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Le CRI des Travailleurs n°9     << Article précédent | Article suivant >>

... et se donner les moyens d'une véritable alternative politique en rassemblant les forces pour un nouveau parti communiste révolutionnaire internationaliste


Auteur(s) :Laura Fonteyn, Ludovic Wolfgang, Frédéric Traille
Date :15 novembre 2003
Mot(s)-clé(s) :France, directions-syndicales, extrême-gauche
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Mais cette orientation elle-même pose en réalité rien de moins que la question de l’alternative qui permettra seule de rompre réellement avec la logique de cette politique, qui est sur le fond la même quand le PS et la « gauche plurielle » sont au pouvoir. Car même la simple résistance sociale, et à plus forte raison la lutte pour la satisfaction des revendications et des aspirations de la majorité en France et dans le monde, n’exigent pas seulement de s’opposer aux mesures du patronat et du gouvernement ; et elles n’imposent pas seulement de dénoncer les bureaucrates syndicaux, d’exiger que les organisations syndicales servent à ce pour quoi elles sont faites, c’est-à-dire à la défense indépendante des intérêts particuliers de travailleurs dans et par la lutte de classe ; mais elles rendent également nécessaire la construction d’une alternative politique qui soit à même d’aider les travailleurs, l’immense majorité, à rompre réellement avec le capitalisme. Or la construction d’une telle perspective implique et suppose la construction d’un parti politique des travailleurs et des opprimés, un parti réellement communiste, donc révolutionnaire et internationaliste.

L’alternative n’est pas à chercher du côté du FSE…

Nous avons montré dans le dernier numéro du Cri des travailleurs que le cadre et les dirigeants du Forum social européen (FSE) qui s’est tenu en région parisienne du 12 au 16 novembre étaient à l’opposé de toute véritable perspective de rupture avec le capitalisme, constituant au contraire une nouvelle sainte-alliance réformiste et collaborationniste. C’est ce que s’est attaché à dénoncer le tract recto-verso du Groupe CRI, diffusé à 10 000 exemplaires à l’entrée des réunions du FSE et dans la manifestation de clôture du 15 novembre. Bien sûr, notre tract, très remarqué, n’a pas toujours été très apprécié par les organisateurs… Nos équipes de diffuseurs ont cependant pu discuter, à Paris-La Villette, à Saint-Denis, à Bobigny et à Ivry, avec des dizaines de jeunes et de militants qui participaient au FSE avec plus ou moins d’illusions selon les cas, mais qui ont bien souvent été intéressés par nos analyses, achetant parfois notre journal, même quand ils ne partageaient pas notre point de vue (1).

Le FSE proprement dit n’a pas connu un grand succès. Le nombre de participants n’a pas dépassé les espérances des organisateurs (moins de 40 000 entrées), et ceux-ci ont reconnu un important déficit financier, qu’ils ont expliqué par la forte présence de jeunes payant le tarif minimum. De fait, les participants français au FSE étaient, dans leur écrasante majorité, ou bien des jeunes (lycéens et étudiants pour la quasi-totalité) plus ou moins encadrés par les organisations, ou bien des militants politiques, syndicaux et associatifs expérimentés (avant tout CGT, FSU, SUD, PCF, LCR, sans oublier ceux du PS (2)). Quant aux étrangers, qui ont représenté sans doute un bon tiers des participants et sont venus en délégation, ils étaient pour la plupart des militants syndicaux et politiques, notamment d’extrême gauche, d’ailleurs beaucoup plus radicaux en général que les Français.

... le FSE, soutenu par tout le monde... mais boudé par le peuple !

Autant dire que le FSE n’a pas rassemblé les masses prolétariennes, comme il fallait d’ailleurs s’y attendre, y compris parmi les habitants des villes participantes, malgré la propagande en sa faveur qu’ils ont dû subir pendant des mois au prix de leurs impôts. La manifestation du 15 novembre a certes rassemblé près de 100 000 personnes (selon les organisateurs), mais cela ne change pas réellement le diagnostic : le FSE parisien est resté très en deçà de ses grands frères de Gênes et de Florence, et a manifestement marqué un premier plafond dans le développement du mouvement altermondialiste parti de Seattle en 1999, et de mieux en mieux encadré par les forces politiques réformistes traditionnelles, notamment les syndicats, les PC (français, italien espagnol, scandinave…) et ATTAC — les « révolutionnaires » ou prétendus tels étant très minoritaires parmi les organisateurs et nourrissant le vain espoir de « rougir » le cadre du FSE tout en coexistant bien gentiment avec les bureaucrates réformistes…

Le caractère très mitigé du succès du FSE ne tient évidemment pas au manque d’informations des masses à son sujet ! Il a tout au contraire bénéficié d’une couverture médiatique incroyable : impossible d’allumer sa radio ou sa télévision, d’ouvrir son journal, sans être aussitôt bombardé d’informations sur les « séminaires », « forums » et autres « grands débats » de toutes sortes qui se tenaient au FSE, sans oublier naturellement les prises de parole de la coqueluche des médias, José Bové. Et ce n’est pas tout. Non seulement, comme nous le dénoncions dans notre dernier numéro et dans notre tract, le gouvernement Chirac-Raffarin a abondamment financé le FSE, mais encore le ministre de l’Éducation nationale Luc Ferry a royalement accordé aux enseignants la possibilité de ne pas assurer leurs cours pour s’y rendre, tandis qu’on a vu, à Saint-Denis ou Bobigny, des lycéens, stylo à la main, chargés par leurs professeurs altermondialistes, au mépris de toute déontologie, d’assister à des conférences, de remplir des questionnaires ou de mener enquête... Enfin, dans la classe politique, tout le monde s’est dit altermondialiste. On a appris du renégat Henri Weber que le si présidentiable Fabius en personne « prend très au sérieux l’altermondialisme »… De son côté, le chef économiste de la Banque mondiale, François Bourguignon, a expliqué que « la Banque mondiale partage sur le fond » le même objectif que le FSE (La Tribune, 13 novembre). Et le porte-parole du gouvernement Raffarin, Jean-François Copé, a indiqué : « Les préoccupations exprimées face aux enjeux de la mondialisation sont tout à fait légitimes » (Libération, 13 novembre). Enfin, rappelons que Chirac lui-même avait annoncé, peu avant le FSE, la mise en place d’un groupe de travail pour réfléchir à un outil financier international — genre taxe Tobin — dans lequel Nikonoff, président d’ATTAC n’a pas hésité à s’engouffrer immédiatement…

Mais alors, faut-il considérer que le succès mitigé du FSE soit dû à une sorte de « récupération » du mouvement ? Les masses l’ont-elles snobé parce que, de Fabius à la Banque mondiale en passant par le si « généreux » gouvernement Chirac-Raffarin, une attention bienveillante s’est manifestée à l’égard du FSE ? En un sens, ce n’est pas faux. Cependant, il faut bien voir que cette « récupération » est le produit fatal de la nature même de l’altermondialisme et du Forum social réformiste. En effet, avant tout interclassiste, regroupement de bonnes volontés pour une « dynamique citoyenne », le mouvement altermondialiste peut aisément devenir un moyen pour la bourgeoisie de détourner les perspectives de la lutte de classe vers un humanisme vague, « citoyen » et « alter » (3). Les partis de la gauche plurielle étant désormais discrédités après avoir montré à l’envi combien ils pouvaient mettre en place sans vergogne une politique de droite, tous les prétendus altermondialismes sont les bienvenus pour faire œuvre de soupape de sécurité, happant notamment bon nombre de jeunes, révoltés par le système et qui cherchent leur voie politique.

C’est justement pour cette raison que les principaux tenants de l’altermondialisme récusent la notion même de parti : il ne s’agirait pas que ces travailleurs et ces jeunes s’organisent politiquement, construisent leurs organisations révolutionnaires seules à même de combattre réellement le système, qui est quant à lui très organisé en face d’eux. Patrick Braouezec, député et maire PCF de Saint-Denis, exhorte ainsi à « échanger des expériences, constituer des réseaux de résistance, penser des alternatives à gauche » (4) et à abandonner la « forme parti » propre selon lui aux XIXe et XXe siècles...

Et du côté de la LCR, de LO, du PT ?

Faut-il alors se tourner, pour trouver la voie de l’alternative politique, donc du parti, vers les organisations qui se réclament encore du socialisme et de la révolution ?

La LCR 100% altermondialiste…

La LCR a joué un rôle important dans l’organisation du FSE, où elle s’est efforcée d’investir la plupart de ses 2700 adhérents. Pour l’occasion, elle a diffusé chaque jour un supplément quotidien de huit pages à Rouge, supplément tiré à chaque fois à 35 000 exemplaires et diffusé gratuitement (à titre de comparaison, rappelons que Rouge hebdomadaire, qui tire officiellement à 6 000 exemplaires, est vendu en réalité péniblement à moins de 3 000 selon nos informations, les militants de la LCR eux-mêmes étant très peu nombreux à trouver ce journal intéressant — et on les comprend, tout en s’étonnant que si peu en tirent les conséquences…). Autant dire que la LCR a « mis le paquet » pour se faire connaître des participants du FSE. Nous n’aurions évidemment rien à objecter à cela, s’il s’était agi d’aider ainsi à la construction d’une véritable organisation communiste révolutionnaire. Mais tel n’a absolument pas été le cas.

En effet, la ligne de la LCR au FSE est assez bien résumée par Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, qui ne dit finalement pas autre chose que Braouezec, quand il déclare lors d’un forum : « Les associations, les mouvements sociaux doivent rester la colonne vertébrale du mouvement contre la mondialisation libérale. » D’ailleurs, « Olivier » a été « très applaudi » pour cette intervention, nous apprend le Rouge quotidien spécial FSE du 15 novembre... Dans le même journal, la LCR explique à ses lecteurs qu’ « être révolutionnaire, c’est vouloir changer ce monde ». Autant dire que les organisateurs du FSE, qui disent tous vouloir « un autre monde », sont des révolutionnaires, ou tout comme… Dès lors, pourquoi serait-il nécessaire de s’en démarquer politiquement, sauf sur le mode de la nuance ? La LCR précise : il s’agit d’ « aider aujourd’hui au développement d’une gauche radicale dans les luttes et dans les urnes ». Diable ! Tout un programme… Quant à la « Quatrième Internationale », dont la LCR se dit la section française, elle devient « un regroupement international de révolutionnaires ». On n’en saura pas davantage. Mais on comprend pourquoi, lors de son dernier congrès, la LCR a abandonné dans ses statuts la référence à la dictature du prolétariat : le pouvoir de la majorité sur la minorité, la démocratie des soviets, voilà une perspective qui devenait gênante pour une ligne résolument altermondialiste qui ne voit que des nuances entre les réformistes et les « révolutionnaires ». Mieux vaut rester sagement « 100% à gauche » pour attirer tout ce qui bouge, le « mouv » quoi.

... et 35 000 fois menteuse

En revanche, Rouge est bien plus disert quand il s’agit… de mentir éhontément à ses 35 000 lecteurs et à ses propres militants. Car le Rouge quotidien du 14 novembre a propagé à 35 000 exemplaires un mensonge éhonté, tout à fait révoltant de la part d’un journal et d’une organisation qui se disent révolutionnaires. On peut y lire, en dernière page, une interview de Joao Machado, présent en France à l’occasion du FSE, qui est l’un des dirigeants de l’organisation-sœur de la LCR au Brésil, le courant Démocratie socialiste (DS) du Parti des travailleurs qui est actuellement au gouvernement. La rédaction de Rouge prétend en manchette que DS « participe, aux côtés des mouvement sociaux, aux mobilisations contre la dérive droitière du gouvernement ». Premier mensonge, par omission : la rédaction de Rouge ne rappelle pas que, dans ce gouvernement de Lula siège un dirigeant de DS, Rossetto, ministre de la réforme agraire ! Bien sûr, elle révèle encore moins la véritable politique de ce gouvernement et de Rossetto en particulier, qui est bien pire qu’une simple « dérive droitière » (sur ce point et la manière dont la direction de la LCR couvre DS en tronquant les faits, cf. déjà le précédent numéro du Cri des travailleurs).

Mais ce n’est pas tout. Sans être rectifié par la rédaction de Rouge, Machado déclare (répétant, cette fois par écrit, ce qu’il avait déclaré lors d’un meeting de la LCR le 6 novembre) : « La menace de la majorité [c’est-à-dire du courant de Lula, NDR] d’exclure du PT quatre parlementaires, membres de la tendance Démocratie socialiste (DS), apparaît d’autant plus absurde. Il s’agit de trois députés ayant voté contre la réforme des retraites à la Chambre des députés, et de la sénatrice Heloisa Helena, qui a annoncé qu’elle voterait contre. Il faut y ajouter le député Walter Pinheiro, également membre de DS, qui s’est abstenu lors du premier vote, a voté contre lors du deuxième, et a déjà été puni de soixante jours de suspension (...).. » Lisant ces lignes, tout lecteur normal, et notamment un participant lambda du FSE qui ne lit pas les journaux brésiliens, en conclut que les députés de DS se sont courageusement opposés à la réforme des retraites de Lula, n’hésitant pas à risquer de lourdes sanctions pour respecter la volonté populaire — et, réciproquement, que les députés qui se sont opposés à cette réforme sont tous membres de DS. Dès lors, ne faut-il pas rejoindre une organisation qui se bat correctement contre le gouvernement bourgeois de Lula, qui a des députés et qui, en France, est assez puissante pour tirer pendant plusieurs jours un journal quotidien, gratuit à 35 000 exemplaires ?

Or Machado trompe délibérément ses lecteurs. En réalité, aucun député de DS n’a voté contre la réforme des retraites de Lula lors du premier vote ! Et les trois seuls députés du PT qui aient voté contre dès le premier vote n’appartiennent pas au courant DS, mais à d’autres courants du PT (Baba, membre du courant Convergence socialiste des travailleurs) ou à aucun courant (Luciana Genro et João Fontes). En réalité, lors du premier vote, les députés de DS ont les uns voté pour la réforme (c’est le cas de six d’entre eux, sans compter les six autres élus avec eux sur la liste « Un autre monde est possible, un autre Brésil est urgent ») et les autres se sont abstenus (c’est le cas de deux d’entre eux, dont l’un a finalement voté lui aussi pour la réforme lors du deuxième vote, par crainte de sanctions, tandis que l’autre Walter Pinheiro, votait finalement contre). Quant à Heloisa Helena, elle est bien sénatrice de DS, mais c’est contre l’avis de la direction de DS et de ses collègues députés qu’elle s’est battue corps et âme contre cette réforme, subissant les pressions et les menaces de la part de la direction du PT et ne recevant en fait guère de soutien de la part de ses propres camarades de DS, contrairement à ce que fait croire Rouge.

Certes, on peut être en désaccord avec les analyses que nous avons publiées notamment dans notre dernier numéro : c’est le cas de certains militants de la Ligue avec qui nous discutons — même s’il faut noter que la quasi-totalité d’entre eux se disent contre la participation de DS, à travers son ministre Rossetto, au gouvernement de Lula (ce qui ne veut malheureusement pas dire qu’ils engagent un combat politique sur cette question fondamentale dans leur propre organisation...). En revanche, est-il acceptable, pour les militants de la LCR et les lecteurs de Rouge, que la direction de la LCR pousse sa couverture de la politique de DS, de Rossetto et de Machado jusqu’à mettre son journal à la disposition de leurs mensonges éhontés ?

Décidément, ce n’est pas de ce côté-là, ce n’est pas du côté de ces « altermonsialistes » qui, dans la pratique, sont les députés-suppôts de Lula, voire ministre de ce gouvernement bourgeois, ce n’est pas du côté de la LCR qui couvre et cautionne la politique de ses camarades brésiliens, qu’il faut chercher la voie de l’alternative politique révolutionnaire.

LO n’a toujours rien à proposer…

De son côté, Lutte ouvrière fait miroiter aux lecteurs de son journal et à ses militants le grand soir et les lendemains qui chantent, sans avancer la moindre proposition concrète d’action, d’organisation, de mobilisation, elle qui s’est refusée pendant tout le mouvement de mai-juin à parler de la nécessité de la grève générale interprofessionnelle. La plupart des éditoriaux d’Arlette Laguiller, et bon nombre d’articles du journal Lutte ouvrière, se terminent en queue de poisson par un bien flou « un jour, cela changera », en gros les travailleurs se réveilleront, feront bien peur au patronat, qui sera obligé de faire quelques concessions. « [Le monde du travail] pourrait bien finir par mordre la main qui s’efforce de lui faire avaler ces pilules amères », écrivait par exemple Arlette Laguiller le 10 octobre 2003. Et d’ici là ? Quelles luttes, quel programme ? C’est ce que l’on n’apprendra pas…

... qu’un accord purement électoral avec la LCR

De fait, c’est bien cette absence totale de perspective politique et de mots d’ordre de transition qui ressort dans toute sa splendeur des tractations entre LO et LCR et finalement de l’accord électoral conclu entre elles. « Électoral », l’accord l’est en effet, il n’est même que cela. À aucun moment, dans leurs échanges de correspondance (publiés notamment dans Lutte de classes n°75 d’octobre 2003), dans les articles consacrés à ce sujet dans leur presse, n’est intervenue une véritable discussion politique qui aurait pu déboucher sur un programme précis, fondé sur la méthode de la transition, défendant des revendications concrètes, à drapeau socialiste déployé. Au lieu de cela, on les a vues se quereller pour de médiocres et mesquines questions politiciennes (qui sera tête de liste ? comment se répartir les régions ?…). De fait, il n’était pas facile de concilier la ligne « altermondialiste » à tout crin de la LCR (à juste titre réprouvée par LO) à l’attentisme de LO, qui refuse même de mener campagne contre le projet de Constitution européenne, malgré les demandes légitimes de la LCR en ce sens. Au bout du compte, on peut s’attendre à un néant de revendications, à part l’ « exigence » d’une bien vague « interdiction des licenciements », dont on se demande si elle va pouvoir être obtenue par une loi que le Parlement de la Ve République voudra bien accorder aux travailleurs, s’ils « se fâchent » un peu, comme dirait Olivier Besancenot. En attendant, LO et LCR ne proposent rien aux travailleurs, et semblent se contenter de vouloir renouveler un résultat analogue à celui du 21 avril. Il est probable que de nombreux travailleurs et jeunes votent cependant pour cette liste, afin d’exprimer leur attente d’une véritable alternative politique à la droite et à la gauche plurielle. Mais LO et la LCR n’ont pas la moindre intention de rassembler et d’organiser ces travailleurs et ces jeunes dans et par la lutte de classe sur un programme politique clair se donnant l’objectif de la conquête du pouvoir. C’est tellement plus agréable de rester entre soi comme depuis toujours (LO) ou de fricoter avec les réformistes, là aussi comme depuis toujours (LCR)…

Le PT, toujours plus loin dans le républicanisme petit-bourgeois et nationaliste

Quant au Parti des travailleurs… On connaissait son fameux mot d’ordre pour la « reconquête de la démocratie » : quelle démocratie ? Celle de la « République une et indivisible », celle qu’incarne la belle statue de la Place de la République à Paris, et dont le PT a mis la photo à la une de son journal en septembre et sur ses affiches appelant à sa manifestation du 20 septembre dernier. En un mot, le PT défend la République érigée par la bonne bourgeoisie française au temps où elle n’était pas encore « européenne » ! Maintenant, le PT va toujours plus loin dans sa fuite en avant républicaine petite-bourgeoise et nationaliste. Il s’agit pour lui de rester « sur le terrain classique de la démocratie » (!!) et de faire passer le « message politique clair »  suivant : présenter des listes aux élections cantonales pour défendre le « triptyque classiquement républicain : la République une et indivisible, le département et la commune » (Informations Ouvrières n°615, 12 novembre 2003). Il s’agit même carrément de défendre la « souveraineté de la nation » menacée par l’Union européenne (ibid.) ! Un candidat du PT aux cantonales déclare au sujet d’Alsthom : « La mise sous tutelle du gouvernement Chirac-Raffarin au nom des critères de Maastricht est inacceptable. » Ainsi le gouvernement français serait-il — pauvre de lui — un gentil pantin entre les doigts crochus de l’Union européenne... Et Jean-Charles Marquiset, chef de file du prétendu « courant » soi-disant « communiste » du PT, de faire croire sans rire aux militants (à des fins de manipulation interne), que le combat du PT sur de telles bases pour le « non » à la Constitution européenne est rien de moins que « la poursuite du combat ouvert par la grande révolution d’Octobre 1917 contre le capital » (IO, n°614, 5-11 novembre 2003). Le combat pour défendre la République bourgeoise et la souveraineté de la nation impérialiste s’inscrirait ainsi dans la continuité de son contraire, la révolution prolétarienne socialiste ! Quelle bonne blague !

Complètement délaissé par les médias et n’ayant donc plus grand-chose à se mettre sous la dent pour alimenter auprès de ses lecteurs et militants le mythe du grand « complot » contre lui, le PT se console en répétant numéro après numéro qu’un journaliste de France inter l’aurait récemment qualifié d’ « inquiétant » (à vrai dire, il n’aurait rien dit de plus méchant, puisqu’IO ne nous dit rien de plus…)… « Inquiétant », le PT ? Vraiment, la bourgeoisie avait-elle de quoi « s’inquiéter » lorsqu’elle a vu le PT défiler en défense de la République le 20 septembre dernier avec ses amis maires « de toutes tendances » « ceints de leurs écharpes » tricolores et gonflant la poitrine sous ces oripeaux fort respectables ? A-t-elle de quoi s’inquiéter lorsque le très officiel rapport du Comité directeur du PT, préparatoire au prochain Congrès, nous informe comme l’un des plus beaux succès de l’année écoulée le fait qu’ « un maire s’est abonné pour 12 numéros » au journal Informations ouvrières ? Soyons-en assurés, la lutte de classe et la construction d’un parti révolutionnaire pour mettre à bas le système capitaliste ont fait là un grand pas ! Avec une telle politique on ne s’étonne qu’à moitié du passage suivant, relevé dans ce même rapport du Comité directeur — comme aiment à dire les rédacteurs d’IO, « ce n’est pas nous qui le disons » : cette année, écrit la direction du PT en un lapsus qui pourrait exprimer une sorte de doute inconscient d’une partie des militants du PT confrontés à la politique de plus en plus délirante de Lambert-Gluckstein, le journal Informations ouvrières… a connu « des améliorations inconstatables ». Sur ce point, nous sommes d’accord !

Mais jusqu’où cette orientation conduira-t-elle le PT ? Jusqu’où ira-t-il dans son flirt poussé avec une fraction de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie ? On peut se le demander lorsqu’on apprend dans IO n°614 du 5 novembre (p. 7) que, au nom de la défense des communes dans le cadre de la défense de la République, le PT n’a pas hésité à soutenir et à organiser de fait, avec ses nouveaux amis « républicains », une réunion de maires parmi lesquels figuraient en bonne place, à la tribune s’il vous plaît, rien de moins que... deux députés-maires de l’UMP, « Mme Polletti et M. Warsmann », comme les appelle respectueusement IO. Le « correspondant d’IO » qui a signé l’article, tout en soulignant que « le député Warsmann fit un étincelant plaidoyer pour la commune », écrit que « de nombreux participants déplorèrent que les réponses aux questions posées, notamment sur le maintien des communes, des cantons, des départements et de la nation n’aient pas été apportées par les parlementaires ». En somme, les députés de l’UMP seraient un peu trop timorés pour défendre les communes et la nation, et le rôle du PT serait de les rappeler à l’ordre... Vraiment, le PT défendant la nation avec des députés de l’UMP, voilà bien de quoi « inquiéter » la bourgeoisie !

Comment faire concrètement aujourd’hui pour aller vers la construction d’un parti communiste révolutionnaire internationaliste ?

La LCR, LO et le PT, les trois seuls partis d’envergure nationale à se réclamer encore de la lutte de classe et du socialisme, refusent donc de tracer une perspective politique pour la classe ouvrière, alors même qu’une partie significative de celle-ci, de son avant-garde et de la jeunesse se sont tournées vers eux aux dernières présidentielles et voteront sans doute encore massivement pour les listes LO-LCR au printemps prochain.

Pourtant, après des années d’alternance gouvernementale entre la droite et la gauche plurielle, l’une et l’autre au service exclusif du grand capital, le besoin d’une alternative politique est un besoin objectif pour les travailleurs. Dans leur masse, les travailleurs n’ont plus d’illusions dans le PCF et le PS, et on a vu qu’ils n’en ont pas davantage dans le mouvement « altermondialiste », où ils n’ont guère de mal à reconnaître que dominent les mêmes, ou à peu près.

Les militants marxistes révolutionnaires ne peuvent se raconter d’histoires : il y a aujourd’hui, en France et dans le monde, une crise profonde du mouvement ouvrier, c’est-à-dire à la fois, de manière indissociable, des organisations syndicales et politiques traditionnelles de la classe ouvrière et de la conscience de classe (des idées socialistes, communistes et révolutionnaires). Cette crise est l’effet combiné de la contre-offensive générale de l’impérialisme contre les acquis des travailleurs et des peuples, contre-offensive commencée à la fin des années 1970, et appuyée par la social-démocratie et les bureaucraties syndicales réformistes traditionnelles, d’une part ; et de la crise ouverte, puis de l’effondrement de l’URSS, de ses satellites et des partis communistes partout dans le monde, d’autre part. En France, en particulier, le PS est devenu carrément un parti bourgeois analogue, toutes choses égales par ailleurs, au parti démocrate américain (c’est-à-dire tout en gardant par son passé des liens avec les appareils syndicaux), suite à l’abandon de toute référence ouvrière et socialiste et à des années de gestion directe du capitalisme par la mise en œuvre non pas de réformes, mais de contre-réformes ; et le PCF, historiquement condamné en tant que tel comme tous les ex-partis staliniens, et qui a vu sa chute s’accélérer par sa participation loyale à cinq ans de gouvernement Jospin réactionnaire préparant le retour de la droite, est dans la phase ultime de sa décomposition.

Or cette situation de décomposition des organisations et de la conscience de la classe ouvrière — situation certes difficile — n’est pas exploitée par les organisations ouvrières qui se sont formées contre la social-démocratie et le stalinisme, à commencer par les organisations qui se réclament du « trotskysme » : LO, la LCR et le CCI-PT en France sont marqués au sceau de la sclérose, du crypto-réformisme et de l’incapacité ou du refus d’occuper le terrain libéré par la rupture des travailleurs d’avec le PS et le PCF. Ces organisations, malgré l’audience réelle qu’elles ont et l’influence qu’elles auraient si elle le voulaient vraiment, refusent de se présenter aux yeux des masses comme porteuses d’un programme politique clair, communiste, révolutionnaire et internationaliste, qui fasse des travailleurs eux-mêmes les prochains candidats au pouvoir. Et c’est parce qu’elles refusent d’afficher haut et fort cette perspective qu’elles sont incapables de proposer des mots d’ordre concrets, transitoires, pour la mobilisation immédiate des travailleurs contre la politique du gouvernement…

Pourtant, la crise générale du mouvement ouvrier et donc de la conscience de classe, si elle affaiblit certes la capacité de résistance de la classe ouvrière confrontée aux attaques de la bourgeoisie, crée cependant, en même temps, une situation inédite, où les travailleurs et notamment les jeunes générations ne sont plus captés dès leur éveil politique par les réformistes du PS et du PCF, ces « lieutenants bourgeois de la classe ouvrière » (Lénine). Dès lors, ils sont beaucoup plus aisément accessibles qu’autrefois pour les organisations communistes révolutionnaires authentiques : celles-ci ne sont plus exclues de leur propre classe et rendues impuissantes par l’hégémonie social-démocrate et stalinienne ; l’occasion leur est offerte de faire leur preuve, c’est-à-dire de partir résolument, par la théorie et la pratique de la lutte des classes, à la conquête de la conscience de classe des masses.

Le refus de la LCR, de LO et du PT d’avancer une perspective politique de classe n’est nullement le produit de leur faiblesse numérique ; c’est le contraire. Il suffit de regarder comment les partis ouvriers se sont construits à la fin du XIXe siècle et au début du XXe (aussi bien le Parti social-démocrate allemand que le Parti ouvrier français, le POF marxiste en France, ou encore le parti bolchevik en Russie) pour comprendre qu’il est tout à fait possible pour une organisation de quelques milliers de membres de devenir une grande organisation à audience de masse pour peu qu’elle sache, avec un programme révolutionnaire de transition, exploiter au mieux la situation objective. Au contraire, ni LO, ni la LCR, ni le PT n’ont essayé d’occuper jusqu’à présent le terrain qui s’est ouvert de manière éclatante « à gauche » le 21 avril 2002, se contentant chacun à sa manière de poursuivre sa politique opportuniste et/ou attentiste de toujours.

Il ne s’agit certes pas de prétendre que, aujourd’hui, l’heure serait venue pour la classe ouvrière d’en finir avec le régime politique, c’est-à-dire de partir à l’assaut de l’État bourgeois. Les militants et les petits groupes qui le pensent ne font que payer le prix d’une impatience « spontanéiste » et du rêve de raccourcis qu’engendre nécessairement l’absence de toute alternative politique organisée. La situation n’est évidemment ni révolutionnaire, ni pré-révolutionnaire en France. Il est donc nécessaire que tous les petits groupes et militants qui s’efforcent de maintenir vivante la flamme du marxisme révolutionnaire et du trotskysme en dehors des trois vieilles maisons de la LCR, de LO et du CCI-PT, notamment ceux, les plus nombreux, qui ont été formés dans les années 1970, sachent rompre avec les phrases toutes faites et les schémas sclérosés du vieux « trotskysme » officiel — qu’il s’agisse de cette si mauvaise habitude prise sous Pompidou et Giscard, mais depuis longtemps déconnectée de la réalité concrète et de l’état d’esprit des masses, d’en appeler à un « gouvernement PS-PCF » pour rompre avec la bourgeoisie — ou qu’il s’agisse de la croyance en une aspiration « spontanée » des masses à mettre à bas le régime, la Ve République, l’État bourgeois et tutti quanti.

Rien ne peut aujourd’hui se substituer à la nécessité pour les groupes et militants marxistes dont l’objectif est de construire un nouveau parti communiste révolutionnaire internationaliste des travailleurs, d’élaborer leurs propres analyses et orientations actuelles et vivantes, en partant des revendications et aspirations des travailleurs conscients. Il ne s’agit pas de donner à ceux-ci l’objectif ­— à juste titre discrédité à leurs yeux — de porter le PS et le PCF au pouvoir ; il ne s’agit pas non plus d’avoir l’objectif insensé d’ouvrir ici et maintenant une crise révolutionnaire qui n’est pas à l’ordre du jour et qui ne le sera pas du jour au lendemain ; mais il s’agit d’abord et avant tout, d’aider les travailleurs et les jeunes à rompre avec l’idéologie bourgeoise dominante qui gangrène la conscience de tout le monde dans les sociétés capitalistes et, de manière indissociable, de guider concrètement leur combat politique quotidien contre le patronat et les gouvernements successifs, pour leur apprendre à devenir des militants marxistes révolutionnaires intervenant concrètement dans la lutte de classe, pour les aider ainsi à trouver, selon des formes et des délais variables, la voie du programme communiste révolutionnaire.


1) Nous sommes presque la seule organisation à avoir distribué aux participants du FSE un tract dénonçant le FSE, à la colère de certains organisateurs, mais aussi à l’opposé d’organisations comme LO ou le PT (et de bien d’autres plus petites), qui se sont contentées de snober les jeunes et les militants qui y participaient, manifestement parce qu’ils n’avaient tout simplement rien à leur proposer (cf. sur ce point Le Cri des travailleurs n°8)… Notons également que, au cours de la manifestation du 15 novembre, l’organisation La Commune a distribué un bref communiqué disant simplement qu’il ne s’agissait pas d’humaniser le capitalisme, mais de le renverser, tandis que le Courant communiste international (courant « communiste de gauche » de tradition bordiguiste) distribuait un tract plus conséquent qui dénonçait en termes très justes le FSE, tout en exprimant l’orientation malheureusement « gauchiste » (au sens léniniste du terme), de cette organisation.

2) Les syndicats ont participé, sous l’égide de la CES (Confédération européenne des syndicats), au Forum syndical européen, puis au FSE proprement dit. FO, sans mobiliser beaucoup ses militants, a cependant organisé un séminaire sur le retraites et un autre sur le normes internationales du travail. Bernard Devy, secrétaire confédéral qui venait de négocier l’accord régressif sur les retraites complémentaires avec le MEDEF, y a déclaré souhaiter « une meilleure répartition des richesses ». Marie-Suzanne Pungier, également secrétaire confédérale, prôna de son côté le « retour » à un « État solidaire »…

3) « Humanisme » est d’ailleurs un mot sans doute excessif quand on sait que la vice-président d’ATTAC, Susan George n’avait pas hésité à remercier Bush pour sa boucherie afghane, en déclarant : « Je me suis trompée quand j’ai critiqué es bombardements américains sur l’Afghanistan (…) Cela valait la peine de le faire pour se débarrasser des talibans. Je tiens à remercier George Bush, il a montré qu’il était possible d’atteindre les terroristes et leurs ressources » (Courrier international, 17-23 janvier 2002).

4) 4-pages « Saint-Denis souhaite la bienvenue au Forum social européen ».


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