Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Quelques réflexions après le "camp de cadres et de formation" du CCI (1er et 2 juillet 2000)

Ce camp de la région parisienne a reflété à sa manière les qualités et les défauts de notre organisation : d'une part, il a permis d'éprouver une nouvelle fois la justesse de notre analyse de la situation politique et de notre ligne d'intervention dans la lutte des classes ; d'autre part, il a confirmé la très grande faiblesse des camarades et des dirigeants dans le domaine de la théorie marxiste du capitalisme ; enfin, il a posé un certain nombre de problèmes politiques d'organisation.

Ce camp a réuni une trentaine de camarades. Il est extrêmement dommage que nous ayons été aussi peu nombreux. Selon le camarade S, ce chiffre n'est cependant pas très inférieur à l'objectif que la direction s'était fixé. Or il est bien évident que tous les camarades du CCI gagneraient à participer à ce genre de réunions. Dès lors, je ne pense pas qu'il soit juste de fixer des objectifs si faibles, alors que les occasions de ce type d'initiatives sont si peu nombreuses. Cela pose à mon avis un problème politique : quel objectif la direction se donne-t-elle en matière de formation des militants ? Quelle importance accorde-t-elle à cette question ? Quel est le bilan de la commission formation-recrutement constituée l'an dernier ?

En outre, j'ai pu constater que la plupart des camarades n'avaient pas lu la brochure de discussion autour du livre Lutte des classes et mondialisation — et certains ne l'avaient même pas eue ; quant à ceux qui l'avaient lue, ils ont reconnu ne pas l'avoir étudiée sérieusement. Comme cette brochure était sortie depuis sept semaines et qu'elle était à l'ordre du jour de ce camp, force est de constater que, une nouvelle fois, les questions théoriques ont été, de fait, jugées subalternes par les camarades.

L'expérience pratique et le niveau théorique des camarades présents étaient très hétérogènes. Cela a entraîné une différence très nette dans l'appréciation de la discussion sur la question des forces productives. En gros, une partie des camarades — les moins anciens — ont estimé que cette discussion n'était pas très importante, qu'il valait mieux discuter des tâches pratiques et de la situation politique. L'autre partie — les plus anciens, formés dans les années 70, les cadres — a au contraire estimé que cette discussion était fondamentale et qu'il était juste de parler de "ligne de démarcation" de principe (entre la IVe Internationale et tous les autres) au sujet de cette question.

Cette différenciation en a partiellement recoupé une autre. Certains camarades, pour montrer que, à leur avis, les forces productives ont cessé de croître, ont rendu compte de leur expérience et de leur combat : pour preuve, ils ont dit, par exemple, "mon centre de sécu va fermer", ou "notre cadence de travail a considérablement augmenté, la loi Aubry va encore l'aggraver", ou "on propose au BEPC des dictées de trois lignes, niveau CM2", ou encore : "on se fait de plus en plus aborder par des mendiants, notamment des jeunes", ou enfin : "les gens ne sont pas plus heureux qu'autrefois". Dans une deuxième catégorie de camarades — des cadres —, les uns ont rappelé que l'on ne pouvait se prononcer sur la question posée qu'à un niveau général, mais sans apporter le moindre argument ou le moindre fait tant soit peu convaincant ; d'autres, plus virulents, ont brandi quelques citations de Marx, de Lénine et de Trotsky comme arguments d'autorité (citations d'ailleurs déplacées ou incomprises, selon les cas). Certains camarades enfin, sur la base d'une interprétation étroite de la caractérisation de la question des forces productives comme "ligne de démarcation", d'une part, et de l'affirmation du camarade Gluckstein selon laquelle cette question "délimite notre maison commune ; on peut dire qu’on s’est trompé de maison et en sortir" , d'autre part, se sont effectivement demandé pourquoi les camarades qui contestent l'affirmation du déclin des forces productives restent dans la IVe Internationale ; fort heureusement, devant une telle conséquence inévitable de ses propres propos, le camarade Gluckstein a pris ses responsabilités au cours de sa réponse, en rappelant que nos méthodes ne sont pas celles des staliniens et que l'on peut être un bon militant de la IVe Internationale tout en contestant ce qu'il considère comme l'un de ses "fondements".

La discussion sur les forces productives a donc montré l'immense faiblesse théorique des camarades, dont aucun n'est capable de les définir correctement, et qui surtout n'ont pas fourni la moindre donnée qui puisse étayer scientifiquement de près ou de loin leur affirmation. En particulier, il est apparu clairement que le camarade Gluckstein est l'un des seuls à être capables de présenter quelques arguments à l'appui de cette thèse (même si, malheureusement, aucun de ces arguments n'est valable — et si le discours de ce camarade sur la question soulevée, outre qu'il a une nouvelle fois manifesté l'incroyable mauvaise foi de son auteur à l’égard de mes arguments, n'a pu avoir pour effet que de subjuguer rhétoriquement ses auditeurs, mais en aucun cas de les convaincre théoriquement(1). Le rapport du camarade Y, membre du Comité politique, est la meilleure preuve de cette situation : au lieu de préparer son rapport en se livrant à une recherche personnelle tant sur les textes scientifiques des grands auteurs marxistes que sur les données officielles de l'économie mondiale, il s'est contenté de reprendre des bribes du texte du camarade Gluckstein intitulé Critique d'une critique, il a repris exactement les mêmes citations (en ignorant manifestement leur contexte et leur signification) et il a utilisé le même type d'argumentation parfaitement vaine (si l'on n'est pas d'accord avec la thèse de la IVe Internationale selon laquelle les forces productives ont cessé de croître, alors on est fatalement amené à rejoindre les positions politiques de LO, LCR, José Bové et qui sais-je encore). Du reste, de manière extrêmement significative, et contrairement à ce que veut la coutume, le camarade Y n'a pas fait lui-même la réponse à la discussion qui a suivi son propre rapport... tâche évidemment dévolue au camarade Gluckstein.

Cela pose un problème majeur : s'il n'y a que deux ou trois camarades, ou moins encore, qui lisent Le Capital et élaborent les analyses théoriques, en tout cas les analyses économiques, de notre organisation, et si tous les autres se contentent de répéter ce que disent les premiers, comment pourrons-nous véritablement progresser théoriquement ? Même si ces camarades étaient de bons théoriciens marxistes de l'économie (ce qu'ils ne sont malheureusement pas), comment éviter une sclérose généralisée de notre courant dans le domaine théorique ? Comment la direction peut-elle laisser croire aux militants qu'ils peuvent se prononcer en connaissance de cause sur la question des forces productives, alors qu'elle ne leur livre que deux ou trois citations et quelques données partielles ? Le plus grave, à cet égard, c'est que les dirigeants font preuve d'un très grand manque de rigueur, d'une totale absence d'exigence scientifique à l'égard d'eux-mêmes — absence qu'ils pallient, manifestement sans même s'en rendre compte, par de la rhétorique, souvent passionnelle, toujours sophistique — la validité scientifique de chacune de leurs affirmations étant généralement en raison inverse de la quantité de trémolos avec laquelle elles sont prononcées. Comme d'habitude, "au royaume des aveugles, les borgnes sont rois".

 

En réalité, ce camp était, pour l'essentiel, un camp de travail et non un camp de formation théorique. En effet, il a été essentiellement consacré à l'analyse de la situation politique, à l'explication de notre ligne d'intervention dans la lutte des classes et, dans une bien moindre mesure d'ailleurs, à quelques aspects, extrêmement partiels, de l'histoire de la IVe et de son combat dans d'autres pays.

Or, manifestement, cela a été fructueux, et je suis convaincu que les camarades présents sont sortis renforcés de ce camp. Mais cela pose un certain nombre de problèmes :

— si nous avons besoin de ce type de camp pour mieux comprendre la situation politique, notre ligne d'intervention, et même pour soulever des problèmes extrêmement précis qui se posent à tel ou tel camarade dans son activité militante, n'est-ce pas qu'il y a une certaine défaillance de l'organisation, de la centralisation ? Si nous avons besoin de ce type de camp pour comprendre ce qui se passe aux États-Unis ou en Allemagne, n'est-ce pas que la section française ne discute pas suffisamment, en temps "normal", de notre politique internationale, n'est-ce pas parce que La Vérité ne paraît plus régulièrement, sans que cela soit pallié par les articles souvent trop succincts de la Lettre de la Vérité ? Si des camarades ont besoin de ce type de camp pour discuter de l'intervention de leur section dans tel ou tel comité, n'est-ce pas parce que leurs instances ne fonctionnent pas correctement ? Et surtout, si nous avons besoin de ce camp pour centraliser les contributions d'IO pour la manifestation contre la déréglementation, cela ne traduit-il pas un très sérieux problème politique d'organisation ?

— en même temps, si ce type de camp de travail est utile pour la pratique quotidienne, ne faudrait-il pas organiser plus souvent des journées de ce type dans l'année ?

— le besoin de discussion des camarades pose également le problème de la régularité des congrès du CCI. En principe, ceux-ci ne doivent pas se réunir à plus de dix-huit mois d'intervalle ; or cette période s'est largement écoulée depuis le dernier congrès. La direction doit prendre les mesures politiques et d'organisation pour que les congrès du CCI se tiennent régulièrement, afin que la discussion centralisée soit organisée correctement, quelles que soient les difficultés de le faire dans le cadre de la multiplication et de l'urgence de nos tâches.

— enfin, à mon avis, l'utilité indéniable de ce type de camp de travail ne doit pas empêcher la tenue de véritables camps de formation théorique et, plus généralement, la mise en place de véritables écoles marxistes. Or, sous prétexte que la théorie et la pratique sont liées, les camarades et la direction ont clairement tendance à considérer la formation proprement théorique comme une tâche subalterne, qui n'aurait rien d'urgent. Pourtant, en tant que léninistes, nous savons que les travailleurs ne sont pas spontanément marxistes. Mais les militants du CCI ne sont pas non plus spontanément marxistes. On peut certes être un bon militant trotskyste sans avoir lu Le Capital et d'autres ouvrages marxistes fondamentaux ; mais, d’une part, il est clair que chaque camarade pris individuellement sera un meilleur militant s'il connaît ces ouvrages ; d’autre part et surtout, il n'est pas acceptable que les membres de la direction et les cadres du CCI soient aussi mauvais théoriquement, que leurs connaissances se ramènent trop souvent à un tronc commun squelettique, à quelques bribes de souvenirs de ce qu'ils ont pu apprendre dans leur jeunesse. Par exemple, il n'est pas normal que tel camarade expérimenté me dise que je confonds la valeur marchande et les biens parce que je parle de valeur d'usage ; il n'est pas normal que tel cadre s’appuie sur une confusion patente entre le capital-marchandise et le capital argent pour contester l’affirmation selon laquelle on ne peut mesurer la croissance des forces productives à la quantité de marchandises utiles produite au niveau mondial ; il est encore moins normal que le camarade Y affirme que les capitaux "fuient la production" et que le camarade S parle de baisse de l'investissement des capitaux dans la production — alors que cela est parfaitement faux en termes absolus, la poursuite de l'accumulation productive se faisant tout au contraire à un rythme soutenu.

Il est donc indispensable de mettre en place des écoles marxistes fondées sur la lecture des principaux ouvrages auxquels nous nous référons, et avec plusieurs niveaux (c'est-à-dire non seulement pour les nouveaux militants, mais aussi — voire surtout — pour les cadres et les dirigeants).

Tous les militants peuvent comprendre la plupart de ces ouvrages par eux-mêmes : il suffit pour cela de considérer la lecture comme une tâche politique, donc d'organiser cette lecture (avec un programme, des exposés, des réunions...). Quant au petit nombre d'ouvrages que la plupart des militants ne peuvent pas comprendre tout seuls, en particulier Le Capital, il est indispensable d'organiser de véritables cours (sur un modèle proprement scolaire) pour qu'ils puissent les étudier, car leur compréhension est accessible si et seulement si elle est permise par l'enseignement.

(…)

Plus généralement, il est indispensable que tout le CCI adopte une attitude sérieuse à l’égard de la théorie. Il est indispensable que la formation théorique soit dorénavant considérée comme une tâche politique essentielle, qui concerne tous les militants. La responsabilité de mettre en œuvre une politique active, systématique et conséquente en la matière incombe entièrement à la direction.

Wolfgang

 (1) Sur le fond, la réponse du camarade Gluckstein est similaire, tant par son contenu que par sa méthode, à son texte intitulé Critique d'une critique. Je n'y reviens donc pas, puisque je me suis déjà longuement expliqué à ce sujet dans ma contribution (que la direction n'a pas publié à ce jour) intitulée Que vaut le texte de Daniel Gluckstein, Critique d'une critique ?