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Le CRI des Travailleurs n°19     << Article précédent | Article suivant >>

L'offensive de Chirac-Villepin contre les acquis


Auteur(s) :Laura Fonteyn, Nina Pradier, Ludovic Wolfgang
Date :12 septembre 2005
Mot(s)-clé(s) :France
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Autorisé à se mettre en place par les dirigeants des forces politiques partisanes du Non et des syndicats, le « nouveau » gouvernement de Chirac a pu afficher sans hésitation son visage méprisant et provocateur contre la volonté évidente du prolétariat et des classes populaires. Presque identique aux précédents dirigés par Raffarin, mais fondé sur le tandem des « frères ennemis » Villepin-Sarkozy, il a comme mission de surmonter la défaite et le discrédit du président et de l’UMP, ce qui oblige les différentes fractions de la prétendue « majorité » à resserrer les rangs et à trouver un compromis fragile. Autrement dit, ce gouvernement est la dernière cartouche de Chirac pour éviter la crise politique et tenir jusqu’en 2007.

Mais la défaite dont ce gouvernement est né n’autorise pas à parler de faiblesse congénitale, justement parce qu’il a reçu toute sa force de l’allégeance immédiate que lui ont faite les directions syndicales et les principales forces du Non, en le laissant se mettre en place et en se précipitant pour le reconnaître et le rencontrer. Chirac et Villepin ont donc pu faire le pari de poursuivre et même d’aggraver la politique de Raffarin. Ils savent qu’ils prennent un risque, celui d’un affrontement social majeur avec le prolétariat et les classes populaires, qui cherchent depuis le début de l’année les voies de la résistance sociale, et qui ont été frustrés de leur victoire électorale du 29 mai. De ce point de vue, Villepin a fait un vrai pari politique : il n’avait pas le choix, mais il sait parfaitement que « ou ça passe, ou ça casse ». Or son atout majeur à cet égard reste, plus que jamais, les directions syndicales et les forces réformistes du Non (sans parler de la direction du PS), sur lesquelles il compte pour canaliser et étouffer la colère ouvrière et populaire dans le cadre de nouvelles « journées d’action » sans lendemain et sans perspective.

L’objectif politique du « nouveau » gouvernement est double : d’une part, il doit aller jusqu’au bout dans l’application effective des grandes contre-réformes déjà imposées sous Raffarin (entrée en vigueur pleine et entière de la contre-réforme Douste-Blazy de la Sécurité sociale le 1er juillet, ouverture du capital de GDF en juillet également, poursuite du processus de privatisation d’EDF, application de la réforme Fillon contre l’école dès la rentrée)… Mais, d’autre part, Villepin doit réussir à franchir le pas que ses prédécesseurs n’ont jamais osé, tant il est périlleux : il doit livrer une offensive pour fissurer le Code du travail (comme l’exige à cors et à cris la nouvelle patronne du MEDEF, Laurence Parisot), tout en limitant le risque d’un affrontement majeur avec le prolétariat.

Les ordonnances Villepin

Il faut donc bien comprendre toute la perversité des mesures « phares » de Villepin. Dès la première quinzaine de juillet, l’Assemblée et le Sénat ont adopté, au pas de course, le projet de loi l’autorisant à légiférer par ordonnances, et celles-ci ont été publiées dès le 3 août, pour une entrée en vigueur immédiate : le Premier ministre construit ainsi l’image d’un homme efficace, capable d’apporter de premières solutions au problème du chômage en quelques semaines — et n’hésitant pas à mettre sur le compte de sa politique, avant même qu’elle ne soit réellement appliquée, la traditionnelle légère baisse du chômage de l’été (due en fait à la multiplication des emplois saisonniers, sans parler des radiations administratives de l’ANPE, qui se monteraient tout de même à 35 000 pour le seul mois de juin)… De plus, ces six ordonnances paraissent spectaculaires pour faire diminuer les chiffres du chômage, puisque Villepin, appuyé par les médias, promet l’embauche de 400 000 salariés dans les petites entreprises et de 100 000 jeunes dans la Fonction publique.

Ces chiffres sont évidemment excessifs : l’embauche, surtout dans les petites entreprises, dépend avant tout des perspectives de croissance, qui sont précisément au plus bas aujourd’hui ; quant aux emplois dans la Fonction publique, ils seront non seulement précaires, comme nous allons le voir, mais le chiffre de 100 000 ne tient pas compte de toutes les suppressions de postes de fonctionnaires qui se poursuivent parallèlement. Néanmoins l’essentiel reste que, par ces mesures, Villepin espère emporter la conviction de l’ « opinion publique ». Il s’agit tout d’abord, et fondamentalement, de reconquérir avant 2007, la partie de l’électorat traditionnel de la droite qui s’est détournée d’elle (agriculteurs, petits patrons, artisans, commerçants, qui ont eux aussi massivement voté Non…) — pendant que Sarkozy, de son côté, se charge de séduire l’électorat d’extrême droite en tentant de prendre de vitesse le Front national. Ces petits patrons sont en effet très nombreux en France, mais ils en veulent au gouvernement car, avec la libéralisation généralisée, les conditions de la concurrence exacerbée pèsent de plus en plus lourd sur leurs épaules, et ils voient bien que la politique générale du gouvernement privilégie avant tout les marchés financiers et les gros capitalistes. Mais ces petits patrons, qui sont souvent parmi les pires exploiteurs, ont surtout le sentiment, empiriquement fondé, qu’ils ne peuvent embaucher à cause des lourdeurs du droit du travail et des charges sociales et fiscales, malgré les nombreuses exonérations dont ils bénéficient déjà. En réalité, leurs difficultés économiques viennent avant tout des banques qui les étouffent avec leurs taux d’intérêt et leurs hypothèques, et des grosses entreprises qui les fournissent ou qui leur sous-traitent à bas coût certains secteurs de leur propre activité ; car, à l’époque de l’impérialisme, l’utopie de la petite propriété privée n’existe que sous la forme de la soumission des petites entreprises au gros capital.

Cependant, le soutien des patrons gros et petits ne suffirait pas à Villepin : on n’en compte que 1,2 million, et tous ne votent pas à droite (1)... Son but est donc aussi (et c’est sur ce point qu’il nous faut être extrêmement vigilants) d’essayer de gagner le soutien de la partie la plus fragilisée socialement et la moins organisée de la classe ouvrière (chômeurs, jeunes, précaires…), en essayant de l’opposer aux salariés qui ont un vrai emploi. Le poids du chômage et le manque de débouchés pour les jeunes sont tels que des centaines de milliers de travailleurs sont prêts à accepter n’importe quel contrat, même s’il ne dure que deux ans : c’est pour eux une question de survie. D’autre part, Villepin espère que les salariés sous statut ou en CDI ne se sentiront pas directement concernés par ses ordonnances. De ce point de vue, il compte manifestement sur une opposition entre les chômeurs et les précaires, d’une part, et les salariés qui ont un vrai travail, d’autre part. C’est pourquoi ce serait une faute extrêmement grave de ne pas comprendre la nécessité de se livrer à tout un travail d’explication patient et méticuleux des ordonnances auprès des travailleurs, des chômeurs et des jeunes, afin de montrer concrètement pourquoi ils sont tous concernés et de contrer la propagande gouvernementale et médiatique, dont on ne saurait surestimer l’impact.

Le « contrat nouvelles embauches »

La première et principale ordonnance est celle qui met en place le déjà fameux « contrat nouvelles embauches » (CNE). Il se caractérise par une soi-disant « période d’essai » de deux ans durant laquelle le licenciement est possible sans motif et à tout moment (c’est l’introduction du principes de la « flexisécurité », selon un prétendu « modèle » danois). Or, jusqu’à présent, le Code du travail ne prévoyait aucune « période d’essai », et la plupart des conventions collectives limitaient celle-ci à quelques jours ou quelques semaines. La prétendue « période d’essai » de deux ans n’est donc en fait que le cache-sexe de l’autorisation de licencier sans motif ; or, depuis la loi du 13 juillet 1973 (ainsi que la convention de l’OIT du 23 novembre 1985, ratifiée par la France), le Code du travail n’autorise formellement aucun patron, gros ou petit, à licencier sans « raison réelle et sérieuse » : à l’exception des plans de licenciement collectifs pour raisons (ou sous prétextes) économiques, un salarié ne peut être licencié que pour « faute grave », qu’il soit en CDI ou en CDD. En conséquence, le licenciement d’un salarié embauché sur un CNE, possible par simple lettre recommandée, sans même passer par l’entretien préalable, ne pourra guère être contesté juridiquement comme « abusif », puisque le motif réel du patron, comme par exemple la participation à une grève, une maladie ou une grossesse, pourra toujours être maquillé sous la forme d’un échec de la « mise à l’essai ». En ce sens, le CNE est une arme redoutable pour torpiller ce qui limite encore aujourd’hui le droit qu’ont les patrons de se débarrasser des salariés comme bon leur semble. Enfin, il est évident que l’existence même de ce type de contrats va conduire à la multiplication artificielle de petites entreprises, en accroissant encore la sous-traitance, l’externalisation et la filialisation, déjà très largement mises en œuvre par les grosses entreprises au cours de la dernière décennie, pour casser le syndicalisme et bénéficier d’exonérations sociales et fiscales.

Toute l’habileté de ce « contrat nouvelles embauches », c’est d’une part qu’il ne concerne pour le moment « que » les nouveaux embauchés des seules entreprises de 20 salariés au plus et, d’autre part, qu’il reste formellement un contrat à durée indéterminée (une fois écoulée la prétendue « période d’essai » de deux ans). Ce faisant, Villepin s’efforce de donner l’impression à la fois qu’il apporte mieux que rien aux chômeurs, aux jeunes et aux précaires (qui pourront individuellement espérer franchir le cap des deux ans) et qu’il ne s’attaque pas de front au salariat le plus concentré (qui est aussi le plus organisé), c’est-à-dire à tous ceux, encore majoritaires, qui ont un véritable emploi en CDI (2). Le calcul du Premier ministre est donc le suivant : il espère que les chômeurs, les jeunes et les précaires se contenteront de sa mesure, faute de mieux ; que les gros bastions du salariat le plus concentré et le mieux organisé ne se sentiront pas directement concernés, ou en tout cas pas assez pour prendre le risque d’un affrontement majeur, compte tenu des conditions socio-économiques générales actuelles ; et enfin que les dirigeants syndicaux, eux-mêmes issus et représentants avant tout du secteur public et de l’aristocratie ouvrière, sauront le cas échéant les en dissuader.

Ce pari est évidemment très risqué : malgré la pression patronale et la propagande gouvernementale relayée par les médias, les travailleurs sont nombreux à comprendre que les ordonnances Villepin sont non seulement des attaques directes contre une bonne partie d’entre eux, mais encore de véritables bombes à retardement, destinées à torpiller de l’intérieur, à terme, tout l’édifice du Code du travail et les statuts de la Fonction publique. De fait, c’est bien l’ensemble du prolétariat qui est concerné. D’abord, les entreprises comptant 20 salariés au plus, qui représentent 96 % des entreprises en France, embauchent 30 % des salariés : le « contrat nouvelles embauches » va donc effectivement livrer à la surexploitation et à la précarité des centaines de milliers de néo-embauchés (des jeunes, des chômeurs, des déjà précaires et des ex-CDI). Or cela n’implique pas une baisse générale du chômage, mais une explosion de la « mobilité de l’emploi » et par conséquent une baisse du coût du travail par aggravation de la concurrence entre les salariés, qui dès lors pèsera sur l’ensemble des travailleurs. De plus, il n’est pas difficile de comprendre que, si Villepin réussit à faire passer cette attaque contre le Code du travail, ce sera la porte ouverte à une suppression progressive des limites qui entourent pour le moment le champ d’application du CNE, c’est-à-dire que la possibilité de licencier sans motif pendant les deux premières années pourra s’étendre au-delà, et que le seuil de 20 salariés pourra être aisément relevé « dans une deuxième étape », comme l’a d’ailleurs reconnu le ministre du Travail, Gérard Larcher, Villepin précisant quant à lui qu’ « il pourra être adapté dans ses modalités et son champ d’application ». C’est bien sûr ce qu’a exigé d’emblée le MEDEF, et c’est manifestement le but final du gouvernement.

Les autres ordonnances

Mais les mesures de Villepin ne se réduisent pas au « contrat nouvelles embauches » : les autres ordonnances ne sont pas moins nocives pour le droit du travail. — La seconde ordonnance met en place un « titre unique de paiement » (TUP), destiné aux « très petites entreprises » (comptant cinq salariés au plus). Ce dispositif leur permet de « rémunérer » des tâches ponctuelles sans embaucher. Il s’agit d’une extension aux patrons proprement dits du « chèque emploi-service » qui avait été instauré par Raffarin pour l’emploi de travailleurs à domicile (domestiques pour la bourgeoisie, femmes de ménage pour les classes moyennes, mais aussi nourrices pour les parents n’ayant pas trouvé de place en crèche). Caractérisé par l’absence d’un véritable contrat de travail, ce TUP signifie dans la pratique l’absence de véritables droits pour des travailleurs, condamnés à courir partout pour essayer de cumuler des « emplois » de quelques heures.

La troisième ordonnance prévoit que tous les travailleurs de moins de 26 ans (et non plus seulement les apprentis, comme c’était le cas jusqu’à présent) ne seront désormais plus pris en compte dans l’établissement des seuils qui rendent obligatoires la mise en place de délégués du personnel (entreprises d’au moins 11 salariés), de délégués syndicaux (entreprises d’au moins 50 salariés), de comités d’entreprise (idem), etc. Cette mesure entend encourager l’embauche de jeunes (précarisés), au détriment de salariés plus âgés. Dans la pratique, elle fera disparaître des milliers de délégués et d’élus du personnel, voire de sections syndicales et de comités d’entreprise entiers : c’est donc une attaque majeure contre les syndicats, atteints non pas, évidemment, au niveau de leurs sommets, mais au cœur même de leur représentativité réelle, assurée par leurs cadres intermédiaires et leurs militants.

La quatrième ordonnance élève de dix à vingt salariés le seuil en deçà duquel les patrons sont dispensés de contribuer au Fonds national d’aide au logement et à « l’effort de construction » ; elle prévoit également une diminution de leur contribution à la formation professionnelle des salariés. En un mot, elle fait de nouveaux cadeaux aux patrons.

La cinquième ordonnance livre des jeunes de 18 à 21 ans sans qualification aux mains de… l’armée, comme pour les punir de leur « échec scolaire ». Il s’agit d’instaurer un contrat de « volontariat pour l’insertion », dont le nom est déjà tout un programme de division de la jeunesse (comme s’il y avait des jeunes « volontaires » pour s’ « insérer » dans la société, c’est-à-dire pour y vivre dignement, et d’autres qui ne l’étaient pas !). Ces jeunes jugés récupérables par la bourgeoisie (contrairement à ceux destinés aux prisons et autres « centres fermés »), à condition de les « redresser » à la manière forte, recevront une formation générale et professionnelle dans les domaines de l’aide à la personne, du bâtiment, des transports et de la sécurité. Mais surtout ils seront encasernés : enfermés en internat, vêtus d’un uniforme et soumis à « l’apprentissage de la discipline »… De plus, leur formation sera dispensée par des enseignants détachés de l’Éducation nationale, mais aussi par des militaires. Enfin, ils ne toucheront pas un salaire d’apprenti, mais une « allocation mensuelle », sans doute guère plus élevée que la solde. Bref, Villepin veut non seulement susciter de nouvelles vocations militaires (l’armée en manque, malgré le chômage), mais aussi faire de ces jeunes de bons petits soldats « disciplinés »… c’est-à-dire surtout prêts à accepter n’importe quel travail.

Enfin, la sixième ordonnance de Villepin instaure un « pacte junior », avec l’objectif affiché d’embaucher dans les Fonctions publiques (catégorie C) 100 000 jeunes de 16 à 25 ans. Il s’agit de contrats d’un ou deux ans, destinés aux jeunes « sans qualification professionnelle » ou faiblement qualifiés (titulaires d’un CAP ou d’un BEP), formés en alternance (la formation professionnelle représentant au moins 20 % de la durée du contrat), rémunérés de 55 à 70 % du SMIC entier, et titularisés sous réserve de réussite à un examen professionnel final. Cette mesure permet d’abord à Villepin de faire croire qu’il lutte contre le chômage des jeunes, particulièrement massif dans la catégorie en question ; en fait, ce même gouvernement supprime parallèlement des milliers de postes de fonctionnaires, à l’encontre non seulement des besoins des usagers, mais aussi de tous ceux, notamment d’autres jeunes, qui préparent les concours. Mais ce qu’il faut avant tout souligner ici, c’est que l’instauration de ce « pacte junior » est une nouvelle attaque contre les statuts mêmes de la Fonction publique, puisqu’ils permettent précisément d’embaucher sans concours et, par conséquent, de déqualifier par la mise en cause des différences entre les qualifications qui composent la catégorie C. Enfin, dans le cadre de la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF, concoctée en son temps par le gouvernement Jospin), le budget de financement de ces « pactes junior » est noyé dans celui des fonctionnaires ; on comprend dès lors que l’État pourra faire de substantielles économies, en remplaçant des dizaines de milliers de fonctionnaires par cette réserve permanente de jeunes sous-payés pendant un ou deux ans (trois en cas d’échec à l’examen d’aptitude).

La loi sur les PME du 13 juillet

À ces ordonnances Villepin s’ajoutent d’autres mesures contre le Code du travail, prises également cet été, mais par l’intermédiaire d’une autre loi : celle adoptée par l’Assemblée le 13 juillet, portant « sur les petites et moyennes entreprises » (PME, entreprises qui emploient jusqu’à 500 salariés). En effet, cette loi autorise tout d’abord l’extension du travail du dimanche, voire des jours fériés, aux apprentis de moins de 18 ans (la liste des secteurs concernés sera établie ultérieurement par le Conseil d’État), et même du travail de nuit dans les secteurs de la pâtisserie et des courses hippiques.

De plus, elle autorise (sous réserve de « volontariat » du travailleur, mais on imagine ce qu’il en sera en réalité) la généralisation à certains salariés non cadres et non itinérants des dispositions de la loi Aubry qui avaient instauré, pour les seuls cadres et pour les itinérants, un décompte du temps de travail en « forfaits jours » ; or ce décompte revient en fait à autoriser une amplitude de la journée de travail de 13 heures quotidiennes, 218 jours par an, soit une durée annuelle du travail de 2 834 heures (au lieu de 1 607 pour les autres salariés). Or la loi sur les PME du 13 juillet prévoit que ce dispositif sera désormais applicable « aux salariés non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps », c’est-à-dire « à tous les salariés qui réfléchissent en termes de mission et non de temps de travail », selon le député (UMP) Fourgeous auteur de l’amendement. Concrètement, cela signifiera, pour ces salariés, une augmentation de la durée du travail exigible et la fin du paiement des heures supplémentaires.

La même loi prévoit que, dans les PME, le mandat des délégués du personnel et des élus aux comités d’entreprise, d’établissement ou de groupe, est porté de deux à quatre ans ; or cela va conduire à une plus grande indépendance des élus à l’égard de la base et donc au risque, dans bien des cas, d’une plus grande dépendance qu’actuellement à l’égard du patron. De plus, la « mobilité » croissante de l’emploi multipliera les chaises vides, dès lors que les élus quitteront l’entreprise, ce qui arrivera fatalement plus souvent en quatre ans qu’en deux.

Enfin, sous la notion de « travail à temps partagé », la loi sur les PME prévoit qu’une entreprise ayant embauché un salarié pourra le mettre à disposition, à temps plein ou partiel, d’autres entreprises, si ces dernières sont ses clientes. Un salarié embauché à tel endroit pourra donc être envoyé à un autre endroit, ce qui constitue une arme de flexibilité et de pression pour contraindre ceux qui souhaiteront rester sur place à bien se tenir.

Les autres mesures du gouvernement

Mais ce n’est pas tout ! Cet été, le gouvernement ne s’est pas contenté de cette batterie d’attaques contre le Code du travail. Sans entrer ici dans les détails, rappelons d’abord que Jean-Louis Borloo a fait paraître, le 21 juillet, un décret d’application stricte du PARE (accord MEDEF-CFDT signé avec la bénédiction du gouvernement Jospin-Aubry), c’est-à-dire la systématisation et l’aggravation des sanctions contre les chômeurs qui osent encore se montrer trop exigeants, selon le patronat et le gouvernement, en n’acceptant pas n’importe quel emploi.

De son côté, le ministre des transports, Dominique Perben, a cautionné la décision de la SNCF de supprimer plusieurs grandes lignes, pour cause de déficit, assumant ainsi le risque d’une aggravation du trafic routier, au prix d’une pollution accrue et d’une élévation du nombre d’accidents de la route — maux contre lesquels Chirac et son gouvernement prétendent lutter…

Quant au ministre de l’Éducation, Gilles de Robien, non content d’appliquer la loi Fillon, il s’efforce de désamorcer la colère des personnels et des élèves confrontés aux insuffisances de moyens en créant 20 000 contrats supplémentaires (et non 45 000, comme il le prétend, puisque 25 000 des contrats annoncés ne feront que remplacer les actuels CES et CEC ; de plus cela doit être comparé avec la suppression de dizaines de milliers de postes de surveillants et d’aide-éducateurs qui a eu lieu au cours des trois dernières années). Or ces contrats sont à la fois très précaires (ils ne dureront que de six à vingt-quatre mois) et à temps partiel imposé (20 à 26 heures par semaine, avec une paie au SMIC horaire). En outre ces jeunes, embauchés sans qualification, pourront être affectés à n’importe quelle tâche, servant en fait de bouche-trous.

Enfin, Thierry Breton, le ministre de l’Économie, a décidé de baisser le taux de rémunération des livrets d’épargne populaire (qui servent encore à financer le logement social). De plus, il refuse toujours de supprimer ou même de réduire la TIPP, alors que les ménages, les agriculteurs et les routiers sont confrontés à ce qui est maintenant clairement un troisième choc pétrolier. Enfin, il a décidé la privatisation des autoroutes dont l’État était encore actionnaire principal, menant ainsi à son terme logique l’ouverture de leur capital décidé en leur temps par Jospin-Fabius ; en l’occurrence, le prix de vente des actions est tellement bradé que cette décision de Breton a suscité tout l’été une polémique parmi les représentants de la bourgeoisie, non seulement de la part du PS et de Bayrou, mais aussi du côté de députés et anciens ministres UMP ; mais tous ces gens-là ne sont pas en désaccord avec la privatisation elle-même, ils se contentent de critiquer la méthode, non sans arrière-pensées politiciennes.

Et Sarkozy, dans tout ça ?

Force est de constater que, malgré tous ses efforts, ce n’est pas Sarkozy qui compte le plus aujourd’hui dans le gouvernement, car toute la bourgeoisie doit avant tout serrer les rangs derrière Villepin, pour l’épauler dans son offensive risquée contre le Code du travail. Cependant, sans parler de ses prises de position comme président de l’UMP, cela ne signifie nullement que le ministre de l’Intérieur chôme, au contraire : pendant que le Premier ministre concoctait ses ordonnances, lui impulsait une nouvelle intensification de la chasse aux « sans-papiers ». Alors qu’il en avait fait expulser 11 000 en 2003 et 16 000 en 2004, Sarkozy a annoncé que le chiffre de 25 000 serait atteint dès cette année. Il s’est également vanté d’avoir mis en place, avec ses homologues « de gauche » anglais, allemand et espagnol, l’organisation de charters européens pour expulser de manière plus économique les sans-papiers, par « vols groupés ». Enfin, deux décrets parus le 29 juillet viennent durcir les conditions d’accès à l’aide médicale d’État (AME), qui assure la prise en charge à 100 % des soins, médicaments et forfaits hospitaliers pour les étrangers sans titre de séjour et dont les ressources sont inférieures à 576 euros. Or, jusqu’à présent, il suffisait d’une simple déclaration pour en bénéficier. Désormais, il faudra faire la preuve de son identité (alors que les « sans-papiers » n’ont justement pas de papiers, ou alors des papiers étrangers, qu’il faut donc traduire, ce qui est cher), de ses conditions de ressources (alors que les sans-papiers sont souvent embauchés illégalement par les patrons trop heureux de l’aubaine) et de son ancienneté sur le territoire depuis trois mois (ce qui est impossible dans bien des cas, en l’absence de quittances de loyer, de factures, etc.).

En même temps, Sarkozy s’est certes efforcé d’occuper le devant de la scène médiatique. Sans parler de ses déboires conjugaux, dont la « révélation » médiatique est censée le rendre « humain » aux yeux des braves gens, il s’est livré notamment à des déclarations fracassantes, que ce soient celles annonçant le nettoyage « au kärcher » de la Cité des 4000 à La Courneuve ou celles concernant le durcissement des mises en liberté conditionnelles et la punition des juges taxés de trop « laxistes » en la matière. Sarkozy s’efforce ainsi de ne pas se faire voler la vedette par un Villepin moins tonitruant, mais non moins rusé, tant pour le présent que pour l’avenir. Certes, l’UMP et une bonne partie de la bourgeoisie ont décidé de jouer la carte Sarkozy, dont elles espèrent, après la mise au rancart de Chirac en 2007, une politique inspirée des conservateurs américains : ultra-libéralisme économique, nouvelles contre-réformes sociales, mise en cause des droits démocratiques, répression policière systématique et, corrélativement, « discrimination positive » pour intégrer les « individus méritants » issus de l’immigration et plus généralement des banlieues… Mais si Villepin réussit à faire passer ses ordonnances, il est clair que la ligne chiraquienne, plus prudente, mais non moins efficace tant qu’elle parvient à désamorcer les risques d’affrontement social, n’aura pas dit son dernier mot.

D’ailleurs, Le Canard enchaîné nous apprend qu’il y a beaucoup d’esbroufe dans les effets d’annonce de Sarkozy, confronté lui aussi aux limitations budgétaires. Ainsi la quasi-totalité des promesses qu’il avait faites aux policiers lors de son premier poste de ministre de l’Intérieur n’ont pas été tenues ; ceux qui comptent sur lui pour assurer leur sécurité quotidienne seront sans doute déçus… À moins qu’ils comprennent à cette occasion que l’État bourgeois et sa police servent avant tout à maintenir l’ordre social bourgeois, non à protéger les braves citoyens contre la délinquance, le racket, etc. Ces phénomènes sont pourtant le lot quotidien des habitants des banlieues populaires, car ils sont produits par le chômage et la misère : il serait vain de compter sur l’État et sa police, mais seuls les bourgeois grands et petits qui n’y sont pas confrontés peuvent les ignorer. Ici comme ailleurs, il n’y a pas d’autre remède que l’auto-organisation des travailleurs et des jeunes dans les quartiers, seule capable de lutter efficacement contre les voyous, les dealers et les petits caïds, par la mise sur pied de milices populaires d’autodéfense dans chaque quartier, chaque cité, chaque immeuble… Cela supposerait évidemment la reconstitution de forts liens de solidarité et de la conscience de classe, pour combattre le système capitaliste et ses représentants politiques de tous bords, principaux responsables de la dégradation des conditions de vie. De ce point de vue, tous ceux qui se contentent de dénoncer Sarkozy, mais qui ne proposent rien pour aider les travailleurs et les jeunes des banlieues à s’auto-organiser, portent une lourde responsabilité dans l’aggravation de la situation et le développement de son corollaire, la démagogie xénophobe.


1) Selon le dernier recensement de l’INSEE (cf. www.recensement.insee.fr). On compte par ailleurs 1,4 million d’ « indépendants » n’employant pas de salariés (professions libérales, paysans, artisans, commerçants…).

2) Selon le dernier recensement de l’INSEE, et en chiffres arrondis, il y a 20,2 millions de salariés en France (hors DOM-TOM). Parmi eux, on compte 4 millions de fonctionnaires et 13 millions de CDI, ce qui représente 84 % des salariés. Le nombre de travailleurs précaires (en CDD, intérim ou « emplois aidés ») est de 2,63 millions (13 % des salariés). Il y a enfin 465 000 apprentis et stagiaires.


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