lutter contre la démocratie des conseils qui se met ainsi en place, en brandissant le mot d’ordre d’Assemblée constituante, élue au suffrage universel. Ce mot d’ordre est, en la circonstance, sciemment contre-révolutionnaire : sous prétexte de « défendre la démocratie », c’est-à-dire la démocratie bourgeoise, qui s’exprimerait par les urnes, il vise à mettre bas le pouvoir des conseils ouvriers, dont les membres sont élus à tous les niveaux, mandatés et révocables. Ainsi, la bourgeoisie allemande, plus vigoureuse qu’en Russie, et qui dispose d’une armée puissante, sait qu’elle peut compter sur les sociaux-démocrates et sur les appareil des syndicats pour parvenir à ses fins. Comme dans toute situation révolutionnaire, les classes dirigeantes sont contraintes d’octroyer des concessions sociales pour ne pas perdre leur pouvoir, pour ne pas être emportées par la vague révolutionnaire : le patronat allemand signe donc un accord avec les responsables syndicaux, instaurant notamment la journée de huit heures.

Début 1919 : création tardive du parti communiste, participation du SPD à la répression dans le sang de la révolution

Les militants ouvriers, dans ces circonstances révolutionnaires, décident enfin, au début de l’année 1919, de fonder le KPD, le parti communiste allemand, conscients de la nécessité de créer un nouveau parti révolutionnaire. Sans doute auront-ils trop tardé à le faire, Rosa Luxemburg ayant longuement hésité à quitter son parti d’origine : pour elle, dans ce parti, il y avait les masses, il devait donc être possible de le redresser de l’intérieur, en luttant contre son appareil traître. Cependant, R. Luxemburg et ses camarades sont bien évidemment de toutes les luttes, pour le pouvoir aux conseils, contre les manœuvres de la social-démocratie. Ils décident d’occuper le siège du journal tenu par le SPD, le Vorwärts. À la suite de cette action, R. Luxemburg et K. Liebknecht sont arrêtés par les militaires, les corps francs, et abattus ; leurs corps sont jetés dans la rivière berlinoise, la Spree. Nous sommes en janvier 1919. Deux mois plus tard, le gouvernement du « socialiste » Noske lancent les corps francs sur Berlin, qui écrasent la révolution allemande et les conseils ouvriers. La première phase de la révolution s’achève, dans l’échec et le sang.  

Conclusion (provisoire)

Cette première partie de la révolution, un temps victorieuse, a montré la nécessité, pour que le prolétariat prenne le pouvoir, qu’il s’organise en conseils, centres de la démocratie ouvrière, contre la prétendue « démocratie » réclamée par la bourgeoisie, les dirigeants traîtres du SPD et les centristes. Elle montre aussi, dans ses revers, le manque cruel d’une organisation révolutionnaire indépendante qui ne soit pas trop tardivement constituée, la nécessité d’un parti puissant à même d’aider le prolétariat à prendre conscience de ses propres forces révolutionnaires, à rompre avec les dirigeants traîtres sociaux-démocrates et à exiger : « Tout le pouvoir aux soviets ». Ce sont là autant d’enseignements à méditer aujourd’hui pour la construction du parti communiste révolutionnaire internationaliste et pour l’aide à l’élaboration des revendications du prolétariat, qui ne doit jamais compter que sur sa propre organisation indépendante.

(La suite au prochain numéro)

Source : Pierre Broué : Révolution en Allemagne, Paris, Éd. de Minuit, 1973.


1) Karl Liebknecht note à ce sujet : « L’opportunisme a été engendré pendant des dizaines d’années par les particularités de l’époque de développement du capitalisme où l’existence relativement pacifique et aisée d’une couche d’ouvriers privilégiés les “embourgeoisait“, leur donnait des bribes de bénéfice du capital, leur épargnait la détresse, les souffrances et les détournait des tendances révolutionnaires de la masse vouée à la ruine et à la misère ».


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