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États-Unis : Classe, race et polarisation de la politique américaine : pourquoi Bush a gagné
(Un article de la League for the Revolutionary Party)


Auteur(s) :LRP, Frédéric Traille
Date :15 janvier 2005
Mot(s)-clé(s) :international, Etats-Unis
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Nous avons publié dans le précédent numéro du CRI des travailleurs un premier article de la League for the Revolu­tionary Party (LRP), groupe trotskyste américain avec lequel le Groupe CRI est en relation et discussion. Cet article, intitulé « Bush et Kerry, c’est la guerre, le racisme et les attaques contre les travailleurs », datait d’avant l’élection présidentielle de fin novembre. Nous proposons cette fois-ci la traduction d’un second article de la même organisation, paru dans le n° 73 de son journal Proletarian Revolution, qui propose une analyse du résultat de l’élection et une orientation que nous partageons. Pour lire d’autres textes ou pour contacter la LRP, cf. son site www.lrp-cofi.org. La traduction est due à Frédéric Traille.

La victoire de George W. Bush en novembre a choqué et effrayé des millions de personnes dans le monde, scandalisées par la guerre impérialiste sanglante des États-Unis en Irak et menacées par la superpuissance de plus en plus arrogante. Ce résultat a aussi démultiplié les peurs de millions de personnes dans la classe ouvrière aux États-Unis — particulièrement chez les Noirs, les Latinos et les immigrés —, confrontées à un racisme qui s’accélère, au déclin du niveau de vie, à une répression accrue et à la guerre qui s’étend et qu’ils remettent de plus en plus en question.

Le fait que 58 millions d’Américains aient voté pour Bush, dont un nombre non négligeable d’électeurs de la classe ouvrière, en a stupéfait beaucoup au sein de la gauche, qui s’étaient inscrits dans la campagne de John Kerry. Mais la vérité est que les travailleurs, les opprimés et les militants anti-guerre qui ont voté pour Kerry ont aussi été horriblement trompés. Malgré la violente polarisation qui a caractérisé la campagne, les deux camps étaient d’accord sur un point central : l’élection portait sur la question de savoir comment construire « une Amérique plus forte » – quel est le meilleur moyen pour maintenir les États-Unis comme la superpuissance mondiale dominante. C’est-à-dire qu’en votant pour Bush ou pour Kerry, ou même pour Ralph Nader, les Américains soutenaient la classe dominante la plus cupide et la plus meurtrière du monde. Ils participaient au choix de l’assassin de masse qui pourrait le mieux couper la gorge des travailleurs du monde entier, y compris la leur.

Cette élection répugnante semble avoir prouvé que le capitalisme américain et sa classe dominante ne pouvaient pas être contestés. Mais la réalité est tout autre. Malgré ses hauts et ses bas momentanés, l’économie est dans une crise profonde, la guerre en Irak promet de devenir un cauchemar pire encore, les éruptions sociales et politiques paraissent imminentes dans le monde entier, et la rivalité entre les impérialistes européens et américains s’approfondit.

Et par son caractère contradictoire, l’élection a montré que les lignes de crête de chaque camp exprimaient la division en classes qui sous-tend la société capitaliste. La haine des travailleurs pour leur patron, avec leurs peurs, leur frustration et leur colère, était évidente juste en dessous de la surface déformée. Comme la crise du système s’approfondit, ce feu qui couve constitue le potentiel pour une lutte explosive de la classe ouvrière. C’est là que se trouve l’espoir que les révolutionnaires voient même dans une élection où un monstre politique a vaincu son frère dans l’âme.

L’impérialisme américain et la classe ouvrière

L’élection portait sur le destin du monde, de la classe ouvrière internationale et des peuples opprimés, mais seuls les Américains ont eu la possibilité de voter. Pris au piège du nationalisme, ceux des travailleurs américains qui ont voté ont choisi uniquement sur la base de ce qu’ils pensaient bon pour eux. Cette façon de voir le monde a semblé si évidemment naturelle que les journalistes bourgeois n’ont même jamais pensé que cela valût la peine de le signaler. Aujourd’hui des millions de personnes dans de vastes régions du monde souffrent de la surexploitation et de la répression du fait de l’impérialisme américain. L’inquiétude concernant le sort des soldats américains en Irak a été un sujet important. Mais le fait que 100 000 Irakiens soient morts pendant le conflit, révélé dans une étude rendue publique peu avant l’élection, a été largement ignoré.

Le nationalisme de la classe ouvrière américaine a des racines réelles. Marx nous a appris que les catégories sociales comme les « classes » ne sont pas des choses, mais des relations. L’ « aristocratie ouvrière » – partie privilégiée de la classe ouvrière qui a temporairement des intérêts matériels dans la préservation du capitalisme – est donc un phénomène relatif. (Et cela ne se limite pas à ceux qui ont des intérêts concrets ; les travailleurs plus pauvres agissent souvent comme ceux de l’aristocratie s’ils aspirent à ce statut.) Il y a une couche significative de la classe ouvrière américaine qui s’est procuré des avantages importants. En particulier, les travailleurs blancs sont dans un rapport d’aristocratie à l’égard de la majorité des travailleurs noirs, hispaniques ou immigrés. Mais dans le même temps, les travailleurs américains dans leur ensemble sont « aristocratiquement » plus à l’aise, et donc plus loyaux envers « leur » système capitaliste et ses intérêts nationaux, que les travailleurs dans la plus grande partie du monde. Ce n’est donc pas un hasard si les travailleurs américains sentent que leur emploi, leur salaire et leurs conditions de vie dépendent d’une Amérique forte, particulièrement aujourd’hui en ces temps de peurs et d’inquiétudes.

Toutefois, la classe ouvrière américaine n’est pas irrémédiablement corrompue. Les travailleurs n’ont jamais obtenu leurs avantages en tendant la main ; ils ont eu à se battre pour eux. Il est vrai que les membres de la classe dominante en ont tiré profit en acquérant une base stable pour exploiter d’autant plus la force de travail mondiale. Cela leur a à leur tour permis de concéder une petite partie de leurs profits pour continuer à acheter les travailleurs d’ici. Mais aujourd’hui la crise économique sape la possibilité qu’a le système de continuer à acheter les travailleurs. Comme les attaques contre les avantages du passé s’approfondissent inévitablement, la classe ouvrière américaine, déjà frustrée, va inévitablement surgir dans une lutte qui révélera que les élections bourgeoises n’étaient en fait qu’une distraction. Les travailleurs qui ont été conduits à penser qu’ils étaient des citoyens de première classe – la « classe moyenne » – deviendront particulièrement virulents quand ils réaliseront qu’ils se sont fait arnaquer.

Divisions dans la classe ouvrière

Les élections de 2004 ont mis en évidence que la scène politique américaine est intensément polarisée. La polarisation fondamentale dans la société capitaliste – entre les capitalistes de la classe dominante et la classe ouvrière – a été exprimée de manière extrêmement déformée. Plutôt qu’un parti réactionnaire de la classe dominante faisant face à un parti progressiste de la classe ouvrière, la politique américaine moderne a toujours présenté deux partis qui servent la minuscule classe dominante et qui doivent donc faire appel, de diverses manières, à la majorité. Aucun des partis ne peut gagner les élections sans une base populaire qui les soutienne parmi les couches intermédiaires des professions libérales, dans la petite-bourgeoisie et surtout dans l’immense classe ouvrière.

La polarisation est devenue plus violente alors que la situation économique s’est dégradée et que la colère populaire a augmenté. Malgré les déclarations de succès de Bush, des millions ont vu des emplois convenables disparaître et les conditions de vie devenir toujours plus précaires. La raison réelle en est que les taux de profit ont chuté sur le long terme, pas seulement pendant la récession de 2000, mais de manière générale tout au long de la période qui a clos le boom de l’après-Seconde guerre mondiale, vers 1968-70. Le repli économique a obligé les capitalistes à se battre contre chacun des autres pour chaque miette de profit qu’ils peuvent arracher aux travailleurs d’ici et de l’étranger. Cela les a poussés à piller leur propre trésor fédéral avec encore plus de rapacité que d’habitude. En particulier, cela a accéléré leurs attaques contre les avantages qu’ils avaient concédés aux travailleurs durant le « New Deal » de Franklin Roosevelt et aux Noirs durant la « Grande Société » (Great Society) de Lyndon Johnson. Par exemple, les salaires moyens, en tenant compte de l’inflation, sont plus bas qu’ils ne l’étaient en 1970.

L’inégalité économique croissante a atteint des niveaux records : le gouffre entre les couches les plus aisées et la majorité est en augmentation. Pour l’illustrer, 1 % de la population la plus riche possédait déjà 20 % de la richesse sociale en 1980 ; sa part a plus que doublé aujourd’hui. Par contraste avec ces richesses, les niveaux de pauvreté, les personnes sans-abri, le chômage, la précarité et les bas salaires, les banqueroutes, les faillites de petites entreprises, sont en hausse. En tête se trouvent les contrastes aigus à l’intérieur de la classe ouvrière. Les ménages blancs ont un patrimoine net médian de 11 fois celui des ménages hispaniques et de 14 fois celui des ménages noirs. Le patrimoine net des Noirs s’est effondré de 16 %, d’abord sous Clinton, puis de manière accélérée sous Bush. Les couches les moins élevées de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie ont également souffert des attaques de ceux qui se gavent de profits.

Le combat de plus en plus brutal au sommet entre les politiciens Républicains et Démocrates reflète la fragilité économique. La folle ruée pour les incalculables millions de dollars versés dans les coffres des deux partis montre les divers intérêts bourgeois cherchant à assurer leurs arrières. La colère à la base, que les politiciens ont jusqu’à présent réussi à détourner de la lutte de classe, enflamme la polarisation à l’intérieur des couches moyennes et, surtout, à l’intérieur de la classe ouvrière.

L’électorat de Bush

Dans ce pays coupé en deux, Bush a eu l’avantage du soutien d’un mouvement religieux d’extrême droite qui s’est construit depuis des décennies. Prenant naissance dans les années 1960 avec les campagnes présidentielles de Barry Goldwater, de George Wallace et de Richard Nixon, il s’est finalement cristallisé comme un bloc électoral dynamique sous Ronald Reagan. Il est composé de protestants blancs du Sud issus de toutes les classes, et de beaucoup d’éléments petits-bourgeois et ouvriers des États du Sud-Ouest et de la Grande Prairie. Malgré une hostilité mutuelle dans le passé, un bloc a également été forgé avec un secteur important de l’aristocratie ouvrière blanche catholique de banlieue en col bleu, ceux que l’on appelle les « Reagan Democrats ».

Un thème central qui a démagogi­quement unifié ces forces disparates a été une forme de racisme populiste dressant la « classe moyenne » et « l’Amérique moyenne » contre les bureaucrates à tendance « de gauche » (liberal) de « l’État providence » et contre les Noirs, auxquels les bureaucrates refileraient, prétend-on, les allocations provenant des taxes payées par les petits hommes d’affaires et les travailleurs blancs. Depuis, quelquefois ouvertement mais le plus souvent à demi-mot, le racisme a été l’outil pour diviser et faire dévier la classe ouvrière. Même si le racisme manifeste a disparu des élections de 2000 et 2004, cela a été évident lors des trucages électoraux républicains en Floride et aujourd’hui dans l’Ohio. C’est encore plus évident dans le fait que les deux partis dans le Sud se divisent presque exactement selon des lignes raciales.

Le noyau dur religieux-réaction­naire-raciste de la base électorale républicaine s’est étendu avec les crises économiques récurrentes. La « menace terroriste » déclenchée par le 11 septembre 2001 a accru ce soutien. Bush II le Texan, en pleine renaissance, a saisi l’opportunité. En 2004, sa base s’est mobilisée encore plus efficacement qu’en 2000, conséquence des coups hardis de Bush vers la droite à la Maison Blanche, et des efforts redoublés de la cabale des prédicateurs et des démagogues radiodiffusés.

Il y a une attitude de classe terriblement pervertie qui sous-tend les croyances individualistes, populistes, racistes et sexistes de la base de Bush parmi les travailleurs. Cela les conduit, comme les couches subalternes de leurs alliés petits-bourgeois, à haïr les gens à tendance de « gauche » (liberals) des classes supérieures et leurs laquais au gouvernement, les sociétés, les médias, Hollywood, les professions libérales et les universités. Ils croient qu’il y a deux sortes de gens riches : ceux qui veulent leur survive et ceux qui favorisent à leurs frais les « classes inférieures » plus obscures encore qu’eux-mêmes. Alors que la famille patriarcale traditionnelle est déjà minée par des salaires en baisse et la nécessité pour les femmes de travailler, les gens à tendance de « gauche » font l’étalage de leur mépris pour les « valeurs familiales » en soutenant le droit à l’avortement, les mères célibataires – et maintenant le mariage homosexuel, rien de moins. À l’opposé, Bush et compagnie semblent vouloir combattre le torrent de dégénérescence dont ils ont si peur. Les couches les plus pauvres de l’électorat de Bush sont mal à l’aise face aux cadeaux financiers qu’il faits à des entreprises corrompues. Mais eux aussi pensent que ce qu’il y a en lui de positif l’emporte sur ce qu’il y a de négatif.

La base de Bush l’a perçu comme un soutien solide pour une Amérique puissante. Ils ont fait un lien entre l’hégémonie américaine dans un monde compétitif et leur propre bien-être. Se sentant sans cesse attaqués et impuissants dans leur vie quotidienne, ils ont voulu au pouvoir un homme tenant tête aux étrangers qui ont osé attaquer et insulter l’Amérique bénie de Dieu. Bush est peut-être trop intime avec les grosses entreprises, mais, selon eux, la crise exige un homme fort muni de réponses fortes aux problèmes difficiles.

L’électorat démocrate

Il y avait une différence extrême­ment significative dans les relations entre les deux grands candidats bourgeois et leur base. Les partisans de Bush l’ont défendu avec enthousiasme et ont voté pour lui, alors que ceux de Kerry n’avaient pas d’affection particulière pour leur candidat : leur loyauté est allée au Parti Démocrate, et ils haïssaient particulièrement Bush. De longue date, les grandes villes et les zones d’industrie lourde dans le Nord-Est, le Midwest et la côte Ouest soutiennent les démocrates. Traditionnellement, le Parti Démocrate a une base parmi les travailleurs immigrés et syndiqués des villes, ainsi que dans la classe moyenne urbaine à tendance « de gauche » et l’intelligentsia. Et, depuis des années, il a gagné une base large et stable dans l’électorat noir. Tous ces secteurs se sentent dépendants du gouvernement dans la pénible bataille pour obtenir des emplois, l’égalité des droits, un revenu décent et des allocations sociales.

Aujourd’hui la classe ouvrière américaine est largement composée de Noirs et de Latinos, mais aussi de personnes originaires du Moyen-Orient et d’Asiatiques, dont beaucoup d’immigrés. Les gens de couleur sentent la poigne mortelle du racisme persistant, qu’ils voient jouer un rôle important dans le bloc républicain. Ils savent qu’ils ne sont pas favorisés par le gouvernement ; ils voient que les dés sont pipés et que le jeu devient toujours plus inégal. Les immigrés comprennent qu’ils ont été autorisés à venir travailler ici pour de bas salaires, c’est pourquoi un traitement égal et juste est une revendication naturelle.

Étant donné la diversité raciale et ethnique dans la force de travail urbaine, il y a une tendance à l’unité dans les confrontations avec les patrons, bien que le racisme et les inégalités flagrantes persistent. Cela demeure fort à cause de l’absence de luttes de masse unifiant la classe ouvrière. Mais la grande industrie crée et maintient des tendances à la coopération ouvrière au travail. De plus, les grandes villes sont des centres de culture et d’information sophistiqués. Et même si les riches profitent le plus de ces conditions, la vie urbaine en elle-même donne aux travailleurs un horizon plus large que celui des habitants des petites villes.

Le fait que dans l’histoire récente ce sont les démocrates qui ont dû concéder des avantages aux Noirs, aux Latinos, aux immigrés et aux travailleurs syndiqués, est un facteur majeur dans l’hostilité de la classe ouvrière urbaine envers les républicains. Conscients des attaques incessantes contre leurs emplois, leurs salaires et leurs allocations, ces travailleurs accusent les grandes entreprises liées à Wall Street et aux républicains. De plus, même si beaucoup des travailleurs en col bleu sont exclus du mouvement anti-guerre des classes moyennes, celui-ci se tourne plus spontanément contre les guerres impérialistes dans les grandes villes qu’ailleurs. Le plus haut degré de conscience de classe, l’empathie raciale pour les opprimés à l’étranger et le fait que beaucoup d’immigrés sont originaires du « tiers monde », encouragent la méfiance envers les actions impérialistes.

Bush lui-même est particulière­ment peu apprécié en raison de ses attaques ouvertes contre les conditions de vie de la classe ouvrière, parce qu’il piétine les libertés civiles et à cause de son dédain pour les droits des femmes et des homosexuels. La classe moyenne et les travailleurs urbains s’opposent de plus en plus à la guerre de Bush. Les travailleurs de couleur ressentent son mépris à peine masqué, malgré son affection pour des Noirs inoffensifs des classes supérieurs comme Colin Powell et Condoleeza Rice. Bush et son colistier Dick Cheney représentent ouvertement les entreprises les plus prédatrices et dirigent un authentique État-providence au profit de leurs vieux copains capitalistes. Leurs liens étroits avec des voleurs comme Enron et Halliburton, nullement inquiétés, constituent un affront supplémentaire.

Les partisans de Kerry, comme ceux de Bush, cherchaient désespérément une issue aux crises intérieures et extérieures qui semblent bien s’amonceler. Eux aussi sentaient que leur bien-être économique dépend de la puissance américaine dans le monde. Eux aussi ont ressenti le 11 septembre comme un énorme affront de la part d’étrangers qui semblaient ne pas connaître leur place dans ce monde ; eux aussi voulaient une réponse forte. Toutefois, ils ne voyaient aucun avantage à s’aliéner les puissances alliées, et ils s’inquiétaient de l’indifférence de Bush eu égard à la montée de l’hostilité contre les États-Unis dans le monde. De plus en plus, ils ont vu l’Irak comme un désastre causé par Bush.

Mais Kerry et les démocrates sont tout autant des instruments de l’impérialisme que Bush et les républicains. Kerry a été coincé entre le sentiment anti-guerre de sa base et son propre besoin de servir avec responsabilité les intérêts capitalistes américains, et donc de soutenir la guerre et l’occupation. Par conséquent, il a bafouillé sur la guerre. Malgré son slogan de campagne « Pour une Amérique plus forte », il a vacillé et a été faible. Pour les raisons que nous mentionnerons ci-dessous, il a été également timoré sur les questions économiques et sociales intérieures, c’est pourquoi ses partisans n’ont jamais pu rivaliser avec l’enthousiasme du camp politique des supporters de Bush.

Le Parti Démocrate : une impasse mortelle

Une augmentation significative dans l’inscription des électeurs a porté la participation à 55 % en novembre, bien au-dessus des 50 % qui avaient caractérisé les récentes élections présidentielles. Normalement, une importante participation signifie que plus de travailleurs à faibles revenus votent, ce qui favorise les démocrates — mais pas cette fois. Bush a remporté pour l’essentiel les mêmes États qu’en 2000, mais il a aussi remporté haut la main le scrutin populaire qu’il avait perdu de peu la dernière fois. La raison en a été la mobilisation plus dynamique des conservateurs, qui a fait la différence dans quelques États chèrement disputés et a permis des marges plus importantes dans ceux déjà gagnés.

À la différence de Kerry, Bush n’a pas eu de scrupules à mobiliser ses partisans. Étant donné leur orientation actuelle, ils ne représentent aucune menace pour la stabilité et encore moins pour le capitalisme. Les cadres de Bush ne perçoivent aucunement le besoin d’actions extralégales ou illégales, car ils sentent qu’ils peuvent obtenir ce qu’ils veulent par les élections. De l’autre côté, Kerry a fait tous les efforts possibles pour ne pas mettre le feu à sa base. Avec Bush confronté à une débâcle en Irak et une économie en crise, les démocrates avaient tous les atouts en main pour l’emporter. Mais quand la classe dominante perçoit une énorme anxiété et une colère qui monte chez les travailleurs de toutes sortes, elle craint les appels populistes incendiaires, les appels à la classe livrée à elle-même. C’est pourquoi, alors que Kerry faisait de son mieux pour mettre l’accent sur les sujets économiques, il a maintenu ses promesses de créer plus d’emplois et d’offrir de meilleures allocations de santé, mais à un niveau modeste et peu enthousiasmant. Bien qu’il ait choisi John Edwards, connu pour sa rhétorique populiste, comme colistier, ils ont mis la pédale douce sur leurs mots d’ordre durant la campagne.

Autre exemple de la loyauté de Kerry à l’égard la classe dominante : le scrutin serré dans l’Ohio, où il restait des centaines de milliers de scrutins à dépouiller, dont beaucoup venant d’électeurs noirs. Ils auraient pu mettre en question la marge de victoire de Bush, mais, plutôt que d’affronter des semaines d’instabilité gouvernementale comme en Floride en 2000, Kerry a rapidement cédé, comme pour assurer à la bourgeoisie que les démocrates sont pour la stabilité.

Généralement, une fraction plus large de la grande bourgeoisie choisit les républicains, à cause de la volatilité latente et de la nature potentiellement anti-capitaliste de la base ouvrière des démocrates. Néanmoins, beaucoup de bourgeois républicains sont méprisants envers la mentalité moralisante anti-scientifique de la petite-bourgeoisie, et réservés envers les travailleurs qui votent pour leur parti, mais ils sont conscients de la division en classes et de l’étouffement de la lutte ouvrière que représente la base de Bush. De même, l’aile « gauche » de Wall Street et ses alliés des classes moyennes choisissent les démocrates comme le parti qui peut le mieux se concilier, contenir et piéger la classe ouvrière, et non l’enflammer.

L’électorat ouvrier des démocrates, organisé au travers des syndicats ou mené par les défenseurs des droits civiques, est resté très peu inspiré pendant la campagne 2004 par un parti qui les craint et leur offre maintenant si peu. L’élection a été une défaite majeure pour la bureaucratie ouvrière, qui a versé des millions de dollars et des ressources énormes dans la campagne démocrate. Les bureaucrates reflètent les intérêts bien compris de l’aristocratie ouvrière la plus aisée. En agissant pour leurs intérêts éphémères dans ce système, à l’opposé des intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble, ils évitent la lutte de masse et choisissent la voie électorale suicidaire. Leur candidat Kerry a obtenu deux tiers des votes des syndiqués, ce qui fait environ un quart de tout l’électorat ; les travailleurs non syndiqués se sont principalement tournés vers Bush.

Au début des années 1970, la classe ouvrière industrielle a commencé à faire éclater ses protestations par une vague de grèves, tantôt sauvages, tantôt officielles, qui ont souvent menacé de déborder. Avec zèle, la bureaucratie ouvrière de « gauche » a conduit les travailleurs en lutte à consumer leurs espoirs en les plaçant en des démocrates qui paraissaient soudainement militants. Depuis, les syndicats ont fui le champ de bataille industriel, ont perdu de nombreux membres et ont transformé l’expression « mouvement ouvrier » en une triste blague. Aujourd’hui, les syndicats ne proposent plus rien aux travailleurs pour sortir de leur situation économique qui s’aggrave.

Il en est de même pour la lutte des Noirs. Dans les années 1960, les éléments à tendance de « gauche » dans l’administration de Lyndon Johnson ont commencé à distribuer des allocations comme concessions aux révoltes, aux émeutes et aux grèves dans les ghettos. Un aspect crucial a été l’extension rapide de la classe moyenne noire, faisant confiance aux emplois et aux programmes du gouvernement, et agissant pour contenir, désamorcer et dévier la lutte de masse dans l’impasse mortelle du Parti Démocrate. Le nombre d’élus noirs démocrates – particulièrement les maires dans les villes explosives de seconde zone – a énormément augmenté. Arrivant juste à temps pour diriger l’ébranlement lent, mais régulier, des avantages économiques et sociaux des Noirs, ils ont aidé à décourager les masses prêtes à se soulever, d’une façon que les politiciens blancs n’auraient pas pu accomplir seuls.

Le mouvement des femmes a connu un destin similaire. Dans la mesure où ses dirigeantes des classes moyennes s’empêtraient dans la politique démocrate, elles ont rapidement immobilisé et trompé leur base. Ainsi la campagne anti-avortement a-t-elle pris de la vitesse jusqu’à mettre en danger la décision emblématique de la Cour Suprême Roe contre Wade. Et maintenant la quête pour l’égalité des femmes est noyée sous le déluge de la propagande misogyne des « valeurs familiales ».

En l’absence de luttes majeures des ouvriers, des Noirs ou des femmes, la droite dure est apparue comme la seule alternative affirmant avoir des réponses pour des Américains déboussolés. Le domptage des révoltes ouvrières dans les ghettos et dans l’industrie, plutôt que de calmer la réaction de droite, lui a donné du grain à moudre. La riposte des Blancs contre les acquis des Noirs s’est accélérée, et la « révolution républicaine » radicale populiste s’est développée à mesure que la crise s’approfondissait – grâce aux démocrates et à leurs soutiens dans les « mouvements ».

Le dernier exemple de trahison d’une lutte militante est celui du mouvement anti-guerre. De manière scandaleuse, il est passé rapidement des rues au Parti Démocrate, et a accepté comme son champion un Kerry pourtant favorable à la guerre. Les leaders social-pacifistes de la classe moyenne n’ont pas seulement capitulé face au rouleau compresseur « N’importe qui sauf Bush », mais ils ont aussi adopté la stratégie « ne faisons pas de vagues » et ont pratiquement gardé le silence sur la guerre. Honteusement, l’horreur d’Abu Ghraib révélée en avril et le premier massacre de Falloudjah en mai, n’ont été dénoncés par aucune action de masse. Cela a permis à Kerry de tomber encore plus vers la droite, promettant non seulement qu’il « maintiendrait le cap » en Irak mais aussi qu’il mènerait cette guerre et d’autres avec plus de compétence que Bush.

Les différences entre Bush et Kerry

Les deux partis et leurs candidats représentent le capitalisme impérialiste américain, mais pas forcément de la même façon. Ils reflètent différents secteurs de la classe dominante américaine et l’attitude de leurs bases électorales. Mais cette fois les besoins de l’impérialisme n’ont laissé qu’une faible marge de manœuvre. Un fait apparemment discordant au sein de cette élection farouchement polarisée a été que, derrière les insultes, les programmes des deux candidats étaient très proches sur des sujets cruciaux comme la guerre en Irak, la « guerre contre le terrorisme » et des aspects majeurs de l’économie. Et alors que d’importantes différences existaient sur les sujets sociaux, les deux concurrents ne se sont pas opposés frontalement sur ces questions.

Étant donné l’engagement de Kerry à maintenir le cap impérialiste sanglant en Irak, l’élection n’a d’aucune manière pu servir de référendum sur le sujet le plus immédiat auquel sont confrontés les États-Unis et le monde. Kerry partage la « doctrine de Bush », selon laquelle les États-Unis ont le droit de mener des attaques unilatérales et préventives contre n’importe quel pays —  politique en fait initiée par l’ex-président Clinton en Yougoslavie et pendant la campagne de 12 ans de bombardements contre l’Irak, qui ont conduit à l’invasion actuelle. Les deux candidats impérialistes ont menacé d’utiliser la force militaire contre l’Iran et le Venezuela. Bien sûr, tous deux ont approuvé l’escalade dans la répression d’Israël contre les Palestiniens. Il y avait des différences quant à la tactique, avec un Kerry favorable à une approche plus amicale vis-à-vis des puissances impérialistes européennes, alors que Bush penchait pour les rudoyer. Les deux voulaient qu’elles acceptent le maintien de la domination de Washington.

À l’intérieur, la question des emplois décents, des salaires et de la protection santé qui dominait les luttes quotidiennes de millions d’Américains a été traitée de manière rhétorique, sans réponse concrète. Les différences étaient réelles, mais moins profondes que les électeurs étaient amenés à le penser. Les réductions d’impôts pour les riches, mises en avant par Bush, affichaient ouvertement ses intérêts de classe. Kerry a été plus subtil : son insistance pour équilibrer le budget fédéral comme priorité intérieure principale, signifiait que même ses modestes promesses étaient proches du vide. Aucun effort n’a été fait pour mobiliser le soutien de la classe ouvrière avec un mot d’ordre en faveur de l’aide médicale universelle. Il n’y avait aucun mot d’ordre pour des travaux publics et pour les emplois qui iraient avec. Il n’y a pas eu de croisade de Kerry contre les copains de Bush, connus pour leurs fraudes dans les entreprises. De tels appels auraient pu électriser la base de Kerry, mais auraient violé la loyauté fondamentale des démocrates envers le capital – à un moment où le système doit réduire les allocations données aux travailleurs, non les augmenter.

Comme la plupart des politiciens démocrates, Kerry a soutenu le Patriot Act de Bush, tout comme il avait approuvé les lois racistes de Clinton sur les drogues et l’extension de la peine de mort. Mais Bush et Kerry sont en désaccord sur des points « moraux » et sociaux significatifs. Kerry a défendu le droit à l’avortement, la recherche de cellules souches et s’est opposé à Bush sur un amendement constitutionnel interdisant les mariages homosexuels. Les deux candidats étaient favorables à des « unions civiles », par opposition avec les mariages homosexuels. Cela a été largement et correctement compris comme une tentative de Kerry de faire encore une autre concession à la droite.

Pendant que Bush se dressait de manière intransigeante en faveur de son programme conservateur radical très dur, Kerry vacillait du mieux qu’il pouvait vers la droite. Cela a été fait pour rassurer Wall Street et pour essayer d’arracher des votes du centre et de la droite. Au final, Kerry a peut-être gagné une petite poignée « d’électeurs hésitants », mais il n’a pas seulement échoué à détourner un pan significatif de la base de Bush : il n’a fait que paraître plus hésitant et opportuniste – et n’a pas inspiré la base démocrate.

La capitulation réussie des dirigeants syndicaux pour étouffer les actions de masse de la classe ouvrière, couplée à la trahison des leaders des « mouvements » qui a tué les mobilisations et les protestations de masse, ont été les clés de la campagne. Elles ont permis à Kerry d’évoluer vers la droite en promettant peu à ceux qui le soutenaient, et qui ont senti qu’ils n’avaient nulle part ailleurs où aller. Kerry a dû s’avancer un peu sur la guerre et sur l’économie d’un côté, et se positionner pour quelque chose de vaguement progressiste sur les questions sociales de l’autre, pour conserver ses soutiens électoraux. Mais dans le déchirement sur la question de la guerre entre sa propre classe capitaliste et sa base électorale, il a ressenti peu de pression de la part de ses partisans démobilisés. On peut en dire autant du réalisme délirant des leaders des « mouvements » de la gauche (left).

Au final, la différence entre Bush et Kerry a été que Bush s’est, quant à lui, prononcé pour quelque chose – une Amérique forte qui prétend défendre les Américains blancs, aussi bien les travailleurs que les riches. Les démocrates ont fait un signe vers la droite sans convaincre, et ont représenté l’indécision incapable. Les travailleurs de plus en plus désespérés n’auront aucune alternative pour sortir de situations qui empirent jusqu’à ce que notre classe construise son propre parti révolutionnaire.

L’extrême gauche pro-impérialiste

Bush affirme que sa victoire prouve que les Américains soutiennent sa politique. C’est un mensonge : une majorité dit aujourd’hui que la guerre en Irak n’était pas justifiée ; une majorité pense que Bush les a frappés économiquement. Les 55 millions qui ont voté pour Kerry n’approuvent pas davantage son soutien insistant à la guerre ou les conséquences de son mot d’ordre en faveur d’un budget équilibré. Le fait que des millions de travailleurs aient voté pour des candidats anti-ouvriers et pour le massacre impérialiste de leurs frères de classe hors des frontières, témoigne de l’ironie tragique de la politique américaine.

En la matière, une lourde respon­sabilité échoit aux John Sweeney et aux Jesse Jackson, aux Al Sharpton et aux Andy Stern – les dirigeants pro-démocrates traîtres des organisations de la classe ouvrière et des masses noires opprimées, qui ont conduit une fois de plus ceux qui les avaient suivis à la défaite. Mais une bonne partie de cette responsabilité revient aussi aux leaders de gauche de moindre niveau et aux organisateurs anti-guerre qui les ont suivis. La liste de ceux qui ont soutenu Kerry et qui prétendent en même temps haïr l’impérialisme, ressemble à un Who’s Who de la « gauche radicale » (radical left). Elle inclut Michael Moore, Noam Chomsky, Tariq Ali, Howard Zinn, Doug Henwood, Immanuel Wallerstein, éditeurs de magazines aussi variés que New Politics, Z et Social Anarchism et dirigeants de groupes socialistes pseudo-révolutionnaires comme Solidarity. Il y a eu aussi les groupes comme le Communist Party, les Committees of Correspondence, les Democratic Socialists of America et les Freedom Road Socialists qui ont régulièrement franchi la frontière de classe. (Nous avons détaillé le rôle de capitulation de la branche pro-Nader de la gauche dans des numéros précédents.)

Apres la défaite de Kerry, beaucoup dans cette drôle de gauche ont dénoncé ceux d’entre nous qui sont restés fidèles à notre classe et à ses intérêts révolutionnaires. Nous sommes supposés être responsables des attaques qui seront menées par Bush. Bien sûr, si leur candidat avait gagné, ils auraient eu à partager la responsabilité des attaques de Kerry contre les travailleurs dans le monde entier. Ils ont déjà du sang sur les mains parce qu’ils aident à maintenir le mythe au nom duquel élire un président impérialiste serait une réponse, même partielle.

Comme communistes authentiques, nous regrettons de ne pas avoir été assez forts pour présenter un candidat qui aurait dit ouvertement la vérité : que la classe ouvrière ne peut accomplir ses buts que par la révolution socialiste, non par le piège mortel des élections. L’action de masse et la menace de soulèvements potentiellement révolutionnaires sont les seules voies par lesquelles les exploités et les opprimés ont obtenu des avantages tangibles. Les travailleurs ont besoin d’un parti de masse, mais d’un parti comme le nôtre : un parti pour représenter nos intérêts historiques réels comme nos besoins immédiats est un parti révolutionnaire.

Aujourd’hui, seule une poignée de travailleurs radicaux et d’opprimés reconnaissent ces besoins et ces tâches. Un nombre plus important peut être gagné et passer du soutien pour les démocrates en se bouchant le nez, au combat pour le communisme authentique. Ce petit groupe de travailleurs est crucial ; ils constituent le noyau du futur parti révolutionnaire ouvrier de masse qui doit être construit sur des bases politiques fermes, dès maintenant. Ce qui passe pour une gauche en Amérique aujourd’hui est également petit, mais mortifère : elle en appelle aux mêmes couches de travailleurs et de militants avancés et radicalisés – et contribue à leur faire se couper la gorge en votant pour les démocrates.

Alors que la crise économique et politique va inévitablement empirer à travers le monde, nous devons combattre pour une voie révolution­naire et pour la re-création d’un authentique parti prolétarien internationaliste et interracial. Ce que Bush, son nationalisme radical et ses réponses chauvines utilisent pour attirer sa base frustrée aujourd’hui, n’est qu’un avant-goût de ce qui va arriver. Les démocrates vacillants et sans solution à proposer sont les meilleurs recruteurs pour les cadres de droite. Les révolutionnaires doivent combattre pour une alternative ouvrière authentique qui soutienne les actions de masses militantes, y compris les grèves générales, pour se défendre des assauts capitalistes. De telles actions peuvent rassembler des travailleurs ayant des vues politiques diverses dans la bataille, y compris des travailleurs qui ont voté pour Bush, et aider à unifier la classe ouvrière. De telles luttes apprennent ce qu’est le pouvoir de la classe ouvrière unie comme alternative aux politiciens bourgeois. Elles peuvent mener la conscience de classe à de nouveaux sommets – si les révolutionnaires font leur travail, disent la vérité dans le cours de la lutte et, par là même, aident à vaincre le réformisme contre-révolutionnaire.

L’alternative socialiste révolution­naire

Ironiquement, les révolutionnaires sont les meilleurs pour les réformes et la défense des avantages immédiats sous le capitalisme. Quand les réformistes et les démocrates à tendance « de gauche » disent que le plein emploi et les hauts salaires pour tous pourront être gagnés solidement dans le cadre du système, ou que les guerres, le racisme et le nationalisme pourront être éliminés en faisant l’économie de la destruction du système, ils falsifient la réalité. Le capitalisme dépend d’une armée de chômeurs pour faire pression vers le bas sur les salaires. Ses profits dépendent de l’exploitation toujours accrue des travailleurs. Il ne peut pas exister sans opposer les races aux races, les nations aux nations, dans une guerre sans fin de tous contre tous.

Les communistes révolutionnaires combattent pour la défense de la classe ouvrière et pour de nouvelles avancées, parce que les victoires aident les travailleurs à survivre et que la lutte de masse apprend à notre classe son pouvoir social. À chaque fois que nous combattons avec des camarades pour des objectifs immédiats, quelles que soient leurs illusions présentes, nous disons la vérité : il faudra une révolution, pas seulement des réformes, pour accomplir nos intérêts de classe. Une société d’abondance, où l’humanité n’aurait plus à craindre la pauvreté et les horreurs qui y sont associées, demande que notre classe domine, pas les capitalistes.

Par exemple, nous combattons toute manifestation de racisme. Nous mettons en avant le fait que la division raciste de la société américaine est le fondement de la domination des capitalistes qui divisent pour régner dans ce pays. C’est la cause fondamentale de la division suicidaire de la classe ouvrière entre les camps de Bush et de Kerry. À mesure que les conditions économiques vont empirer, le racisme ouvert va inévitablement revenir au premier plan des attaques bourgeoises. Notons combien de réformistes – y compris les dirigeants traîtres noirs – mettent en avant des revendications inoffensives sur l’égalité raciale pour « construire l’unité des travailleurs » ; une fois de plus ils s’en tiennent au terrain juridique au lieu de dire carrément cette vérité que rien de progressiste ne pourra survenir en Amérique sans détruire la frontière de caste raciste.

Autre exemple : les travailleurs veulent évidemment des emplois avec un salaire décent. Les révolutionnaires se battent pour du travail pour tous et un programme de travaux publics. Nous en appelons à une échelle mobile des heures qui divise le travail nécessaire entre tous les travailleurs disponibles. Nous combattons pour cela aujourd’hui, mais nous mettons en avant qu’une telle mesure pourtant si rationnelle ne pourra se produire que dans un État ouvrier. Aujourd’hui, les travailleurs voient avec raison l’introduction de technologies économisant le travail comme une menace pour leurs emplois. Dans un État ouvrier, de telles avancées seront les bienvenues pour les travailleurs, parce qu’elles produiront plus de biens et diminueront leur peine à la tâche – et donc amélioreront doublement les conditions de vie pour tous.

L’histoire de l’humanité est centrée autour de l’histoire de la lutte pour survivre dans un monde de disette. Pendant des millénaires, l’humanité n’a pas pu produire assez pour fournir de manière assurée la nourriture, le logement et l’habillement indispensables pour tous. Cela a conduit à une société de classes, où la masse des ressources allait aux dirigeants, pendant que les classes productrices vivaient dans le besoin. Les guerres, la privation et l’oppression qui visaient à sécuriser les parts supplémentaires de ressources rares étaient inéluctables.

L’avènement du capitalisme a signifié que, pour la première fois, l’accumulation des biens et des moyens de les produire était parti intégrante du système ; par les moyens les plus brutaux, le capitalisme a utilisé une classe ouvrière moderne à côté d’autres forces de production avancées. Par la conquête et le commerce, il s’est répandu dans le monde entier. Pour la première fois dans l’histoire, il devint possible de produire en abondance et par là même de commencer à débarrasser le monde de la domination de classe et de ses inévitables guerres, de ses chauvinismes de nation, de race ou de sexe, de la privation et des fléaux.

Toutefois, ce qui a conduit les capitalistes à accumuler consiste dans les profits tirés de la force de travail du vaste prolétariat. L’abondance éliminerait le profit. C’est pourquoi le système lui-même est devenu l’obstacle principal au progrès. Du temps de la Première Guerre mondiale, le système est devenu l’impérialisme, une forme réactionnaire du capitalisme surexploitant et pillant la plus grande partie du monde au profit de quelques-uns. Les guerres pour la domination et pour la conquête sont devenues massives et toujours plus destructrices. La privation fut endémique une fois de plus ; le racisme et le chauvinisme national sévirent. Même dans les pays avancés économiquement, quand l’économie arrivait inévitablement en surproduction, la crise liquidait les gains. Toutes les horreurs de la disette empiraient quand les capitalistes étaient en compétition et se faisaient finalement la guerre pour des profits en baisse. Et quand les guerres s’achevaient, les impérialistes victorieux remettaient en place leur système mondial de répression et de surexploitation.

Toutefois, le capitalisme a maintenant créé une classe ouvrière internationale adulte. Quand les travailleurs prendront le pouvoir et dirigeront le monde, nous planifierons la production pour obtenir des biens en abondance, non la recherche de profits qui maintient la disette et la division. Une société socialiste est maintenant à l’ordre du jour. Elle ne viendra que par la prise du pouvoir par la classe ouvrière et la fin de la domination capitaliste. Quand la société conduite par les travailleurs s’approchera de ses buts, la société de classes – l’exploitation et l’oppression d’êtres humains par d’autres êtres humains – sera liquidée. Les racines économiques de la guerre, du chauvinisme national et du racisme seront détruites.

Une société sans classes naîtra alors, qui ne connaîtra aucune de ces idioties sociales pestilentielles. Alors enfin, l’humanité aura la liberté et les moyens de s’occuper de ses affaires, les seules qui comptent : la réalisation de notre culture, l’avancée de notre développement collectif et individuel, et la compréhension de notre monde.

Il n’y a qu’un parti que le noyau de travailleurs américains d’aujourd’hui doit commencer à construire et à soutenir : le futur parti révolutionnaire des travailleurs qui ont une conscience de classe. Nous n’avons pas besoin de sauveurs condescendants : il sera ouvrier, interracial et internationaliste — une section de la Quatrième Internationale recréée, le parti mondial de la révolution socialiste !


Le CRI des Travailleurs n°16     << Article précédent | Article suivant >>