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Le CRI des Travailleurs n°16     << Article précédent | Article suivant >>

Argentine, 19-20 décembre 2001 : un événement aux racines et aux conséquences internationales
(Document du CC-POR)


Auteur(s) :CC-POR, Antoni Mivani
Date :15 janvier 2005
Mot(s)-clé(s) :international, Argentine
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Nous publions ici, à leur demande et en raison de notre accord global avec leur analyse et leurs positions, une décla­ration de nos camarades du Comité pour la Construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire (CC-POR), section argentine de la Tendance Quatrième-Internationaliste (TCI), qui participe, comme le Groupe CRI, au Comité de liaison préparant une Conférence internationale des organisations trotskystes de principe. Trois ans après le soulèvement du peuple argentin qui fit vaciller le régime, ils reviennent la signification de cet événement, dont l’ampleur et la profondeur doivent intéresser le prolétariat et les peuples opprimés de tous les pays. La traduction et les notes (en base de page ou entre crochets à l’intérieur même du texte) sont dues à Antoni Mivani.

Le XIIe Congrès du Comité pour la Construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire achève ses délibérations en plein troisième anniversaire de la révolte populaire qui a renversé le gouvernement De La Rua, ébranlé l’appareil de l’État bourgeois et coûté une nouvelle fois la vie à de courageux militants.

Notre Congrès, s’efforçant de porter un regard plus profond, a souligné que ces événements qui ont changé notre vie ont acquis une dimension historique, car ils s’incorporent à l’apprentissage collectif qui peut avoir lieu seulement à travers de grandes actions de masses, comme le Cordobazo et le Rosariazo des années 1960 (1), ou bien comme les grèves de juin et juillet 1975 contre le gouvernement d’Isabel Peron, dirigé dans l’ombre par Lopez Rega (2) et favorable au coup d’État militaire (3).

Ce parallèle historique que nous tentons nous oblige à souligner les points communs et les différences entre ces situations, tentative qui est réalisée au service de notre propre clarification politique et se veut une contribution à la construction de l’avant-garde, qui continue de lutter pour le travail, les salaires, l’éducation, le logement et la santé.

Points communs, car il a été à nouveau démontré que c’est seulement lorsque des millions se dressent et se mettent en ordre de combat que s’ouvre la possibilité de vaincre dans la lutte pour les revendications immédiates, de même que, pour obtenir leur satisfaction, les travailleurs et les exploités en général doivent à partir de leurs rangs accoucher de leurs meilleurs hommes et femmes, qui cherche le chemin d’un pouvoir opposé à la dictature de classe des exploiteurs. Ongania, Lopez Rega et De la Rua n’ont été renversés ni par un petit bulletin de vote, ni par le terrorisme individuel de groupes messianiques, mais par l’action directe des masses.

Différences, car, alors que, au moment du Cordobazo de 1969 et en juin 1975, ces masses ont eu comme colonne vertébrale la classe ouvrière organisée, décembre 2001 a été dominé par l’absence de cette dernière et un polyclassisme privé de direction, facilement manipulable par la classe dominante, son État, et ses partis.

La crise de la direction révolution­naire a été mise en relief (comme le problème décisif pour l’humanité à cette étape de son histoire) d’une manière différente dans les deux situations : alors que dans les années 1960 et 70 la discussion était de savoir quel était le chemin vers la révolution, nous devons aujourd’hui partir d’un niveau bien plus arriéré dans la conscience collective : nous devons discuter pour savoir s’il faut emprunter ce chemin.

Les progrès relatif du mouvement des 19 et 20 décembre (assemblées populaires, mouvements de piqueteros [chômeurs combatifs connus pour leurs actions de coupure des routes au moyen de barrages ou piquete] et de travailleurs avec des instances unitaires et démocratiques dans leur fonctionnement) ont peu à peu disparu, se dissolvant et se fracturant sous le règne de la confusion politique et de la division organisée par les appareils.

La responsabilité fondamentale de ce recul incombe aux directions des organisations de masse : la bureaucratie syndicale de tout poil (en particulier les sommets de la CGT et de la CTA), mais également la bureaucratie piquetera, qui reproduit comme une grotesque caricature les actes et les trahisons de l’autre bureaucratie, tout comme les poses, les manœuvres et les impostures des sectes soi-disant d’extrême gauche.

Dans ce contexte général, non seulement « ils sont tous restés » [allusion au mot d’ordre central des 19 et 20 décembre : « Qu’ils s’en aillent tous ! »], mais en outre ils sont revenus et continuent de revenir (Menem [ancien président argentin honni et corrompu] !) avec la force que leur donne le fait d’avoir été élus par des millions d’Argentins. Une fois de plus, la meilleure issue pour la bourgeoisie a été et continue d’être que « les esclaves se prononcent pour l’un quelconque de leurs bourreaux ». Les dizaines de prisonniers politiques et les milliers poursuivis pour avoir lutté, sont bien les témoins, que nul ne peut occulter, du fait que la démocratie bourgeoise n’est rien d’autre qu’une forme de dictature du capital ! En ne mettant pas au premier plan ce drapeau élémentaire de la défense des libertés démocratiques, la quasi-totalité des associations de défense des droits de l’homme ont lamentablement sacrifié leurs meilleures traditions sur l’autel de la démocratie bourgeoise.

Mais la politique anti-ouvrière et pro-impérialiste du gouvernement Kirchner nous pousse à nouveau à lutter pour nos revendications de toujours, avec aujourd’hui comme axe la lutte pour les salaires. Les travailleurs des télécommunications, du métro, de l’éducation et de la santé indiquent le chemin qu’il faut suivre et qu’il faut renforcer et rendre plus puissant en unifiant toutes les catégories en un plan de lutte commun qui surmonte la division entre travailleurs ayant un emploi et travailleurs privés d’emploi qu’imposent la bureaucratie syndicale et piquetera.

Les leçons du « 2001 argentin » ont été un objet d’étude et de débat dans le monde entier. C’est parce que les racines de cette explosion doivent être cherchées dans la crise du capitalisme comme système mondial. Il suffit de dire que ce que produit la civilisation humaine aujourd’hui représente le triple de ce dont elle a besoin pour manger, se loger, s’éduquer, et se soigner, fait qui contraste avec le drame que le tiers de cette même humanité meure littéralement de faim.

La logique inévitable du système dans sa phase impérialiste est une concentration de la richesse en moins de mains, ce qui conduit à une démultiplication de la mort, de la misère et de la barbarie : les événements d’Irak, Côte d’Ivoire, Indonésie, Équateur, Bolivie sont d’autres « 2001 argentin », où les masses se rebellent contre l’exploitation. Le théâtre des opérations change, les noms de dirigeants, des pays et des martyrs aussi, mais le problème des problèmes reste toujours le même : alors que les exploiteurs ont un état-major (jusqu’à pouvoir s’offrir le luxe de se battre entre eux pour savoir quel impérialisme gardera le butin), cet outil nous manque à nous les exploités, il nous manque ce parti international pour la révolution socialiste dont ont rêvé, qu’ont fondé et construit Marx et Engels, Lénine et Trotsky.

Pour ce Congrès, le mandat des 19 et 20, c’est de redoubler d’efforts pour accomplir cette tâche ; pour ce Congrès, c’est le meilleur hommage à nos morts de 2001 et à tous les morts du monde ; pour ce Congrès la crise de l’humanité continue de se concentrer dans la crise de la direction révolutionnaire du prolétariat. »


1) Cordobazo : soulèvement des travailleurs et de la population de la ville de Cordoba, deuxième centre industriel du pays après Buenos Aires, et de sa province, qui a eu lieu en mai 1969, suite à une série de treize grève générales régionales ; il fut écrasé par l’armée. Un mouvement semblable, quoique moins puissant, avait eu lieu l’année précédente à Rosario, d’où son nom de Rosariazo. Ces deux soulèvements s’inscrivirent dans la puissante montée de la lutte de classe en Argentine, qui avait conduit au coup d’État militaire du général Ongania en 1966 (interdiction des partis politiques et des syndicats, répression de toute grève ou protestation populaire). Ils constituèrent des jalons dans l’essor de la lutte du prolétariat et des opprimés qui reprit à la fin des années 1960 et au début des années 1970, menaçant très sérieusement la domination de la bourgeoisie. Seule la terrible dictature militaire de Videla, après un nouvel intermède péroniste entre 1973 et 1976, parviendra à briser cet essor, au prix de plus de 30 000 morts et disparus.

2) José Lopez Rega, ancien agent de police, membre depuis sa jeunesse des fractions les plus à droite du péronisme (courant politique de la bourgeoisie nationaliste), ex-secrétaire privé de Peron, est devenu après la mort de celui-ci et l’accession d’Isabel Peron à la Présidence de la République (1974), ministre du bien-être social et surtout premier ministre officieux. Suite à la décision du ministre de l’économie Celestino Rodrigo, lié à Lopez Rega, de procéder à une brutale dévaluation de 150 % et à la hausse du prix de l’essence de 120 %, les syndicats rompirent le pacte social, appelèrent à la mobilisation en fixant comme objectif l’expulsion de Lopez Rega du gouvernement et du pays (ce qu’ils obtinrent finalement).

3) Le gouvernement agissant selon l’orientation de Lopez Rega, avait progressivement préparé le coup d’État de 1976, notamment en développant la censure, en procédant à une épuration de la fonction publique (surtout dans l’éducation) contre les sympathisants de la gauche, en créant des milices paramilitaires anti-ouvrières et en profitant de chaque occasion pour justifier un accroissement des pouvoirs de l’armée sous prétexte de lutter contre la « subversion ». Le gouvernement prétexta l’activité guérilleriste pour justifier sa politique, mais la répression sanglante s’étendit en réalité à tout le mouvement ouvrier. Il a été officiellement dénombré plus de 800 morts pour des raisons politiques pendant la seule année 1975.


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