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Où en est l'agriculture africaine ?


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :15 mars 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Afrique
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Aujourd’hui encore, à cause de la sécheresse nous dit-on, la famine menace 40 millions de personne en Afrique. Alors qu’elle occupe une place centrale dans l’économie africaine (30% du PIB, 70% de la population active s’y consacre), l’agriculture ne permet pas de nourrir l’ensemble de la population. L’Afrique reste fortement dépendante de l’extérieur pour son alimentation (la consommation dépasse de 30% la production). Les difficultés naturelles climat, pauvreté des sols) ne sont pas compensées par les progrès techniques, même aussi élémentaires que l’irrigation, auxquels une grande partie des paysans n’a pas accès ; la productivité à l’hectare est 30 fois moindre en Afrique que dans les pays industrialisés. Et la situation ne semble pas devoir s’arranger : l’Afrique est la seule région du globe où la production alimentaire par habitant a diminué au cours de ces 40 dernières années.

Cette situation catastrophique contraste on ne peut plus fortement avec l’agriculture occidentale. Cette dernière connaît régulièrement des crises de « surproduction », ce qui dans la logique capitaliste implique des destruction de stocks et mises en jachère de sols. C’est que l’agriculture occidentale profite pleinement des derniers développement des biotechnologies. La recherche sur les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) avance, d’autres innovations apparaissent aussi ; elles peuvent, selon leurs promoteurs, améliorer la productivité des sols et diminuer le recours nécessaire aux engrais. L’absence de dangers écologiques et sanitaires de la production et de la consommation d’OGM est encore incertaine, et il est indispensable que des recherches scientifiques, indépendantes des intérêts capitalistes et de leurs relais, soient menées avant que ces nouvelles méthodes soient généralisées. Mais même dans l’hypothèse où les garanties scientifiques seraient obtenues, il est déjà certain que ces progrès ne feraient qu’accentuer le retard de l’agriculture africaine. La recherche dans ce domaine est en effet principalement l’œuvre de grands laboratoires privés, dont il n’est guère étonnant qu’ils veulent avant tout rentabiliser ces recherches longues et coûteuses. La cible de ces laboratoires est donc les grosses exploitations agricoles exportatrices ; cela signifie que les cultures africaine de subsistance ne sont pas concernées par ces recherches. En outre, les résultats obtenus sont principalement la création d’espèces protégées aux insecticides et herbicides (d’ailleurs souvent fabriqués par ces mêmes entreprises), bien loin des préoccupations des agriculteurs africains que sont le manque d’eau et la dévastation des cultures par les virus locaux. Il apparaît au contraire que ce marché des OGM, contrôlé par quelques multinationales semencières, ne peut que détruire un peu plus l’agriculture africaine. Monsanto, le leader sur ce marché, avait par exemple développé dans les années 90 une semence Terminator : la plante récoltée ne pouvait alors pas produire de graine, ce qui interdisait les « semences de ferme » (procédé massivement utilisé en Afrique car plus économique, consistant à utiliser une partie de la récolte pour le semis de la récolte suivante). En apparence revenues de telles extrémités, les multinationales utilisent aujourd’hui l’arme du brevet : les graines récoltées par les agriculteurs, protégées par d’innombrables brevets, doivent être payées au semencier avant de pouvoir être utilisées pour le semis. D’autre part, la production en laboratoire de plantes jusque là typiquement africaine menace plus encore la subsistance des petits producteurs locaux dont c’était la seule ressource (par exemple les producteurs de vanille au Madagascar et en Ouganda).

Pourtant, ces grosses multinationales semencières, principalement américaines, ne peuvent pas ignorer l’Afrique. Leurs recherches, coûteuses, doivent être rentabilisées ; or les marchés les plus solvables, l’Europe et le Japon, leurs sont fermés pour cause de moratoire sur l’importation d’OGM. Avec l’aide des organisations soit disant humanitaires de l’impérialisme (le PAM - Plan Alimentaire Mondial, la FAO - Organisations des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), ces multinationales utilisent l’Afrique pour contourner ces résistances. En effet, devant l’imminence de la famine an Afrique australe, le PAM a « proposé », en août 2002, 20000 tonnes de maïs transgénique au titre de l’aide alimentaire. L’intérêt est évident pour les semenciers : il s’agit de créer un état de fait sur la non-dangerosité des OGM, et ainsi une pression morale pour pénétrer les marchés européens et japonais (notons que ces mêmes semenciers disposent toujours de maïs traditionnel pour leurs clients solvables qui peuvent se permettre le luxe de la prudence). Les pays concernés, réticents à accepter cette aide, sont pris en otage : une règle de l’Organisation Mondiale de la Santé veut qu’on ne puisse refuser une nourriture considérée comme consommable par le donateur ; la FAO, contre toute réalité scientifique, assure que cette aide alimentaire est sans danger à la consommation. Finalement, la Zambie a refusé cette aide (et pendant ce temps, dans ce pays, des villageois affamés sont poussés à piller ces réserves en attente), le Zimbabwe hésite et le Malawi a accepté, à condition que le grain soit rendu impropre aux semailles pour ne pas se fermer les portes de l’exportation vers l’Europe.

Cette dernière préoccupation semble étonnante. Même au bord de la famine, les pays africains continuent à exporter leur production agricole. C’est la preuve qu’à côté des petits agriculteurs qui produisent pour leur subsistance, existent aussi des gros propriétaires qui exportent vers des marchés solvables. Peu importe pour les gouvernements si ces exportations s’accompagnent d’une misère accrue pour la majorité de la population, elles permettent un afflux de devises étrangères indispensables au sacro-saint paiement de la dette, par l’intermédiaire de laquelle les pillards internationaux étouffent l’économie africaine. Pour que l’agriculture africaine soit au service de la population africaine, il est urgent de mener à bien une réforme agraire et des chasser les gros exploitants qui se sont bien souvent accaparés les terres les plus riches à l’époque coloniale.

L’exemple du Zimbabwe est à ce titre particulièrement instructif. Revenue sur le devant de la scène avec la visite du président zimbabwéen Mugabe à l’occasion du sommet France Afrique, l’expropriation des propriétaires fonciers blancs, qui possédaient jusqu’en 1999 70% des meilleurs terres alors qu’ils ne représentent que 1% de la population, a soulevé l’indignation de la bourgeoisie occidentale toujours prête à défendre le « droit de l’homme » à la propriété privée de la terre, afin qu’il puisse l’exploiter à son profit. Il ne s’agit bien sur pas ici de soutenir Mugabe : ces expropriations ne sont survenues qu’après 20 ans d’une longue attente pour les masses paysannes, pendant laquelle Mugabe, premier ministre puis président, jouait au bon élève de la décolonisation, conjuguant indépendance formelle et maintien de la domination du colonisateur britannique. Aujourd’hui, poursuivant le plan de « libéralisation » de l’économie zimbabwéenne du FMI, avec lequel il a pourtant rompu, Mugabe prétend accélérer les privatisations. Mais il est tout de même incontestable que ces actions ont apporte un grand espoir de changement chez les masses paysannes de pouvoir enfin accéder a la terre. Ces réquisitions profitent encore pour le moment principalement aux proches soutiens de Mugabe, qui s’assurent ainsi de leur loyauté ; il est donc indispensable que cette reforme agraire soit poursuivie, y compris sous forme d’appropriation collective comme c’est possible pour les grandes fermes industrielles zimbabwéennes à fort rendement.


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