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Afrique du Sud : Le cheval de Troie de l'impérialisme en Afrique


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :15 mai 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Afrique-du-Sud
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Dix ans après la fin officielle de l’apartheid, les bases économiques et sociales de celui-ci subsistent en Afrique du Sud. Arrivé au pouvoir en 1994, l’ANC (African National Congress), sous couvert de commission de réconciliation, n’a jamais remis en cause le pouvoir économique des exploiteurs racistes blancs, coupables des pires atrocités sous l’ancien régime. Les dirigeants de l’apartheid ont su, comme le leur conseillaient leurs alliés occidentaux, s’adapter plutôt que de mourir : en abandonnant le pouvoir politique au parti nationaliste petit-bourgeois de l’ANC, ils ont pu éviter l’irruption des masses noires opprimées sur le devant de la scène. C’est que la classe ouvrière sud-africaine, la plus puissante et concentrée d’Afrique (du fait notamment de l’importante industrie minière), a cruellement manqué d’un grand parti ouvrier révolutionnaire durant la longue lutte contre l’apartheid, où elle a exprimé sa combativité malgré les terribles répressions. L’ANC et le SACP (Parti Communiste Sud-Africain) se sont toujours efforcés de dissimuler l’existence d’intérêts de classe derrière l’unité nationale pour la libération du peuple noir. La centrale syndicale FOSATU (Federation of South African Trade-Unions), non-raciste, a su caractériser la nature de classe de l’ANC et la dénoncer ; mais il ne s’est pas dégagé d’avant-garde, c’est-à-dire de parti révolutionnaire, capable de continuer ce combat au-delà du niveau syndical. Pendant que la FOSATU défendait syndicalement les intérêts des travailleurs à l’intérieur même du régime d’apartheid, le prolétariat sud-africain, seul capable de rompre avec l’impérialisme et ainsi de réaliser les revendications nationales jusqu’au bout, restait dépourvu de l’outil nécessaire à cette tâche.

Aujourd’hui, l’alliance tripartite ANC–SAPC–COSATU (Congress of South African Trade-Unions, fondé en 1985 après la capitulation des tenants de l’indépendance de classe de la FOSATU), emmenée par Thabo Mbeki, le successeur de Nelson Mandela, dirige un pays où les inégalités sont criantes. La majorité noire (75 % de la population) vit encore en grande partie dans la misère des townships. Huit millions de personnes, soit 40 % de la population active, sont au chômage. Un Blanc consomme en moyenne 40 fois plus d’eau, ressource rare dans le pays, qu’un Noir. L’Afrique du Sud est aussi le pays le plus gravement touché par le Sida : 5 millions d’habitants (sur 43) sont porteurs du virus. Les pauvres sont les plus touchés, d’autant que le secteur hospitalier public n’offre pas les traitements nécessaires, pénurie organisée par les multinationales pharmaceutiques et le gouvernement ; seuls les plus riches peuvent bénéficier de ces traitements dans les cliniques privées. Fondamentalement, c’est dans la répartition des moyens de production que survit l’apartheid économique. Par exemple, malgré une « réforme agraire », consistant uniquement en la restitution de terres à 40 000 moyens propriétaires noirs chassés durant l’apartheid, 85 % des fermes commerciales restent aux mains des Blancs.

Plutôt que de rompre avec l’apartheid, le gouvernement Mbeki préfère envoyer aux impérialistes les gages de sa « bonne gouvernance ». Ainsi, l’Afrique du Sud s’attache à montrer sa capacité à organiser les sommets sous l’égide de l’ONU (Conférence contre le racisme en 2001, Sommet de la Terre en 2002), et à réprimer violemment les manifestations qui entendent les dénoncer. Le président Mbeki est aussi à l’origine, avec d’autres chefs d’États africains, du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique). Présenté comme une initiative africaine pour sortir le continent de la pauvreté, ce projet, élaboré avec le soutien du G 8, vise en réalité à organiser la poursuite du paiement de la dette et l’ouverture des économies locales aux appétits impérialistes, sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale.

Cette politique se traduit concrètement en Afrique du Sud par une vague de privatisations des services publics. Après la compagnie d’électricité Eskom, c’est l’opérateur téléphonique Telkom qui vient d’être privatisé. Ces privatisations ont bénéficié bien sûr avant tout aux investisseurs anglo-saxons. Toutefois, une partie non négligeable des parts est revenue aux investisseurs sud-africains noirs, favorisés par une remise sur le prix des actions. Ceci est conforme à la politique d’orientation nationale-bourgeoise de l’ANC qui, pour détourner le combat des masses noires contre un régime économique encore largement dominé par les Blancs, entend renforcer la petite bourgeoisie noire en Afrique du Sud. Mais cela ne peut cacher que, bien entendu, ces privatisations se font au détriment des travailleurs concernés (licenciements) et des usagers les plus pauvres ; alors qu’il prônait le non-paiement des factures par les habitants pauvres des townships avant son arrivée au pouvoir, l’ANC utilise maintenant des moyens policiers et militaires (avec expulsions et coupures des ressources) pour récupérer son « dû » avant les privatisations.

Cette politique du gouvernement ne pourrait être menée sans le soutien (« critique ») de l’ensemble des composantes de l’alliance tripartite. Le COSATU, en particulier, organise régulièrement deux journées de grève générale (trois fois en trois ans), pour abandonner aussitôt après les revendications. D’autre part, la centrale syndicale se refuse à lier ces luttes ouvrières avec les luttes des masses pauvres des townships, en particulier pour le non-paiement des factures. Il est pourtant incontestable que la volonté de combattre existe à l’intérieur du COSATU ; par exemple, le syndicat des travailleurs municipaux SAMWU a arraché des succès réels après trois semaines de grève. C’est pourquoi il est indispensable que les militants du COSATU engagent le combat à l’intérieur de leur organisation pour que celle-ci rompe avec le gouvernement Mbeki au service de l’impérialisme. Mais seul un véritable parti révolutionnaire combattant pour le socialisme pourra aider la classe ouvrière noire à en finir avec l’apartheid, avec la domination blanche et avec l’impérialisme.


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