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Mouvement de mai-juin 2003 : Premier bilan, premières perspectives
La montée vers la grève générale trahie par les dirigeants CGT, FO et FSU


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :15 juin 2003
Mot(s)-clé(s) :France, directions-syndicales
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Au moment où nous bouclons ce numéro spécial de notre journal, essentiellement consacré au grand mouvement social de mai-juin 2003 contre Chirac-Raffarin, celui-ci se termine. Il n’aura pas réussi à se développer en une grève générale, qui seule aurait été capable de faire céder le gouvernement, de le vaincre, et aurait par là même ouvert dans ce pays une situation de crise politique majeure, aux développements imprévisibles. Il est donc temps de tirer un premier bilan politique, de montrer les responsabilités des uns et des autres, d’essayer de saisir les forces et les limites de cette grande mobilisation, de dégager les tendances qu’elle révèle, les germes qu’elle recèle, dans le but de préparer les luttes à venir.

Mai-juin 1968…

La dernière grève générale qui ait eu lieu en France est celle de 1968. Il s’agissait d’une grève générale offensive, immédiatement politique, de 8 millions de travailleurs, qui avait été imposée aux bureaucraties syndicales et aux partis de gauche, à commencer par le puissant PCF d’alors. Ceux-ci avaient de concert réussi à briser cette mobilisation sans précédent pour empêcher la situation de devenir révolutionnaire, pour sauver De Gaulle et la Ve République en acceptant de résoudre la crise politique par la voie électorale, au lieu de diriger les travailleurs vers la prise du pouvoir. Ils avaient agi ainsi conformément aux intérêts et aux objectifs historiques de tous les réformistes (les dirigeants du mouvement ouvrier qui veulent « améliorer » le système capitaliste au lieu de le détruire) et de la bureaucratie stalinienne contre-révolutionnaire (la direction des partis communistes qui canalisait les luttes de classe nationales et internationales pour qu’elles n’aboutissent jamais à la révolution socialiste, afin de préserver les intérêts de la catégorie sociale dominante et contre-révolutionnaire en U.R.S.S., au nom de la construction d’un soi-disant « socialisme » dans ce pays et les pays satellites). Le mouvement de mai-juin 1968 n’en avait pas moins ouvert, en France et à l’échelle internationale, un cycle de combativité ouvrière de grande ampleur, même si ce dernier ne parvint jamais à déborder le cadre imposé par les appareils bureaucratiques tout-puissants du mouvement ouvrier, faute d’un parti communiste révolutionnaire internationaliste de masse.

Novembre-décembre 1995…

En novembre-décembre 1995, il n’y eut pas de grève générale, mais une situation de montée puissante vers la grève générale. La situation était complètement différente de celle que le pays avait connu en 1968. Le mouvement s’inscrivait, en effet, au cœur d’une période de plus de quinze ans de reculs et de défaites de la classe ouvrière, en France et dans le monde. La contre-offensive de la bourgeoisie internationale, commencée à la fin des années 1970, battait son plein, réagissant à la baisse du taux de profit qu’elle avait subie pendant les années 1960 et 1970, et précipitant la crise du mouvement ouvrier lui-même : d’un côté, la social-démocratie (les partis « socialistes » et les dirigeants des syndicats réformistes) fut chargée de mettre en œuvre elle-même la politique réactionnaire exigée par le capital (notamment en France) ; de l’autre, l’amplification des pressions économiques, politiques et militaires de l’impérialisme sur l’U.R.S.S. et les pays de l’Est aggrava la crise du mode de production et du régime stalinien de ces pays, et aboutit finalement à leur effondrement, puis, par ricochet, à l’effondrement ou la décomposition des partis staliniens partout dans le monde.

Or, après des années de crise profonde du mouvement ouvrier (crise des organisations traditionnelles, désyndicalisation massive, chute de la combativité et de la conscience ouvrières), après la transformation progressive, mais certaine, du PS en parti bourgeois, et avec le déclin irréversible du PCF, la couche sociale des bureaucrates syndicaux (les dirigeants réformistes et ex-staliniens des syndicats ouvriers) commençait à craindre sérieusement pour son existence même. En effet, les organisations ouvrières, même lorsqu’elles sont depuis des décennies aux mains des bureaucrates, ne peuvent exister que si elles représentent et défendent un minimum — à leur manière — les intérêts des travailleurs, si une partie au moins des travailleurs conscients leur accorde suffisamment de confiance pour leur permettre de continuer à fonctionner. En France tout particulièrement, où la syndicalisation a toujours été un phénomène très minoritaire (sauf périodes exceptionnelles), il devenait urgent, pour les dirigeants syndicaux eux-mêmes, de montrer qu’ils servaient encore à quelque chose, qu’ils ne pouvaient tout de même pas laisser démanteler sans rien faire, ou du moins sans faire semblant de faire quelque chose, les conquêtes ouvrières qu’ils avaient toujours présentées comme le produit de leur propre réformisme « responsable » (1). Rappelons, par exemple, que les syndicats n’avaient opposé absolument aucune résistance aux plans de restructurations industrielles et de licenciements massifs des années 1980, ou encore aux décrets Balladur de 1993 contre les retraites du privé (passage de 37,5 à 40 annuités, calcul du montant de la retraite sur les 25 meilleures années au lieu des dix meilleures, désindexation des retraites par rapport aux salaires…).

La CGT, FO, la FSU, la FEN, à la fois dans leur propre intérêt et sous la pression de leurs adhérents, finirent donc par engager un combat contre les plans du gouvernement Juppé (retraite des fonctionnaires, contrat de plan de la SNCF et surtout Sécurité sociale) : le mouvement de l’automne 1995 fut impulsé par les bureaucraties syndicales et contrôlé d’un bout à l’autre pour rester sur un terrain purement défensif, étroitement « syndical ». Dans ce but, les dirigeants surent canaliser les tendances au débordement qui se firent jour rapidement (la généralisation de la grève à la SNCF et la tendance à la grève générale jusqu’au retrait du plan Juppé contre la Sécurité sociale). Pour garder le contrôle de la situation, ils passèrent finalement un accord politique avec le gouvernement, au terme duquel celui-ci reculait tactiquement sur les retraites du secteur public et sur le contrat de plan de la SNCF, mais faisait passer l’essentiel, c’est-à-dire le plan Juppé contre la Sécurité sociale — qui, de fait, fut dès lors mis en œuvre avec la complicité des syndicats, puis par la « gauche plurielle » directement.

À l’arrivée, les bureaucrates syndicaux sortirent globalement renforcés de la lutte : tout en évitant soigneusement que le mouvement ne débouche sur une crise politique (2), ils avaient réussi à consolider leurs positions à la tête des syndicats ouvriers, en faisant croire aux travailleurs qu’ils servaient encore à défendre leurs intérêts. En même temps, ils avaient réussi à faire apparaître aux yeux d’une partie des travailleurs le retour de la gauche au pouvoir comme nécessaire et souhaitable. Or la victoire de Juppé contre la Sécurité sociale avait eu pour prix, par la suite, une relative paralysie de son gouvernement dans les autres domaines, par crainte de la force déployée par les travailleurs en 1995. Il devint donc bientôt nécessaire à la bourgeoisie de changer ce gouvernement : Chirac décida la dissolution de l’Assemblée nationale dans l’espoir de constituer un nouveau gouvernement de choc contre la classe ouvrière. Bénéficiant de la haine contre le gouvernement sortant et de sa canalisation par les dirigeants sociaux-démocrates et ex-staliniens, la « gauche plurielle » remporta les élections. On le sait, le gouvernement Jospin n’en fut pas moins le gouvernement de choc que la bourgeoisie attendait pour démanteler les conquêtes ouvrières, privatiser et déréglementer à tour de bras… et qui fut donc sanctionné sans appel par la classe ouvrière en mai 2002…

Mai-juin 2003…

Or le mouvement de mai-juin 2003 est dans une large mesure analogue à celui de novembre-décembre 1995 : lutte avant tout défensive contre un gouvernement Chirac fraîchement investi, arrogant et décidé à en découdre avec le monde du travail ; prédominance du secteur public où les travailleurs sont de manière générale les plus syndiqués ; rôle d’avant-garde d’une catégorie spontanément, massivement et longtemps en grève, entraînant les autres secteurs de la classe ouvrière (hier les cheminots, aujourd’hui les enseignants) ; mouvement de grève et manifestations massives sur plusieurs semaines, malgré les « journées d’action » à répétition imposées par les bureaucrates syndicaux ; impulsion de la mobilisation dans un premier temps, puis canalisation et trahison victorieuses de la montée vers la grève générale par les bureaucrates syndicaux, pris dans la contraction entre, d’une part, la nécessité pour eux de faire croire aux travailleurs qu’ils servent à défendre leurs intérêts et, d’autre part — comme nous allons le montrer — leur soumission totale à l’État bourgeois et à son gouvernement réactionnaire.

Ampleur de la mobilisation, tendance au débordement des appareils

Ce que l’on retiendra avant tout de mai-juin 2003, c’est l’ampleur et la détermination de la mobilisation, plus importante encore qu’en 1995, avec en particulier une tendance au débordement des appareils syndicaux par les travailleurs en lutte beaucoup plus forte qu’alors.

Tout d’abord, il est clair que les travailleurs ont amplement montré qu’ils étaient prêts à en découdre avec Chirac et ses ministres : des millions ont répondu avec enthousiasme et détermination à l’appel des organisations syndicales, manifestant le 1er février, le 3 avril, les 1er 13, 19, 25 et 27 mai, les 3, 5 et 10 juin… En outre, comme tous les observateurs honnêtes l’ont remarqué, les travailleurs du privé, notamment ceux de la métallurgie et du commerce, très encadrés par les syndicats, ont été représentés en nombre très significatif dans les manifestations, beaucoup plus qu’en 1995. Au demeurant, les sondages les plus officiels eux-mêmes ont fait état du « soutien » ou de la « sympathie » de la majorité des Français pour le mouvement, malgré les records atteints par l’incroyable battage gouvernemental et médiatique pour la réforme et contre les grévistes.

Mais surtout, un peu partout, dans les assemblées générales (AG), dans les syndicats de base, l’exigence que les confédérations et fédérations appellent à la grève générale jusqu’à la victoire n’a pas été, cette fois, un phénomène relativement marginal comme en 1995, mais elle s’est faite entendre de plus en plus massivement au fur et à mesure que les jours passaient et que les occasions manquées (13 mai, 25 mai, 3 juin, 10 juin…) se succédaient ; et elle a culminé dans la manifestation et le gros meeting intersyndical de Marseille le 12 mai, où Thibault a été copieusement sifflé par les grévistes et les syndiqués eux-mêmes qui, pendant des heures, exigèrent en vain l’appel commun à la grève générale des dirigeants syndicaux Thibault, Blondel et Aschieri, organisateurs et orateurs de la manifestation et du meeting.

Dans l’enseignement, qui a été le secteur-clé du mouvement général, la grève et son extension ont été imposées aux dirigeants, parfois dès la fin du mois de mars. Les personnels syndiqués ou non syndiqués, et en particulier toute une jeune génération d’enseignants qui menait parfois son premier combat social, ont fait grève pendant un mois, deux mois ou plus, malgré leur isolement sciemment organisé par les bureaucrates syndicaux. Les personnels ont fait preuve d’une remarquable capacité d’initiative et d’auto-organisation, et d’une grande conscience de classe, manifestée dans leur effort de plus en plus important pour se tourner vers les autres catégories de salariés, pour essayer de mener ensemble le combat interprofessionnel. Ainsi, dans un certain nombre d’endroits (en Ile-de-France, à Rouen, à Toulouse…), des AG interprofessionnelles, intégrant les syndicats combatifs, ont été organisées par les travailleurs eux-mêmes, au grand dam des dirigeants syndicaux — même si cela ne permit certes pas de pallier l’absence d’appel à la grève dans la plupart des autres secteurs et, par conséquent, l’absence de vrais comités de grève interprofessionnels élus et fédérés.

Enfin, dans certaines catégories, notamment chez les personnels du ministère de la culture, aux impôts, chez les personnels des collectivités territoriales, etc., mais surtout à la SNCF et dans les transports publics des grandes villes après le 13 mai, les bureaucrates syndicaux ne l’ont emporté que de justesse, exerçant une pression considérable sur les travailleurs pour leur faire reprendre le travail au lendemain de chaque journée d’action, brisant ainsi la cheville ouvrière de l’extension de la grève au-delà de l’Éducation. Partout, de claires tendances au débordement des appareils se sont fait jour, même si ces derniers ont le plus souvent réussi, comme nous allons le voir, à faire triompher assez vite leur mission politique de briseurs de grève.

En ce sens, le mouvement de mai-juin 2003 représente un net progrès par rapport à 1995, bien que ce progrès ne constitue pas encore un saut qualitatif, une différence de nature, car les grèves sont restées catégorielles et ponctuelles, cette lutte est restée avant tout défensive, elle n’a pas été, de manière générale, jusqu’à trouver une expression proprement politique. La raison fondamentale en est que les bureaucrates ont globalement été les plus forts, maîtrisant la situation, empêchant la généralisation de la grève et, par là même, son développement en grève politique ouverte.

Comment les dirigeants syndicaux ont trahi

En effet, au lieu d’appeler à la grève générale, de l’impulser et de l’organiser, les Thibault, Blondel et autres Aschieri n’ont eu de cesse, pendant un mois entier (entre la grande grève interprofessionnelle et la manifestation de deux millions de travailleurs du public et du privé le 13 mai, d’une part, et le meeting de Marseille le 12 juin), de balader les travailleurs de journée d’action en journée d’action, en leur faisant croire que la classe ouvrière n’était pas prête à aller jusqu’au bout pour obliger le gouvernement Chirac à retirer ses projets destructeurs, à capituler.

D’un bout à l’autre, tous ces dirigeants se sont justifiés de façon démagogique en disant que la grève générale ne se décrète pas, qu’il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton, que la grève doit venir d’en bas, etc. Pourtant, qu’ont-ils fait d’autre que de « décréter » d’en haut leurs vaines journées d’action à répétition alors que, en bas, des centaines et des centaines d’assemblées générales de travailleurs et de comités de grève, des centaines et des centaines de syndicats de base, exigeaient qu’ils appellent à la grève générale jusqu’à la victoire ? Qu’ont-ils fait d’autre que « d’appuyer sur un bouton » pour faire descendre les travailleurs dans la rue une fois par semaine, avant d’appuyer le lendemain sur un autre bouton pour les faire retourner travailler sans avoir rien obtenu ? Ils sont même allés jusqu’à trafiquer les chiffres des manifestants, en particulier après la manifestation nationale du 25 mai à Paris (annonçant 600 000 personnes au lieu d’un million et plus), afin de faire croire que la mobilisation était en perte de vitesse par rapport au 13 mai !

Certes, les travailleurs du privé ont hésité à faire grève, même dans les grosses entreprises, où les tendances au débordement des appareils, significatives, sont restées cependant limitées. Mais c’est avant tout parce que ces travailleurs ont été, au cours des années précédentes, les premières victimes des trahisons de leurs intérêts et de leurs luttes par les bureaucrates politiques et syndicaux du mouvement ouvrier, depuis leur défaite sans combat face à la réforme Balladur en 1993 jusqu’à l’avalanche des plans de restructuration et de licenciements, sans parler des lois Aubry contre lesquelles de très nombreuses grèves ont eu lieu en 2000 et 2001, parce qu’elles déréglementent les conditions de travail, annualisent et flexibilisent le temps de travail. Et surtout, les salariés du privé, aussi bien que des millions de leurs collègues du public, ont hésité à faire grève car ils ont bien compris que, sans la grève générale interprofessionnelle, donc sans l’appel des organisations syndicales à la grève générale jusqu’à la victoire, ils perdraient de l’argent et prendraient des risques sans avoir la moindre chance de gagner. Ils ont bien senti que, tout particulièrement après le 13 mai, la « stratégie » des journées d’action n’était pas une solution, mais une impasse. Ainsi, il ne fait aucun doute que, même si l’on prend en compte le fait incontestable de la crise de la conscience politique de classe et de la désyndicalisation, les salariés du privé qui ont hésité à faire grève auraient été entraînés par les secteurs les plus mobilisés, si la grève générale avait été décidée et organisée comme le seul moyen dont disposent les travailleurs pour vaincre Chirac-Raffarin.

Dans l’enseignement, où le taux de syndicalisation est l’un des plus élevés, les dirigeants, à commencer par la direction de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) largement majoritaire, n’ont pu éviter, malgré leurs efforts (et à la différence de ce qui s’est passé dans la plupart des autres secteurs) l’extension largement spontanée de la grève. Ils ont tout fait alors pour la contrôler et la canaliser : ils se sont efforcés d’abord à circonscrire les grèves à des secteurs ou des départements particuliers ; ils ont refusé ensuite jusqu’au bout d’appeler réellement à la grève générale de l’Éducation pour briser l’offensive de Raffarin-Ferry ; d’un bout à l’autre, ils ont atomisé les personnels avec le mot d’ordre de « grève reconductible » qui, sous son apparence hyper-« démocratique », a en réalité pour fonction de faire reposer sur les assemblées générales dispersées, isolées et désinformées la responsabilité de poursuivre la grève… Pour finir, la FSU et le SNES (le Syndicat National des Enseignants du Secondaire affilié à la FSU) ont donné le coup de grâce à la grève en la cassant purement et simplement le premier jour du baccalauréat général. Dès le 31 mai, François Berguin, secrétaire national du SNES avait déclaré dans Le Monde : « Le service public d’État reposant sur le principe de continuité, l’Éducation nationale peut limiter le droit de grève si l’interruption dudit service porte atteinte aux besoins essentiels du pays. (…) Dans le cas d’un oral de grec reporté à la semaine suivante, requérir les enseignants serait abusif, car cela concernerait un nombre limité de candidats et il ne s’agit pas d’une épreuve nationale. » Les choses étaient déjà claires : au lieu d’engager l’épreuve de force décisive contre le gouvernement et d’exiger le report du baccalauréat (qui n’aurait pu être organisé si le SNES-FSU et d’autres syndicats n’avaient pas voulu qu’il le fût), le syndicat majoritaire décidait d’intimider les professeurs, de leur faire peur pour qu’ils reprennent le travail, en cautionnant les menaces illégales du gouvernement concernant la « réquisition » ou le « requièrement » pour la surveillance et la correction des épreuves du baccalauréat. Le SNES allait même jusqu’à proposer au gouvernement, toujours par l’intermédiaire du Monde, de « faire appel aux non-grévistes. Les profs de langues des collèges ont également vocation à faire passer les examens s’il y a urgence ». Un syndicat expliquant au patron comment briser une grève et assurer un service minimum avec les « non-grévistes », est-ce encore un syndicat ? Finalement, le SNES brisa lui-même grève en laissant les professeurs décider eux-mêmes, « à la base » (!), c’est-à-dire en fait individuellement, de faire grève ou non : il leur demanda « démocratiquement » de « choisir » entre, d’un côté, un faux « appel » à poursuivre la grève et, de l’autre, de vraies « mises en demeure » des rectorats — certainement sans valeur juridique, mais d’autant plus inquiétantes que le SNES n’avait cessé, pendant plusieurs jours, de désinformer et d’intimider les professeurs…

Pourquoi les dirigeants syndicaux ont-ils trahi

Si les bureaucrates n’ont pas appelé à la grève générale, c’est tout simplement parce qu’ils n’en ont pas voulu. Ils ont seulement voulu utiliser la mobilisation des travailleurs (qu’ils avaient au départ prudemment impulsée en ce qui concerne les retraites) pour « négocier » de manière « responsable » avec le gouvernement Chirac qu’ils prétendent « légitime ». Car, même s’ils contestent le plan Fillon, tous réclament à cor et à cri une « vraie réforme » des retraites. Mais qu’est-ce que cette « réforme » dont ils nous rebattent les oreilles ? S’il s’agit de revenir aux 37,5 pour tous, d’abolir la réforme Balladur, de revaloriser les pensions, de faire payer les patrons, de garantir la retraite à 60 ans, d’abaisser l’âge de la retraite pour les travaux pénibles, de prendre en compte sans rachat ni pénalité les années d’études ou de chômage, etc., qu’y a-t-il de plus efficace qu’une grève générale pour imposer une telle réforme, dont les patrons et le gouvernement ne veulent évidemment pas ? Dès lors, toute autre voie, toute affirmation que l’on pourrait « dialoguer » et trouver un terrain d’entente avec ce gouvernement, ne peuvent être destinées qu’à tromper les travailleurs… et à « justifier » la participation ouverte ou discrète des bureaucrates syndicaux aux « réformes » gouvernementales contre leurs retraites et leurs acquis, quelles que soient par ailleurs les revendications mises en avant pour la « vraie réforme ».

Montrons donc, sur la base des faits, quelles ont été les positions défendues par les directions des principaux syndicats qui ont vertébré la mobilisation, avant tout la CGT, FO (dont on a vu que les capacités de mobilisation réelle sont cependant fort modestes dans la plupart des secteurs et des départements) et la FSU.

La CGT

Même si, à la différence de la CFDT, la direction de la CGT a certes dénoncé le plan Fillon, elle n’en a jamais exigé le retrait inconditionnel, et elle a tout fait pour mettre sous le boisseau l’exigence du retour aux 37,5 annuités de cotisation pour tous, public-privé. Elle n’a eu de cesse de faire croire aux travailleurs qu’une réforme des retraites était nécessaire pour mieux « justifier » son refus d’en découdre avec le gouvernement. Par exemple, Thibault a déclaré à France-Soir, le 20 mai : « Si la démarche politique se modifie, si on accepte de réelles négociations, on peut aboutir à une réforme en trois ou quatre mois, y compris, je le dis clairement, avec une signature de la CGT, si cette réforme correspond à nos besoins, à nos attentes (…). Il n’y a pas de refus de principe, d’opposition culturelle de la CGT à l’approbation d’accords. » Ainsi, c’est de manière tout à fait délibérée que la direction de la CGT s’est efforcée de briser la montée vers la grève générale par des journées d’action dispersées et sans perspective. Par ailleurs, Le Duigou, le n°2 de la CGT, a affirmé sans fard : « Nous sommes dans une logique de revendication. Nous n’avons pas un objectif politique, celui de battre le gouvernement. » (Le Monde, 5 juin.) Et Thibault a martelé tout au long du mouvement : « L’objectif n’est pas le blocage du pays. » Il a précisé à la radio, le 2 juin : « Nous aurons, si les salariés le décident, des grèves, des manifestations, des rassemblements, toute la palette d’initiatives syndicales à répétition, autant que de besoin et que les salariés le décideront. » Et maintenant, la CGT, suivie par tous les autres syndicats (FO, FSU, UNSA…), va jusqu’à substituer délibérément à la grève… l’organisation de « pique-nique citoyens » ridicules et la diffusion d’une pétition impuissante adressée aux députés et sénateurs de Chirac — et qui d’ailleurs n’exige même pas le retrait pur et simple du plan Fillon, se contenant de demander un report du vote !

FO

De son côté, la direction de FO et son secrétaire général, Blondel, n’ont pas cessé non plus d’assortir leur demande de retrait du plan Fillon de la « revendication » d’une « vraie réforme ». Par exemple, au cours de la gigantesque manifestation nationale du 25 mai, Blondel a déclaré : « FO se tient à la disposition du gouvernement pour discuter et négocier en tout lieu et à tout moment d’une réforme susceptible de garantir les retraites et les pensions. Nous sommes prêts à repartir le 27 mai avec une grève franche. Nous voulons dire aujourd’hui au gouvernement qu’il est encore temps de négocier. » On a là la clé qui permet d’expliquer la duplicité particulièrement saillante de Blondel : lui qui avait prétendu, dans son discours du 1er mai, devant ses militants, être pour « la perspective [!!] de la grève générale », a déclaré au contraire, au lendemain de cette manifestation du 25 mai et du refus de Fillon d’ouvrir des négociations : « J’ai utilisé à dessein les notions d’‘amplification’, de ‘généralisation’, de ‘coordination’. Mais j’ai quelques craintes à employer le terme de ‘grève générale interprofessionnelle’. Qu’on le veuille ou non, il renvoie à l’idée d’insurrection et bien sûr, à une lutte politique contre le gouvernement. Étant partisan de l’indépendance syndicale, je préfère rester prudent. » (Le Monde du 27 mai.) Interrogé sur France Info le 26 mai, Blondel allait jusqu’à déclarer : « Appeler à la grève générale serait insurrectionnel, voire politique. » (Sic !) En somme, pour Blondel et la direction de FO, la grève générale est une « perspective » qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche ! — Alors cela ne doit tromper personne si, après le 10 juin, pour exploiter le désarroi provoqué par le refus définitif de Thibault d’appeler à la grève générale (3), ce même Blondel a fait soudain semblant de se rallier à ce mot d’ordre scandé par les centaines de milliers de manifestants — se contentant en fait d’appeler les autres organisations à appeler à la grève générale, ce qui lui a permis de se donner le beau rôle auprès des travailleurs et des militants FO en particulier, voire de grappiller quelques cartes syndicales, avant de mieux participer avec ses confrères bureaucrates à l’enterrement du mouvement...

La FSU

Quant à la FSU, elle n’a pas plus que la CGT exigé le retrait pur et simple du plan Fillon et du projet Raffarin-Ferry sur la décentralisation. Par exemple, dans le texte adopté par son Bureau fédéral national (BDFN) le 23 avril 2003, ces revendications ne figurent pas, de même que l’exigence du retour aux 37,5 pour tous, public-privé. Dès ce moment-là, alors que des grèves s’étaient déjà multipliées spontanément avant les vacances de Pâques dans les établissements scolaires, la FSU, pour canaliser la mobilisation, annonça à la fois des « revendications » floues et des moyens d’action visant à épuiser les personnels par des grèves « reconductibles », multiples et dispersées, « inscrites dans la durée », à l’opposé de tout appel à la grève générale de l’Éducation, de tout objectif de la grève générale public-privé : « Le BDFN, peut-on lire dans le texte du 23 avril, confirme la volonté de la FSU de construire un mouvement unitaire d’ampleur sur la durée qui permette de faire reculer le gouvernement et d’obtenir satisfaction, d’une part sur les questions d’éducation et de service public, d’autre part sur les retraites. (…)  Le BDFN se félicite des actions puissantes, notamment de grève reconductible, qui se sont déroulées ou se déroulent dans un certain nombre de départements ; il appelle à les soutenir et à les étendre afin de contribuer à construire cet indispensable mouvement unitaire dans la durée. Le BDFN confirme (…) qu’il faut franchir un nouveau seuil dans la construction d’une action élargie et durable dans un cadre unitaire. Cette action doit prendre des formes nouvelles, dont la grève reconductible. Il propose que les AG au cours de la journée du 6 mai en débattent et se prononcent. » Le cadre d’ensemble que la FSU avait décidé d’imposer au mouvement était ainsi fixé.

Au lendemain du 25 mai, au lieu de lancer l’offensive finale pour vaincre le gouvernement, Aschieri, secrétaire général de la FSU, déclarait : « Notre demande aujourd’hui est l’ouverture de négociations sur des bases alternatives. On dit simplement qu’il y a d’autres voies. On ira aussi loin que les salariés veulent aller avec nous. » Le gouvernement, pas bête, saisit l’occasion en conviant les organisations syndicales représentatives de l’Éducation à une réunion le 2 juin, à laquelle toutes acceptèrent de participer. À sa sortie, Aschieri annonçait « un pas en avant » et, dans un communiqué du soir, la FSU déclarait : « La rencontre avec Luc Ferry et Nicolas Sarkozy a marqué un changement de ton : les deux ministres se sont dits soucieux de répondre aux inquiétudes. Nicolas Sarkozy a affirmé que ‘le cheminement du projet de loi’ demeurant ‘dans l’attente des résultats de la concertation, il ne sera présenté au Parlement’ qu’à la fin de celle-ci. Le ministre a envisagé que le texte serait d’ici là ‘forcément changé’ précisant qu’il n’y avait pas de ‘sujet tabou’. La FSU a fait la proposition que le débat sur la décentralisation de l’école ait lieu en liaison avec le débat prévu sur les objectifs et les missions du système éducatif. Elle a obtenu la réunion d’une première table ronde sur la décentralisation réunissant l’ensemble des organisations représentatives. (…) La FSU a souligné son attachement au principe d’égalité et à ses traductions concrètes. Elle a contesté tout ce qui s’apparenterait à un éclatement du système éducatif et à une dilution ou une déformation de ses missions et demandé des garanties solides sur ces points. La FSU appelle donc ses personnels à poursuivre leur action, à renforcer les grèves et à s’engager massivement dans la journée du 3 juin. » — Ainsi, non seulement la FSU prétendit-elle jouer, sans rire, à l’« habile » politicien opposant un gentil Sarkozy, présenté comme compréhensif et homme de dialogue, à un méchant Ferry sourd aux « inquiétudes » (!!) des personnels ; mais encore, elle reconnut clairement qu’elle manipulait et limitait la mobilisation pour la canaliser dans la voie du « débat » avec le gouvernement, dans la voie de la « concertation », en un mot dans la voie de l’acceptation du cadre des réformes imposé par Chirac-Raffarin-Ferry-Sarkozy.

Enfin, le dernier épisode de cette tragi-comédie mit en pleine lumière les véritables positions de la FSU : à sa sortie de l’ultime réunion du 10 juin avec le gouvernement, Aschieri justifia sa trahison éhontée (sa décision de brader un appel général à une vraie grève du baccalauréat) par la promesse ministérielle d’ouvrir en septembre des négociations sur le projet de décentralisation, et d’un prétendu « recul » du gouvernement… consistant en fait dans l’annonce d’une confirmation du transfert aux collectivités territoriales des 100 000 personnels ouvriers (TOS) de l’Éducation nationale (10 000 personnels, conseillers d’orientation, psychologues, infirmières, etc., étant pour leur part finalement épargnés pour le moment) ! La véritable position de la FSU apparaissait clairement pour ce qu’elle était : les bureaucrates qui la dirigent ne sont pas contre la décentralisation, ils ne sont pas contre le transfert des personnels les plus exploités, ils ne sont pas contre la casse de leurs missions et de leur statut national.

Il est donc parfaitement évident que, d’un bout à l’autre du mouvement, les bureaucrates des principaux syndicats (CGT, FO et FSU — sans parler de la CFDT) ont eu pour objectif conscient et délibéré d’empêcher les travailleurs d’infliger une défaite cinglante au gouvernement réactionnaire de Chirac-Raffarin.

Il faut démasquer et révoquer les bureaucrates qui ont trahi

Dès lors, il est nécessaire maintenant d’aider les travailleurs à démasquer ces traîtres, d’exiger que ceux-ci rendent des comptes, d’aider les syndiqués à démettre de leurs fonctions tous ceux qui ont refusé de respecter leur mandat, d’organiser la grève, de combattre réellement le gouvernement — de même qu’il était indispensable, tout au long du mouvement, d’exiger des dirigeants qu’ils appellent à la grève générale : dans un cas comme dans l’autre, il faut aider les travailleurs à comprendre que les syndicats, même dirigés par les bureaucrates, n’appartiennent pas à ces derniers, mais sont la propriété inaliénable de la classe ouvrière organisée, des travailleurs conscients, que les générations successives ont édifiés depuis des décennies pour défendre leurs intérêts de classe contre le patronat et les gouvernements à son service. Il faut aider les travailleurs à comprendre à la fois la nature des bureaucraties traîtres et la nécessité de construire les syndicats, de ne pas les abandonner aux bureaucrates, de ne pas non plus contourner le problème de la bureaucratie en essayant de monter de toutes pièces de petits syndicats plus « radicaux », mais destinés à rester minoritaires tant que des centaines de milliers d’adhérents continueront à considérer — à juste titre — que la CGT, FO, la FSU, etc. sont leurs syndicats.

La crise politique n’est que reportée

Mais il faut également poser le problème de l’alternative politique. Cette nouvelle victoire des bureaucrates contre les travailleurs, leur réussite à empêcher la puissante lutte de classe de vaincre et d’ouvrir par là même une alternative politique, met plus que jamais en évidence la profondeur de la crise du mouvement ouvrier lui-même, dans une situation marquée non seulement par l’absence d’un parti communiste révolutionnaire internationaliste, mais aussi par le discrédit et la décomposition des anciens partis ouvriers. Le large accord du PS avec le plan Fillon (au-delà des phrases de congrès) et le rôle insignifiant joué par le PCF en tant que parti pendant tout le mouvement (la ligne de ce parti se réduisant au soutien para-syndical de l’orientation de Thibault) sont des données fondamentales de la situation, qui rendent celle-ci complètement nouvelle non seulement par rapport à 1968, mais également, dans une large mesure, par rapport à 1995, où le PCF n’était pas aussi décomposé qu’aujourd’hui et où le PS n’avait pas encore été rejeté par les travailleurs conscients sur une échelle aussi grande qu’en mai 2002. Cette situation inédite confère aux bureaucrates syndicaux le quasi-monopole de la trahison ouvrière dans ce pays, et ne permet pas au PS et au PCF de se présenter comme une alternative politique crédible, quand bien même ils le voudraient.

Pourtant, il est clair que la lutte de classe déclenchée par l’annonce de la réforme des retraites et de la décentralisation avait pour terrain naturel de développement la lutte politique contre Chirac, son gouvernement et son Assemblée nationale, tous aussi illégitimes les uns que les autres. Il faut tout de même rappeler, en effet, que Chirac ne gouverne encore ce pays que pour deux raisons : d’une part, grâce aux institutions plébiscitaires de la Ve République (élection du président au suffrage universel à deux tours, source fatale de situations tragi-comiques comme celle du 21 avril 2002) et, d’autre part, par défaut — la sanction de Jospin par une partie importante de l’électorat ouvrier et populaire au premier tour, l’effondrement du PCF et les bons scores de l’extrême gauche ayant offert au président sortant une « victoire » sans adversaire, la « victoire » bien peu glorieuse du moins minoritaire des candidats proposés au choix des Français... Quant au second tour (dont les circonstances, la préparation et le résultat ont déterminé intégralement les élections législatives qui ont suivi), rappelons que, au nom d’un prétendu danger fasciste, non seulement les partis de droite, les médias et les Églises, mais encore les chefs de toute la « gauche plurielle » et des syndicats (sans oublier une partie de l’extrême gauche sans principes : la LCR), avaient appelé, ouvertement ou à mots couverts, à plébisciter Chirac — en fait dans le but d’éviter une crise politique ouverte dans ce pays.

Or les causes profondes de la crise politique de mai 2002 n’ont évidemment pas disparu avec le report de celle-ci. Tout au contraire, elles ne cessent de s’accumuler silencieusement avec la politique réactionnaire de choc menée par ce gouvernement ultra-minoritaire confronté à une classe ouvrière dont le potentiel de combativité reste intact malgré la crise du mouvement ouvrier, prêt à être pleinement déployé. Dès lors, l’objectif poursuivi par les bureaucrates en mai-juin apparaît en pleine lumière : leur volonté de négocier avec le gouvernement aussi bien que leurs efforts considérables pour briser la montée vers la grève générale avaient pour objectif d’éviter à tout prix l’éclatement de la crise politique déjà reportée l’an passé, dont les conséquences auraient été incalculables. C’est pour cela que Thibault et Blondel ont dit si franchement qu’ils ne voulaient pas s’attaquer au gouvernement, qu’ils ne voulaient pas d’une grève générale politique — donc qu’ils ne voulaient pas de grève générale tout court, la réalisation de celle-ci ne pouvant pas ne pas ouvrir immédiatement une crise politique générale —, et qu’ils s’inclineraient de toute façon devant les décisions du Parlement. Car ces bureaucrates, ces agents de la bourgeoisie qui dirigent le mouvement ouvrier, savent parfaitement non seulement que l’« opposition » du PS et du PCF n’est plus susceptible, dans l’état actuel des choses, d’emporter la confiance des travailleurs, et par là même n’est plus si sûre pour canaliser leur lutte de classe sur le terrain électoral et institutionnel ; mais encore, ils savent que le développement « naturel » de la lutte, la réalisation de la grève générale, aurait créé une situation où la crise du mouvement ouvrier, la crise de la représentation politique de la classe ouvrière, la crise de la direction du prolétariat, auraient éclaté aux yeux de centaines de milliers de travailleurs, posant clairement le problème d’une alternative politique radicalement nouvelle. À une échelle de masse aurait été posée la question d’aller plus loin, de chasser le gouvernement, de multiplier et de fédérer les comités de grève élus par les travailleurs (dans chaque branche et au niveau interprofessionnel), de centraliser les comités de grève au niveau national, de représenter politiquement les travailleurs en grève générale, de construire de nouveaux partis ouvriers de masse… En un mot, la question du pouvoir aurait commencé à se poser concrètement pour des centaines de milliers de travailleurs, et toute la situation en aurait été bouleversée…

Il faut un parti communiste révolutionnaire internationaliste

Cela ne s’est pas produit : non parce que le gouvernement aurait été, à lui tout seul, le plus fort — celui-ci n’existe, encore une fois, que par défaut et surtout par le soutien objectif que lui apportent les partis de « gauche » et les bureaucrates syndicaux. En fait, la grève générale ne s’est pas réalisée avant tout parce que les dirigeants l’ont empêchée, parce qu’ils ont été les plus forts dans leur combat contre les travailleurs, parce qu’ils ont su exploiter justement la crise du mouvement ouvrier, l’absence de toute perspective politique organisée… Mais ce nouveau report de la crise politique potentielle que viennent d’obtenir les bureaucrates syndicaux ne signifie pas l’élimination des causes sociales qui la feront éclater tôt ou tard. Il en résulte que, plus que jamais, va falloir préparer, organiser et diriger les luttes de classe à venir, pour surmonter l’obstacle des appareils et les vaincre, pour faire triompher la grève général ; mais il va falloir aussi, et de manière indissoluble, populariser la perspective d’une solution politique ouvrière, la perspective du gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs, seul à même de garantir les conquêtes du passé et d’en réaliser de nouvelles en prenant toutes les mesures nécessaires contre les capitalistes, les spéculateurs et les politiciens à leur service. C’est pourquoi les travailleurs ont besoin d’un nouveau parti, d’un parti qui soit le leur, d’un parti qui n’ait pas d’autre objectif que de représenter politiquement leurs intérêts, d’un parti qui, par conséquent, combatte le système et l’État capitalistes dans tous leurs aspects, sans compromission, sans illusions réformistes, sans méthodes bureaucratiques, sans opportunisme et sans sectarisme.

Selon le Groupe CRI, ce parti ne pourra être qu’un parti communiste révolutionnaire internationaliste. En ce début de nouvelle période de la lutte de classes qui s’ouvre en France avec ce grand et beau mouvement de mai-juin 2003, il invite tous les travailleurs et les jeunes, à commencer par ceux qui se sont mobilisés pour la grève générale, à poursuivre leur réflexion politique en se rassemblant et en discutant de cette perspective, la perspective de la grève générale — et donc, inextricablement, du gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs.


1) En réalité, les principales conquêtes ouvrières, celles de 1918-1920, de 1936, de 1944-1950, sont les sous-produits de la mobilisation révolutionnaire des travailleurs, brisée par les réformistes et les staliniens au prix de concessions de la bourgeoisie affolée par la crainte de tout perdre (cf. sur ce point notre Projet de programme CRI).

2) Symboliquement, c’est précisément à ce moment-là, en plein milieu du mouvement de décembre 1995, que le congrès de la CGT avait décidé d’abandonner l’article 1er des statuts confédéraux de 1895 donnant à la lutte syndicale l’objectif ultime de « l’appropriation par les travailleurs des moyens de production et d’échange ».

3) Tout particulièrement dans l’interview décisive, parue dans L’Humanité du 10 juin, au matin de la dernière grande « journée d’action » nationale avant le reflux du mouvement.


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