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Lettre publique du Groupe CRI à la LCR suite à sa proposition de « nouveau parti anticapitaliste »


Auteur(s) :Groupe CRI
Date :18 juillet 2007
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Camarades,

Le Groupe CRI a pris connaissance de la résolution votée par la direction nationale de la LCR (publiée dans Rouge le 5 juillet) « pour la fondation d’un nouveau parti anticapitaliste », qui « défende les intérêts des travailleurs et des travailleuses, de tous les opprimé-e-s, de tous les exploité-e-s ».

Comme vous le savez sans doute, nous nous sommes prononcés, de septembre 2006 au printemps 2007, pour un regroupement des anticapitalistes sur la base d’un programme anticapitaliste cohérent et conséquent, dans les élections et dans les luttes. Il est donc naturel pour nous de répondre positivement à votre appel, en nous déclarant disponibles pour participer au débat et aux réunions que vous proposez, comme aux initiatives de lutte qui, nous l’espérons, permettront de les nourrir.

C’est dans cet esprit que nous avons jugé utile de rédiger les remarques suivantes sur les cinq points de votre résolution : elles constituent notre première contribution à la discussion que vous décidez d’ouvrir.

1) Le point de départ de votre appel est la dénonciation du « système » capitaliste. Il s’agit en effet de s’en prendre au capitalisme lui-même, non de prétendre l’améliorer ou l’« humaniser » : seule cette appréciation peut fonder une orientation anticapitaliste cohérente et conséquente.

Mais cela suppose à la fois de dégager clairement la nature de ce système et la perspective à lui opposer du point de vue des exploités et des opprimés. C’est pourquoi il nous semble important de souligner le caractère objectif de la logique capitaliste. Celle-ci, en effet, n’est pas réductible à un « moteur » subjectif comme « la soif de pouvoir et de profits d’une toute petite minorité », ni à ses aspects les plus spectaculaires (« course folle au profit »). Au contraire, les motivations psychologiques des individus capitalistes (non seulement les « actionnaires », mais tous les autres) et les manifestations apparemment délirantes du capitalisme (du point de vue des intérêts de la majorité et de l’avenir de la planète) ne sont que les aspects les plus visibles d’une logique impersonnelle et parfaitement rationnelle : cette logique de fer est celle de la reproduction du système capitaliste à une échelle sans cesse élargie, reposant sur l’accumulation, par conséquent sur la valorisation toujours croissante du capital par l’exploitation tendanciellement maximale du travail (tendance contrecarrée par la seule lutte de classe ouvrière).

C’est pourquoi la contestation radicale du capitalisme ne peut se limiter, selon nous, à une dénonciation de la « concurrence de tous contre tous », qui ne décrit que la surface du mode de production capitaliste, et de la « privatisation du monde », expression vague semblant désigner l’aspect juridique d’un processus socio-économique bien plus fondamental et qui n’est d’ailleurs pas nouveau. À l’opposé, l’alternative anticapitaliste cohérente et conséquente ne peut pas se limiter à prôner des « solidarités » en général (formule là encore trop subjectiviste et vague), un « partage des richesses » qui ne supposerait pas une réorganisation totale de la production et une « démocratie la plus large » qui n’impliquerait pas la destruction des États et institutions internationales du capitalisme, par nature anti-démocratiques. En d’autres termes, un parti anticapitaliste qui n’inscrirait pas dans son programme l’objectif de la collectivisation des grands moyens de production et d’échange, de la réorganisation radicale des processus de travail et du remplacement des États actuels par une République réellement démocratique des travailleurs par et pour eux-mêmes, ne serait pas un parti anticapitaliste cohérent et conséquent.

Or il en découle que les perspectives de luttes proposées aux « classes exploitées, (aux) salariés qui produisent toutes les richesses » ne peuvent pas se limiter à des « mobilisations puissantes, généralisées, des grèves, des manifestations, des occupations ». Ces luttes sont évidemment indispensables, mais elles ne suffiront pas « pour en finir avec la dictature des actionnaires, de la propriété privée capitaliste ». Pour mettre fin à cette « dictature », il n’y a pas d’autre solution que d’exproprier purement et simplement les capitalistes et leurs valets politiques, idéologiques, etc. Car la propriété capitaliste n’a jamais connu et ne peut connaître d’autre forme que la dictature, c’est-à-dire l’autocratie du capital sur le travail, de la bourgeoisie sur le prolétariat et sur les autres opprimés. C’est pourquoi la seule perspective historique des luttes ouvrières et populaires contre les patrons et leurs gouvernements est qu’elles convergent en se centralisant politiquement sur l’objectif de détruire le système de la propriété capitaliste en tant que tel, et donc tout particulièrement sur l’objectif décisif de détruire ses instruments de pouvoir centraux que sont les différents États bourgeois. En un mot, le seul programme anticapitaliste cohérent et conséquent, quelles que soient ses délimitations secondaires et les formes organisationnelles exactes aptes à le porter dans la période actuelle, est le programme historique de la révolution communiste, ouvrant la voie à la disparition de toutes les classes sociales.

C’est dans ce cadre ouvertement assumé qu’un programme de revendications transitoires peut prendre tout son sens, sans risquer de tomber dans l’illusion réformiste ou le para-syndicalisme (1). Et c’est l’absence d’un tel cadre que, pour le dire franchement, nous critiquons dans la politique de la LCR, en particulier dans la campagne électorale qu’elle a menée cette année (dénonciation du capitalisme et de ses valets politiques, mais « programme d’urgence » fondé avant tout sur l’objectif d’une « autre répartition des richesses », non sur celui de l’expropriation sous contrôle ouvrier des grandes entreprises et d’un gouvernement des travailleurs eux-mêmes) (2). Il sera donc indispensable que la discussion pour le nouveau parti anticapitaliste porte tout particulièrement sur cette question fondamentale du programme historique et de sa concrétisation sous une forme révolutionnaire transitoire, mais non réformiste.

2) En ce qui concerne la situation ouverte en France par l’élection de Sarkozy, il s’agit en effet de tracer clairement l’objectif de « mettre en échec » la politique de celui-ci et du MEDEF. Mais, d’un point de vue anticapitaliste, cet objectif, s’il n’est pas au même niveau historique que le précédent, ne peut pourtant pas en être séparé. En effet, la meilleure façon de résister à Sarkozy, c’est de construire une arme politique efficace, qui ne peut être qu’un parti anticapitaliste révolutionnaire le plus puissant possible. Car l’expérience montre qu’on ne peut se fier non seulement aux « sociaux-libéraux » qui dirigent le PS, mais aussi aux réformistes (sociaux-démocrates et staliniens « classiques » ou « anti-libéraux »), incapables d’aller jusqu’au bout du combat contre un gouvernement quel qu’il soit. C’est pourquoi l’appel à l’unité contre Sarkozy ne peut que s’articuler à la mise en avant résolue d’un programme anticapitaliste popularisant la perspective historique, au-delà de Sarkozy et de ses prédécesseurs, d’un gouvernement des travailleurs eux-mêmes.

Mais cet appel à l’unité doit lui-même être précisé : selon nous, il ne s’agit pas de construire une pluralité de « fronts unitaires », mais bien un « front unique », car la politique capitaliste de Sarkozy est globale et cohérente et ne peut donc être combattue que de façon globale et cohérente, par la centralisation politique de toutes les mobilisations sur l’objectif de la mettre en échec globalement. C’est pourquoi l’objectif politique de la grève générale doit à notre avis être immédiatement popularisé, sur la base des leçons des grands mouvements de 1995, 2003 et 2006 : c’est un des points que nous souhaitons mettre au centre du débat pour les luttes à venir.

Enfin, si nous nous réjouissons de votre volonté affichée de construire l’unité contre Sarkozy, nous nous permettons de regretter que, depuis le second tour de la présidentielle et même depuis les législatives, cette volonté n’ait pas du tout commencé à se concrétiser. C’était pourtant nécessaire, puisque les premières attaques sont menées dès ce mois de juillet (loi sur l’autonomie des universités, mise en cause du droit de grève, restriction des libertés démocratiques, restriction des droits des immigrés…). C’était de plus tout à fait possible : les vacances ne peuvent priver une organisation de plusieurs milliers de militants et sympathisants comme la vôtre que d’une partie de ses forces, sans empêcher les autres, sous réserve d’une décision politique ferme en ce sens, de commencer à œuvrer à la construction du front de résistance unitaire (qui ne se fera de toute façon pas en un jour). Enfin, c’était d’autant plus important que vous-mêmes constatez, dans votre résolution, qu’« on sent la résistance, rejointe par une nouvelle génération, s’organiser face aux attaques du nouveau pouvoir »…

C’est pourquoi, pour notre part, avec nos forces extrêmement réduites, nous avons fait et nous faisons tous nos efforts pour concrétiser notre volonté de construire le front unitaire sans attendre la rentrée. Nous avons ainsi contribué à organiser, malheureusement sans la LCR et les autres principales organisations du mouvement ouvrier, les manifestations du 16 mai et du 2 juin, puis le premier Forum de la résistance sociale qui s’est tenu à Paris le 7 juillet, avec la participation de 45 travailleurs, jeunes, militants mandatés de différentes organisations (CGT-Jeunes, CILCA, FSE nationale, FSE Paris-I/IV, Groupe CRI, JCR, Mouvement lycéen de Paris, Résistance républicaine, SNASUB-Paris-3) et observateurs (AGEN, Carré rouge, Equidemos, Fraction de LO, GR, GSI, SUD-Lycéens). Ce Forum a lancé un appel (que nous vous renvoyons ci-joint), visant à assurer d’ici septembre une continuité de la préparation de la résistance unitaire et, si possible, de premières mobilisations contre les lois de Sarkozy en juillet. L’appel se termine par une adresse aux organisations et la proposition d’un second Forum de la résistance sociale le 22 septembre : nous espérons que, cette fois, la LCR, partisane de l’unité contre Sarkozy, y répondra favorablement pour avancer dans ce but au-delà des éventuelles nuances ou divergences.

3) En ce qui concerne le PS, nous sommes d’accord avec ce que vous écrivez, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin dans sa caractérisation : celle-ci doit se faire en termes de classe et non seulement de façon empirique. Selon nous, le PS est aujourd’hui un parti purement et simplement bourgeois, similaire au Parti démocrate des États-Unis (3). D’ailleurs, il est facile de constater qu’il a défendu, pendant toute la campagne présidentielle, un programme très proche de celui de l’UMP (4) — à quelques exceptions près que sa candidate s’est d’ailleurs empressée de dénoncer sitôt sa défaite enregistrée ! Or il en résulte que non seulement, comme vous l’écrivez, il n’est pas possible de nouer quelque « alliance institutionnelle » que ce soit avec ce parti, mais en outre, à notre avis, qu’il n’est même pas possible d’intégrer le PS dans les organisations à qui il faut proposer le front unique contre la politique de Sarkozy. En effet, parce qu’il s’agit de combattre, par ce front unique, une politique d’ensemble (et non seulement telle ou telle mesure particulière), et parce que la politique d’ensemble proposée par le PS ne se démarque pas de façon significative de celle de l’UMP, il serait incohérent de proposer aux travailleurs et aux jeunes de s’allier avec lui pour mettre en échec le programme de Sarkozy. Au contraire, il faut aider les travailleurs à rompre avec les dernières illusions que certains peuvent avoir sur le PS et les appeler à ne compter que sur leurs propres forces — tout en mettant en œuvre une tactique appropriée à l’égard des organisations du mouvement ouvrier (celles qui se réclament encore plus ou moins de la défense des intérêts spécifiques des travailleurs, comme le PCF et les syndicats réformistes).

En ce qui concerne la direction du PCF, nous sommes d’accord pour dénoncer son alliance avec le PS et son refus de rompre avec une orientation dont on peut rappeler qu’elle a notamment conduit au gouvernement réactionnaire de la « gauche plurielle ». Si l’appel au front unique doit s’adresser au PCF en tant que parti réformiste qui prétend vouloir combattre la politique de Sarkozy, cela ne doit en aucun cas empêcher une critique virulente de sa politique passée et présente, véritable repoussoir pour toute orientation anticapitaliste cohérente et conséquente.

De plus, il est tout à fait juste de s’adresser, au-delà des organisations actuellement existantes, aux travailleurs, aux jeunes et aux syndicalistes qui ont lutté ces dernières années, à ceux qui ont voté pour l’extrême gauche aux élections, etc. Pour eux, la proposition de construire un nouveau parti anticapitaliste pourrait être bien plus enthousiasmante que l’hypothèse de rejoindre une des organisations actuellement existantes. La condition en est que cette proposition se concrétise dans un immense débat national intégralement démocratique sur le programme et sur ses règles, et si elle s’accompagne de premières initiatives concrètes pour et dans les luttes.

Cependant, il nous semble indispensable de tout faire pour que s’associent également au débat les différentes organisations qui se situent aujourd’hui à gauche du PC, comme le PT et surtout LO, ainsi que les autres organisations beaucoup plus petites, mais aussi très nombreuses... Pour notre part, nous critiquons fermement l’orientation de ces différentes organisations, comme celle de la LCR, chaque fois que nous le jugeons nécessaire. Mais il n’est pas possible d’afficher la volonté d’ouvrir la discussion pour un nouveau parti anticapitaliste sans s’adresser à elles en faisant tous les efforts possibles pour qu’elles participent à ce débat, à commencer par LO, qui refuse aujourd’hui cette perspective, mais a défendu un programme très proche de celui de la LCR pendant la dernière campagne électorale et s’était alliée avec elle il n’y a pas si longtemps (1999 et 2004). Quant au PT, son orientation de plus en plus droitière le conduit à bien des positions réactionnaires (dont le point culminant a été la campagne de Schivardi), mais sa réalité est contradictoire, comme le montre le fait qu’il n’en prétend pas moins vouloir constituer lui aussi un nouveau « parti ouvrier » : on ne peut donc l’ignorer. — Pour notre part, nous sommes convaincus qu’un combat résolu et bien mené pour la création d’un parti anticapitaliste cohérent et conséquent pourrait intéresser de nombreux militants de ces organisations et même exercer une pression sur leurs dirigeants.

4) Nous sommes globalement d’accord avec les conditions que vous posez pour participer au débat. Une formule nous semble cependant ambiguë et amène à soulever une question d’une importance cruciale selon nous : dire que, parmi les conditions de participation au débat, il faut « refuser de cogérer les institutions avec le PS », c’est ne pas exclure formellement la possibilité de vouloir cogérer ces institutions (c’est-à-dire l’État bourgeois)… avec d’autres que le PS ou tout seuls. Cela relance la question abordée dans le point 1 : un parti anticapitaliste cohérent et conséquent ne saurait, selon nous, « gérer les institutions » capitalistes sous quelque forme que ce soit, mais ne peut gouverner que dans le cadre d’une situation révolutionnaire, s’il est porté au pouvoir par les travailleurs et s’appuie sur eux, ce qui implique d’emblée de premières mesures de démantèlement de l’État bourgeois.

Or vous savez que cette question ne relève pas de la scolastique, puisqu’une des principales sections de votre organisation internationale, le courant Démocratie socialiste au Brésil, participe depuis plus de quatre ans au gouvernement bourgeois de Lula, qui mène une politique entièrement au service des capitalistes et des propriétaires fonciers. De plus, une autre des importantes sections de votre organisation internationale, le courant Sinistra critica en Italie, soutient au Parlement l’existence même du gouvernement bourgeois de Prodi, qui mène lui aussi une politique intégralement capitaliste et même impérialiste. Dès lors, l’un des points majeurs à discuter si l’on veut avancer vers la construction d’un véritable parti anticapitaliste, c’est l’attitude d’un tel parti sur la question de la participation gouvernementale et du soutien aux gouvernements bourgeois. Pour notre part, nous condamnons avec la plus grande fermeté toute participation et tout soutien à un gouvernement bourgeois, quelle que soit sa couleur politique officielle, car il en va de l’indépendance politique du prolétariat et de sa capacité à s’auto-émanciper sans la moindre illusion sur l’État capitaliste.

5) Nous sommes d’accord avec vos propositions finales et votre calendrier, en insistant tout particulièrement sur deux points :

Avec nos salutations révolutionnaires constructives,

Groupe CRI


1) Pour une esquisse concrète de programme anticapitaliste cohérent et conséquent, cf. celui que nous avons proposé pendant toute la campagne électorale (http://groupecri.free.fr/article.php?id=324)

2) Cf. sur ce point les numéros successifs du CRI des travailleurs parus de septembre 2006 à avril 2007, tous sur notre site.

3) Cf. sur ce point notre analyse et nos réponses à quelques objections dans Le CRI des travailleurs n° 25 de janvier-février 2007, cf. http://groupecri.free.fr/article.php?id=324).

4) Cf. sur ce point la déclaration du Groupe CRI après le second tour, reprise dans Le CRI des travailleurs n° 27 (été 2007).


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