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Guerre en Irak :
Quelles sont les causes de la défaite ?
Bilan et perspectives


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :15 mai 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Irak
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Une défaite pour le peuple irakien, donc pour les peuples et les travailleurs du monde entier

En moins de trois semaines, les troupes anglo-américaines ont donc réussi à emporter aisément la victoire militaire dans leur guerre d’agression contre le peuple irakien, et instaurent désormais leur protectorat sur un pays qu’elles ont réduit au chaos. Il aura fallu y mettre les grands moyens, recourir aux méthodes de la barbarie la plus sophistiquée : une armada de 300 000 hommes suréquipés et déterminés à organiser un véritable massacre, un déluge de bombes les plus modernes, des dizaines de milliers de morts au moins parmi les Irakiens (30 000 au minimum parmi les seuls soldats, selon l’état-major américain), une stratégie de terreur systématique contre les civils, l’utilisation massive de bombes à fragmentation, la destruction d’infrastructures majeures, à commencer par l’eau et l’électricité, l’organisation délibérée et systématique de la pénurie d’eau potable dans les villes occupées, la destruction d’habitations, d’usines et de bâtiments publics, le pillage des biens publics, notamment de l’Université et du musée de Bagdad, organisé, encouragé ou toléré par les troupes américaines, etc. Et l’on en apprend tous les jours sur les horreurs de cette guerre, qui se poursuit, en particulier avec l’apparition du choléra, sciemment organisée par la destruction des infrastructures sanitaires du pays.

Pourtant, à chaque avancée de l’armée impérialiste, dans chaque ville tombée, l’hostilité des Irakiens à l’envahisseur s’est manifestée immédiatement sous des formes diverses, malgré le chantage terrible qui leur a été imposé, puisque les envahisseurs impérialistes n’ont pas hésité à les obliger, sous peine de se voir privés d’eau et de rations alimentaires, à les remercier devant les caméras de télévision aux ordres pour les avoir « libérés ». Et, depuis la chute de Bagdad et le début de l’occupation totale du pays, les manifestations, les jets de pierre et de toutes sortes d’ustensiles, les insultes, les crachats contre les soldats américains qui quadrillent les quartiers sont quotidiens, au point que l’armée d’occupation tire régulièrement sur les manifestants ou même sur des passants, comme à Mossoul, comme à Falluja, où 13 à 20 personnes, parmi lesquelles plusieurs enfants, ont été abattues le 28 avril au cours d’une fusillade qui a duré vingt minutes et qui s’est acharnée sur la foule en fuite et sur les blessés.

Dès lors, comment expliquer une défaite si rapide, presque sans combats, du peuple irakien, qui est une nouvelle défaite pour tous les peuples et les travailleurs du monde ? Bien évidemment, il ne s’agit pas de nier la gigantesque infériorité militaire des Irakiens, à commencer par l’incommensurable sous-équipement de l’armée, qui n’a jamais pu être reconstituée après sa destruction de 1991 et plus de douze ans d’embargo. Cependant, la principales causes de la défaite ne sont pas militaires. Elles sont politiques, et elles ne peuvent être comprises que si l’on se situe sur le terrain de l’analyse de classe.

Trahison de la classe dirigeante irakienne et des classes dirigeantes arabes

Si la résistance armée a été réelle et héroïque à certains moments (notamment fin mars-début avril) et en particulier dans certains endroits (comme par exemple à Bassora et lors des trois premiers jours de l’invasion de Bagdad), il est clair qu’elle n’a pas été aussi importante qu’elle aurait pu et dû l’être, notamment dans la capitale. Indéniablement, on a assisté en direct à la capitulation sans combat, manifestement négociée avec l’envahisseur, de la classe dirigeante irakienne (composée d’une bourgeoisie à demi débile socialement et politiquement, d’une forte bureaucratie d’État et de propriétaires fonciers), soi-disant nationale, organisée dans le parti Baas, qui a régné pendant trente ans en faisant payer au peuple l’indépendance nationale, acquise par l’expropriation de l’impérialisme britannique et la nationalisation du pétrole, du prix de la dictature affreuse de Saddam Hussein et de ses sbires, longtemps soutenus par les impérialistes de tout poil, à commencer par la France et les États-Unis. Après s’être enrichie effrontément par le pillage de son propre peuple pendant trois décennies (même pendant l’embargo imposé par l’O.N.U.), après avoir ruiné l’économie nationale par une guerre contre l’Iran, la classe dirigeante d’Irak n’a pas su et n’a pas voulu combattre l’intervention impérialiste, préférant fuir avec armes et bagages pour les uns, se rendre lamentablement sans combat pour les autres, se reconvertir plus ou moins discrètement au service de l’occupant pour les seconds couteaux, hier « nationaux », désormais compradores (1). On sait maintenant que les armes que, avant la guerre, le parti Baas affirmait distribuer aux habitants, ne l’ont en fait été qu’au compte-goutte, c’est-à-dire aux partisans sûrs du parti unique, dans le cadre d’une tactique visant à faire croire au peuple que l’on maîtrisait la situation, plutôt que dans l’objectif de préparer effectivement la résistance. De la même façon, les quelques milliers de combattants arabes étrangers qui se sont rendus en Irak pour aider leurs frères à se battre contre l’armée impérialiste se sont vu refuser les armes par les chefs de l’armée baasiste, et se sont retrouvés pris au piège d’un complot les livrant pieds et poings liés à l’envahisseur du pays qu’ils étaient venus défendre. Et maintenant, chaque jour, des stocks d’armes, soigneusement dissimulés et inutilisés, sont découverts par les soldats américains, qui prouvent que la résistance armée aurait pu être beaucoup plus importante qu’elle ne l’a été, si le parti Baas avait décidé qu’elle le fût. Ce n’est donc ni l’acceptation par le peuple irakien de l’invasion impérialiste, ni sa capacité de résistance, qui expliquent la défaite, mais c’est la trahison de la bourgeoisie et de la bureaucratie irakiennes, dont les mêmes intérêts propres qui leur faisaient opprimer le peuple hier, les ont poussées à l’abandonner sans défense aux massacreurs impérialistes aujourd’hui.

De leur côté, les classes dirigeantes arabes des pays du Moyen-Orient et du Maghreb avaient signifié à Bush qu’elles laisseraient carte blanche à son armée pour envahir l’Irak — interdisant ou réprimant, pour preuve, les manifestations populaires contre la guerre qui se multipliaient dans leurs propres pays et qui exigeaient qu’un soutien politique et militaire soit apporté au peuple irakien. Les peuples du Moyen-Orient ont ainsi été empêchés de venir en aide à leurs frères d’Irak, ils se sont heurtés frontalement à leurs propres classes dirigeantes collaborationnistes, pour qui le mythe de la « nation arabe » n’est chanté officiellement, les jours de fête, que pour mieux masquer leur allégeance compradore à l’impérialisme (2).

Une fois de plus, il est ainsi prouvé que les bourgeoisies sous-développées socialement et politiquement, organiquement liées aux seigneurs féodaux, des pays coloniaux et semi-coloniaux, ne veulent ni ne peuvent lutter contre l’impérialisme, défendre leurs propres pays, assurer leur propre indépendance nationale. Une fois de plus, il est prouvé que seul le peuple travailleur, sous la direction du prolétariat, s’il était appuyé par le prolétariat des pays impérialistes, pourrait combattre réellement contre l’impérialisme, contre le néo-colonialisme, pour l’indépendance nationale pleine et entière.

Les directions des organisations ouvrières des pays impérialistes sont les principales responsables de la défaite irakienne

Mais la principale responsabilité de la défaite du peuple irakien doit être cherchée hors du Moyen-Orient, à commencer par notre propre pays : pour les communistes révolutionnaires internationalistes, il doit être bien clair qu’elle incombe avant tout aux directions des organisations ouvrières des pays impérialistes (flanquées des courants centristes (3)), qui ont trahi une nouvelle fois la cause de la classe prolétarienne internationale et des peuples du monde, en refusant d’engager le combat pour la défense de l’Irak agressé par l’impérialisme, le combat pour l’organisation par tous les moyens, c’est-à-dire par la grève générale, de la lutte contre la marche à la guerre, puis pour la défaite de l’impérialisme (4). Une fois de plus, les bureaucraties politiques et syndicales du mouvement ouvrier ont signifié aux impérialistes que leur prétendue « opposition » à la guerre n’irait pas plus loin que l’organisation de quelques manifestations purement symboliques, pacifistes, en fait crypto-impérialistes (le plus souvent placées sous les auspices de l’O.N.U. et du prétendu « droit international », quand ce n’était pas de personnages comme Chirac !). Une fois de plus, ils ont refusé d’organiser la lutte réelle contre les gouvernements impérialistes fauteurs de guerre, que ceux-ci constituent ou soutiennent ouvertement la coalition militaire (États-Unis, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, etc.), ou qu’ils fassent semblant (comme la France, l’Allemagne et la Russie), de la désapprouver en proposant d’autres moyens pour parvenir à la même fin (le désarmement de l’Irak et l’instauration d’un protectorat impérialiste dans ce pays riche en pétrole, mais surtout base d’une nouvelle configuration programmée de la présence impérialiste au Moyen-Orient) (5). Ce faisant, les agents de la bourgeoisie impérialiste qui dirigent et manipulent les travailleurs et leurs mobilisations ont prouvé une fois de plus qu’ils soutenaient de fait l’impérialisme contre le peuple irakien et contre la cause du prolétariat et des opprimés de tous les pays. C’est donc à eux qu’il faut s’en prendre, ce sont eux, avant même la technique militaire américaine, qui sont les principaux responsables de la défaite irakienne.

Le peuple irakien a perdu une bataille, il n’a pas perdu la guerre

Le devoir des communistes révolutionnaires internationalistes est de soutenir désormais tout pas du peuple irakien dans la voie de la résistance à l’envahisseur impérialiste, pour le départ inconditionnel des troupes d’occupation, pour la reconquête de la souveraineté nationale, intégrant le droit du peuple kurde opprimé à disposer de lui-même (droit utilisé aujourd’hui de manière frauduleuse par des cliques « kurdes » mafieuses qui se sont associées aux envahisseurs impérialistes). Mais les faits viennent de montrer une fois de plus que ce combat a pour condition l’organisation indépendante des travailleurs sous la conduite du prolétariat, la construction de syndicats, de partis et de milices d’autodéfense qui leur soient propres, et qui leur permettent de développer leur conscience de classe, de faire l’expérience de la lutte de classe, d’échapper à la manipulation islamiste réactionnaire, que les impérialistes encouragent et utilisent aujourd’hui pour dresser les fractions du peuple irakien les unes contre les autres et « justifier » ainsi leur mainmise sur le pays, au nom du maintien de l’ordre. Les faits viennent de montrer encore une fois que, comme tous les mouvements de libération nationale au stade impérialiste du capitalisme, la nouvelle guerre de libération nationale qui est désormais nécessaire, ne pourra être qu’une guerre sociale, une guerre de classe contre l’impérialisme, mais aussi contre la semi-bourgeoisie traître, corrompue et impuissante. C’est pourquoi le combat pour la reconquête de l’indépendance est inséparable du combat pour chasser les propriétaire fonciers, pour la réforme agraire, pour la réappropriation par le peuple, sous contrôle ouvrier, de la rente pétrolière et des raffineries, pour la reconnaissance des droits démocratiques et sociaux. La réalisation de ce programme exige que le prolétariat, pour forger son alliance avec les paysans pauvres et tous les opprimés de la société irakienne, mette en avant le mot d’ordre de l’Assemblée nationale constituante, d’une Assemblée qui rassemblerait les représentants élus, mandatés et révocables du peuple résistant, et qui pourra ainsi décider en toute légitimité de la forme démocratique et le contenu social de la République d’Irak (et de la République du Kurdistan, indépendante ou fédérée, selon le souhait du peuple kurde). Ce programme, dont la réalisation serait et ne pourrait être qu’un pas décisif sur la voie d’une fédération socialiste des États du Moyen-Orient, doit être proposé à toutes les organisations que la classe ouvrière, la paysannerie pauvre, les travailleurs et les opprimés d’Irak avaient commencé à se donner avant la dictature, et ne manqueront pas de se redonner dans le combat qui les attend. Par conséquent, seule la construction du parti communiste révolutionnaire internationaliste en Irak et de l’Internationale communiste révolutionnaire au Moyen-Orient et dans les pays impérialistes, permettra d’aider le prolétariat et le peuple irakiens à mener à bien les tâches historiques de premier plan qui leur reviennent désormais dans le combat pour la révolution socialiste


1) De fait, les cadres du parti Baas sont les premiers à être recyclés par les envahisseurs américains dans la nouvelle « organisation » du pays, à commencer par la police. Comme nous l’écrivions avant la guerre dans Le Cri des travailleurs n°2, « nous devons soutenir et encourager la résistance unitaire des travailleurs irakiens et kurdes en armes contre l’invasion impérialiste, mais en les appelant à ne compter que sur leur propre organisation et sur leur indépendance à l’égard de Saddam Hussein et de tous leurs dirigeants milliardaires, bourgeois et propriétaires fonciers. Ces derniers, qui exploitent et oppriment le peuple, préféreront renoncer à toute indépendance nationale plutôt que de perdre leurs positions sociales ; dès que les impérialistes occuperont le pays, ils entreront massivement dans la collaboration ouverte. »

2) Cf. notre article « Soulèvement des peuples du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord contre la guerre et le pouvoir », dans Le Cri des travailleurs n°3 (avril 2003).

3) Cf. sur ce point notre article « Comment aider à la mobilisation anti-guerre ? Quelques remarques sur les lignes de la L.C.R., du P.T. et de L.O. », dans Le Cri des travailleurs n°2 (mars 2003).

4) Cf. Le Cri des travailleurs n°3 ; notons que, en France, le Groupe CRI a été l’une des seules organisations à avoir pris cette position (ainsi que, notamment le Groupe bolchevik, les militants qui se réclament de la Fraction Trotskyste-Stratégie Internationale et, de manière plus discrète, la « Fraction » de LO, vertement dénoncée d’ailleurs par la direction pour avoir osé soutenir une telle position) ; cette orientation de principe, programmatique depuis Lénine, inscrite dans le programme de la IVe Internationale, est absente de la presse des organisations soi-disant « trostskystes » comme la L.C.R., le C.C.I.-P.T. et L.O.

5) Rappelons la farce sinistre à laquelle nous assistons au Conseil de sécurité de l’O.N.U., où l’impérialisme américain exige la levée de l’embargo contre l’Irak afin de pourvoir maintenant exporter à son gré le pétrole dont il a pris le contrôle, tandis que l’impérialisme français, toujours au nom du « droit international », voudrait que la levée de l’embargo soit subordonnée à la mise en place d’une administration agréée par l’ON.U. — en clair à l’attribution aux entreprises françaises d’une part de gâteau que Bush refuse de leur octroyer pour se venger de Chirac...


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