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Le CRI des Travailleurs n°2     << Article précédent | Article suivant >>

La révolution allemande et ses enseignements (1918-1923) (deuxième partie)


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :15 mars 2003
Mot(s)-clé(s) :histoire, Allemagne
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Nous avons vu, dans la première partie de cet article, que l’échec de la révolution en Allemagne et des conseils ouvriers entre 1917 et 1919, posait deux problèmes majeurs : la trahison décisive de la social-démocratie, prête à se placer à la tête d’un gouvernement bourgeois pour écraser la révolution dans le sang, d’une part, et le manque cruel d’un véritable parti ouvrier capable d’ouvrir les perspectives du combat politique, d’autre part. Cependant, les travailleurs allemands avaient montré, au cours de ces années essentielles pour le mouvement ouvrier, leur détermination et leur capacité révolutionnaire.

L’écrasement du putsch Kapp par la mobilisation ouvrière

Celle-ci est à nouveau éclatante en mars 1920, lors du putsch de Kapp, représentant des grands propriétaires fonciers, les Junkers. Le premier réflexe du gouvernement fédéral de Berlin, dirigé par le social-démocrate Noske, est de prendre la fuite. En revanche, face à la lâcheté de ce gouvernement bourgeois incapable de défendre sa propre République encore toute jeune, les masses ouvrières organisent leur propre résistance, dans un mouvement de masse contre les putschistes, grâce notamment à la mise en place de milices ouvrières armées. Cette mobilisation ouvrière, fondée sur la grève générale, écrase le putsch en quelques jours. C’est un discrédit complet pour la direction sociale-démocrate. Le mouvement a montré l’importance d’un front commun de militants de différentes organisations ouvrières. L’action s’achève par une négociation entre le gouvernement social-démocrate et les directions syndicales pour la reprise du travail, sous diverses conditions, parmi lesquelles le départ de Noske, l’épuration des administrations et des entreprises de tous les contre-révolutionnaires, l’application des lois sociales en vigueur. Le gouvernement, s’appuyant sur l’armée, parvient à établir le retour « à l’ordre », bien que des assemblées ouvrières, dans les usines, aient pris position contre les décisions des centrales syndicales. L’événement démontre la force d’une action politique organisée, sous la forme de comités d’action, formés par les partis et les syndicats ouvriers, comités qui représentent alors un véritable pouvoir démocratique-révolutionnaire, et posent donc concrètement la question de la prise du pouvoir. Mais l’attentisme et la passivité de la direction du jeune parti communiste lors de cette mobilisation donnent lieu à une scission « gauchiste » et la constitution du K.A.P.D., le parti communiste allemand des travailleurs.

Le « gauchisme »

Un courant « gauchiste » traverse en effet l’Europe à cette époque, incarné notamment par Panekoek (Hollande), Bela Kun (Hongrie), Bordiga (Italie). Ces « communistes de gauche » ou « gauchistes » opposent abstraitement les masses ouvrières à leurs chefs, contestent la nécessité de construire un parti ouvrier de masse, qui conduirait selon eux de toute éternité à une attitude opportuniste, et appellent à sortir des syndicats réformistes et à lutter pour la construction de « syndicats révolutionnaires » minoritaires. Au contraire, le deuxième Congrès de l’Internationale communiste, dans la définition des « vingt-et-une conditions » d’adhésion à l’I.C., insiste sur la nécessité de réaliser un travail actif dans les syndicats, et d’utiliser les parlements bourgeois comme tribunes. Lénine appelle les communistes allemands à être présents partout où se trouve la classe ouvrière : « Il faut, écrit-il, faire en sorte que le parti prenne part aussi aux parlements bourgeois, aux syndicats réactionnaires, aux conseils d’usine, mutilés, châtrés par les Scheidemann [dirigeant social-démocrate], partout où il y a des ouvriers, influer sur la masse ouvrière ». Pour Lénine, qui rédige alors Le gauchisme, maladie infantile du communisme, il s’agit de lutter, au sein même des syndicats, qui organisent la masse des travailleurs conscients, contre les dirigeants opportunistes et traîtres, au lieu de baisser les bras et d’abandonner les organisations ouvrières à l’emprise de leurs dirigeants réformistes.

L’action de mars 1921

En raison de la lâcheté des dirigeants du parti social-démocrate face au putsch de Kapp, le KPD est sorti renforcé de l’aventure. Toute une aile gauche du parti social-démocrate indépendant (USPD, centriste) le rejoint. En 1920, Le parti compte des centaines de milliers d’adhérents, des écoles, une trentaine de journaux. Ses membres sont dans leur écrasante majorité (à 90 %) des ouvriers, souvent jeunes, actifs et dévoués à la cause du prolétariat. Les dirigeants du parti sont élus, mandatés et révocables, les permanents ne sont jamais en majorité dans les instances de l’exécutif.

Cependant, les dirigeants du KPD, (à l’exception de Paul Levi qui condamnera, de sa prison, cette stratégie), tentent de déployer une tactique offensive, volontariste, pour faire surgir la vague révolutionnaire dont ils croient voir les prodromes dans la résistance spontanée des ouvriers au putsch de Kapp. L’initiative vient entre autres du crypto-gauchiste Bela Kun, président de l’exécutif de l’Internationale en mission en Allemagne. C’est « l’action de mars » 1921. Il s’agit de se porter à tout prix à l’assaut du pouvoir, par tous les moyens, y compris en essayant de décréter la grève générale. Les erreurs les plus graves sont alors commises dans le déploiement de cette stratégie offensive qui se coupe peu à peu des masses. L’énorme majorité des travailleurs non communistes, qui ne suivent pas les mouvements de grève ainsi provoqués, sont qualifiés de « jaunes » par les dirigeants du parti. Le parti communiste perd alors 200 000 membres en quelques semaines. La répression s’abat. Des dizaines de milliers de grévistes sont licenciés et placés sur les listes noires du patronat, ou encore condamnés à de lourdes peines de prison. Ce cuisant échec montre que les actions révolutionnaires ne peuvent être menées par le parti sans la conquête patiente et opiniâtre des masses, qu’elles ne peuvent être portées par le prolétariat, aidé et organisé par et dans le parti. Lénine avait écrit, dans Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ?, que l’insurrection avait besoin : 1) du développement de la révolution à l’échelle nationale ; 2) d’une faillite morale et politique complète de l’ancien gouvernement ; 3) de grandes hésitations dans le camp des éléments intermédiaires. Or, manifestement, ces conditions n’étaient pas réunies en mars 1921 en Allemagne, et les communistes allemands apprennent alors, à leurs dépens, que le volontarisme coupé des masses ne peut l’impuissance, et que leur responsabilité est d’abord de se construire comme parti partiemment, opiniâtrement, au sein du prolétariat tel qu’il est dans telle ou telle situation, et non tel qu’on voudrait qu’il soit…

Gouvernement ouvrier et mots d’ordre de transition

L’échec de l’action de mars confiorme et accélère le reflux général de la vague révolutionnaire de l’après-guerre en Europe. À partir de 1921-1922, sous l’impuslion de l’I.C., pour conquérir les masses, dont la majorité est restée sous l’influence social-démocrate, notamment en Allemagne, les militants révolutionnaires réfléchissent pour la première fois au problème d’un programme de transition (adapté à des conditions non révolutionnaires) et au mot d’ordre de gouvernement ouvrier. Celui-ci diffère de la dictature du prolétariat (gouvernement des conseils), il n’est qu’une étape vers la dictature du prolétariat ; il désigne la coalition gouvernementale de partis ouvriers, incluant les partis-ouvriers dirigées par l’appareils social-démocrate, mais sans participation de ministres issus des partis bourgeois. « Il serait faux de dire, remarque avec humour le dirigeant communiste Karl Radek, que l’évolution de l’homme, du singe au commissaire du peuple, doit passer par la phase de ministre du gouvernement ouvrier. Mais cette variante est possible ». Le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier » détermine la stratégie du front unique, c’est-à-dire de l’alliance, sur des bases claires et un programme précis, des organisations ouvrières. Il s’accompagne de revendications transitoires : participation majoritaire de l’État contrôlé par les organisations ouvrières à toutes les entreprises ; contrôle ouvrier sur l’industrie par la mise en place de comités d’usine ; levée du secret des banques, du secret de fabrication, du secret commercial ; monopole de l’État sur le commerce extérieur, le ravitaillement et le secteur bancaire… Une nouvelle période s’ouvre dès lors dans la stratégie des partis communistes révolutionnaires.

(La suite au prochain numéro.)

Source : Pierre Broué, Révolution en Allemagne, Éd. de Minuit, 1971.


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