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Le CRI des Travailleurs n°16     << Article précédent | Article suivant >>

Les enseignants doivent imposer aux dirigeants syndicaux qu'ils se prononcent :
Retrait pur et simple du projet de loi d'orientation !
Rupture immédiate de la concertation !
(Texte du courant Front-Unique)

Partageant leur analyse du projet de « loi d’orientation sur l’école » présenté par Fillon, ainsi que leur orientation générale pour le combattre, nous reproduisons ici le document rédigé par les camarades du courant « Front unique », qui intervient dans la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) et au sein de plusieurs syndicats affiliés. Ce texte est paru dans le n° 90 de la Lettre de Liaison, bulletin du courant « Front unique », en date du 7 décembre 2004, donc avant la réunion du Conseil supérieur de l’Éducation du 16 à laquelle il fait référence, et avant l’appel intersyndical du 21 que nous avons présenté et critiqué dans les pages précédentes. Pour tout contact : Front unique, 11, rue Michalias, 63 000 Clermont-Ferrand ou passer par le site www.frontunique.com

Qu’est ce que la loi Fillon ?

Un projet de loi au service du MEDEF, de la bourgeoisie

Le projet de loi Fillon est maintenant connu. C’est un leitmotiv : il faut que les élèves soient désormais orientés conformément « aux besoins de l’économie et de la société ». Le rapport annexé cite le conseil européen de Lisbonne : « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Et voilà pourquoi il faut « renforcer les liens avec le monde du travail, développer l’esprit d’entreprise »

Mais quels sont donc ces « besoins de l’économie » ? Ils avaient été précisés par le rapport Thélot : « La part d’emplois peu qualifiés, ou requérant une qualification d’ "ordre comportemental" ou "relationnel" demeurera considérable dans l’avenir... dans les métiers d’employés et d’ouvriers peu qualifiés, la destruction d’emplois sera plus que compensée par la nécessité de remplacer les départs massifs à la retraite »

C’est clair : le premier objectif de la loi Fillon est de réduire au maximum l’enseignement en particulier pour ces jeunes d’origine ouvrière que le gouvernement destine à des emplois peu qualifiés et pour lesquels l’acquisition de la culture ne fait qu’occasionner des frais inutiles. 

Un plan organisé de déscolarisation à tous les niveaux du système scolaire

Cela commence à la maternelle : il est précisé que la possibilité de scolariser les enfants à deux ans ne vaut que pour certains quartiers « défavorisés ».

Mais surtout, il est précisé que l’obligation d’enseignement des jeunes ne porte plus jusqu’à la fin du collège que sur le « socle commun » (français, mathématiques, « culture humaniste et scientifique », une langue étrangère, se servir de l’ordinateur) (art. L 131-1-2). Pour les jeunes d’origine populaire, pas besoin de seconde langue ou langue ancienne, pas besoin d’enseignement artistique etc.

Au lycée, le projet de loi pro­gramme ouvertement la disparition de centaines d’heures d’enseignement pour les élèves : « L’horaire hebdomadaire comme l’horaire annuel des lycéens français sont les plus lourds des pays de l’OCDE : cette situation ne favorise ni le travail personnel des élèves, ni leur préparation aux méthodes de l’enseignement supérieur. C’est pourquoi il est souhaitable de réduire le nombre des options au lycée et de tendre vers un plafonnement de l’horaire maximal de travail des lycéens ». (Rapport annexé, p. 42.) Moyennant quoi pour les enfants de la bourgeoisie vont prospérer les boites privés de bachotage !

La loi prévoit aussi à demi-mot de supprimer tous les dédoublements au nom du fait qu’ils seront instaurés en terminale en Langue vivante : « A l’exception des langues, les dédoublements actuels seront réexaminés en fonction de leur intérêt pédagogique. »

Destruction des diplômes nationaux en particulier du baccalauréat, déqualification de la jeunesse

Thélot le disait : le problème, en France, c’est la survalorisation des diplômes . En effet, l’existence de diplômes nationaux est un frein insupportable à la surexploitation des travailleurs : ainsi la grille de la Fonction Publique et ses cadres (A, B, C) sont déterminés par des niveaux de diplôme. Les conventions collectives - même si la loi sur le « dialogue social » du même Fillon leur a porté un coup terrible -déterminent des qualifications et des salaires minima de branches en fonction des diplômes. L’arme de destruction massive des diplômes dans la loi Fillon, c’est le contrôle continu et l’acquisition de « diplômes » par la Validation des Acquis de l’Expérience : « En vue de la délivrance des diplômes, il peut être tenu compte des résultats du contrôle en cours de formation, des résultats du contrôle en cours de formation, des résultats d’examens terminaux ou de toute autre mode garantissant l’acquisition des savoirs et compétences ». (Art. L. 3-1, 3e alinéa.)

Fillon précise dans sa conférence de presse : « Le baccalauréat continuera à être un diplôme national avec six épreuves nationales et une part de contrôle continu ou de contrôle en cours de formation. »

Naturellement, le caractère « national » du bac est dans ces conditions une fiction : il s’agit en réalité d’un diplôme-maison.

Quant au Baccalauréat profession­nel, il pourra désormais être préparé en trois ans, au lieu de quatre. Il s’agit d’une mesure de déqualification.

La réforme Fillon exclut de l’école de milliers de jeunes pour les livrer à l’exploitation patronale

C’est la mise en place de l’option « découverte professionnelle » en troisième (jusqu’à 6 heures par semaine ; rapport annexé p. 31) : l’élève envoyé en entreprise aura un tel retard dans les matières scolaires par rapport à ses camarades qu’aucune poursuite d’études ne sera possible. Par ailleurs, dès la quatrième seront multipliées les classes en alternance.

De plus la réforme Fillon prévoit l’augmentation massive de l’orientation en apprentissage (Titre II, Art. 2) : « Le nombre d’apprentis dans les formations en apprentissage dans les lycées augmentera de 50 % ». La conséquence en est d’ailleurs que les Lycées Professionnels sont transformés de fait en CFA (Centre de formation des Apprentis)

L’enseignement aux ordres de la politique du gouvernement Chirac-Raffarin, les enseignants caporalisés et déqualifiés, le statut concassé

Les objectifs de la loi Fillon ne peuvent être réalisés que si le corps enseignant est formaté sur ces objectifs, déqualifié, si les statuts sont détruits. La loi Fillon s’y emploie. D’abord tout l’édifice est placé sous la tutelle d’un Haut Conseil de l’Education qui doit vérifier la réalisation des objectifs, être systématiquement consulté sur les programmes etc.. Il s’agit d’un Haut Conseil UMP MEDEF puisqu’il est ainsi composé (Titre V, art. L. 251-1) : « Trois de ses membres sont désignés par le Président de la République, deux par le président de l’Assemblée Nationale, deux par le président du Sénat, deux par le président du Conseil Economique et Social »

Il est précisé que la formation continue — qui se déroulera essentiellement en dehors des heures d’enseignement — a pour premier objectif « l’accompagnement de la politique ministérielle » (Rapport annexé p. 38).

À tous les niveaux, c’est le caporalisme. C’est le but de la création du « conseil pédagogique » (L. 421-4-1). « Présidé par le chef d’établissement », il a la haute main sur la « notation et l’évaluation des activités scolaires. Il prépare la partie pédagogique du projet d’établissement ». Fillon fait beaucoup de discours sur le principe de la liberté pédagogique des enseignants. La vérité, c’est qu’elle est liquidée puisqu’elle s’exerce dans le cadre des programmes nationaux, des directives du corps d’inspection (ceci n’est pas nouveau), mais aussi désormais de la mise en œuvre du projet d’établissement !

Un des éléments décisifs de la liquidation du statut, c’est l’ « autonomie des établissements ». Finies les normes nationales quant aux effectifs de classe, quant à la définition statutaire des obligations de service. Désormais les moyens dont bénéficie l’établissement relève d’un contrat entre l’Académie et l’établissement : « La loi organique relative aux lois de finances va donner aux établissements une responsabilité budgétaire plus grande en fonction d’objectifs pédagogiques clairement déterminés dans le cadre d’un contrat entre l’académie et les établissements. » (Rapport annexé, pp. 38-39)

Il s’agit de mettre en concurrence les établissements scolaires, mais aussi les collègues entre eux auxquels le chef d’établissement et le « conseil pédagogique » distribueront selon leur bon plaisir des heures de suivi individuel par exemple. Mais en contre partie doivent être liquidées toutes les bonifications horaires actuellement existantes en particulier l’heure de première chaire en lycée : « En raison de l’évolution des conditions d’enseignement, le fondement des décharges spécifiques désormais non justifiées devra être réexaminé de sorte que les établissements disposent des moyens propres pour mettre en œuvre leurs priorités pédagogiques au service de la réussite de tous les élèves. » (Rapport annexé, p. 35)

Le pouvoir du chef d’établissement s’exercera aussi pour imposer aux enseignants d’assurer dans l’établissement le remplacement des collègues absents (Rapport annexé, p. 35). La loi elle même précise que ces remplacements pourront être effectués dans la discipline ou une discipline connexe. Quant au rapport annexé il fixe à 72 heures annuelles le nombre d’heures de remplacement imposables. Au détour de cette précision, est introduite l’annualisation des services.

L’obligation d’imposer les remplacements dans n’importe quelle matière, l’instauration de la polyvalence s’accompagne de la déqualification du recrutement. D’abord pour que les profs assurent le remplacement dans toute matière, ils seront invités à acquérir en cours de formation une « certification complémentaires en lettres, langues et mathématiques ». Voilà donc déjà trois matières où n’importe quel collègue pourra remplacer !

Mais il y a mieux. La loi Fillon a prévu un « troisième concours » sans aucune condition de diplôme : « Les troisièmes concours deviendront une vraie voie de diversification de recrutement pour les personnes ayant acquis une expérience professionnelle dans le secteur privé. Pour ce faire la condition de diplôme est supprimée, la durée d’expérience professionnelle est portée à cinq ans, sans période de référence, et elle est élargie à tous les domaines professionnels » (Rapport annexé, p. 36)

C’est la liquidation pure et simple de la qualification d’enseignant. Pour faire sauter le statut national, la loi Fillon introduit de manière hypocrite la régionalisation des concours : « Un seul concours national par corps et discipline, des épreuves nationales et un jury unique comme aujourd’hui ; la répartition académique des postes ouverts est donnée au moment de l’inscription au concours. Les candidats choisissent leur académie d’affectation qui sera à la fois leur lieu de stage et leur lieu de début de carrière. »

Tout le monde comprend que cela signifie en réalité un pas décisif dans la mise en place de concours régionaux, et à terme des statuts régionaux. Cela se situe dans le droit fil de la loi de décentralisation expulsant les TOS de la Fonction Publique d’Etat.

Mais pourquoi donc les dirigeants des syndicats d’enseignants, en particulier de la FSU se refusent avec acharnement à se prononcer pour le retrait de la loi Fillon ?

Une loi inséparable de l’offensive générale du gouvernement Raffarin contre les acquis ouvriers

La loi d’orientation est présentée par Chirac — dont c’est la loi selon Fillon lui-même — comme la troisième grande réforme après les retraites et la Sécurité Sociale. Effectivement c’est une pièce maîtresse de l’offensive générale de ce gouvernement :

• La destruction des diplômes nationaux complète la loi sur le « dialogue social » adoptée début 2004 qui prévoit la multiplication des accords dérogatoires d’entreprise aux conventions collectives, c’est à dire la liquidation des conventions collectives fondées sur les qualifications certifiées par des diplômes nationaux.

• Le développement de l’apprentissage, l’exclusion de l’école via l’option « découverte profession­nelle » en troisième s’inscrit dans les objectifs de la loi Borloo : celle ci prévoit aussi le développement massif de l’apprentissage — y compris au-delà de 25 ans. Par ailleurs, elle vise à imposer aux chômeurs d’accepter n’importe quel emploi en dehors de leurs qualifications.

• La loi Fillon en cassant le statut des enseignants s’inscrit dans le projet de loi de « modernisation » de la Fonction Publique : disparition des corps nationaux réduits à quelques « métiers », mise à la disposition des fonctionnaires à l’échelle départemental et régional des préfets qui pourront les réaffecter de manière polyvalente d’un ministère à un autre, régionalisation de tous les concours, réduction massive des postes par « mutualisation » des moyens, instauration de l’individualisation du salaire. La loi Borloo, elle, prévoit le recrutement de milliers de « fonctionnaires » sans concours et sans diplôme. Il s’agit d’une entreprise méthodique pour casser le statut de fonctionnaire d’État.

Parce que la loi d’orientation de l’école s’inscrit dans cette guerre engagée par le gouvernement Chirac-Raffarin contre la classe ouvrière, il est impossible de combattre pour le retrait de cette loi sans combattre ce gouvernement, sans combattre pour lui infliger une défaite politique.

Fillon : « Naturellement la concertation se poursuit »

C’est une réalité que Fillon peut aujourd’hui ouvertement affirmer : le projet de loi n’aurait pas existé sans la participation des dirigeants syndicaux de manière continue depuis le tout début du mois de novembre (à travers les « groupes de travail » puis les « consultations bilatérales »). Il déclare dans sa conférence de presse [présentant son projet] : « J’ai mené une concertation approfondie avec l’ensemble des partenaires sociaux de l’Education nationale. Syndicats, parents d’élèves, experts, enseignants, j’ai écouté tout le monde dans un climat constructif. Chaque rencontre a donné lieu à des ajouts, à des corrections, à des précisions. »

Les collègues s’interrogent : compte tenu de l’énorme offensive que représente la loi Fillon contre l’Ecole Publique, contre ses personnels, comment est il possible que les dirigeants syndicaux ne se prononcent pas clairement et nettement pour le retrait pur et simple du projet de loi ?

La réponse est donnée par Fillon : parce que depuis des semaines, ils participent à son élaboration « dans un climat constructif »

C’est la répétition du même scénario que pour les Retraites et la Sécurité Sociale : à chaque fois le gouvernement organise la concertation pendant des semaines, puis s’appuie sur la dite concertation pour porter les coups les plus durs. On a vu le résultat aussi bien sur les retraites que sur la Sécurité Sociale.

Les dirigeants syndicaux ne rompront pas d’eux même avec le gouvernement, il faut leur imposer

Nombre de collègues dans les Assemblées générales reviennent sur mai-juin 2003. La raison de la défaite de mai-juin 2003 est simple : les dirigeants syndicaux ont refusé avec acharnement d’appeler à la grève générale. Et ils en ont donné la raison par Thibault parlant au nom de la totalité des appareils dirigeants des syndicats : « Le gouvernement est légitime dans les institutions. » Autrement dit pas question de prendre une initiative qui le mettrait en danger. Et c’est la raison de la concertation continue !

Les enseignants ne peuvent accepter que l’École Publique soit disloquée, que les diplômes soient détruits, que leur propre statut soit massacré. Voilà pourquoi le courant Front Unique propose que soient multipliées les initiatives, que soit organisé le combat pour imposer aux dirigeants syndicaux :

• Retrait pur et simple du projet de loi d’orientation !

• Fillon déclare : « Naturellement la concertation se poursuit ». Rompez la concertation ! Boycottez le Conseil Supérieur d’Education du 16 décembre

Ce sont ces mots d’ordre qui ont été adoptés à l’Assemblée Générale du Lycée Sidoine Apollinaire de Clermont Ferrand (25 pour, 3 abstentions) qui a lancé un appel aux collègues des autres établissements.

Que cette position soit imposée aux dirigeants syndicaux et sans aucun doute les conditions de l’affrontement victorieux avec le gouvernement seraient réunies.

C’est sur cet objectif que nous proposons partout aux collègues de s’organiser. »


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