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Le CRI des Travailleurs n°4     << Article précédent | Article suivant >>

Algérie : Deux ans après la révolte du peuple, où en est-on ?


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :15 mai 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Algérie
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La guerre civile et ses causes

L’Algérie connaît depuis plus de dix ans un niveau de violence effroyable. Depuis 1992, plus de 100 000 Algériens ont été tués, des milliers de personnes torturées, et des milliers d’autres ont « disparu ». Des civils sont assassinés par familles entières, sans qu’aucune enquête ne soit jamais menée, aucune arrestation réalisée, aucune intervention entreprise, alors même que des bases militaires et de gendarmerie sont installées près des villages sur lesquels s’abat cette violence sans nom. Et pour cause : il devient évident désormais que l’armée est très étroitement mêlée à ces ratissages et à ces massacres, des témoignages récents, y compris celui d’un ancien officier des troupes spéciales de l’armée algérienne (1), l’ont montré. Des militaires déguisés en islamistes montent des barrages truqués et meurtriers. Il ne s’agit pas de nier l’existence et la violence des groupes islamistes armés qui eux aussi sèment la terreur et la mort. Mais il faut constater que, de plus en plus, les jeunes sont poussés dans les maquis islamistes par le chômage et la pauvreté. Surtout, l’armée infiltre chaque jour davantage ces groupes. Cette armée est aux commandes de l’appareil d’État, et se sert du gouvernement pour dicter sa loi de terreur à la population.

La montée de l’islamisme et la guerre civile qui ensanglante l’Algérie résultent d’un long processus politique, né de la dictature du F.L.N. qui a régné en parti unique depuis la fin de la guerre d’indépendance en 1962, écrasant et réprimant les luttes du peuple algérien. En 1977 déjà, de grandes grèves ouvrières s’étaient dressées contre la clique militaire au pouvoir. Mais c’est surtout en octobre 1988 que la révolte s’organisa, par le soulèvement de la jeunesse et des grèves ouvrières puissantes, parties d’Alger, du secteur de la métallurgie (2). Les dirigeants syndicaux de l’Union Générale des Travailleurs d’Algérie (U.G.T.A.), se faisant le rouage du pouvoir, firent tout, alors, pour canaliser le mouvement. La répression fut terrible : plus d’une centaine de morts. Pris de peur face à la montée de la lutte de la classe ouvrière et de la jeunesse, le pouvoir fit des concessions démocratiques (légalisation des partis, convocation d’élections « libres »), et surtout il tenta de s’appuyer sur les islamistes. Le Front islamique du salut (F.I.S.) n’a jamais cessé, en effet, de dénoncer les grèves, y voyant le « terrier des ennemis d’Allah », il a organisé les briseurs de grève et mis sur pied des syndicats jaunes. L’islamisme intégriste s’oppose ainsi frontalement à la lutte de classe, en tentant de détourner le peuple en lutte de ses intérêts pour lui faire espérer le « califat islamique sur la terre », qui passe par l’oppression des femmes et s’oppose à l’émancipation des travailleurs. Sur le fond, sa politique n’a jamais eu pour contenu social que la plus noire réaction.

Néanmoins, le F.I.S. sut, en quelques années, canaliser les aspirations populaires, et conquérir une part importante de la population écœurée par la politique du F.L.N., la pauvreté, le chômage, l’absence d’avenir pour les jeunes. On assista à une montée en flèche du F.I.S., provoquant bientôt un vent de panique dans les hautes sphères du pouvoir et du F.L.N. qui avaient cru d’abord pouvoir le contrôler et s’en servir pour contenir la colère des masses. Après la victoire du F.I.S. au premier tour des élections législatives de décembre 1991, le gouvernement décida d’annuler les élections, de ne pas organiser le second tour, de dissoudre le F.I.S. et d’instaurer l’état d’urgence. C’est cette décision qui jeta le pays dans la guerre civile, qui n’a pas cessé depuis lors, et dont la responsabilité première incombe donc au pouvoir.

Il ne saurait donc être question de séparer l’état de guerre et de violence actuel des raisons économiques et politiques qui l’ont créé. L’armée ne terrorise pas la population algérienne uniquement par cynisme ou goût du sang. Les clans mafieux dans les milieux militaire et gouvernemental maintiennent leur pouvoir par l’horreur qu’ils font régner sur l’Algérie pour mieux s’octroyer et préserver leur mainmise sur les richesses du pays. Les présidents de la République qui se succèdent et les commandants militaires tout-puissants entretiennent des relations très privilégiées avec les dirigeants de la Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures, et forment des clans avides de contrôler l’intégralité de ces ressources. Car gaz et pétrole représentent une manne financière considérable. Des découvertes pétrolières récentes font de l’Algérie un pays aux perspectives particulièrement juteuses, que les cliques militaires s’approprient sans vergogne. Entre 1998 et 2000, les recettes d’exportation des hydrocarbures ont été multipliées par deux. L’armée et le pouvoir en profitent. Seule la rente pétrolière permet de financer l’économie de guerre, au détriment d’une population mise à feu et à sang, plongée dans la misère et le désespoir, et qui, en majorité, ne soutient ni les islamistes intégristes, ni le pouvoir pourri.

Le rôle de l’impérialisme

Mais cette manne aiguise d’autres appétits, et les impérialismes occidentaux ne sont pas en reste pour se l’attribuer. Richard Jackson, directeur des affaires égyptiennes et nord-africaines du département d’État américain, déclarait il y a quelques années : « En 1994, l’Algérie est le pays qui a eu les plus importantes découvertes de pétrole du monde. Nous voulons notre part. » Cela avait le mérite de la clarté. Une entreprise texane, Andarko, s’est récemment implantée dans la région et y a beaucoup investi. Ceci explique sans doute l’attention bienveillante que prête l’administration américaine au gouvernement algérien, et à Bouteflika en particulier. La concurrence interimpérialiste fait rage, notamment depuis que la loi de 1986 a ouvert le champ libre aux compagnies étrangères pour des contrats de partage de la production d’hydrocarbures. La présence en Algérie d’entreprises françaises (Elf, par exemple) explique le soutien total des gouvernements français successifs au régime. Le récent voyage très médiatisé de Chirac en Algérie l’a encore montré : Chirac, flanqué de grands patrons (Total, Michelin, Alsthom, Aventis…, ainsi que la Commission « Algérie » du M.E.D.E.F.) a feint d’ignorer qu’on avait empêché par la force les manifestants kabyles d’entrer à Alger ce jour-là, et que les affiches et pancartes des familles de disparus avaient été arrachées par la police. Ici comme ailleurs, Chirac n’a aucun scrupule à aller manifester publiquement son soutien sans faille aux dictatures les plus sanguinaires.

Les pressions impérialistes se font ainsi sans cesse plus fortes pour privatiser entièrement la Sonatrach, et encaisser plus à l’aise les dividendes d’exploitation. Et il ne s’agit pas d’encouragements amicaux. Plutôt de coups de poignard taillant dans la chair de la population algérienne. Car les impérialistes occidentaux tiennent l’Algérie à leur merci, étranglée par la dette contractée auprès des grands organismes financiers internationaux. F.M.I. et Banque mondiale exigent toujours plus de privatisations : les fermetures d’entreprises publiques se multiplient, plus de 500 000 personnes ont été mises au chômage en quelques années. Bureaux de postes, caisses de retraites publiques, caisses d’assurance disparaissent, et la difficulté d’accès aux soins pour la population est de plus en plus grande, alors que les grandes fortunes s’affichent ostensiblement. Le gouvernement s’est engagé à poursuivre cette politique afin de pouvoir adhérer à l’O.M.C. De leur côté, les travailleurs de tous les secteurs professionnels se sont récemment mobilisés dans une grève générale, très suivie, pour rejeter ces privatisations et cette politique.

De fait, du gâteau financier du pétrole, qui représente plusieurs dizaines de milliards d’euros, la population algérienne ne goûte rien, mais est touchée de plein fouet par le chômage et la misère. La part de la population en situation de « pauvreté absolue » est passée en quelques années de 12 % à 22, 6%. Entre 1987 et 1996, les revenus des ménages ont chuté de 36 %. 75 % des jeunes de moins de trente ans sont sans emploi. Le nombre de suicides chez les jeunes et les personnes âgées, réduits au désespoir, ne cesse de croître. De nombreuses familles renoncent à envoyer leurs enfants à l’école. Ces enfants se transforment, par nécessité absolue, en « fouilleurs d’ordures » dans les décharges publiques. Partout, le manque de logements, d’eau potable, de routes, d’électricité est insupportable, et dans les campagnes, on assiste au retour de certaines maladies depuis longtemps disparues.

La révolte populaire de 2001

Les puissantes manifestations du printemps 2001, parties de Kabylie pour gagner ensuite tout le pays, ont montré la colère et la détermination de la population. Le peuple s’élevait contre la « hogra » (l’humiliation et l’oppression), la misère, le chômage, et bravait ainsi le gouvernement, aux cris de « pouvoir assassin » : la question du renversement de la dictature était ainsi posée.

Mais aucune organisation n’a tenté de relier toutes ces luttes — en particulier les manifestations en Kabylie et les grèves ouvrières dans les secteurs de la sidérurgie, de la mécanique, de l’électricité, de la métallurgie et de l’électronique qui avaient lieu au même moment (cent mille travailleurs ont alors fait grève dans 60 entreprises de 32 wilayas). Aucun parti n’a proposé une véritable perspective politique de rupture révolutionnaire avec le système. Au cours des émeutes en Kabylie, certains ont cru voir dans les archs des embryons de démocratie ouvrière et paysanne. Les archs, comités de village ou de quartiers, se sont certes constitués à l’origine de manière indépendante des partis rejetés par la population, comme le R.C.D. qui siégeait encore au gouvernement deux semaines après le début de la répression sanglante par celui-ci. La coordination des archs ou inter-wilaya, née le 8 mai à Béni Douala de la réunion de diverses coordinations locales, résultait cependant d’une grande diversité de situations, parcourant tout l’échiquier politique. Les membres des comités n’étaient pas désignés par vote, sur la base de délégués mandatés et révocables, mais par consensus. Les notables des villages y jouèrent un rôle prépondérant, et firent tout pour canaliser le mouvement de révolte et favoriser un retour à l’« ordre » et au « calme ». En certains endroits, les femmes étaient purement et simplement exclues des comités. Ailleurs, comme à Béjaia, deuxième ville de Kabylie, des militants syndicalistes se virent boycottés par des dirigeants des archs. Les récupérations politiques y ont été légion et ont contribué à détourner le mouvement populaire de ses objectifs initiaux, de ses revendications qui ouvraient la voie au renversement du pouvoir. Or les dirigeants des archs refusaient cette rupture avec la dictature de Bouteflika, et se proposaient au contraire de négocier avec lui. Quant à la direction de la centrale syndicale U.G.T.A. , elle n’a rien tenté pour faire le pont entre les différentes luttes. Lors des élections législatives de mai 2002, elle s’est opposée officiellement à l’abstention, pourtant immense dans le pays.

Finalement, la mobilisation de la jeunesse et des travailleurs algériens n’a donc pas pu aboutir, elle a été violemment réprimée par le pouvoir (il y a eu une centaine de morts et de très nombreux emprisonnés) et surtout elle a été contenue par les appareils des organisations. Il n’en reste pas moins que le peuple a montré son immense potentiel de lutte révolutionnaire. Ce potentiel doit aujourd’hui trouver ses structures de lutte, à commencer par la construction d’un authentique parti communiste révolutionnaire, adoptant le programme de la « révolution permanente » (cf. sur ce sujet l’article suivant), seule voie réaliste pour en finir avec l’impérialisme, avec la guerre et avec le pouvoir bourgeois militaire honni et corrompu. Un tel parti avancerait notamment les mots d’ordre suivants :

• Impérialistes, hors d’Algérie ! Non au paiement de la «  dette » ! À bas les plans d’ajustement structurel et les privatisations ! Renationalisation sous contrôle ouvrier des entreprises privatisées !

À bas la dictature !

• Front unique des organisations ouvrières et populaires (U.G.T.A., F.F.S., P.T., P.S.T…), appuyé sur l’organisation de comités d’usines, de villages, de quartiers…, pour organiser la lutte des travailleurs et des jeunes sur leurs revendications !

• Constitution de milices d’auto-défense du prolétariat et du peuple !

• Gouvernement ouvrier et paysan !


1) Habib Souaïdia, La sale guerre, Paris, La Découverte, 2001.

2) Notamment de l’immense complexe industriel de Rouiba, dans la banlieue d’Alger, où sont implantées les usines de la Société nationale des véhicules industriels.


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