Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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États-Unis : Un afro-américain à la tête de la principale puissance impérialiste mondiale


Auteur(s) :Claudia Cinatti (PTS-FTQI)
Date :6 novembre 2008
Mot(s)-clé(s) :international, États-Unis, FTQI
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Article du PTS (Parti des Travailleurs pour le Socialisme), section argentine de la FTQI

La crise et la guerre ont conduit à la victoire électorale d’Obama

Le 4 novembre, Barack Obama a été élu président des États-Unis : c’est le premier Afro-américain à y parvenir. Le candidat démocrate a obtenu une large victoire (plus large par le nombre de grands électeurs que par le pourcentage du vote populaire) sur le ticket McCain-Palin et son parti a obtenu la majorité dans les deux Chambres du Congrès, soit le meilleur résultat électoral depuis l’élection de Lyndon Jonhson en 1964.

La campagne d’Obama, centrée sur la promesse d’un vague « changement », a réussi à enthousiasmer des millions de jeunes et de travailleurs qui espèrent que son gouvernement apportera effectivement un changement radical par rapport à celui de George Bush et reviendra sur la « révolution conservatrice » des dernières décennies. Ces attentes dépassent les frontières des États-Unis : à l’échelle internationale, des millions ont l’illusion que, sous son gouvernement, la principale puissance impérialiste mènera une politique plus « bienveillante » envers le reste du monde.

Cependant, la victoire d’Obama ne s’explique essentiellement ni par ses « qualités personnelles », ni par ses « talents d’orateur » ; ce n’est pas non plus la victoire de l’idée d’« égalité des chances », ni celle de la « fin du racisme », comme le prétend la majorité des analystes de la presse libérale ; c’est en fait le produit de la situation actuelle, désastreuse, du poids de deux guerres inachevées et ingagnables en Irak et en Afghanistan et de l’explosion de la pire crise économique mondiale depuis la Grande Dépression des années 1930. En ce sens, cette victoire rappelle celle du démocrate Franklin Delano Roosevelt sur son rival républicain Hoover fin 1932, en pleine dépression économique.

Obama prendra ses fonctions à un moment particulièrement critique pour l’impérialisme américain. Dès le début, sa présidence sera placée sous la pression de la crise économique, qui devient d’ores et déjà une crise sociale, avec l’augmentation du nombre de familles qui ont perdu leur logement et des milliers de licenciements, sans oublier les défis posés à l’hégémonie des États-Unis dans le monde.

Wall Street a accueilli la victoire d’Obama par une chute de 5 % de l’indice Dow Jones, chute qui a touché aussi le Nasdaq et le Standard & Poor’s : preuve que c’est la crise économique et la récession qui priment, et non le prétendu enthousiasme pour le « changement ».

Entre les illusions des masses et les intérêts de l’establishment

La victoire d’Obama représente un important changement culturel ; en ce sens, elle a un fort impact symbolique pour la minorité afro-américaine et les autres minorités opprimées comme les Latinos (qui ont voté à plus de 70 % pour le candidat démocrate), dans un pays qui non seulement a initialement bâti sa « grandeur » sur l’esclavage des Noirs, mais où la discrimination raciale a été légale dans beaucoup d’États jusqu’à il y a à peine 45 ans — lorsque a été votée la Loi des Droits Civiques — et où le racisme reste très fort dans de larges secteurs.

Le vote massif pour le Parti Démocrate exprime de façon déformée le rejet populaire des politiques de l’époque Bush, identifiées au désastre en Irak et à une politique impérialiste agressive, à l’enrichissement des banques, des patrons et de l’élite dirigeante des grands groupes capitalistes, aux réductions d’impôts pour les riches, bref à un immense transfert de richesses vers les 1 % les plus riches du pays.

Bien que, au moment où nous bouclons cette édition, les analyses détaillées de la composition de la base électorale de chaque parti ne soient pas encore disponibles, la répartition géographique du vote montre que le Parti Républicain, quoiqu’en crise importante, a conservé ses fiefs traditionnels des États dits du « Sud profond », comme l’Arizona et le Texas, ainsi que les États ruraux du centre du pays. Malgré l’énorme rejet et la popularité extrêmement faible du gouvernement Bush, le Parti Républicain a préservé un score significatif, démontrant à travers sa campagne qu’il existe une droite forte dans le pays. De son côté, le Parti Démocrate l’a emporté largement dans les États de la côté Est et du Pacifique et dans les États industriels : cela semble indiquer que des secteurs significatifs de la classe ouvrière ont voté pour Obama.

Des mesures de protection des emplois, des aides à ceux qui sont sur le point de perdre leur unique logement, un service de santé qui donne une couverture aux plus de 43 millions d’Américains qui n’ont pas d’assurance médicale, la régularisation des immigrés, des mesures contre le racisme, l’augmentation des impôts des riches, la fin de la guerre en Irak et un changement radical par rapport aux politiques unilatérales et guerrières de l’administration néo-conservatrice : voilà en quoi consistent concrètement les attentes populaires de « changement ».

Mais, derrière la victoire d’Obama, il n’y a pas seulement ces attentes des jeunes, des travailleurs, des Noirs et des Latinos, mais surtout la décision de l’establishment de la classe dominante qui, face à la crise et à l’usure du Parti Républicain, a depuis longtemps opté pour Obama comme le meilleur candidat pour rétablir la situation des États-Unis dans le monde et pour contrer le mécontentement social qui peut se développer brutalement à la faveur de l’approfondissement de la crise et de la récession économique. C’est la raison pour laquelle les principales entreprises de Wall Street ont financé sa campagne. On trouve de surcroît parmi ses principaux conseillers les hommes politiques impérialistes les plus expérimentés comme Brzezinsky, théoricien du soutien aux talibans contre l’Union Soviétique en Afghanistan, l’ex-secrétaire d’État de Bush, Colin Powell, qui a lancé la guerre contre l’Irak, Paul Volcker, chef de la Réserve fédérale en 1979 qui a donné le coup d’envoi de l’offensive néo-libérale avec la hausse des taux d’intérêt, ce qui a provoqué une récession. Enfin, l’un de ses principaux conseillers économiques n’est autre que Warren Buffet, l’un des plus importants milliardaires américains.

Avant d’entrer en fonction, Obama a déjà donné des preuves qu’il défend les intérêts de la classe capitaliste. Il a voté et a fait pression en faveur du plan Paulson, consistant à sauver les banquiers avec 700 milliards de dollars d’argent de l’État. Le vote démocrate a même été décisif pour l’approbation de ce plan au Congrès, étant donné l’opposition de la majorité du Parti Républicain au plan de son propre gouvernement. Cette somme colossale contraste avec les modestes 50 milliards qu’Obama, pendant sa campagne, a promis de consacrer à des travaux publics et des budgets sociaux, et avec les 10 milliards en faveur des ménages ayant souscrit un crédit hypothécaire.

En effet, par delà sa condition raciale, Obama appartient à l’élite politique qui, au moyen de l’alternance entre les deux principaux partis patronaux, le Parti Républicain et le Parti Démocrate, gouverne en faveur des intérêts de la bourgeoisie.

Obama et la crise de l’hégémonie américaine

Sur le plan international, Obama devra composer avec le lourd héritage de l’administration Bush et sa « guerre préventive », qui a conduit aux échecs en Irak et en Afghanistan, deux guerres que les États-Unis n’ont pas réussi à gagner. Cette erreur stratégique des néo-conservateurs, qui ont cherché à profiter des attentats du 11 septembre 2001 pour renforcer la domination mondiale des États-Unis au moyen une politique impérialiste agressive, s’appuyant sur la suprématie militaire et l’unilatéralisme, a affaibli significativement la position des États-Unis, suscité une vague d’anti-américanisme sans précédent au Moyen-Orient et en Amérique Latine et facilité l’émergence d’autres acteurs politiques sur la scène internationale. Cette situation d’affaiblissement est apparue de façon évidente durant la guerre entre la Géorgie et la Russie, où Bush a été incapable de faire en sorte que les puissances européennes s’alignent derrière sa politique, en particulier l’Allemagne qui a privilégié ses intérêts propres et donc ses relations avec la Russie.

La politique extérieure défendue par Obama pendant la campagne est très éloignée des illusions des militants et du mouvement anti-guerre. Elle est centrée en particulier sur un retrait graduel des troupes d’Irak et un déplacement du déploiement militaire vers l’Afghanistan, où les talibans se sont renforcés et où le conflit est en train de s’étendre au Pakistan ; il s’agit pour lui d’y obtenir une victoire impérialiste. À la différence de la position intransigeante de McCain, qui s’inscrivait pour l’essentiel dans la continuité de la politique menée par Bush, Obama s’est déclaré partisan d’un « dialogue sans conditions » avec l’Iran pour essayer d’obtenir, par la diplomatie, que se forme une aile pro-américaine au sein du gouvernement iranien. Cependant, cette politique est en contradiction avec le maintien d’une alliance inconditionnelle avec l’État d’Israël, qui pousse tout au contraire à une politique plus offensive contre le régime iranien. Enfin, le président nouvellement élu s’est prononcé pour une approche plus multilatérale qui permette la collaboration avec les autres puissances.

La situation internationale mettra rapidement à l’épreuve la viabilité de cette politique. La profonde crise économique combinée aux échecs militaires remet sérieusement en cause les fondements de la domination américaine. Bien qu’aucune puissance ne soit en mesure de disputer aux États-Unis leur position hégémonique, certaines puissances régionales significatives comme la Russie ou la Chine sont en revanche capables de remettre en question les termes de leur hégémonie.

La froideur avec laquelle le gouvernement de Medvedev a accueilli la victoire d’Obama, en réaffirmant sa détermination à installer des missiles de courte portée à la frontière occidentale de la Russie si les États-Unis persistent dans leur projet d’installer un système de missiles en Europe de l’Est, est peut-être une anticipation de développements à venir.

Dans ce contexte où, pour la première fois depuis 1973, le monde s’achemine dans son ensemble vers une récession, le plus probable est que l’on assiste à une recrudescence de la concurrence entre les grands groupes capitalistes et leurs États, ce qui facilitera le développement de conflits régionaux et ouvrira une période de grande instabilité et de tensions entre les États à l’échelle internationale.

Les perspectives après la victoire d’Obama

On verra dans les semaines à venir quelles tendances exprime la composition du cabinet d’Obama qui, jusqu’à présent, s’est entouré des figures-clés du gouvernement Clinton. La période de transition, de l’élection jusqu’à la prise de fonction du nouveau président le 20 janvier 2009, peut être une phase de grande instabilité politique, aussi bien sur le plan intérieur qu’au niveau international. Certains analystes estiment même qu’Israël pourrait choisir de profiter de cette période pour lancer une attaque contre l’Iran.

Tôt ou tard, les illusions et les attentes des travailleurs, des minorités noires et latino et des millions qui voient leur subsistance menacée par la crise économique et par la récession se heurteront à la réalité, c’est-à-dire au fait que le gouvernement Obama ne défendra pas leurs intérêts, mais ceux des grands groupes et des grandes banques capitalistes.

La majorité des secteurs « progressistes », qui ont appelé avec plus ou moins d’enthousiasme à voter Obama, ont justifié leur position en affirmant que son gouvernement serait plus sensible à la pression des luttes des travailleurs. Roosevelt dans les années 1930, Kennedy dans les années 1960 ou Obama en 2009 confirment encore et toujours que, par delà sa rhétorique « liberal » (c’est-à-dire « de gauche ») ou ses politiques populistes comme le New Deal, le Parti Démocrate défend avec le Parti Républicain les intérêts de la bourgeoisie impérialiste. Il suffit de se souvenir que, sous la présidence de Kennedy, les États-Unis ont envahi Cuba, que le démocrate Johnson a lancé la guerre du Vietnam et que Roosevelt lui-même, lorsque sa politique de New Deal s’est révélée incapable de ranimer l’économie américaine, est passé au War Deal : de fait, en 1938, il a modifié le cours de sa politique économique, en l’orientant vers les préparatifs de guerre pour disputer l’hégémonie mondiale à l’Allemagne nazie et à la Grande-Bretagne. C’est cette industrie de guerre qui a effectivement permis le rétablissement de l’économie américaine ; c’est elle également qui a permis aux États-Unis d’entrer en guerre et d’en sortir comme seule puissance hégémonique en 1945, bien qu’elle ait dû partager la domination du monde avec l’URSS.

Historiquement, la stratégie du « moindre mal » a joué en faveur du Parti Démocrate qui a pu ainsi contenir les secteurs intermédiaires « progressistes » et les tendances à la radicalisation de l’avant-garde ouvrière, comme cela a été le cas dans les années 1930 avec la cooptation par Roosevelt du syndicalisme combatif de la CIO, ou à la fin des années 1960 avec le mouvement contre la guerre du Vietnam. C’est là un grand obstacle à l’indépendance politique des travailleurs qui votent en majorité pour le Parti Démocrate.

La profondeur de la crise économique et la nouvelle période historique qui s’ouvre accélèreront probablement l’expérience avec le gouvernement d’Obama. Les illusions ou les attentes frustrées peuvent se traduire dans la lutte de classes et dans l’émergence de nouveaux phénomènes politiques, comme cela a été le cas dans les années 1930 avec l’apparition du CIO (tout d’abord Committee for Industrial Organization puis, à partir de 1937, Congress of Industrial Organization) qui a en quelques mois attiré dans ses rangs des milliers de travailleurs non qualifiés rejetés par la bureaucratie de l’AFL (American Federation of Labour). Ce militantisme ouvrier s’inscrivait dans le cadre d’une vague de grève combatives des travailleurs ayant un emploi et des travailleurs privés d’emploi, comme ceux des ouvriers de l’automobile de Toledo en 1934 ou des teamsters de Minneapolis.

Il est vrai que l’histoire ne se répète pas. Mais il est aussi vrai que l’on se trouve face à une crise d’une ampleur historique comparable à celle qui a jadis produit une forte radicalisation de la classe ouvrière américaine. La prochaine période ouvrira la possibilité pour la classe ouvrière, durement frappée depuis la présidence de Reagan, qui a subi de dures défaites durant les trente dernières années d’offensive libérale et dont la représentation syndicale a chuté fortement jusqu’à tomber à 12 % des salariés, de reconstruire son organisation : les travailleurs américains et les minorités opprimées pourront alors rompre avec les partis de leurs exploiteurs.

6 novembre 2008
Claudia Cinatti, pour La Verdad Obrera, journal du PTS
(traduit par A. M.)


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