Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Éditorial : Les travailleurs n’ont pas à payer la crise du capitalisme !
L’intérêt des travailleurs, c’est de combattre le capitalisme jusqu’à leur propre gouvernement révolutionnaire
Organisons-nous pour résister tous ensemble, imposons aux directions du mouvement ouvrier la rupture avec le gouvernement et le front unique des organisations !


Auteur(s) :Groupe CRI
Date :6 novembre 2008
Mot(s)-clé(s) :France, économie
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Depuis des années, les patrons, les gouvernements, les journalistes aux ordres, les « intellectuels » bon teint nous l’ont dit et répété : il n’y a pas d’alternative au capitalisme, c’est le moins mauvais des systèmes, il va apporter au monde croissance, développement et paix… La crise alimentaire, la grande crise financière et le début de crise économique généralisée montrent de façon éclatante que ce système conduit au contraire l’humanité au désastre : 925 millions de mal-nourris, des guerres atroces pour les richesses naturelles (Irak, Afghanistan, Afrique...), la hausse du chômage, la destruction accélérée de l’environnement, etc.

Les principaux pays impérialistes sont désormais entrés en récession (voir notre analyse de la crise internationale ci-dessous). Pour la France, l’INSEE a annoncé, début octobre, que le niveau de la production allait baisser de 0,1% aux 3e et 4e trimestres 2008. Tous les indicateurs sont au rouge, et rien ne laisse présager une reprise rapide. L’investissement devrait baisser aux 3e et 4e trimestres 2008. La sphère marchande, en particulier l’industrie, est fortement touchée par la crise : dans l’industrie manufacturière, après une baisse marquée au 2e trimestre, la production devrait de nouveau se replier fortement en seconde partie d’année (  0,4 % par trimestre). L’emploi total devrait reculer de 52 000 au 2e semestre, après avoir progressé de 89 000 au 1er semestre, contre + 175 000 par semestre en 2007. Notamment, l’emploi marchand non agricole perdrait un peu plus de 100 000 postes au 2e semestre. Toutefois, la progression du chômage officiel au 2e semestre sera assez faible car la population active ne progresse plus, mais commence à régresser : le taux de chômage au sens du BIT serait d’environ 7,4% à la fin de l’année (légèrement inférieur à celui de la fin 2007). Les travailleurs verront leur pouvoir d’achat baisser au 2e semestre, dans le prolongement du 1er. Cette baisse du pouvoir d’achat, couplée avec le durcissement des conditions du crédit, va se traduire par une baisse de l’achat de logements par les ménages, en particulier les ménages ouvriers. En outre, les exportations et les importations vont stagner au 2e semestre 2008, si bien que l’important déficit commercial sera pérennisé.

Christine Lagarde n’est visiblement pas échaudée par ses erreurs systématiques de prévision. Alors qu’elle nous pronostiquait il y a encore quelques semaines une croissance de 2% pour l’année 2008, la voici qui récidive, nous annonce une croissance annuelle 2009 « autour de 1% » et inscrit dans son projet de budget pour 2009 une prévision de croissance de 1 à 1,5% ! Ce taux ne sera, de façon quasiment certaine, pas atteint. Il faudrait pour cela une reprise prononcée, c’est-à-dire que la France connaisse une croissance trimestrielle de 0,5% lors des 4 trimestres 2009 (soit une croissance en rythme annuel de 2% par trimestre). D’ailleurs, début novembre, la Commission européenne a apporté un démenti cinglant aux prévisions du gouvernement : elle prévoit pour 2009 en France une croissance nulle et une aggravation du déficit public (–3,5%).

Pour faire face à la crise, l’État bourgeois français se mobilise en faveur de tous les secteurs de la bourgeoisie

Sarkozy a annoncé, puis fait avaliser par le Parlement (avec le soutien du PS qui s’est abstenu), un plan de sauvetage des banques de 360 milliards d’euros :

Mais Sarkozy ne se contente pas de détourner l’argent public en faveur des banques. Le « deuxième » volet de son plan prévoit un ensemble d’aides pour les entreprises de l’économie réelle : un allègement de 1,1 milliard d’€ de taxe professionnelle pour tous les investissements nouveaux des entreprises jusqu’à fin 2009 ; des avances de trésorerie, par exemple au titre du crédit impôt recherche ; des prêts bonifiés de 22 milliards pour les PME ; un fonds d’investissement pour recapitaliser les entreprises en difficulté ; de nouvelles mesures pour faciliter la transmission d’entreprises.

Prétendant soutenir l’emploi et les salariés, Sarkozy a annoncé mardi 28 octobre le « troisième » volet de son plan : relance des contrats de transition professionnelle (où l’État prend en charge une grande partie du coût du travail sous prétexte que le salarié alterne travail et formation), possibilité pour les PME de recourir sans restriction aux CDD, avance sur les aides fiscales pour les ménages (essentiellement aisés) qui emploient des personnes à domicile, extension du travail le dimanche. S’ajoutent maintenant l’allongement de l’âge de la retraite à 70 ans sur la base d’un prétendu « volontariat » : les salariés devront donc « choisir » entre des retraites de misère et le travail jusqu’à la mort !

Et d’autres mesures pourraient suivre : nouveaux allègements de cotisations sociales (X. Bertrand a évoqué la possibilité de diminuer les cotisations sociales des emplois des « seniors »), et même, pourquoi pas, une amnistie fiscale pour les Français qui accepteraient de rapatrier leur argent en France et de souscrire à un grand emprunt national (évoqué par le président de l’Assemblée nationale, B. Accoyer, même si cela a été pour le moment rejeté par Sarkozy).

Sarkozy veut nous imposer de nouveaux sacrifices et de nouvelles attaques : vers une remontée de la lutte des classes et un durcissement des conflits

Avant même la récente aggravation de la crise, il avait été très clair : « Dire la vérité aux Français, c’est leur dire que la crise n’est pas finie, que ses conséquences seront durables, que la France est trop engagée dans l’économie mondiale pour que l’on puisse penser un instant qu’elle pourrait être à l’abri des évènements qui sont en train de bouleverser le monde (…) ; c’est leur dire que la crise actuelle aura des conséquences dans les mois qui viennent sur la croissance, sur le chômage, sur le pouvoir d’achat. » Il s’agissait déjà de préparer les travailleurs à accepter les désastres de la crise et l’accélération des contre-réformes. Sarkozy veut financer ses aides à la bourgeoisie en augmentant les impôts payés par les travailleurs (pour ne pas nuire à la compétitivité des entreprises !) et en endettant l’État. Ainsi la bourgeoisie sera doublement gagnante : d’une part, elle fera payer aux travailleurs le sauvetage de son système ; d’autre part, elle souscrira aux emprunts qui lui assureront des droits sur la production future au détriment des travailleurs !

Si Sarkozy bénéficie de la confiance de la bourgeoisie et de l’encadrement pour « gérer la crise » au mieux de leurs intérêts, le prolétariat est bien conscient qu’il va être le premier frappé par la crise et est de plus en plus hostile à Sarkozy. Selon un sondage OpinionWay effectué du 30 septembre au 4 octobre (publié par Métro le 7 octobre), 50% des Français gagnant plus de 36 000 € par an font confiance au gouvernement pour « gérer la crise », mais 42% de ceux gagnant entre 24 000 et 36 000 €, 38% de ceux gagnant entre 12 000 et 24 000 € et seulement 23% de ceux gagnant moins de 12 000 €. La polarisation sociale est nette.

Si défiance envers le pouvoir bourgeois ne rime pas automatiquement avec mobilisation, la bourgeoisie est désormais fébrile, car elle prépare des coups très durs contre les travailleurs et elle compte plus que jamais sur les bureaucraties syndicales et les appareils réformistes pour éteindre l’incendie qui se déclenchera. L’association « Entreprise et personnel » – regroupant plus de 150 responsables des « ressources humaines » de grandes entreprises – déclare notamment, dans sa dernière note de conjoncture (intitulée « la déchirure ») publiée mardi 7 octobre, que « la crise financière a déchiré le voile des illusions » ; la situation devrait avoir « rapidement des conséquences très négatives » : « Appauvrissement de nombreux Français, montée sensible du chômage et difficulté des ménages modestes d’un côté, et impasse budgétaire privant le gouvernement des moyens financiers lui permettant d’agir de l’autre. » La note conseille la prudence et prévient qu’un « durcissement des politiques d’indemnisation du chômage, de l’assurance-maladie ou des retraites complémentaires ou la multiplication des plans sociaux pourraient servir de détonateur ». Tous les ingrédients d’une crise sociale sont réunis d’après l’association de DRH : « faible adhésion au pouvoir », « absence d’alternative politique crédible », « multiplication probable des situations personnelles difficiles et des frustrations », « montée de la conflictualité dans nombre d’entreprises contraintes à la rigueur, voire aux réductions d’effectif » et « contestation rampante » dans le secteur public. Les DRH s’en remettent aux directions syndicales pour morceler les conflits et estiment qu’une « unité d’action à même de canaliser un mécontentement général est peu probable ».

Si pour le moment Sarkozy multiplie les cadeaux pour le patronat, l’heure de la facture va donc bientôt sonner pour les travailleurs. La note de conjoncture des DRH a au moins le mérite de le reconnaître sans détour... tout en conseillant au gouvernement d’être prudent pour éviter l’accumulation des conditions d’une explosion sociale.

Il n’y a aucune solution favorable aux travailleurs dans le cadre du capitalisme !

L’absurdité du capitalisme fait que la classe qui produit les richesses, la classe qui ne porte aucune responsabilité dans la crise, doit payer pour les capitalistes parasites ! Et on nous dit qu’on tire les leçons de la crise ? Il n’y a rien à réformer dans ce système pourri : il faut le détruire !

UMP, PS, réformistes... tous à la recherche du « bon » capitalisme contre le « méchant » capitalisme financier et déréglementé

Sarkozy n’a aujourd’hui pas de mots assez durs contre la spéculation et les méchants banquiers, en particulier ceux des États-Unis, qui ont prêté à n’importe qui, « titrisé » n’importe quoi et qui ont au final saboté son excellente politique !

Ce grand démagogue peut compter sur les médias bourgeois pour faire oublier ce qui pourtant se trouvait dans son programme de 2007, et qu’on trouve encore sur le site de l’UMP, dans la rubrique « l’abécédaire des propositions de Nicolas Sarkozy », à la lettre « C » comme crédit : « Les ménages français sont aujourd’hui les moins endettés d’Europe. Or, une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. C’est pour cette raison que je souhaite développer le crédit hypothécaire pour les ménages et que l’Étal intervienne pour garantir l’accès au crédit des personnes malades. Je propose que ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement. Il faut réformer le crédit hypothécaire. Si le recours à l’hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l’emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. Ceci profiterait alors directement à tous ceux dont les revenus fluctuent, comme les intérimaires et de nombreux indépendants. (1)

Sarkozy faisait donc la promotion du modèle états-unien en général et des subprimes en particulier. Mais aujourd’hui, il fustige de façon démagogique les banquiers, tout en volant à leur secours en pompant sur les salaires des travailleurs.

Le PS est totalement aligné sur Sarkozy. Hollande, encore Premier secrétaire du PS, plaide pour la « mise en place d’un fonds commun d’intervention pour sauver les banques » au niveau européen (ce que Sarkozy a défendu en vain au niveau européen), pour « la mobilisation de l’épargne pour permettre aux entreprises et aux ménages de se financer » (Sarkozy le fait pour les entreprises avec son plan national d’aide aux PME grâce à des prêts bonifiés), pour l’injection massive de liquidités et la baisse des taux d’intérêt (2). Le PS ne peut être que satisfait puisque Sarkozy et la Banque centrale européenne défendent exactement la même chose ! D’ailleurs, le PS (comme les Verts) s’est abstenu sur le plan de sauvetage aux banques de Sarkozy.

Tout en dénonçant certes le plan de Sarkozy, le PCF ronronne son discours habituel sur l’argent fou des spéculateurs. Et Buffet en appelle explicitement à une grande union sacrée entre les travailleurs, les capitalistes industriels et les politiciens contre les spéculateurs malfaisants : « C’est, face aux banques et aux actionnaires, donner le pouvoir, dans les entreprises, aux salariés, aux élus, aux entrepreneurs, c’est-à-dire à ceux qui défendent l’économie réelle. » (3) C’est la négation même de la lutte des classes, remplacée par la lutte entre les gens de l’économie réelle et les gens de la finance. Le PCF doit être ravi de voir Sarkozy accorder des prêts bonifiés aux dirigeants de PME, les gentils entrepreneurs qui font tourner l’économie réelle en harmonie avec leurs salariés. Plaidant pour que la BCE défende la « croissance réelle » et pas seulement la stabilité des prix, le PCF ne peut aujourd’hui que constater que la BCE injecte massivement des liquidités, baisse ses taux d’intérêt pour sauver le système et « l’économie réelle » capitaliste. Enfin, il joue les « monsieur plus » et réclame la garantie des dépôts bancaires jusqu’à 100 000 € (au lieu de 70 000 € aujourd’hui) : autrement dit, le PCF se fait le champion de la défense des gros épargnants !

À l’heure où le système capitaliste est en crise, tous les défenseurs du système capitaliste (UMP, Modem, PS et antilibéraux de tout poil) convergent naturellement vers la seule politique qui permette de le sauver : une politique « dirigiste » où l’État intervient énergiquement au service du capital. Tout le reste n’est que discours, postures, gesticulations de politiciens bourgeois.

Que dire de l’appel de la Confédération européenne des syndicats du 27 septembre 2008 ? Il demande des « injections d’argent public dans les institutions financières ». Autrement dit, les bureaucraties syndicales disent clairement préférer la survie du système capitaliste qui les nourrit à la défense des intérêts des travailleurs, condamnés à payer pour le maintien d’un système qui les exploite ! Bien sûr, la CES veut du contrôle, de la réglementation, de la régulation... comme Sarkozy. C’est la position de tous les bureaucrates français. Ainsi, par exemple, la direction de la CGT, tout en critiquant certes le plan du gouvernement, affirme que, pour sortir de la crise, « il faut surtout promouvoir l’investissement productif et l’emploi qualifié, stable et bien rémunéré », bref réformer le capitalisme. Elle demande donc à Sarkozy « une réunion tripartite patronat, organisations syndicales, pouvoir public afin d’envisager l’avenir de nos secteurs professionnels », comme si les exploiteurs et les exploités pouvaient s’entendre sur des solutions communes à la crise.

Seule la vérité est révolutionnaire : les communistes révolutionnaires n’ont pas besoin de céder aux sirènes du populisme pour dénoncer le capitalisme !

La LCR, LO et le POI dénoncent à juste titre le système capitaliste en tant que tel. Ils le font malheureusement avec un biais populiste. Ainsi mettent-ils sur le même plan les injections de « liquidités » des Banques centrales et les interventions du Trésor pour renflouer les banques, présentées comme un transfert d’argent des poches des travailleurs vers les poches des capitalistes. Si c’est bien le cas des interventions du Trésor, ce n’est pas le cas pour les interventions des Banques centrales : celles-ci prêtent de la monnaie centrale (qu’elles créent) aux banques pour leur permettre de continuer à faire des crédits (cf. ci-dessous l’encadré sur la création monétaire).

Yvan Lemaître écrit ainsi dans Rouge du 25 septembre : « La Banque centrale européenne (BCE) n’est pas en reste. Après avoir offert, sur une seule journée, 30 milliards d’euros pour une opération de refinancement, elle a passé la vitesse supérieure en injectant 70 milliards d’euros dans les circuits bancaires et financiers. » Galia Trépère écrit dans Rouge du 2 octobre : « En injectant des centaines de milliards de dollars dans le système financier, États et banques centrales ne font que renflouer ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise. »

Arlette Laguiller écrit quant à elle dans son éditorial de Lutte ouvrière du 3 octobre : « De leur côté, les banques centrales d’Europe tiennent guichet ouvert pour les banques privées en mal de liquidités et les États volent au secours des plus menacées à coups de milliards. Avec quel argent ? Avec le nôtre, forcément ! »

Le manifeste adopté par le 2e congrès de l’AJR (Alliance des jeunes révolutionnaires, liée au POI, qui fait la même « analyse ») en octobre 2008 affirme : « En France, le gouvernement annonce un plan de renflouement des banques à hauteur de 360 milliards d’euros, qui viennent s’ajouter au 1.500 milliards d’euros distribués, du 15 septembre au 6 octobre 2008 [pourquoi ne retenir que les sommes injectées entre ces deux dates-là ?], par la Banque centrale européenne (BCE), soit 3 034 euros par résident de l’Union européenne. »

Quelques éléments sur la création monétaire et sa régulation

Les banques commerciales créent de la monnaie en faisant des crédits (aux ménages, aux entreprises). Réciproquement, quand ces crédits sont remboursés, de la monnaie est détruite. Comme l’encours des nouveaux crédits dépasse en général le montant des crédits remboursés, la masse monétaire tend à augmenter.

La Banque centrale contrôle la création monétaire des banques commerciales via l’émission de « monnaie centrale » (injection de « liquidités »). En effet, plus les banques font des crédits, plus elles doivent se « refinancer », c’est-à-dire se procurer la « monnaie centrale » (monnaie émise par la banque centrale). En effet, les ménages ou les entreprises convertissent une partie de leur compte courant en billets de banques (forme prise par la monnaie centrale dans l’économie réelle).

Pour obtenir des « liquidités », les banques vont échanger des titres contre de la monnaie centrale. L’actif des banques va donc être modifié : moins de titres et plus de liquidités, alimentant le compte qu’ont les banques à la Banque centrale. (Les règlements des transactions entre banques se font par crédit/débit de leurs comptes à la banque centrale. Pour répondre aux besoins des agents de l’économie réelle en billets, les banques font des retraits sur leur compte à Banque centrale.)

Ainsi, quand la Banque centrale injecte massivement des liquidités, elle encourage les banques à faire plus de crédit, et donc à créer plus de monnaie dans l’économie réelle. Ces injections n’engendrent pas de l’inflation si elles compensent le fait que les banques « liquides » (celles qui possèdent en surplus de la monnaie centrale) refusent de fournir en liquidités les banques non liquides (de peur d’acheter en contrepartie des actifs pourris qui vont se dévaloriser).

Ainsi, il est complètement absurde de parler de « cadeaux » aux capitalistes, en faisant l’amalgame avec le renflouement des banques par le budget de l’État. Ni cadeau direct, car il ne s’agit pas d’un transfert d’argent déjà créé vers les capitalistes. Ni même un cadeau indirect quand la Banque centrale se substitue aux banques liquides, puisque l’inflation n’augmente pas (si l’inflation augmente, il s’agirait d’un cadeau indirect aux capitalistes puisque cela ferait baisser les salaires réels des travailleurs).

Que proposent les principales organisations d’extrême gauche ?

Lutte Ouvrière dénonce les illusions réformistes mais n’a pas grand-chose d’autre à proposer aux travailleurs que d’attendre l’effondrement du capitalisme

Si elle dénonce à juste titre toutes les illusions réformistes, LO se contente d’espérer que le communisme émergera comme par miracle de l’effondrement du système capitaliste : « La seule issue est bien de reconstruire une société où l’on produise pour satisfaire les besoins de toutes les populations, en permettant à chacun de produire selon ses moyens et de consommer selon ses besoins. Cette société-là, ce sera la société communiste, qui se construira sur les ruines de cette société capitaliste qui n’a vraiment que trop duré. » Lutte ouvrière fait mine d’oublier que le système ne s’effondrera pas tout seul et, si elle invoque le Programme de transition de la IVe Internationale, elle ne met en fait en avant que l’expropriation du secteur bancaire, sans la relier à la nécessité d’exproprier les autres grandes entreprises capitalistes et à la perspective du gouvernement des travailleurs, qui pourra seul imposer de telles mesures. D’autre part, si elle met en avant quelques revendications immédiates, elle n’a aucun plan concret à proposer aux travailleurs pour affronter dans les semaines qui viennent les coups redoublés du patronat et du gouvernement, couverts par les bureaucrates. La ligne de LO n’est donc un point d’appui ni pour faire progresser concrètement la perspective révolutionnaire, ni pour les luttes immédiates.

Le POI veut à juste titre rompre avec l’UE, mais sans révolution... et, en attendant, il soutient la bureaucratie syndicale !

Le Parti Ouvrier Indépendant (ex-PT) dénonce le plan de sauvetage des banques et explique qu’il faudrait un autre gouvernement pour mettre en œuvre un plan alternatif. Mais quel gouvernement ? « Un gouvernement de rupture avec l’UE », « mandaté » par une hypothétique « Assemblée Constituante ». Le gouvernement dont les travailleurs ont besoin doit rompre non seulement avec l’UE, mais avec le capital, donc avec l’État bourgeois français, et il commencerait par exproprier les banques et les entreprises du CAC 40, ce qui suppose une mobilisation révolutionnaire des travailleurs : voilà ce que ne dit pas le POI !

Dans la pratique, les chefs du POI, en contradiction avec leur propagande officielle, soutiennent un plan de sauvetage capitaliste : ils ont voté la résolution du dernier CCN de FO, adoptée à l’unanimité : « Les puissances publiques dépositaires des souverainetés nationales doivent s’imposer aux marchés financiers et assigner aux banques l’obligation d’assurer leur fonction réelle première qui n’est rien d’autre que le financement stable et à moindre coût de l’économie réelle. » Bref, la cause de la crise revient au méchant capital financier, mais ni au bon capital en général, ni au gentil État national français, appelé à la rescousse. Dans la même logique, le CCN « estime impératif d’imposer de nouvelles règles à la BCE », bref de la réformer, là encore avec les voix des chefs du POI qui, dans leur journal, disent vouloir rompre avec l’UE ! Un parti révolutionnaire engagerait au contraire le combat contre la bureaucratie syndicale, pour la mobilisation des travailleurs face à la déferlante qui se prépare. Mais le POI, co-dirigé par des bureaucrates syndicaux notoires, est pieds et poings liés.

La LCR propose face à la crise une orientation confuse et réformiste

Partie prenante du processus pour le NPA, le Groupe CRI participe tout particulièrement à la discussion ouverte par la LCR concernant les réponses à donner à la crise.

Dans son article « Sortir du capitalisme » dans Rouge du 9 octobre, Olivier Besancenot se prononce contradictoirement pour la « socialisation du système financier » et pour une taxe visant à « freiner » la spéculation : on ne comprend pas s’il veut exproprier les banques ou taxer les capitalistes, tout en les laissant agir et spéculer. Il cherche certes à se distinguer des défenseurs du système capitaliste, en indiquant que le pôle public bancaire sera pérenne et mis au service des besoins de la population, pour faire payer leur crise aux riches. Mais c’est un vœu pieux, une illusion réformiste : sans expropriation des grands groupes capitalistes, la nationalisation du secteur bancaire ne peut que servir à sauver le système capitaliste. Cédric Durand l’écrit d’ailleurs explicitement dans le même numéro de Rouge : « Dans l’immédiat, les salariés n’ont rien à gagner à un effondrement du système financier, car un tel effondrement signifierait la fin du crédit, et la fin du crédit, c’est l’impossibilité de financer les activités réelles de production de biens et de services, donc une accélération dramatique de la crise sociale. Il n’y a donc pas lieu de s’opposer, sur le principe, au sauvetage des banques. »

Aujourd’hui, la simple socialisation du système bancaire n’est que la socialisation des pertes (certes, en répartissant mieux l’effort), car c’est l’ensemble du système bancaire, et non quelques brebis galeuses, qui ont besoin de l’État bourgeois pour se renflouer. Un gouvernement qui renoncerait à court terme à exproprier les grands groupes capitalistes serait incapable de mettre le système bancaire au service des travailleurs. En effet, le pôle public devrait honorer ses dettes à l’égard des grands groupes capitalistes, sous peine de voir l’ensemble du système productif capitaliste s’écrouler. Il n’y pas de solution étapiste possible : un gouvernement des travailleurs devrait exproprier les grands capitalistes (et pas seulement ceux du secteur bancaire), annuler l’ensemble des dettes des entreprises (tout en garantissant la petite épargne des travailleurs), et relancer la machine productive sur de nouvelles bases (notamment par la planification démocratique). C’est la seule « sortie du capitalisme » possible. L’expérience de 1981 prouve clairement que la nationalisation du secteur bancaire découplé de l’expropriation des grands groupes capitalistes du CAC 40 n’est en rien une rupture avec le capitalisme.

Olivier Besancenot ne défend pas une perspective révolutionnaire. Par exemple, il n’est jamais question de rupture avec les institutions nationales ou supranationales en place ; il en appelle au contraire à une réforme de la Banque centrale européenne. Certes, il parle de « contrôle ouvrier », mais il en dénature le sens, qui est d’établir un pont entre les revendications immédiates et la dictature du prolétariat. Il plaide en fait pour « la participation d’une représentation des salariés aux pouvoirs de décision » dans les entreprises. Pourtant, dans Contrôle ouvrier et stratégie révolutionnaire, Ernest Mandel (ancien dirigeant de l’organisation internationale à laquelle appartient la LCR) mettait en garde à juste titre ceux qui parlaient de « contrôle ouvrier » en entendant par là « cogestion », « participation », etc. : « C’est la grande différence entre contrôle ouvrier et cogestion ouvrière dans l’entreprise. Ce que nous exigeons, c’est le contrôle complet et le droit de veto des ouvriers. Mais nous refusons même un atome de responsabilité dans la gestion des maîtres capitalistes. En ce sens, nous pouvons nous appuyer sur une formule d’André Renard : "Dans le système capitaliste, uniquement le contrôle; la cogestion et l’autogestion seulement dans le socialisme". » (Cf. http://www.ernestmandel.org/fr/ecrits/txt/1969/controle_ouvrier_et_strategie_revolutionnaire.htm)

Le véritable contrôle ouvrier, ce n’est pas la participation des travailleurs à leur propre exploitation, c’est bloquer au maximum le fonctionnement du système capitaliste (accentuer sa crise et non la résorber !) et ouvrir la voie à la prise de pouvoir des travailleurs, organisés dans leurs conseils, avec délégués élus, mandatés et révocables. On ne peut donc populariser l’objectif du contrôle ouvrier qu’en le reliant à l’objectif programmatique du gouvernement des travailleurs, qui doit être au centre de la propagande d’un parti anticapitaliste et révolutionnaire, tout en se combinant avec les revendications immédiates des luttes actuelles.

Front unique ouvrier pour que les travailleurs ne paient pas la crise !

Les divers plans réformistes sont incapables de changer les banques et les grandes entreprises assoiffées de profits en gentils établissements soucieux du bien-être commun. En réalité, il n’y a qu’un seul plan alternatif à l’actuelle politique de sauvetage des banques : leur expropriation et leur transformation en une banque unique sous contrôle des travailleurs. Une telle banque annulerait la pyramide des dettes (tout en garantissant la petite épargne des travailleurs) et permettrait de relancer la machine productive sur de nouvelles bases. Mais pour que cette banque ne serve pas à son tour à renflouer les capitalistes industriels, cette première mesure en impliquera immédiatement une seconde : l’expropriation des grandes entreprises, en commençant par celles du CAC 40, sous contrôle des travailleurs. C’est seulement ainsi que les banques cesseront leurs spéculations parasitaires et pourront servir à financer un plan d’investissements répondant aux besoins des masses. Un tel plan serait élaboré démocratiquement par les travailleurs organisés dans leurs conseils. De telles mesures supposeront une mobilisation en masse des travailleurs, une lutte révolutionnaire leur permettant de conquérir et d’exercer le pouvoir politique.

Les principales forces (syndicats et partis) du mouvement ouvrier ont abandonné cette perspective. C’est la raison fondamentale pour laquelle elles relaient auprès des travailleurs la propagande capitaliste selon laquelle, s’ils n’acceptent pas des sacrifices, s’ils ne soutiennent pas l’intervention de l’État bourgeois, cela ne fera qu’empirer la crise et donc leur situation.

Pour notre part, nous refusons catégoriquement que les travailleurs, qui produisent toutes les richesses de la société, payent et subissent la crise du capitalisme. C’est pourquoi nous proposons aux militants, aux syndiqués, aux travailleurs de mener le combat pour la rupture des directions syndicales avec le gouvernement et le patronat et pour la mise en avant d’un plan de lutte permettant de mobiliser dans l’unité les travailleurs et la jeunesse pour sauvegarder leurs intérêts. Pour imposer ce plan à leurs dirigeants, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces, leur auto-organisation (AG, comités de grève ou de lutte, etc.) :

Tout en luttant pied à pied pour l’ensemble de leurs revendications immédiates, les travailleurs doivent prendre conscience du fait que la satisfaction générale et durable de leurs exigences est impossible sous le capitalisme, mais oblige à combattre pour la révolution. Réciproquement, cette perspective est la meilleure motivation pour s’engager avec détermination dans le combat pour l’ensemble des revendications immédiates, pour la lutte de classe quotidienne contre le patronat et le gouvernement. Toute l’histoire du mouvement ouvrier montre que la propagande révolutionnaire la plus claire et l’intervention quotidienne dans les luttes la plus efficace se nourrissent réciproquement.

Pour leur lutte immédiate contre les effets de la crise du capitalisme, tout comme pour préparer la lutte pour la conquête du pouvoir politique, seule façon d’en finir avec le capitalisme, les travailleurs ont besoin d’un parti parfaitement indépendant du capitalisme et de ses institutions, donc aussi de la bureaucratie syndicale, défendant jusqu’au bout les intérêts des travailleurs, bref d’un parti révolutionnaire.

C’est en ce sens que nous intervenons au sein du processus NPA et que nous appelons tous les militants qui ressentent cette nécessité à se regrouper au sein des comités NPA pour une tendance révolutionnaire.


1) http://www.u-m-p.org/propositions/index.php?id=credit_hypothecaire

2) Cf. par exemple sa tribune dans Les Échos de mercredi 8 octobre.

3) Ibidem.


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